Point d'étape sur le brevet unitaire et la juridiction unifiée

Si le projet d'un brevet unique en Europe contrôlé par une juridiction unifiée est ancien, l'actualité sur le sujet s'est précipitée ces dernières semaines. Ce bilan permet de tracer les grandes lignes du projet.

Pour mettre ce système en place, deux projets parallèles et complémentaires sont actuellement discutés au niveau européen : le brevet unitaire européen, c'est-à-dire la mise en place d'un titre unique de brevet valable dans l'ensemble des pays, et une juridiction unifiée, qui sera en charge des litiges sur les questions de brevets pour l'ensemble des pays.

L'un ne peut pas fonctionner sans l'autre : une juridiction unifiée n'a pas de sens si elle est chargée des brevets nationaux dans chaque pays, tandis qu'un brevet unitaire ne présente que peu d'avantages si la jurisprudence n'est pas uniforme dans l'ensemble des pays, et surtout si les litiges de brevets doivent être portés devant chaque cour nationale pour faire défendre ses droits.

Qu'est-ce que le brevet unitaire et la juridiction unifiée ?

Le projet de brevet unitaire européen est en préparation via une coopération renforcée, pour laquelle le Conseil et le Parlement ont donné leur accord lors des votes du 15 février et 10 mars 2011. Cette coopération renforcée signifie que tous les pays de l'Union Européenne ne seront pas concernés par le brevet unitaire : celui-ci ne serait pas valable en Espagne, ni en l'Italie, qui ont refusé de participer1. En revanche, ce titre de brevet unique serait valide dans l'ensemble des pays de la coopération renforcée.

Le projet de juridiction unifiée est un projet d'accord international discuté par la Commission2.Cette juridiction unifiée aurait compétence exclusive, c'est-à-dire que des tribunaux et une cour d'appel spécifique régleraient les litiges des brevets sans intervention des juges nationaux et communautaires. Le projet est actuellement en cours de réécriture, car la Cour européenne de justice a souligné les dangers et l'illégalité du projet actuel au regard du droit européen.

Les dangers du projet actuellement débattu

Si l'idée en elle-même d'une unification du brevet en Europe ne pose pas de problème spécifique pour l'April et le logiciel libre, la forme que pourraient prendre ces projets est source d'inquiétude. En effet, le contrôle de l'ensemble (brevet + juridiction) serait réservé à l'Office européen des brevets (OEB), une organisation internationale indépendante de l'Union européenne et fondée par un traité, la Convention sur le brevet européen.

L'Office européen des brevets3 est un organisme indépendant, non soumis au droit européen ni au droit national, et les contrôles sur cet organisme sont très limités. Surtout, l'OEB a tenté plusieurs fois de faire légaliser les brevets logiciels, et adopte une attitude à la limite de la légalité sur ces questions, en acceptant d'octroyer des brevets dans ce domaine et en réalisant un lobbying intense pour qu'ils soient reconnus comme légaux en Europe4. L'April dénonce ces pratiques depuis 2001 et ses inquiétudes sont partagées par de multiples acteurs, y compris par le syndicat du personnel de l'OEB et par la grande chambre de recours de l'organisme lui-même5 !

Ces abus liés à la mainmise d'un microcosme des brevets sur les institutions qui devraient les encadrer ont conduit l'April à remettre en cause le projet de brevet unitaire, et à discuter des pistes à suivre aujourd'hui.

Que s'est-il passé, quelles sont les pistes pour l'avenir ?

Le 08 mars 2011, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu son avis sur le projet de juridiction unifiée défendu par la Commission. Cette décision invalide le projet, car la cour le déclare incompatible avec les traités et avec les fondements même de l'Union européenne.

Elle se base pour cela sur plusieurs arguments juridiques, dont l'absence de contrôle par la CJUE et la dépossession des pouvoirs des tribunaux nationaux. Concrètement, elle ferme donc la porte à tous les projets actuellement proposés d'une cour intégrée à l'OEB. L'April s'est félicitée de cette décision, car elle implique qu'un système unifié de litiges sur les brevets doit être contrôlé par des tribunaux communautaires et par des magistrats indépendants6.

Au-delà du règlement des litiges, l'ensemble du système des brevets doit également respecter le principe démocratique de séparation des pouvoirs. La législation sur les brevets est aujourd'hui sous la tutelle du Conseil d'administration de l'OEB, alors qu'elle devrait être une responsabilité des députés européens et nationaux, élus détenteurs du pouvoir législatif. De même, les décisions de l'OEB (l'octroi ou le rejet d'une demande de brevet, l'invalidation ou la confirmation lors d'une opposition à un brevet délivré) ne peuvent être contestée que devant les chambres internes de l'OEB, alors qu'un appel à un juge indépendant devrait être possible.