Office Européen des Brevets : Propriété Intellectuelle ? Non, Pollution Intellectuelle!
Paris, le 7 décembre 2000. Communiqué de presse, pour diffusion immédiate
Paris, le 7 décembre 2000 - Après neuf jours de discussions intenses s'achevait à Munich, le 29 novembre dernier, la Conférence pour la révision de la Convention sur le Brevet Européen (CEB). Etait notamment à l'ordre du jour une éventuelle modification de l'article 52.2, article définissant l'exception sur le brevet logiciel. Il stipule en effet que le dépôt de brevet sur un logiciel en tant que tel n'est pas valable en Europe, ce qui entrave passablement l'hégémonie des multinationales du secteur informatique. Et c'est une chance ! Quel est le résultat à l'issue de cette conférence ? Rien n'a changé, mais alors, malheureusement, rien du tout. L'Office Européen des Brevets pourra continuer avec ses pratiques scandaleuses en matière de Propriété Intellectuelle. Mais alors, qui songe à protéger les Européens, face à cette captation toujours plus large par des intérêts privés de tous les champs des activités intellectuelles, dont le logiciel n'est qu'une partie. État des lieux à la veille du Sommet de Nice où la propriété intellectuelle risque de subir les derniers outrages.
La conférence diplomatique visait à généraliser la brevetabilité dans tous les domaines, y compris pour des sujets relevant du vivant ou de la pensée. L'un des enjeux était donc la mise en place, ou non, de brevets sur les logiciels, alors que ceux-ci ne sont que de la logique appliquée.
Les enjeux économiques liés au brevetage des logiciels sont certes considérables, mais les enjeux de société sont immenses. Et bien que les brevets sur les logiciels soient en théorie interdits en Europe, l'Office Européen des Brevets (OEB) et des lobbies puissants, inspirés par la pratique américaine, n'ont eu de cesse d'officialiser ce brevetage à l'occasion de cette conférence. Pourtant la mobilisation de différentes organisations et de milliers de citoyens a permis qu'un début de débat soit engagé in extremis par la Commission Européenne, sous la forme d'une consultation en ligne qui doit se terminer le 15 décembre ([1]).
Ainsi, devant cette intense mobilisation citoyenne, 17 des 20 pays membres de la CEB ont choisi de ne pas remettre en cause, pour l'instant, l'exception sur les programmes d'ordinateurs en tant que tels. Statu quo, donc.
Nous pourrions nous réjouir de cette décision. Or cela ne change strictement rien à la situation actuelle. En effet, cette décision ne remet pas en cause la jurisprudence actuelle scandaleuse de l'Office Européen des Brevets. Nous déplorons que l'on ne mette pas aujourd'hui un frein aux brevets déposés sur les techniques logicielles.
La lecture du discours de clôture de Roland Grossenbacher, président du conseil d'administration de l'OEB, est assez édifiante ([2]):
« ... Il convient tout d'abord de constater que la Conférence a décidé de ne pas supprimer les programmes d'ordinateurs de la liste des inventions non brevetables. ... La pratique actuelle de l'Office et de ses chambres de recours ainsi que des offices de brevets et des tribunaux nationaux n'est donc aucunement remise en question. Les inventions mises en oeuvre à l'aide d'ordinateurs pourront continuer à être brevetées si elles apportent une contribution technique nouvelle et inventive à l'état de la technique connu. Les procédés techniques dans le domaine du traitement des données ou pour la mise en oeuvre de méthodes dans le domaine commercial sont donc toujours brevetables. Cette pratique découle de la notion même d'invention, qui distingue clairement les solutions techniques des méthodes non techniques. ... »
Mais l'OEB joue sur les mots : montrez-moi un logiciel, un programme d'ordinateur, qui n'ait pas d'effet technique ! Ca n'existe tout simplement pas, car tout logiciel est destiné à être utilisé dans un but technique bien précis. Alors, brevetons à loisir, toutes les techniques logicielles possibles et imaginables, peu important les conséquences... mais tout en restant dans la légalité auto-proclamée par l'OEB (voir la « Galerie des Horreurs des brevets logiciels en Europe » : [3]).
Aujourd'hui, à l'issue de la conférence diplomatique, le principal subsiste : la pratique, c'est à dire la jurisprudence illégale de l'OEB. Le statu quo actuel est affligeant : soit les états de la CEB veulent exclure les logiciels du champ des brevets, et ils doivent mettre fin à la jurisprudence illégale de l'OEB, et ainsi exclure clairement tous les programmes d'ordinateurs (effets techniques ou pas, puisque, on l'a vu, tout programme a des effets techniques), soit réviser la Convention comme prévu initialement, ce qu'ils n'ont pas fait. La dérive jurisprudentielle de l'OEB devrait nous conduire à cette constatation : il n'est plus possible de conserver la loi en l'état, si elle permet de telles dérives. Pourtant, une telle évidence n'a apparemment pas sauté aux yeux de nos représentants, qui jouent allègrement la politique de l'autruche : et même la délégation française, alors qu'elle a pris position pour le statu quo, semble bien approuver les pratiques actuelles (voir [4]).
Dans l'affaire des brevets, c'est donc la jurisprudence de l'OEB qui altère l'esprit de la loi, qui la vide de son sens. Mais les États ont désormais une façon très simple de lutter contre les pratiques illégales : ils en font des lois ! Exemple d'actualité, l'Union Européenne qui est en passe d'adopter à Nice une Charte extrèmement dangereuse pour la souveraineté des États et le contrôle démocratique de la pratique juridique en Europe...
