Et si on dégooglisait Internet ? Sur France Inter.

Nom de l'orateur

Titre : France Inter - Et si on dégooglisait Internet ?
Intervenants : Pierre-Yves Gosset - Journalistes - Alexis Kauffmann - Tristan Nitot
Lieu : France Inter
Date : Novembre 2014
Durée : 11 min
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Transcription

Journaliste : Dégoogliser Internet. C'est la mission que se sont fixés les membres de l’association Framasoft qui milite pour un Internet libre. Google, figure de proue du capitalisme numérique, avec Apple, Facebook et Amazon, les GAFA qui colonisent nos usages du net et centralisent dans leurs serveurs la plus grosse partie de l'activité de la toile. Un Web qui se voulait pourtant, au départ, être tout le contraire, décentralisé et plus démocratique.

Voix Off : Nous sommes en 2014 après Jésus-Christ. Toute la toile est occupée par des services centralisés. Toute ? Non ! Une communauté, peuplée d'irréductibles libristes, résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n'est pas facile pour les garnisons des camps retranchés de Fermetovm, Centralisvm, Espionnvm et Privatvm.

Voix Off : Nous sommes Google. Nous sommes Google. Eh ! Fermez vos gueules !

Journaliste : Alors Alexis Kauffmann, vous êtes fondateur de Framasoft. Pourquoi est-ce qu'il faut se libérer de Google aujourd'hui ?

Alexis Kauffmann : On a lancé une campagne de dégoogle..., dégooglelisation, ce n'est pas facile à prononcer. Moi je suis prof de maths, l'informatique, à sa naissance, dans les années 50, 60 aux États-Unis, le code informatique se partageait exactement comme les mathématiques au sein des universités américaines. Et puis, il y a « des petits malins », « des petits malins » entre guillemets parce que ce sont devenus les Bill Gates et les Steve Jobs, etc, qui se sont dit « on va fermer le code et on va le commercialiser ». Et certains ont résisté, un peu comme la Guerre des étoiles. On peut faire des références geek. Certains se sont dit « on ne peut plus partager comme avant le code ? On va résister ». Et la résistance s'est faite aussi bien d'un point de vue technique que juridique. C'est-à-dire qu'il a fallu déposer les bases juridiques de ce que c'est qu'un logiciel libre, pour garantir ses libertés et pour le protéger.

Et Microsoft était un petit peu le symbole de la fermeture dans nos ordinateurs personnels, dans nos ordinateurs domestiques. C'était du temps où, de temps en temps, on se connectait à Internet via notre modem, sinon on faisait du traitement de texte, un peu d'Internet, un peu de traitement d'image. Aujourd'hui, la donne a totalement changé : on est tout le temps sur Internet ; les applications se sont déportées sur Internet, certains disent dans le Cloud, dans les nuages, mais c'est une expression tout à fait subjective et connotée ; non non, elles sont sur d’autres serveurs, ce qui fait que Google, aujourd'hui, représente, comme Microsoft hier représentait, un petit peu la symbolique du grand méchant. Qu'il était bon par le passé de haïr Microsoft ! C'était très facile, ils étaient arrogants, tout était complètement fermé. Ils avaient une mauvaise image parce qu'ils ne faisaient pas des beaux produits, ça plantait souvent, donc c'était assez simple de haïr Microsoft.

Haïr Google c'est beaucoup plus compliqué, parce que Google ils aident le Logiciel Libre. Ils n’appellent pas ça du Logiciel Libre, ils appellent ça plutôt de l'open source, c'est le fait que le code source soit ouvert et donc, ainsi, c'est une manière différente de faire de l'informatique, beaucoup plus facilement audible par le monde de l'entreprise, alors que le Logiciel Libre, ce sont les libertés des utilisateurs et là, c'est beaucoup plus subversif.

Voix Off : Au milieu de multinationales tentaculaires, quelques organisations non lucratives continuent de lutter activement pour un web ouvert et respectueux des internautes.

