Le Sénat rejette les amendements vente forcée après un argumentaire honteux du ministre Benoît Hamon

Mise à jour du 13 septembre 2013 : ajout de la transcription de l'intégralité des débats.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi consommation, les sénateurs ont débattu le mercredi 11 septembre 2013 de trois amendements portant sur la vente forcée ordinateurs/logiciels. Malgré une attente forte de la part des consommateurs et un avis favorable du rapporteur, les amendements ont finalement été rejetés suite à un argumentaire honteux du ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire et à la Consommation Benoît Hamon.

En effet Alain Fauconnier, le rapporteur du projet de loi, avait émis un avis favorable mais souhaitait connaître l'avis du ministre avant de se prononcer définitivement.

Le ministre Benoît Hamon a émis un avis défavorable avec un argumentaire honteux, qui invoquait l'action de la Commission européenne comme raison de ne pas agir. Selon lui, la Commission agirait déjà contre les pratiques déloyales de Microsoft. Il est vrai que la Commission européenne a fini par imposer une amende à la firme de Redmont en 2013, pour ne pas avoir respecté ses propres engagements sur la vente liée malgré des obligations légales1. On ne peut que constater que ces amendes n'ont pas changé les pratiques déloyales de Microsoft.

De même, le ministre a tenté de justifier sa position en expliquant que le candidat Hollande avait fait une promesse à une association de professionnels et non aux consommateurs, et que donc ce n'était pas le bon projet de loi ; il a noyé le poisson avec des histoires hors sujet sur les mobiles et tablettes ; a parlé de vente liée et non de vente forcée...

Au final, les amendements ont été soumis au vote sans que le rapporteur ait le temps de dire s'il maintenait son avis favorable après les explications du ministre. Après le vote, un sénateur a signalé ce problème. Le rapporteur a alors maintenu son avis favorable mais le président de séance a considéré que le vote avait déjà eu lieu. On peut regretter tout de même que les sénateurs n'aient pas eu toutes les clés en main avant de voter.

Pour plus d'information, des sources supplémentaires :

Voici le compte-rendu des débats, tels que rapportés sur le site du Sénat :

M. le président. - Amendement n°228 rectifié, présenté par M. Labbé, Mmes Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard et Gattolin, Mme Lipietz et M. Placé.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 113-5 du code de la consommation, il est inséré un article L. 113-... ainsi rédigé :

« Art. L. 113-... - Le matériel informatique proposé à la vente avec des logiciels intégrés constitue une vente par lots.

« Tout professionnel vendeur de matériel informatique fournissant des logiciels intégrés doit, avant tout paiement du prix par le consommateur, l'informer par voie d'affichage des caractéristiques essentielles et du prix public toutes taxes comprises du lot ainsi que du prix de chacun des logiciels composant individuellement le lot. L'indication de ces prix doit figurer sur la facture remise au consommateur.

« La violation de ces dispositions entre dans le champ d'application de l'article L. 122-3. »

M. Joël Labbé. - Mettons fin à la vente forcée de logiciels intégrés au matériel informatique. La vente de matériel informatique fournissant des logiciels intégrés constitue une vente par lots et le tribunal de proximité de Saint-Denis a jugé le 10 janvier 2012 ces pratiques commerciales de fourniture de logiciels non demandés, « déloyales en toutes circonstances ».

M. le président. - Amendement identique n°458, présenté par M. Le Cam et les membres du groupe CRC.

M. Gérard Le Cam. - Défendu.

M. le président. - Amendement n°459, présenté par M. Le Cam et les membres du groupe CRC.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 113-5 du code de la consommation, il est inséré un article L. 113-5-... ainsi rédigé :

« Art. L. 113-5-... - Tout professionnel, fabricant ou vendeur d'un ordinateur doté de logiciels intégrés, doit fournir toutes les informations utiles permettant d'informer le consommateur sur les caractéristiques essentielles et le prix public toutes taxes comprises de ces produits, ainsi que sur les conditions d'utilisation et le montant correspondant à chacun des logiciels préchargés.

« L'indication de ces informations doit être faite par voie d'affichage et figurer sur la facture remise au consommateur.

« La violation de ces dispositions constitue une pratique commerciale trompeuse. »

Mme Mireille Schurch. - Amendement de repli. Si nous ne consacrons pas dans la loi la jurisprudence existante qui caractérise comme vente par lots la vente de matériel informatique avec des logiciels intégrés, assurons au moins au consommateur une information claire des différents produits qui composent l'achat.

M. Alain Fauconnier, rapporteur. - Favorable sur le principe aux amendements nos228 rectifié et 458. La vente forcée de logiciels augmente le prix de l'équipement. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. - Sur ce sujet, les réseaux sociaux sont parfois prompts à lancer des contre-vérités. Le code de la consommation prévoit déjà une information, que ce texte renforce. Sur la jurisprudence, on pourrait citer un arrêt de la cour de Versailles allant dans le même sens, cassé par la Cour de cassation.