D'une certaine manière, l'affaire des tripatouillages de la législation sur les brevets est encore plus symptomatique car elle réalise une étape supplémentaire : ce n'est plus un organe de la Communauté Européenne qui dérive, mais l'OEB, un organisme internationnal indépendant, et à but strictement lucratif ! Pour avoir un compte un peu exact des pratiques illégales de l'OEB, il suffit de consulter l'article de Gregory Aharonian qui contient des statistiques détaillées sur les procédures d'examen des brevets, et montre que 90 % des brevets logiciels attribués par les offices de brevets sont invalides ([5]).
La volonté intéressée de l'OEB est de modifier l'esprit de la loi en légalisant des pratiques qui le violent. Notre volonté est de reformuler la loi pour que sa lettre en respecte l'esprit.
Malheureusement, le logiciel n'est pas le seul concerné par les problèmes de la brevetabilité. Voir, par exemple, le dossier de l'association Act-Up (« Sida : mort sous brevet », [6]), et concernant les pratiques scandaleuses de l'OEB le communiqué des Verts du 23/11/2000 ([7]):
« Alors que seuls trois Etats de l'Union ont transcrit la directive européenne autorisant à breveter le vivant, l'Office européen des brevets tente de forcer la main aux Etats. Le 16 juin 1999, il intégrait la directive dans la convention européenne des brevets alors que celle-ci interdit la prise de brevets sur le vivant. Les Verts refusent ce véritable hold-up sur le vivant, fait dans l'ombre par un organisme qui ne rend de compte à personne, et réalisé par le Conseil d'administration qui n'en a pas les compétences. Cet acte est illégal, mais ne peut être déféré devant la Cour de Justice des Communautés Européennes, car l'Office ne fait pas partie de l'Union européenne. Aujourd'hui, l'Office tente de régulariser cette opération en faisant modifier la convention par l'ensemble des Etats réunis à Munich. Et il en profite pour demander une extension des compétences du Conseil d'administration afin de pouvoir intégrer seul les modifications à venir... »
A la veille de la conférence intergouvernementale de Nice, dont l'ordre du jour contient une modification des règles de décision concernant les services et la propriété intellectuelle, personne ne peut nier que le problème est globlal (voir l'article de Madame Anne-Cécile Robert, [8]).
Les principes de la propriété intellectuelle sont soumis à des assauts répétés. Les renoncements de Munich à peine constatés que le sommet de Nice se pointe à l'horizon... Par la modification de l'article 133 du traité d'Amsterdam ([9]), on vise à ramener « les services, les investissements et les droits de la propriété intellectuelle » dans le « champ d'application de la politique commerciale », c'est-à-dire, en particulier, à exclure ces questions du domaine du vote à l'unanimité, pour leur appliquer un vote à la majorité qualifiée qui induira, automatiquement, des solutions ultra-libérales, c'est-à-dire anti-européennes.
La révision de l'article 133 donnerait également des pouvoirs étendus à la Commission Européenne pour les négociations au sein de l'OMC pour la révision de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) et l'Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC) qui risquerait d'appliquer les règles de l'OMC notamment au secteur de la propriété intellectuelle (voir, à ce sujet, le dossier d'ATTAC et notamment l'article de Susan George, [10]).
Devant cette actualité multiple sur le front de la propriété intellectuelle, nous appelons donc tous ceux qui ont été élus pour exercer notre souveraineté à se resaisir. Nous demandons tout particulièrement au gouvernement et au Président de la République (actuel Président de l'Union Européenne) de reprendre le contrôle de l'Office Européen des Brevets, pour mettre un terme à ses pratiques, et à se souvenir des intérêts dont ils ont la charge en refusant la modification de l'article 133 du traité d'Amsterdam.
Références
- Consultation d'Eurolinux : http://petition.eurolinux.org/consultation et consultation européenne : http://europa.eu.int/comm/internal_market/fr/intprop/indprop/softpatfr.htm
- Déclaration de M. Roland Grossenbacher : http://www.european-patent-office.org/news/pressrel/2000_11_29_f.htm
- Galerie des Horreurs de la FFII : http://swpat.ffii.org/vreji/pikta/indexen.html
- Avis de la délégation française lors de la Conférence Diplomatique : http://www.european-patent-office.org/epo/dipl_conf/pdf/dm00008.pdf
- Le système d'examen des brevets est intellectuellement corrompu par Gegory Aharonian :http://www.bustpatents.com/corrupt.htm
- « Sida : mort sous brevet » :http://www.actupp.org/1er_decembre/decembre2000/index.html
- Communiqué des Verts du 23/11/20000 : http://www.verts.imaginet.fr/communiq/com2000/com0011.html#ancre318334
- « Une Charte cache-misère », par Anne-Cécile Robert, Monde Diplomatique, décembre 2000
- Extension du vote à la majorité qualifiée : http://europa.eu.int/comm/igc2000/geninfo/confer4789_fr.pdf
- Alerte rouge sur le '133': http://www.attac.org/fra/list/doc/george.htm
APRIL
L'APRIL, Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre, créée en 1996, est composée de professionnels de différentes sociétés ou administrations, de chercheurs et d'étudiants. Elle a pour objectif de sensibiliser les entreprises, les administrations et les particuliers sur les risques des solutions propriétaires et fermées, et de les informer des potentialités offertes par les logiciels libres et les solutions basées sur des standards ouverts.
Pour plus d'informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l'adresse suivante : http://www.april.org/, ou nous contacter par mail par notre formulaire de contact.
Contact Presse :
Frédéric Couchet, Président. E-mail : fcouchet@april.org.
Tél : 06.60.68.89.31
Olivier Berger, Secrétaire. E-mail : oberger@april.org.