Voix Off : Votre mission sur Google: dès aujourd’hui, assurez-vous une visibilité optimale auprès des internautes au moment précis où ils vont aller chercher sur Google les produits et services que vous proposez.

Présentateur de l'OWF 2014 : Nous voilà de retour pour cette première journée de l'Open World Forum 2014, on accueille tout de suite Pierre-Yves Gosset, Délégué général de l'association Framasoft.

Pierre-Yves Gosset : Donc je me présente, je m'appelle Pierre-Yves Gosset, je suis Délégué général de l’association qui s'appelle Framasoft, dont l'objet est de promouvoir la culture libre en général et le Logiciel Libre en particulier et je vais essentiellement vous parler justement de décentralisation, dans ce petit talk que j’ai appelé « Google, Apple, Amazon, Facebook, Microsoft, le Logiciel Libre peut-il résister à la colonisation technique et économique ? »

Alors on est à l'Open World Forum, qui est un salon, du coup, qui accueille des entrepreneurs, des développeurs, des utilisateurs de logiciels libres, « cibles » entre guillemets de notre association, vu que nous on s'adresse, avant tout, au grand public, à des gens qui utilisent les logiciels. Et je pense qu'il y a des représentants, en tout cas, de Google aujourd'hui, ce qui est tout à fait normal, vu qu'ils utilisent eux-mêmes, massivement, du logiciel libre. Le problème c'est le côté hégémonique voire, si j'ose le terme, impérialiste, qu'il peut y avoir derrière ces entreprises qui aujourd'hui deviennent des points de passage quasi obligés quand on va allumer un ordinateur ou allumer son smartphone ; il devient aujourd'hui quasiment impossible d'éviter ces entreprises.

Présentateur de l'OWF 2014 : Pierre-Yves Gosset quelles sont les alternatives ?

Pierre-Yves Gosset : Pour nous, il ne s'agit pas d'éliminer Google. Google, encore une fois, ce n'est pas l'ennemi en tant que tel, mais peut-être un faux ami. Demain on ne sait pas quelle sera sa volonté et ses objectifs. Aujourd'hui Google propose des choses essentiellement gratuitement, par contre, comme ce n'est pas à base de Logiciel Libre, et Google est devenu aujourd'hui tellement puissant, le chiffre d'affaires de Google dépasse les 80 milliards de dollars, Google est la deuxième capitalisation boursière mondiale, la première étant Apple, et ces entreprises ont le moyen de racheter quasiment des États et ne souhaitaient pas se limiter au Web. Google fait des Google Glass, donc des petites lunettes qui vont filmer tout ce que vous faites et qui vont vous assister dans votre vie de tous les jours. Mais Google est une entreprise américaine, elle est soumise au Patriot Act et, en tant que telle, le gouvernement américain peut lui demander des données que Google est obligée de fournir. Donc, si on laisse les Google Glass se répandre partout sur la planète, dans quelques années on aura forcément des demandes du gouvernement américain à accéder à, qui a croisé qui, qui est-ce que telle personne a croisé aujourd'hui dans la rue, est-ce qu'il est rentré dans telle pharmacie, qu'est-ce qu'il a acheté comme médicaments, etc. Et ça, aujourd’hui c'est vraiment le monde vers lequel on va. Nous, informaticiens, on le sait, on s'en inquiète. La difficulté est de faire prendre conscience de ce fait-là au grand public, c'est, entre autres, pour ça qu'on a lancé cette campagne.

Voix Off : À bord des trains de sa filiale IDTGV, la SNCF teste les Google Glass afin de permettre aux agents d'optimiser les contrôles. Sur les Google Glass du contrôleur, une croix verte si le billet est valide et une croix rouge s'il y a un problème.

Présentateur de l'OWF 2014 : Monsieur Tristan Nitot.

Tristan Nitot pendant sa conférence : Qui utilise Gmail dans la salle ? Levez la main. C'est donc une catastrophe, officiellement. Je vous remercie.

Journaliste : Alors on est à l'Open World Forum. Vous êtes, disons, le représentant de Mozilla ici, de Mozilla, de la Fondation Mozilla. Vous avez pris la parole, Tristan Nitot, pour l'ouverture du Forum. Pourquoi c'est si catastrophique d’utiliser Gmail ?

