HADOPI : propagande anti-libre à l'école ?
Paris, le 26 mars 2009. Communiqué de presse.
Alors que le projet de loi Création et Internet est en cours d'examen à l'Assemblée nationale, l'April tient à souligner combien le contenu de l'article 9 bis constitue un manquement à la neutralité scolaire et commerciale de l'école. Cet article, qui condamne le téléchargement dans l'absolu, méprise le foisonnement d'œuvres en partage. Il désigne les technologies comme une menace, s'appuyant sur la vision partiale et biaisée d'industries n'ayant pas su s'adapter au numérique.
L'article 9 bis, introduit au Sénat1, prévoit que les élèves « reçoivent une information, notamment dans le cadre du brevet informatique et internet des collégiens [B2i], sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon. Les enseignants sont également sensibilisés. »
Les promoteurs du projet de loi Hadopi affichent une ambition d'instaurer de nouvelles formes de soutien aux artistes et de nouveaux modèles économiques pour revivifier la filière culturelle. Pourtant, ils occultent purement et simplement la libre diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres2, alors qu'ils constituent une offre légale abondante pour le public3 donnant lieu à une rémunération de leurs auteurs.
Ces licences sont un outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs, et se montrent particulièrement adaptées au monde de l'éducation. Inspirées du mouvement pour le logiciel libre, les licences d'œuvres en partage ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies. Le dernier album du groupe de musique Nine Inch Nails, distribué sur les réseaux de pair à pair sous une licence autorisant le partage entre particuliers4, l'illustre bien : il est en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plate-forme de téléchargement d'Amazon aux États-Unis.
La France n'est pas en reste. Un foisonnement d'auteurs et artistes talentueux autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre5 et les Creative Commons6. Il existe notamment plus de 30 000 œuvres musicales sur la plate-forme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de l'éditeur InLibroVeritas, réunis au sein de la coopérative Libre Accès qui fournit un cadre économique juste visant à assurer une bonne rémunération des artistes. Dans le domaine pédagogique, la réussite du projet Sésamath devrait inciter le législateur à revoir l'article 9 bis. L'association Sésamath édite en effet depuis 3 ans un manuel de mathématiques librement diffusable et modifiable7, tout en répondant aux exigences économiques d'un éditeur de manuels scolaires8.
« Le texte du gouvernement et le discours de ses promoteurs évincent ces expériences et leurs résultats prometteurs, » explique Jean-Christophe Becquet, administrateur de l'April. « Ils défendent des modèles économiques dépassés et inadaptés au numérique, » précise-t-il.
Si information il doit y avoir, alors celle-ci doit être neutre et pluraliste. « La puissance publique ne peut même, sur aucun objet, avoir le droit de faire enseigner des opinions comme des vérités, » écrivait Condorcet9. Mais comme pour assurer une partialité complète de la chaîne éducative, un amendement10 du rapporteur Riester entend que cette propagande soit dispensée par « des enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet ». Gouvernement en mal de légitimité recherche supplétifs peu regardants sur la morale.
Puisqu'il est question de pédagogie et d'éducation, l'April rappelle les risques que ce projet de loi développe des pratiques massives d'anonymisation et de chiffrement ayant pour but de se cacher de l'Hadopi. « Les promoteurs de l'article 9 bis devraient s'intéresser aux technologies comme une opportunité plutôt que comme une menace », plaide Jean-Christophe Becquet. Le téléchargement est une technologie neutre qui peut et doit être enseignée, pourvu que l'on n'ait pas pour seul et unique but de protéger les intérêts de quelques industriels rétrogrades et que des mesures de filtrage ne viennent pas faire obstacle à la liberté pédagogique des enseignants. « La démarche n'est pas sans rappeler le guide "Net Attitude"11. Quatre ans plus tard, rien n'a changé : les lobbies du divertissement cherchent toujours à imposer leur propagande12 dans l'enseignement public. Ce qui est affligeant, c'est que le législateur accède à leur demande », conclut Frédéric Couchet, délégué général.
