Menaces sur la neutralité du Net (lettre AIT)

Menaces sur la neutralité du Net

Les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre se sont tenues en juillet dernier à Nantes. La table ronde politique traitait d'un sujet toujours d'actualité en cette rentrée...

HADOPI, HADOPI2, Jeux en ligne, LOPPSI, Paquet télécom : l'actualité législative et le calendrier des mois à venir nous amènent de plus en plus à parler de filtrage des contenus et de neutralité du réseau. Bien au-delà des problématiques précises (droit d'auteur, pédopornographie, marché) auxquelles s'adressent les projets inscrits à l'ordre du jour parlementaire, c'est toute la manière dont on envisage le réseau, mais encore dont va structurer la société de l'information dans les années à venir, qui est en question. Au travers de ces projets de loi ce sont le droit à l'information, la liberté d'expression et la liberté d'innover qui sont fragilisés voire menacés.

L'Internet est un média profondément différent de ses prédécesseurs parce qu'il est un réseau distribué, contrairement au minitel (réseau centralisé) et à la télévision (média univectoriel). Les opérateurs réseau ont pour rôle d'acheminer les contenus entre les utilisateurs, sans tenir compte du type de contenu, sans privilégier une adresse ou un protocole, ni porter atteinte au contenu. Ils ont finalement le même rôle que les agents de La Poste qui acheminent notre courrier sans l'ouvrir et sans privilégier un format d'enveloppe ou l'adresse d'un destinataire.

C'est le principe de neutralité du réseau.

Ce principe est inscrit dans notre droit. L'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques précise que les opérateurs sont contraints à une neutralité absolue sur le réseau. Au niveau européen, rien dans les directives actuelles n'impose la neutralité du réseau, et les définitions en cours d'élaboration ne sont pas satisfaisantes. Les États-Unis n'ayant pas trouvé d'issue à ce débat, les discussions en cours sur le « Paquet Télécom » européen n'en sont que plus critiques.

Car bien que ce principe soit gravé dans le marbre de la loi française, ceux qui le violent n'encourent aucune peine. Les opérateurs ne se gênent donc pas pour s'octroyer des dérogations.

Par exemple, la plupart des fournisseurs d'accès à Internet vous forcent à passer par leur serveur SMTP pour l'envoi de vos courriels, au nom de la lutte contre le spam. Ils vous interdisent donc d'utiliser un autre serveur pour expédier votre correspondance électronique, comme si on vous forçait à utiliser la boîte aux lettres de votre quartier de résidence plutôt qu'une autre qui vous conviendrait mieux.

On peut aussi citer les opérateurs de téléphonie mobile avec l'accès à Internet soi-disant illimité et les accès à Internet par clé 3G. En effet, en matière d'Internet mobile, on constate que le service censé être illimité est en réalité très restreint en terme de pages accessibles et de protocoles utilisables. Quant aux clés 3G, les opérateurs interdisent purement et simplement aux abonnés d'utiliser des logiciels de téléphonie sur IP comme Skype.

Pour les opérateurs réseaux, les atteintes à la neutralité du Net représentent un moyen de protéger leurs revenus, d'entraver la concurrence (par exemple : téléphonie sur IP) et de rendre la clientèle captive. La tentation est grande sur la vidéo à la demande : un opérateur qui aurait passé un partenariat avec un fournisseur de contenus ou aurait sa propre plateforme pourrait alors décider de dégrader le service vers les autres plateformes, voire d'en interdire l'accès à ses abonnés.

Au-delà des aspects économiques, le filtrage de certains contenus au niveau du réseau représente surtout une menace pour la liberté d'expression et de communication et le droit à l'information : substituer la technique au droit - et des opérateurs privés à la police - est le plus sûr moyen de pénaliser injustement les honnêtes gens sans empêcher les délinquants de commettre leurs méfaits. De plus, tout pouvoir d'atteinte à la neutralité des réseaux confié à des opérateurs privés sera inévitablement utilisé pour servir leurs intérêts privés.

Dans la société de l'information, la neutralité du Net est aussi essentielle à la démocratie que la séparation des pouvoirs : la condition sine qua non des libertés et droits fondamentaux. Elle est également - et c'est critique à l'heure du développement de l'économie numérique - indispensable à la concurrence libre et non faussée et à l'innovation sur Internet. Sans cette neutralité, le Logiciel Libre n'aurait pas pu devenir l'alternative qu'il est aujourd'hui, et elle demeure plus que jamais nécessaire à l'élaboration collaborative de projets par des contributeurs du monde entier.

Nous sommes face à un choix majeur pour l'avenir de l'Internet. Les décisions que nous prenons aujourd'hui affecteront profondément la société de demain. Si nous ne voulons pas qu'Internet se résume à une télévision par câble améliorée, si nous voulons qu'il reste un réseau innovant, ouvert et libre permettant l'accès aux savoirs et la participation de chacun à la vie démocratique, il est de notre devoir de tout mettre en œuvre, dès maintenant, pour préserver la neutralité du Net contre les ambitions d'une poignée d'opérateurs privés (Voir l'appel de la Quadrature du Net).

Alix Cazenave, Affaires Publiques - April.

Article publié dans le numéro 257 (15 septembre 2009, page 2) de la lettre Autoroutes de l'Information & Territoires.

La Lettre Autoroutes de l'Information & Territoires est une publication bimensuelle (20 numéros par an) de 10 pages papier qui s'adresse aux collectivités territoriales, administrations déconcentrées de l'Etat et CCI.