La position dominante de Microsoft permet déjà aux autorités d'agir contre la vente forcée : la Commission européenne a sanctionné Microsoft d'une amende de 671 millions d'euros pour ne pas avoir respecté l'obligation de proposer à l'utilisateur l'écran permettant un choix.

L'enquête de l'autorité de la concurrence permettra de mesurer l'ouverture du marché. L'engagement du candidat Hollande, souvent rappelé, était adressé aux professionnels et aux collectivités, non aux associations de consommateurs.

Avis défavorable.

Les amendements identiques n°s228 rectifié et 458 ne sont pas adoptés.

L'amendement n°459 n'est pas adopté.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Le rapporteur, sur les amendements précédents, avait demandé l'avis du Gouvernement avant de se déterminer. Il aurait fallu lui demander de nouveau son avis.

M. Alain Fauconnier, rapporteur. - Il serait resté favorable.

L'intégralité des débats a été publiée sur le site du Sénat

Articles additionnels après l'article 4

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les amendements nos 228 rectifié et 458 sont identiques.

L'amendement n° 228 rectifié est présenté par M. Labbé, Mmes Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard et Gattolin, Mme Lipietz et M. Placé.

L'amendement n° 458 est présenté par M. Le Cam, Mmes Didier, Schurch et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 113–5 du code de la consommation, il est inséré un article L. 113–... ainsi rédigé :

« Art. L. 113–... – Le matériel informatique proposé à la vente avec des logiciels intégrés constitue une vente par lots.

« Tout professionnel vendeur de matériel informatique fournissant des logiciels intégrés doit, avant tout paiement du prix par le consommateur, l'informer par voie d'affichage des caractéristiques essentielles et du prix public toutes taxes comprises du lot ainsi que du prix de chacun des logiciels composant individuellement le lot. L'indication de ces prix doit figurer sur la facture remise au consommateur.

« La violation de ces dispositions entre dans le champ d'application de l'article L. 122–3. »

La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l'amendement n° 228 rectifié.

M. Joël Labbé. Cet amendement vise à mettre fin à la pratique commerciale déloyale que constitue la vente forcée de logiciels intégrés au matériel informatique.

La jurisprudence dit aujourd'hui clairement que la vente de matériel informatique fournissant des logiciels intégrés constitue une vente par lots, comme l'explicite notamment le jugement rendu par le tribunal de proximité de Saint-Denis le 10 janvier 2012, lequel a estimé ces pratiques commerciales de fourniture de logiciels non demandés « déloyales en toutes circonstances », selon les termes de la directive 2005/29 /CE du 11 mai 2005.

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour présenter l'amendement n° 458.

M. Gérard Le Cam. Il s'agit du même amendement et je le considère donc comme défendu.

M. le président. L'amendement n° 459, présenté par M. Le Cam, Mmes Didier, Schurch et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 113-5 du code de la consommation, il est inséré un article L. 113-5–... ainsi rédigé :

« Art. L. 113-5–... – Tout professionnel, fabricant ou vendeur d'un ordinateur doté de logiciels intégrés, doit fournir toutes les informations utiles permettant d'informer le consommateur sur les caractéristiques essentielles et le prix public toutes taxes comprises de ces produits, ainsi que sur les conditions d'utilisation et le montant correspondant à chacun des logiciels préchargés.

« L'indication de ces informations doit être faite par voie d'affichage et figurer sur la facture remise au consommateur.

« La violation de ces dispositions constitue une pratique commerciale trompeuse. »

La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Il s'agit d'un amendement de repli qui, s'il ne tend pas à consacrer dans la loi la jurisprudence existante qui considère la vente de matériel informatique avec des logiciels intégrés comme une vente par lots, vise néanmoins à assurer au consommateur une information claire des différents produits qui composent cet achat.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Alain Fauconnier, rapporteur. Sur le principe, nous serions plutôt favorables aux amendements identiques nos 228 rectifié et 458.

En effet, on peut se demander s'il est normal qu'un consommateur soit forcé d'acheter avec son ordinateur non seulement le logiciel d'exploitation qui l'accompagne, mais également de nombreux logiciels d'application. Cela contribue à augmenter le prix total de l'équipement, alors que, pour beaucoup d'entre eux, ils ne lui sont d'aucune utilité.

Toutefois, nous avons eu un débat en commission sur l'applicabilité de la disposition qui oblige le vendeur à donner les caractéristiques et les prix respectifs au consommateur. Cette obligation peut paraître délicate tant l'imbrication du hard et du soft est étroite.

