Nouvelle version de l'ACTA : une seule certitude, la limitation de nos libertés

La dernière version de l'ACTA, accord commercial « anti-contrefaçon » vient d'être publiée. Ces négociations secrètes ont produit un texte aux dispositions inacceptables. L'April appelle donc la France et l'Europe à quitter cette cuisine infecte qui dénature la démocratie et nos libertés.

Le mercredi 6 octobre 2010 a été rendue publique la dernière version du texte de l'ACTA, accord commercial « anti-contrefaçon ». Les négociateurs seraient arrivés à un « quasi-accord » sur le contenu du texte1 qui attaque les libertés fondamentales et met en danger des droits aussi essentiels que l'accès aux médicaments, la neutralité du Net ou le choix de ses outils logiciels2. Par rapport aux versions précédentes fuitées dans la presse, de nombreuses dispositions ont été expurgées du texte et remplacées par des formules générales n'engageant pas de transformations juridiques pour les parties. Cependant, et bien qu'il évite de nombreuses questions, ce texte ajoute un verrou supplémentaire aux DRM en affirmant que la sacralisation des menottes numériques est de principe, et la possibilité de les contourner une exception soumise à la volonté des parties3. Cette prétention d'accord reste donc une atteinte inacceptable à nos libertés et à la sécurité juridique des auteurs et utilisateurs de logiciels libres; c'est pourquoi l'April appelle la France et l'Europe à quitter ces pseudo-négociations qui dénaturent les fondements mêmes de la démocratie par des manœuvres gardées secrètes tant des institutions élues que des citoyens.

Pour le logiciel libre, les versions antérieures du texte étaient en complète violation du droit communautaire et du droit français. Si les illégalités les plus flagrantes en ont disparu 4, les termes utilisés ne sont pas pour autant mieux définis5 et sont, dans la version actuelle du texte, sources d'insécurité juridique pour les auteurs, distributeurs et utilisateurs de logiciel libre.
En effet, si l'interdiction du contournement des verrous numériques est encadrée par les lois nationales dans chacun des pays6, il n'en est pas de même pour le développement ou la distribution de logiciels utilisés dans le cadre des oeuvres numériques. Ainsi « la fabrication, l'importation, ou la distribution d'un outil ou d'un produit, y compris les programmes informatiques » qui n'ont qu'un « objectif commercialement limité en dehors du contournement des mesures techniques efficaces [DRM] »7 est strictement interdite dans la version actuelle de l'accord.

Le texte est également muet à propos du droit à l'interopérabilité ainsi que l'exception de décompilation — pourtant proclamés dans les droits européen et français8. L'ACTA s'abrite derrière une formulation très générale : « les engagements des paragraphes 5, 6 et 7 s'appliquent sous toutes réserves des droits, limitations, exceptions ou interdictions aux violations des droits d'auteurs ou droits voisins dans le droit d'une des parties » 9. Ainsi, le texte se contente de mettre en place des mesures restrictives et privatives de libertés, sans pour autant instaurer le moindre encadrement de leurs dérives : les protections de la liberté des consommateurs tout comme l'affirmation des principes d'interopérabilité et du choix des usages font l'objet d'un simple renvoi à ce que pourrait éventuellement proposer le législateur national, ce qui est insuffisant. Alors que les restrictions de libertés sont inscrites dans le marbre, les protections des droits fondamentaux sont passées à la trappe et négligées par le texte : avec l'ACTA, seules les atteintes à la libertés sont mises en place, et leurs garde-fou ignorés.

Globalement, l'ensemble du processus de mise en place du texte est anti-démocratique et dangereux pour nos libertés. Il met également en danger des droits aussi fondamentaux que l'accès au médicaments10 ou que les libertés fondamentales des utilisateurs d'internet11. La mise en place d'un « comité ACTA »12, qui peut amender le texte avec l'accord des exécutifs des pays concernés, mais sans vote des institutions législatives ni débat public, permet aux parties de s'assurer d'un durcissement ultérieur du texte.

Suite à une discussion avec un négociateur pour la France, début septembre, l'April avait appelé à l'abandon des négociations, face aux menaces que ce texte représentait. Les dernières négociations, aussi sourdes que secrètes, confirment les inquiétudes exprimées par l'April dans ses communiqués antérieurs13 et confirment que de tels accords internationaux ne doivent pas se faire sans débats parlementaire et public. L'April renouvelle son appel à l'abandon par la Commission Européenne et par l'ensemble des institutions impliquées de ces négociations anti-démocratiques.

  • 1. Voir par exemple l'article du Monde sur le sujet.
  • 2. Pour plus d'informations, voir le communiqué de presse commun d'ActUp-Paris, April et la Quadrature du Net.
  • 3. Voir l'article 2.18, paragraphe 5 du texte
  • 4. Voir notamment notre analyse du 7 septembre 2010. Le texte rendait inconditionnelle la mise en place de l'interdiction du contournement des verrous numériques (article 2.18 de la version du 25 août 2010). Il accordait aux auteurs ou aux producteurs le droit d'imposer des restrictions d'usage, y compris sur ceux prévus par le droit d'auteur (copie, etc.) sans poser de limite. Le texte va à l'encontre du droit français et européen, qui garantissent l'exception de décompilation et favorisent l'interopérabilité.
  • 5. Par exemple, l'efficacité d'une mesure technique de protection est définie de la manière suivante : les mesures techniques seront considérées comme efficaces lorsque l'usage d'oeuvres protégées [...] est contrôlé par les auteurs, interprètes ou producteurs des phonogrammes par l'application d'un contrôle [...] qui atteint l'objectif de protection ("technological measures shall be deemed effective where the use of protected works, performances or phonograms is controlled by authors, performers or producers of phonograms through the application of a relevant access control or protection process, or a copy control mechanism, which achieve the objective of protection". Article 2.15, traduction par nos soins.
  • 6. "to the extent provided by the law"
  • 7. "the manufacture, importation, or distribution of a device or product, including computer programs" that "has only a limited commercially significant purpose other than circumventing an effective technological measure".Traduction par nos soins.
  • 8. En l'absence de publication effective des spécifications techniques, l'exception de décompilation permet de rechercher les informations nécessaires à l'interopérabilité sans demander l'autorisation à l'éditeur. Cette exception est protégée par l'article L122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle et par la la direction européenne de 1991 relative à la protection juridique des programmes d'ordinateur, et a été réaffirmé par le Conseil d'État dans sa décision de juillet 2008, suite à un recours déposé par l'April.
  • 9. "the obligations in paragraphs 5, 6 and 7 are without prejudice to the rights, limitations, exceptions or defenses to copyright or related rights infringement under a Party's law". Traduction par nos soins.
  • 10. L'atteinte à l'accès aux médicaments est notamment relayée par ActUp-Paris dans leur communiqué de presse
  • 11. Ce qui est dénoncé par la Quadrature du Net dans leur communiqué de presse.
  • 12. Le « comité ACTA » ("ACTA committee") est prévu à l'article 5 du texte actuellement en discussion
  • 13. Voir notamment notre dossier sur ACTA.