[ecrans.fr] L’erreur de perspective de Christine Albanel, interview de Philippe Aigrain

Extrait de l'article du site par en date du :

« ''Ecrans.fr par Philippe Aigrain, l’un des animateurs de La Quadrature du net le lundi 30 juin 2008 '' http://www.ecrans.fr/L-erreur-de-perspective-de,4523.html
Le lundi 23 juin 2008, Madame Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication répondait aux questions de Libération pour défendre son projet de loi « Création et internet ». Le texte qui suit est une réaction à ses propos.
Dans sa justification de la riposte graduée (1), Madame Albanel omet de préciser qu’elle ne remplace aucun des dispositifs de sanctions qui se sont empilés depuis plus de 10 ans. Les 3 ans de prison et les 300 000 € d’amende pour contrefaçon sont toujours là. Rien dans le projet de loi n’en protège un internaute si un ayant-droit ou une société professionnelle décidait de ne pas se contenter de son bannissement. Il serait à vrai dire impossible d’en ôter la possibilité, puisque le Conseil constitutionnel a jugé toute mesure en ce sens « contraire à l’égalité devant la loi pénale ». Les 3 750 € d’amende pour un internaute qui contournerait des mesures techniques de protection fut-ce pour un usage légal, les 6 mois de prison et 30 000 € d’amende pour ceux qui auraient produit, importé ou distribué un logiciel utilisé à cet effet sont toujours là. Cela tombe bien : après avoir affirmé abandonner le modèle des DRM, les majors musicales refusent maintenant de s’y engager. Et voilà qu’on ajoute donc un nouvel alinéa à l’article 336 du code de la propriété intellectuelle pour y compléter un amendement proposé en 2005 par Vivendi-Universal. Il crée un nouveau motif de sanction : le manquement pour le titulaire d’une connexion internet à l’obligation de veiller à ce qu’elle ne fasse pas l’objet d’une utilisation ... qui constituerait une contrefaçon.
Madame Albanel ne voit aucun problème à la levée de l’anonymat de l’adresse IP sur la base d’allégations d’acteurs privés. Celle-ci semble poser plus de problèmes à la Cour de justice européenne. Qu’à cela ne tienne, on changera le droit européen de la protection des données aussi. Une autorité officielle pourra accuser quelqu’un de comportement délictueux sans que la personne accusée puisse contester cette accusation à ce stade (les fameux avertissements). Quant au bannissement, Madame Albanel n’a pas froid aux yeux. Questionnée sur le risque qu’il concerne des centaines de milliers de personnes si l’on en croit ses propres chiffres, elle déclare que « s’il y a beaucoup de suspensions, nous assumerons. ».
Tout cela n’est rien à côté de l’immense erreur de perspective dans laquelle la ministre s’enferme comme ses prédécesseurs. Elle tente en effet d’éradiquer un acte profondément légitime. Revenons en arrière : prêter un livre ou le donner, copier sur cassette un enregistrement musical qu’on a aimé pour le faire découvrir à une amie, voilà qui n’était pas seulement légal, mais la base même de ce partage qu’on appelle culture. Avec l’arrivée des techniques de l’information et d’internet, ces actes ont atteint une échelle très supérieure, touchant de nombreux destinataires. Il y avait face à cela deux approches. La première était d’y voir une extraordinaire occasion pour la création et la culture et d’en organiser la possibilité en maîtrisant ses effets. La seconde était de considérer que puisque les droits reconnus se mettaient à avoir des effets, il fallait les supprimer ou les rendre fictifs (la copie privée dont le nombre maximum d’exemplaires peut être de zéro).
Pendant que les jeunes du monde entier choisissaient la première approche, les ministres des industries culturelles centralisées se sont réfugiés dans la seconde. Pourquoi ? Lesdites industries le leur ont demandé très fort. Elles ne craignent rien de plus que la perte de leur monopole sur la distribution et la promotion. La possibilité pour tout un chacun de présenter des œuvres à l’attention du public est un crime ... contre leurs modèles commerciaux.
Pour renforcer les murs où elle s’enferme, Madame Albanel rejette les mécanismes de financement mutualisés : « La licence globale telle qu’elle a été envisagée [en 2005] et dont on entend reparler n’est pas satisfaisante ». On n’en parle plus sous la même forme : divers défauts qui en limitaient la portée ont été corrigés. Mais pourquoi n’est-elle pas satisfaisante selon Madame Albanel ? Parce qu’on ne saurait pas comment répartir son produit et parce qu’elle serait « la négation même du droit d’auteur ». Le premier point fait sourire : on prétend pouvoir observer l’usage personnel des internautes pour les sanctionner, dans une situation où tout les pousse à le cacher. Mais on serait incapable de mesurer leurs usages dans une situation où leur intérêt sera qu’ils soient correctement pris en compte.
Pour la compatibilité avec le droit d’auteur, le considérant (18) de la directive qu’a transposé la DADVSI a explicitement introduit la possibilité d’une approche mutualisée : La présente directive ne porte pas atteinte aux modalités qui existent dans les États membres en matière de gestion des droits, telles que les licences collectives étendues. Ces licences collectives étendues ont justement pour but de sécuriser des droits d’usages généraux d’œuvres, sans licence individuelle pour chacune et en garantissant que tous les créateurs soient rémunérés. Dans le même ordre d’idées, les sociétés de gestion vont-elles renoncer au produit de la taxe sur les photocopies et à celui de la licence légale radio et de la redevance pour copie privée ?
Madame la ministre, la culture et la création ont besoin que vous sortiez des préjugés.
(1) Dont c’est la quatrième tentative d’introduction après la charte de juillet 2004, les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel de la loi DADVSI et la circulaire du 3 janvier 2007. »

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