Aussi, nous avons souhaité recueillir l'avis du Gouvernement sur ces amendements, bien que nous y soyons favorables. Si l'avis de M. le ministre est favorable, je demanderai à Mme Schurch de s'y rallier. Dans le cas contraire, je donnerai un avis défavorable à l'amendement n° 459.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Ces amendements visent donc à imposer une information du consommateur sur le prix de chaque élément d'un lot constitué d'un ordinateur et de logiciels préinstallés.

Dans ce débat, j'ai entendu et lu beaucoup de choses. Les réseaux sociaux, notamment, sont parfois prompts à avancer un certain nombre d'arguments. Aussi, je voudrais rétablir quelques vérités.

Tout d'abord, de manière générale, le code de la consommation prévoit déjà une information précontractuelle du consommateur sur les prix et les caractéristiques essentielles des biens qu'il achète. Cette information est d'ailleurs complétée par le présent projet de loi afin d'assurer au consommateur une information renforcée.

Ensuite, s'agissant de caractère « déloyal en toutes circonstances » de la vente liée des logiciels avec les ordinateurs, on cite régulièrement un jugement du tribunal de proximité de Seine-Saint-Denis, mais on pourrait citer également un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 5 mai 2011, qui allait dans le même sens, et qui a été cassé par la Cour de cassation.

Les règles communautaires en matière de pratiques commerciales déloyales, traduites dans les dispositions du code de la consommation, sont claires : la vente liée ne peut pas être interdite per se, c'est-à-dire ne peut être interdite en soi.

Pour autant, les pouvoirs publics disposent de plusieurs leviers pour favoriser la liberté de choix du consommateur. S'il apparaît que les dispositions du code de la consommation ne sont pas idoines pour modifier les pratiques commerciales qui ont cours, les dispositions du droit de la concurrence permettent en revanche d'appréhender la problématique au travers de plusieurs angles.

Ainsi, la position dominante de Microsoft sur le marché des systèmes d'exploitation d'ordinateur personnel permet déjà aux autorités de la concurrence d'agir contre les ventes liées de logiciels complémentaires. S'agissant de la préinstallation des logiciels, la Commission européenne avait obtenu que Microsoft s'engage à proposer aux utilisateurs un écran multi-choix permettant de sélectionner facilement le navigateur web de son choix, et non simplement Internet explorer.

Le 6 mars dernier, la Commission a sanctionné Microsoft d'une amende de 561 millions d'euros pour cause de non-respect de cet engagement entre mai 2011 et juillet 2012. Les autorités françaises doivent continuer d'encourager ces actions.

Plus largement, l'Autorité de la concurrence, qui a effectué une perquisition à la fin de juin chez Apple, s'intéresse aux « écosystèmes fermés » qui se développent depuis les systèmes d'exploitation des smartphones et tablettes : iOS et App Store, Androïd et Google Play, Windows Phone et Windows Phone Store, BlackBerry et BlackBerry World.

Dès qu'un consommateur choisit tel ou tel constructeur, il se retrouve lié à une offre précise et il ne peut plus en sortir. Il est verrouillé, en quelque sorte, dans son choix initial. L'enquête de l'Autorité de la concurrence permettra de vérifier que le marché des applications est suffisamment concurrentiel, que les éditeurs d'applications peuvent accéder à cet écosystème et que les tarifs qu'ils payent sont non discriminatoires.

Ce dernier point est important et à mettre en regard d'une évolution majeure du marché : les consommateurs se détournent massivement du marché des PC au profit des tablettes.

L'engagement du candidat François Hollande intitulé « Vente liée - Je laisserai aux utilisateurs la possibilité de choisir leurs logiciels » était adressé aux utilisateurs dans les administrations et collectivités territoriales. Cet engagement a d'ailleurs souvent été rappelé.

ZDNet a rappelé que cette « déliaison » était un engagement du candidat François Hollande. La gazette en ligne a repris à l'appui de cette assertion un courrier en date du 10 avril 2012 à l'Association des développeurs et des utilisateurs de logiciels libres pour les administrations et les collectivités territoriales dans lequel le candidat François Hollande indiquait : « Il est nécessaire de faire en sorte que les prix du matériel et des logiciels préinstallés soient dissociés. »

Cet engagement est non pas adressé à une association de consommateurs, et donc aux consommateurs, mais à une association de professionnels des administrations et collectivités territoriales. En cela, il se distingue de ce que j'ai pu lire ici ou là sur ce qu'auraient été les engagements de François Hollande.

Je le répète, le Gouvernement est fortement mobilisé sur cette question et il l'a déjà prouvé. C'est la raison pour laquelle nous sommes défavorables à ces amendements.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 228 rectifié et 458.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 459.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. M. le rapporteur, sur les amendements précédents, avait demandé l'avis du Gouvernement avant de se déterminer. Il aurait fallu lui demander de nouveau son avis.

M. Alain Fauconnier, rapporteur. La commission serait restée favorable aux amendements nos 228 rectifié et 458, dont l'adoption aurait fait tomber l'amendement n° 459.