Article 9 bis du projet de loi Hadopi : non à la transgression de la neutralité scolaire et commerciale de l'école !

Présenté en procédure d'urgence par le gouvernement, le projet de loi Création et Internet, instaurant une Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), été adopté le 30 octobre 2008 par la quasi totalité du Sénat qui a examiné en une seule journée quelques 200 amendements1.

Le texte a été soumis à l'Assemblée nationale le 10 mars 2009 pour une discussion générale, les débats sur les articles et les amendements reprendront le lundi 30 mars pour se poursuivre jusqu'au 2 avril 2009. Une Commission Mixte Paritaire composée de 7 sénateurs et 7 députés se chargera ensuite d'harmoniser le texte pour le présenter à l'approbation de l'Hémicycle le 9 avril. En cas de désaccord entre les deux chambres, le dernier mot reviendra à l'Assemblée nationale.

La loi sur le Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), votée le 30 juin 2006, prévoyait des peines pouvant aller jusqu'à 300 000 euros d'amende et 3 ans de prison pour le contournement des mesures techniques de gestion des droits numériques2 ou la copie d'œuvres numériques sous une licence propriétaire. La loi Création et Internet vise à introduire, par la mise en place d'une Haute autorité en remplacement de l'Autorité de Régulation des Mesures Techniques3, une série de dispositifs pédagogiques qualifiée de riposte graduée qui s'ajoutent aux sanctions pénales prévues par la loi DADVSI : coupure de l'accès Internet, instauration d'une liste blanche par une instance ayant autorité à définir les sites accessibles au public4, collecte des adresses IP par des agents assermentés qui pourraient être les employés de la Sacem5, mouchard filtrant sur les ordinateurs de tous les internautes, etc.

Principalement visée par ces mesures pédagogiques : les jeunes générations. « L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. Ainsi, je me félicite que M. le rapporteur ait prévu une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale », déclare la Sénatrice Catherine Morin-Desailly, lors de séance du 29 octobre 20086.

M. Michel Thiollière, rapporteur proposa donc de compléter l’article L. 312-9 du code de l’éducation, qui prévoit actuellement que « tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique » par l'article 9 bis du Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet qui fut votée au Sénat :
« Dans ce cadre, ils reçoivent une information, notamment dans le cadre du brevet informatique et internet des collégiens, sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon. Les enseignants sont également sensibilisés ».

Six amendements7 à l'Article 9 bis, présentés par des députés de la majorité parlementaire seront soumis à discussion à l'Assemblée nationale à partir du lundi 30 mars 2009 dont celui de Mme Marland-Militello, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles saisie pour avis, qui propose dans la foulée de modifier l'article L. 312-6 du code de l'éducation concernant les enseignements artistiques.

Dans ses présupposés idéologiques le projet de loi Hadopi présente de façon partiale le droit d'auteur sur Internet en opposant d'un côté, la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles, « nuisible » à la création artistique, et de l'autre une « offre légale » accessible sur un « catalogue des oeuvres protégées » permettant de rémunérer cette création. Cette présentation manichéenne est inexacte.

Les promoteurs de la loi Hadopi qui prétendent pourtant à longueur d'antenne être soucieux d'encourager de nouvelles formes de soutien aux artistes, de nouveaux modèles économiques pour revivifier la filière culturelle, occultent tout simplement la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres. Sur Internet, celles-ci constituent pourtant une offre légale aussi abondante pour le public qu'équitablement rémunératrice pour les artistes. D'après des estimations minimales, 130 millions d'œuvres8 et documents sous licences Creative Commons étaient recensées en juin 2008. Les œuvres sous licences ouvertes et libres sont une excellente alternative au téléchargement illégal. Qu'il s'agisse de musique, de logiciels, ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d'auteur autorisent la copie, la diffusion et la transformation des œuvres.

L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adapté au monde de l'éducation.

Inspirées du mouvement pour le logiciel libre, elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, l'album Ghosts I-IV de Trent Reznor, distribué sous licence libre sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plate-forme de téléchargement d'Amazon aux Etats-Unis. La France n'est pas en reste. Un foisonnement d'Auteurs/Artistes talentueux autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre et les Creative Commons. Plus de 30 000 œuvres musicales sur la plate-forme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de la maison d'édition InLibroVeritas, réunis au sein de la coopérative Libre Accès, fondée par des membres de l'APRIL, pour fournir un cadre économique assurant une juste rémunération aux artistes.

