Journée mondiale de la « propriété intellectuelle » 2011

L'OMPI1 célèbre ce 26 avril 2011 une journée dédiée à la « propriété intellectuelle ».

L'April profite de cette occasion pour rappeler un certain nombres de faits au sujet de la notion de « propriété intellectuelle ». En premier lieu, ce terme est fallacieux, car il laisse penser que l'on peut penser aux biens immatériels (un logiciel, une musique) de la même manière que pour la propriété des biens matériels (une chaise, un DVD). Cependant, on ne peut pas appliquer les mêmes schémas de pensée à des biens physiques et à des ressources immatérielles. Par exemple, si une chaise ne peut bénéficier qu'à une seule personne à la fois, un logiciel ou un texte peuvent bénéficier à tous, sans surcoût. De la même façon, si une horloge ne peut être la propriété que d'une personne, l'information qu'elle donne peut profiter à tous.

Par ailleurs, la notion de « propriété intellectuelle » est le plus souvent utilisée de façon très vague et sans porter de sens précis. Ceci consiste à mettre dans le même panier de nombreuses notions juridiques — comme le droit d'auteur, le droit des marques, des modèles, des brevets, etc. — qui ne sont pas définies dans les mêmes contextes. En mélangeant toutes ces notions, on tend a faire croire que ces droits ont des fondements et des objectifs identiques, alors qu'il n'en est rien. Par exemple, si les logiciels libres sont basés sur le droit d'auteur, cela n'empêche pas les brevets logiciels de leur être nuisibles.

L'April invite donc chacun à éviter d'utiliser cette expression en lieu et place de termes plus précis, tels que le droit d'auteur, le droit des brevets, le droit des marques2.

Plus grave, de plus en plus utilisé comme un arme juridique au service d'une industrie qui fait la guerre à son meilleur public, le droit d'auteur ne peut plus aujourd'hui prétendre constituer un équilibre entre les intérêts du public et ceux des auteurs et des ayants droit3. Du côté du brevet, une poignée d'acteurs désire toujours que les logiciels soient également régis par le droit des brevets. Ce dernier donnerait ainsi au détenteur d'un brevet le pouvoir d'empêcher l'écriture ou l'utilisation de tout autre programme qui emploierait les mêmes fonctionnalités, les mêmes formats ou les mêmes algorithmes.

L'appel de 2004 Vers une « Organisation Mondiale de la Richesse Intellectuelle » est toujours d'actualité : « L'OMPI penchera toujours, de manière compréhensible, vers l'application de la panoplie préexistante de monopolisation qu'elle nomme propriété intellectuelle, un terme que nous trouvons idéologiquement chargé et dangereusement inconscient des différences significatives existant entre les différents domaines juridiques qu'il tente d'agréger. (...) Nous avons besoin d'une Organisation Mondiale de la Richesse Intellectuelle, dédiée à la recherche et à la promotion de voies nouvelles et imaginatives pour encourager la production et la dissémination de la connaissance. »

Le 4 mai 2011 aura lieu la Journée Mondiale contre les DRM, une journée d'information sur les dangers des DRM, ces menottes numériques qui ont pour seul objectif de restreindre les droits des utilisateurs d'œuvres numériques, tout en mettant en danger leur pérennité et le partage du savoir. Á ce sujet, voir notre synthèse sur les DRM.

Références

  • Vous avez dit « Propriété intellectuelle » ? Un séduisant mirage par Richard M. Stallman
  • Albert Jacquard démonte le concept de Propriété Intellectuelle (extraits)
  • L'April a répondu à la consultation de la Commission européenne, suite à la publication de son rapport concernant l'application de la directive IPRED « relative au respect des droits de propriété intellectuelle »
  • Extrait de « Enjeux des logiciels libres face à la privatisation de la connaissance » 

    « Enfin, dans le cadre de leur politique de lobbying, les « serial-breveteurs » et les partisans du contrôle renforcé sur les œuvres se livrent aussi à des batailles sémantiques. Ainsi, pour marquer les esprits, il convient de recourir au terme «piratage» pour parler de contrefaçon (terme juridique approprié), voire de « piraterie » pour associer les délinquants de la copie à de dangereux criminels des mers qui violent, pillent et tuent. Il leur faut bien sûr éviter le terme contrefaçon et lui préférer la notion de vol, ainsi que toute la terminologie associée aux biens matériels. Lorsqu'il est donné, un bien n'est plus utilisable par l'ancien propriétaire, alors qu'une idée ou un logiciel peuvent être copiés et être toujours utilisables par les deux personnes. Mais même si le matériel et l'immatériel sont très différents, il est important pour les partisans du contrôle renforcé d'associer l'immatériel à la notion de propriété. Ils recourent donc à l'expression « propriété intellectuelle », qui a en plus le bon goût de regrouper allègrement droit d'auteur, brevets, modèles et dessins ainsi que les marques, comme s'il s'agissait d'un tout uni, alors que chacune de ces branches du droit est bien différente des autres. Regrouper ces notions diverses permet donc de faire croire qu'il faut traiter toutes ces branches identiquement, et perturbe les discussions lorsqu'elles ne concernent qu'un seul des domaines. »

  • 1. Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
  • 2. La liste peut sembler laborieuse, mais il faut remarquer que ces notions ne sont que rarement mêlées ensembles, sauf dans la rhétorique des tenants d'une « propriété intellectuelle ».
  • 3.

    Par exemple, les DRM (dispositifs de contrôle d'usage) et leur protection juridique dépouillent le public d'une des rares exceptions au droit exclusif : l'exception de copie privée. Un autre exemple concerne l'extension continuelle de la durée des droits patrimoniaux qui empêche la réélaboration à partir d'oeuvres récentes et qui retarde l'élévation d'une oeuvre dans le domaine public.