Tristan Nitot : J'ai fait juste un rapide sondage en demandant aux gens de lever la main. Qui utilise Gmail ? Et c'est vrai qu'une majorité de mains se sont levées. Google a fait un outil, qui s'appelle Gmail, qui est gratuit, et les gens l'ont adopté massivement. Et on se retrouve, en fait, dans un cas très particulier, qui est que l'e-mail qui était décentralisé se retrouve centralisé, alors que ce n'était pas fait pour ça. Avec un souci majeur qui est que, on le sait, c'est le business model de Google et ça n'est pas condamnable en soi, c’est de tout savoir sur vous, tout savoir de vos envies, ce qui vous préoccupe, ce que vous recherchez, avec qui vous parlez, de quoi vous parlez. Ils lisent vos mails, ils les analysent, y compris les pièces jointes, sachant tout sur vous, pour vous donner de la publicité, ciblée, qui correspond à vos besoins. Il y a dix-huit mois, un certain Edward Snowden, contractuel de la NSA, les grandes oreilles de l'administration américaine, a révélé, en fait, qu'ils avaient des portes d'accès vers les principaux grands acteurs de l'Internet pour pouvoir espionner tous les citoyens du monde entier, pour des tas de raisons qui ne sont pas compatibles avec la démocratie, tout simplement.

Journaliste : Alors Pierre-Yves Gosset, qu'est-ce que vous proposez alors avec Framasoft ?

Pierre-Yves Gosset : On prend chaque service qui existe aujourd'hui au niveau de Google, Facebook et autres, et on va essayer de montrer que, pour chacun de ces services, il y a des alternatives en logiciels libres qui existent, pour sortir du système Google, qui est évidemment extrêmement confortable, mais qui reste une cage dorée. Aujourd’hui les capitaux, la capitalisation boursière de Google, on pourrait citer Apple aussi, leur permettent d'investir des champs et des domaines d'activité qui sont toujours plus ou moins en liaison avec le numérique, mais qui commencent, doucement mais sûrement, à en sortir. Par exemple Google rachète massivement dans la robotique. Google a une société qui s'appelle Calico qui vise à euthanasier la mort, donc il s'intéresse de très près au domaine de la santé.

Voix féminine : Euthanasier la mort ?

Pierre-Yves Gosset : Euthanasier la mort.

Journaliste : C'est du transhumanisme.

Pierre-Yves Gosset : Exactement. Et donc le point de vue du transhumaniste est assez clair, c'est de dire l'homme est bridé par la biologie et il faut que la technologie puisse aider l'homme à aller plus loin et à se réaliser. Donc on peut voir le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide. Le verre à moitié plein ce serait de dire que la technologie nous assiste et que Google, demain, nous aidera à vivre mieux et plus longtemps. Aujourd'hui, ça c'est la volonté de Google, mais on ne sait pas quelle sera la volonté des actionnaires de Google dans dix ans, dans quinze ans, dans vingt ans. Nous qui sommes dans le milieu, malheureusement, on voit le verre peut-être à moitié vide, c'est que Google devienne tellement tentaculaire qu'on ne se pose plus des questions éthiques ou sociétales que pose un acteur d'une taille qui est quasiment, encore une fois, celle d'un État.

Journaliste : Google nous connaîtra mieux que notre partenaire sexuel et probablement mieux que nous-mêmes nous connaissons. Ce qui se rapproche, aussi, un peu, du hacking cérébral, c'est la robotique. Nous allons avoir de plus en plus de robots, vous savez bien que Google est devenu le leader mondial de la robotique, a racheté les...

Voix Off : Eh oui, Google aussi a quelques velléités transhumanistes. Et au-delà de centraliser nos données et les monnayer autant que possible, c'est à nos cerveaux et à notre ADN que Google s'intéresse désormais. Nous irons bientôt dans la Mecque des transhumanistes, dans la Silicon Valley, avec Give.

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