La promotion/protection des offres légales prônées par le projet de loi Hadopi et les différents amendements excluent des bonnes intentions du texte toute alternative basée sur des œuvres culturelles sous des licences libres (GNU FDL, Creative Commons, Art Libre, etc) non affiliées à la SACEM.

« La puissance publique ne peut même, sur aucun objet, avoir le droit de faire enseigner des opinions comme des vérités », écrivait Condorcet dans ses Cinq mémoires sur l’instruction publique9. Le projet de loi Hadopi ainsi que les amendements déposés à l'Assemblée tentent d'imposer dans les programmes scolaires et le Brevet informatique et internet des collèges (B2i) le point de vue d'un lobby commercial - l'industrie culturelle du divertissement - au lieu de se cantonner aux faits, ce qui constitue un grave manquement à la neutralité scolaire et commerciale de l'école10.

Une technologie neutre - le téléchargement - y est diabolisée alors même que la notion d'échange d'informations via un protocole de communication sur un canal de transmission constitue une notion informatique de base qui devrait être intégrée au sein de l'enseignement technologique en collège, au même titre que le modèle client/serveur sur lequel s'appuie l'architecture du réseau Internet. De nombreux adolescents pratiquent ces technologies tous les jours sans en comprendre les principes sous-jacents.

Le téléchargement est un bouc émissaire facile. Mille motifs conduisent à rejeter cette loi injustement baptisée Internet et création : surveillance généralisée du net, absence de recours et de procès équitable avant coupure, identification hasardeuse des coupables, obligation d'acheter un mouchard numérique ne fonctionnant que sur des logiciels propriétaires créant une insécurité juridique pour les logiciels libres, au plus grand mépris de l'interopérabilité.

Dire le droit et informer les jeunes générations des sanctions pénales encourues par le téléchargement illicite, ne doit pas se tranformer sous l'égide du ministère de l'éducation nationale en propagande. Il importe que les enseignants soient formés, que de réels contenus soient institués au sein d'un véritable enseignement, expliquant le droit d'auteur, les licences, y compris celles sous copyleft, afin que les adolescents soient éclairés de ce qui licite et de ce qui ne l'est pas. Il n'est pas tolérable de présenter les seuls intérêts du lobby de l'industrie du divertissement comme la seule alternative d'une offre légale au téléchargement illicite, au mépris de la neutralité scolaire et commerciale de l'école : « le service public d'enseignement doit en effet répondre à l'intérêt général et aux missions qui lui sont dévolues. Les établissements scolaires n'ont par conséquent pas vocation à effectuer des opérations commerciales »11.

Ce n'est pas la première fois que l'APRIL intervient pour défendre la neutralité12 scolaire13.

L'APRIL appelle toutes les associations éducatives, de parents d'élèves, les syndicats d'enseignants, à écrire aux députés afin qu'ils sous-amendent les amendements de l'article 9 bis qui seront débattus à l'Assemblée nationale, mettant en cause la neutralité scolaire et qu'ils communiquent par voie de presse leur désapprobation à l'imposition dans les programmes scolaires et le Brevet informatique et internet des collèges (B2i) de la seule opinion de l'industrie du divertissement, soutenue par le ministère de la culture. L'APRIL en appelle à la pluralité dans la présentation des faits.

La création et la diversité sont les fruits de la multiplicité des échanges libres entre populations, ce qui est exactement l‘inverse de ce que tente d’imposer l'Hadopi. L'école a tout intérêt à travailler sur des ressources libres, mais également sur des logiciels libres qui constituent une forme d'éducation à la citoyenneté.

L'APRIL considère avec Richard Stallman, fondateur du mouvement pour le logiciel libre, que si nous attendons de l'École qu'elle enseigne aux élèves et étudiants des connaissances de base et des compétences utiles, ce n'est pas son unique mission : « Enseigner l'utilisation des logiciels libres aux élèves et étudiants et prendre part à la communauté des logiciels libres est une forme d'éducation à la citoyenneté. Cela démontre aussi aux étudiants les avantages d'un modèle basé sur le service public plutôt que celui prôné par les ultralibéraux. Les logiciels libres devraient être utilisés à tous les niveaux de l'École »14.