Suivi de la migration informatique à la ville de Marseille

Depuis 2009, la ville de Marseille se préparait à migrer son parc informatique vers des postes de travail basés sur des systèmes d'exploitation libres. D'après les informations que l'April a collectées, cette migration avait fait l'objet d'un travail préparatoire minutieux. Alors que tous les indicateurs étaient au vert, la mise en application de cette décision a été renversée pendant l'été 2010 par une décision du nouveau DSI (Directeur des Systèmes d'Information) de la Ville, Jean-Marie Angi.

L'April s'est saisie de ce dossier. Vous trouverez ci-dessous un résumé de la situation et la chronologie des actions menées par l'April.

Résumé de la situation

La mairie étant équipée de plusieurs systèmes d'exploitation différents, l'ancienne DSI (Direction des Systèmes d'Information) voulait homogénéiser son parc informatique afin de faire des économies d'échelle sans pour autant frustrer les utilisateurs de Mac ou de PC.

Afin de préparer la migration, une étude a été commandée pour analyser l'opportunité des migrations vers des solutions libres ou non et évaluer les risques de celles-ci, notamment au regard des applications métiers. Des maquettes ont été réalisées pour s'assurer de la compatibilité entre les logiciels et les systèmes d'exploitation. Suite à cette étude, la DSI a opté pour une solution libre.

La migration vers des postes de travail libres, en plus de proposer une solution homogène respectueuse des utilisateurs, a été décidée par la direction de l'informatique précédente afin d'appliquer concrètement la volonté politique d'avoir une informatique tournée vers la citoyenneté. Cette migration s'inscrivait donc dans la lignée de la publication sous licence libre du logiciel Allo-Mairie et de la migration vers la suite OpenOffice.org (décidée en 2009).

Dans le cadre d'une réorganisation des services de la Ville, l'ancien DSI est nommé à d'autres fonctions, sans que cela ait de lien avec ce dossier précis.

Peu de temps après son arrivée, le nouveau DSI aurait demandé aux auteurs de l'étude de la réécrire afin d'y faire figurer des conclusions plus favorables à une migration vers Windows 7. Cette nouvelle version de l'étude est livrée en mars 2010.

Le 22 juillet, une note d'exploitation informe le personnel de la DSI de l'arrêt de migration vers des postes de travail libres pour migrer l'ensemble des postes de la mairie vers un système d'exploitation propriétaire.

Aucune raison technique valable n'explique la décision du nouveau DSI. Dans un document qui a fuité dans la presse, le DSI tente de justifier bien maladroitement sa décision en ânonnant des contre-arguments :

  • Contrairement à ce qu'il prétend, faire le choix du Logiciel Libre c'est faire le choix de la pérennité : ses licences garantissent que, quels que soient les prestataires choisis, l'utilisateur reste maitre de ses logiciels. Dans ces circonstances, le DSI refuse des logiciels dont la pérennité est garantie par leurs licences en optant pour un système d'exploitation propriétaire, dont la version précédente n'a pourtant été poussée par son éditeur que pendant deux ans. De plus, l'argument de la pérennité des choix informatiques avait guidé en son temps les migrations des postes de travail d'institutions telles que l'Assemblée Nationale ou la Gendarmerie vers des solutions libres.
  • Les systèmes d'exploitation libres offrent un choix varié d'interfaces utilisateur. Comme le mettait en lumière le travail préalable réalisé par les services techniques de la Ville, les conséquences des changements d'usage induits par le passage aux logiciels libres sont moins complexes pour les utilisateurs que celles des migrations entre deux systèmes d'exploitation propriétaires, voire que celles entre deux systèmes d'exploitation propriétaire d'un même éditeur.
  • Alors qu'un travail préparatoire effectué par les équipes techniques avait permis de rechercher/trouver/proposer des solutions techniques pour assurer la compatibilité des applications métiers, rien de ceci n'a été réalisé concernant la plateforme propriétaire finalement/actuellement retenue par la Ville. Dans la mesure où ces logiciels n'ont pas été qualifiés par leurs éditeurs pour la plateforme finalement désignée unilatéralement par le DSI, le risque d'incompatibilité est très élevé et pourrait entraîner de nombreuses conséquences désastreuses pour la collectivité .

Ces éléments laissent évidemment penser que, contrairement à ce qu'il affirme, ce n'est pas réellement un « objectif de rationnalisation » qui gouverne les choix du DSI de Marseille. Celui-ci a en effet imposé son choix de la marque et du modèle de système d'exploitation avant même d'annoncer ne serait-ce que la mise en place de l'étude préalable. C'est en tout cas ce que confirme ce document, signé de Jean-Marie Angi, daté du 22 juillet 2010.

En outre, l'élu référent sur ce dossier ne semble pas avoir été tenu informé de cette décision1. Les risques pris par le nouveau DSI sont pourtant très importants, entre autres parce que sa décision est illégale au vu du Code des marchés publics. En effet, alors que le choix d'une technologie libre est autorisé2, faire le choix d'une marque particulière est strictement interdit par le Code des marchés publics3.

Chronologie des actions menées par l'April

Voici la chronologie des actions menées par l'April sur les changements de décision à la Ville de Marseille portant sur la migration des postes de travail de la Ville.

  • 1. il nous a ainsi lapidairement répondu par courriel ne pas être en charge de ce dossier.
  • 2. la possibilité d'étude, de modification ou de diffusion offerte par le Logiciel Libre étant une fonctionnalité technique elle est reconnue valable au regard de l'article 6 du Code des marchés publics.
  • 3. Article 6 du code des marchés publics: « Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. »