Procès UFC/Darty : analyse du jugement

  1. Contexte
  2. Résumé du jugement
  3. Analyse du jugement
  4. L'avenir
  5. Références

Fin 2006, face à l'inaction des pouvoirs publics contre la vente liée, l'UFC a décidé d'avoir recours à la jurisprudence pour faire cesser ces pratiques commerciales déloyales tant vis-à-vis de la concurrence que pour le consommateur. Elle a choisi d'assigner deux distributeurs, Darty et Auchan, et un constructeur, HP, au Tribunal de Grande Instance pour violation de plusieurs articles du code de la consommation.[1]

Contexte

Depuis la fin des années 1990, les associations de promotion et de défense des Logiciels Libres dénoncent les pratiques de vente liée des circuits de grande distribution. Dans le domaine de l'informatique, la vente liée se traduit par l'impossibilité d'acheter un ordinateur sans logiciels, ou en tout cas sans devoir payer des logiciels pré-installés. Or les logiciels ont des licences d'utilisation, ce qui juridiquement les classe dans la catégorie des services. Il devrait donc être possible d'acheter un ordinateur (matériel) sans les services (logiciels) qui l'accompagnent.

En 2006 l'UFC a annoncé qu'elle attaquait HP, Darty et Auchan au TGI pour vente liée. Par souci d'indépendance, l'UFC a préféré y aller seule, sans l'aide des associations du Libre. l'UFC demande en somme la fin de la vente liée par l'obligation pour tous les vendeurs de vendre les ordinateurs nus (c'est-à-dire sans logiciels pré-installés). Le jugement du premier procès, contre Darty, a été rendu le 24 juin 2008.

Résumé du jugement

On peut y lire :

  • page 7 : « la cour de cassation a juge que le droit d'usage confère a un consommateur par la mise a disposition d'un logiciel s'analyse en une prestation de service au sens de l'article L122-1 susvisé. »
  • page 7 : « Le matériel informatique et les logiciels sont des produits nettement distincts qui sont certes de nature complémentaire mais dissociables. »
  • page 7 : « En outre, des régimes juridiques fondamentalement distincts régissent l'acquisition d'un ordinateur dans ses composants matériel et le droit d'utilisation des logiciels qui l'équipent. »
  • page 8 : « La désinstallation de logiciels peut compromettre la stabilité de l'ordinateur. »
  • page 8 : « l'installation LINUX effectuée par eux-même sur un PC a duré trois heures »
  • page 8 : « les risques de surcout pour le consommateur liés aux interventions inévitables de techniciens supérieurs sur des matériels non dotés de logiciels configurés »
  • page 9 : « Les amateurs éclaires peuvent trouver des produits « nus » dans des magasins spécialisés »
  • page 9 : « il sera enjoint à la société Darty, dans les conditions fixées par le dispositif, d'indiquer le prix des logiciels d'exploitation et d'utilisation pré-installés sur les ordinateurs qu'elle expose à la vente »
  • page 11 : « Ordonne à la société ETABLISSEMENTS DARTY, dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, d'indiquer le prix des logiciels d'exploitation et d'utilisation pré-installés sur les ordinateurs qu'elle expose à la vente. »

Analyse du jugement

Le juge reconnaît la vente liée. Il reconnaît que les vendeurs l'enfreignent en informatique dans les circuits de grande distribution, et que les logiciels sont des prestations de service. Il demande à ce que cesse cet état de fait.

En revanche, au vu du témoignage des experts qui affirment qu'il faut trois heures pour installer 'Linux' (on ne sait pas quel 'linux', et de plus pourquoi 'linux' ? On pourrait très bien avoir une version boîte de Windows !), les juges estiment qu'un vendeur grand public ne peut pas vendre des ordinateurs nus, c'est-à-dire sans aucun logiciel pré-installé.

La position du groupe Racketiciel (soutenu par l'April) est l'optionnalité : on vend des ordinateurs pré-equipés de logiciels, mais ces logiciels ne sont pas pré-activés. Il suffit d'un code d'activation pour utiliser ces logiciels, l'absence de ce code d'activation permet de ne pas payer pour ces logiciels (une autre possibilité est d'équiper les ordinateurs de logiciels en version d'évaluation, que le consommateur payerait séparément et après l'achat, s'il souhaite les conserver). Charge ensuite a l'acquéreur de formater l'ordinateur. Cette proposition semble aller dans le sens de ce jugement. Elle permettrait aux enseignes d'être enfin conformes à la loi, tout en n'étant pas un obstacle à l'intérêt du consommateur néophyte en informatique qui souhaite acquérir un ordinateur avec les logiciels pré-configurés dessus.

Si l'UFC avait demandé conseil aux associations du libre avant de partir en procès, nous lui aurions conseillé de s'en tenir à demander l'optionnalité, solution beaucoup plus réaliste en l'état actuel du marché et des connaissances des utilisateurs de solutions informatiques.

Enfin, certaines boutiques présentent des ordinateurs de bureau nus, mais pas de portables (en tout cas beaucoup plus difficilement). Pour obtenir un ordinateur portable nu, il faut aller sur Internet, avec les problèmes connus de garantie et de qualité de service. Et quand bien même certaines boutiques proposent des offres sans logiciels, il convient de rappeler ceci : dans un état de droit, la loi est la même pour tous ! Le fait que son voisin ne commette pas de crimes n'autorise pas à en commettre soi-même.

L'avenir

Darty va probablement faire appel, ce qui serait suspensif de cette décision. Toutefois, ce serait l'occasion de déployer de meilleurs arguments peut-être et d'éviter l'écueil des ordinateurs nus.[2]

Les deux autres procès de l'UFC sont en attente de jugement : Auchan et HP. Il est probable que le premier jugement serve de référence aux suivants ; nous avons de bonnes chances d'obtenir un résultat au moins aussi positif.

Une réunion plénière a été convoquée par DGCCRF le 3 juillet 2008. Force est de constater qu'elle se présente sous les meilleurs auspices.

La pétition Racketiciel a déjà atteint cette semaine les 30 000 signatures. Lorsque cette pétition avait atteint les 10 000 signatures, nous avions été convoqués une première fois à la DGCCRF. Depuis, l'inactivité de la DGCCRF n'a fait « que » 20 000 mécontents supplémentaires.

Le Secrétaire d'État à la Consommation, Luc Chatel, qui se cachait derrière les procès de l'UFC pour ne rien faire [2] va être oblige de revoir sa copie. Attendons donc sa prochaine réponse a l'Assemblée nationale et souhaitons qu'il revienne à de meilleurs sentiments ![4]

Enfin, souhaitons bonne chance à toutes les personnes qui vont aller chez Darty ce weekend pour demander le prix des logiciels ! N'oubliez cependant pas que Darty a un mois pour s'exécuter sous réserve qu'il ne fasse pas appel, et n'oubliez pas non plus que les vendeurs sont souvent mal informés.

Références

  1. Communiqué de l'UFC du 14 décembre 2006 : Ordinateur et logiciels - Tu ne lieras point !
  2. C'est finalement l'UFC qui fait appel de la décision. Voir PC INpact :Vente liée PC et OS : l'UFC-Que Choisir contre-attaque
  3. Réponse du Secrétaire d'État Luc Chatel à la question écrite du député Philippe Tourtelier
  4. Question écrite du député Luc Chatel en 2005