Enfin, au-delà des enjeux immédiats, l'April s'inquiète des dérives que permettrait l'adoption de cet article, ouvrant aux intérêts privés un droit de cité sur le contenu des programmes scolaires.
Consulter notre documentation à ce sujet : http://www.april.org/fr/article-9-bis-du-projet-de-loi-hadopi-non-a-la-transgression-de-la-neutralite-scolaire-et-commercial
Consulter notre dossier consacré au projet de loi.
À propos de l'April
Pionnière du logiciel libre en France, l'April est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du logiciel libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone. Elle veille aussi, dans l'ère numérique, à sensibiliser l'opinion sur les dangers d'une appropriation exclusive de l'information et du savoir par des intérêts privés.
L'association est constituée de plus de 4 500 membres utilisateurs et producteurs de logiciels libres dont 211 sociétés ou réseaux de sociétés, 124 associations, 4 collectivités locales, trois départements universitaires et une université.
L'April est l'acteur majeur de la promotion et de la défense du logiciel libre en France.
Pour plus d'informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l'adresse suivante : http://www.april.org/, nous contacter par téléphone au +33 1 78 76 92 80 ou par courriel à l'adresse contactez nous.
Contacts presse :
- Frédéric Couchet, délégué général, fcouchet@april.org +33 1 78 76 92 80 / +33 6 60 68 89 31
- Alix Cazenave, chargée de mission affaires publiques, acazenave@april.org +33 1 78 76 92 80 / +33 1 78 76 92 80
- 1.
Voir http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl1240.asp :
Article 9 bis (nouveau)
L’article L. 312-9 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Dans ce cadre, ils reçoivent une information, notamment dans le cadre du brevet informatique et internet des collégiens, sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon. Les enseignants sont également sensibilisés. » - 2. Qu'il s'agisse de musique, d'écrits ou d'audiovisuel, les licences ouvertes et libres, qui permettent le libre partage, s'appuient sur le droit d'auteur. Toutes autorisent le libre usage des contenus par le public, y compris la copie et la diffusion, et selon les cas la transformation des œuvres et leur usage commercial.
- 3. D'après des estimations minimales, 130 millions d'œuvres et documents sous licences Creative Commons étaient recensées en juin 2008.
- 4. Licence Creative Commons Paternité, Non Commercial, Redistribution à l'identique (CC-BY-NC-SA) - voir l'information sur le site de Nine Inch Nails. Voir aussi Un autre monde musical est possible nous dit Trent Reznor
- 5. La licence Art Libre « autorise tout tiers (personne physique ou morale), ayant accepté ses conditions, à procéder à la copie, la diffusion et la transformation d'une œuvre, comme à son exploitation gratuite ou commerciale, à condition qu'il soit toujours possible d'accéder à sa source pour la copier, la diffuser ou la transformer. » (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_Art_Libre) Elle confère ainsi des libertés similaires à celles des licences de logiciels libres comme la GNU GPL.
- 6. « Le Creative Commons (CC) est une organisation à but non lucratif consacrée à épandre le champ de travaux créatif pour les autres, afin de construire dans la légalité et le partage. L’organisation a créé plusieurs licences, connues sous le nom de Creative Commons licences. Ces licences, selon leur choix, restreignent seulement quelques droits (ou aucun) des travaux, le droit d'auteur (copyright) étant plus restrictif. » (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Creative_commons) Ces licences autorisent toujours a minima le libre partage des œuvres à des fins non commerciales.
- 7. Le manuel Sésamath est diffusé sous licence GNU Free Documentation Licence (GFDL) autorisant l'utilisation, la modification et la redistribution y compris à des fins commerciales.
- 8. Pour plus d'informations, voir l'interview de Sésamath réalisée par Framasoft en mars 2006 et Troisième manuel libre de mathématiques de Sésamath.
- 9. In « Cinq mémoires sur l’instruction publique&nsbp;», 1792.
- 10. Voir http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000095.asp
- 11. Voir à ce sujet le communiqué de l'April et de la FSF France : La neutralité commerciale de l'école publique est-elle soluble dans le numérique ?
- 12. Voir par exemple De l'usage des « œuvres protégées » à l'Éducation Nationale