Dangers du brevet unitaire en Europe : l'April publie une lettre ouverte aux parlementaires européens

Paris, le 31 janvier 2011. Communiqué de presse.

L'April, End Software Patents et la Foundation for a Free Information Infrastructure (FFII) ont envoyé le 27 janvier 2011 une lettre ouverte commune aux parlementaires européens pour exprimer leurs inquiétudes à propos du projet de coopération renforcée sur le brevet unitaire, et leur demandant de repousser le vote sur le projet jusqu'à publication de l'avis de la Cour européenne de justice (CJUE) sur sa légalité.

Le projet de brevet unitaire fait craindre de nombreuses dérives : il ne pourrait pas fonctionner sans juridiction unifiée, et dans la forme actuellement retenue par la Commission, l'Office européen des brevets (OEB) y tient une place centrale, risquant d'échapper au contrôle démocratique. Les dérives de ce dernier ont été de nombreuses fois dénoncées, notamment au sujet des brevets logiciels.

« L'examen du texte se fait actuellement à marche forcée, alors que la question est débattue depuis 40 ans ! Il nous semble essentiel que les députés européens aient toutes les informations en main avant de voter un tel texte » déclare Jeanne Tadeusz, responsable des affaires publiques à l'April. « Nous appelons donc les députés européens à attendre l'avis de la Cour européenne de Justice, pour permettre un vote éclairé sur la situation. ».

Le texte de la lettre ouverte :

Madame, Monsieur le député,

En tant qu'organisations à but non-lucratif agissant dans le domaine de la politique des brevets, nous voudrions vous faire part de notre vive préoccupation suite à la procédure accélérée utilisée pour la proposition de coopération renforcée sur le brevet unitaire (NLE/2010/0384), qui a été votée en commission JURI le 27 janvier 2010. Étant donné que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) va bientôt publier son avis sur la légalité d'une juridiction régissant le règlement des litiges relatifs au brevet unitaire, et étant donné que cette proposition implique un transfert du pouvoir législatif du Parlement européen au profit de l'Office européen des brevets (OEB)1, nous pensons qu'il serait raisonnable d'attendre l'avis de la CJUE, pour un débat éclairé avant toute décision sur cette question essentielle.

La proposition actuelle de brevet unitaire2 exige en effet une juridiction unifiée, avec une cour centrale. Selon la Commission, la proposition actuellement en discussion s'apparente à la Juridiction du brevet européen et de l'Union européenne (EEUPC). Le projet d'EEUPC est en cours d'examen par la CJUE, qui n'a pas encore rendu son avis concernant la conformité du projet aux traités de l'Union européenne. Cet avis est loin d'être une formalité : les avocats généraux de la CJUE sont en effet très critiques vis-à-vis du projet, et considèrent qu'il est incompatible avec les traités de l'UE3en raison de l'impact direct qu'aurait la jurisprudence de cette nouvelle juridiction des brevets sur la législation de l'UE, et ce sans aucun contrôle des institutions européennes.

De plus, la proposition actuelle implique de déléguer intégralement la phase précédant la délivrance du brevet unitaire à l'OEB, dont les dérives en matière d'octroi de brevets ont déjà été dénoncées à de nombreuses reprises. Institution hors de l'UE, l'OEB n'est déjà que très peu contrôlé. Le principal contrôle démocratique existant est celui réalisé par le Parlement européen, seul apte à légiférer. La propre Grande chambre de recours de l'OEB a confirmé, dans un avis rendu en mai 2010 concernant les brevets logiciels, le besoin d'une véritable instance législative pour le système des brevets, déclarant que « lorsque l’élaboration juridique conduite par la jurisprudence atteint ses limites, il est temps pour le législateur de reprendre la main »4. Une fois publié, l'avis de la CJUE pourrait donner d'utiles suggestions sur la manière d'instaurer les contrôles indispensables à un tel système.

Nous demandons donc respectueusement que le Parlement européen sursoie au vote concernant une coopération renforcée jusqu'à ce que la CJUE ait rendu son avis.

Signataires

Tangui Morlier, April (Président)

+33 1 78 76 92 82, prez@april.org

Ciaran O'Riordan, End Software Patents (Délégué Général)

+32 487 64 17 54, ciaran@member.fsf.org

Benjamin Henrion, FFII (Président)

+32 484 56 61 09, president@ffii.org

Pour plus d'informations sur les dangers des brevets logiciels, voir également la synthèse publiée par l'April sur le sujet.

À propos de l'April

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Contacts presse :

Frédéric Couchet, délégué général, fcouchet@april.org +33 6 60 68 89 31

Jeanne Tadeusz, responsable affaires publiques, jtadeusz@april.org +33 1 78 76 92 82