LibreOffice - Interview pendant les RMLL 2014
Présentation
Titre : LibreOffice
Intervenants : Arnaud, Christophe, Marie-Jo et Luk
Lieu : RMLL - Montpellier
Date : Juillet 2014
Durée : 27 min 30
Lien vers l'enregistrement
Transcription
Luk : Radio RMLL bonjour. Aujourd'hui on va parler LibreOffice avec Arnaud, Christophe et Marie-Jo, donc une brochette d'intervenants sur LibreOffice. Donc je présente rapidement, je vais commencer par Marie-Jo quand même. Donc Marie-Jo, tu fais de la formation, tu es formatrice ?
Marie-Jo : Oui.
Luk : Et tu es dans une association qui s'appelle La Mouette, qui fait de la promotion de la bureautique libre.
Marie-Jo : Voilà, avec un fort soutien à LibreOffice. Concrètement.
Luk : Très bien. Christophe, toi tu travailles pour le gouvernement.
Christophe : Bonjour. Oui je travaille au ministère de l'Intérieur, pour ne rien cacher.
Luk : Et tu mets en avant ce qu'on appelle le MIMO.
Christophe : Oui. Ça c'est un travail interministériel, qu'on fait avec d'autres ministères, sur un packaging de logiciels libres pour le poste de travail. Dont effectivement LibreOffice est quand même la pièce maîtresse.
Luk : Très bien. Et Arnaud, toi es membre de LibreOffice et tu fais du développement.
Arnaud : Oui.
Luk : Très bien.
Arnaud : Je suis aussi membre de la fondation LibreOffice.
Luk : Et ce développement, tu le fais à titre professionnel ou bénévole ?
Arnaud : C'est actuellement uniquement à titre bénévole.
Luk : D'accord. Donc on le rappelle, LibreOffice est une suite bureautique. C'est une suite bureautique libre qui est un fork d'Open Office. Il y a quelques années Open Office avait été récupéré par Oracle. Je me souviens très bien qu'à l'époque dans la presse, tout le monde avait hurlé en disant « Oracle a récupéré Open Office, ils vont nous privatiser tout ça. Ça va être horrible ». Et Oracle avait dit « Mais non ! On ne va pas le faire ». Mais au final, c'est un peu ce qui s'est passé, non ?
Arnaud : Oui et non. On va dire que le projet OpenOffice.org a été en stand-by, quasiment depuis le rachat de Sun par Oracle. Donc il y a une dernière version qui est sortie, il me semble la 3.4... Qui est sortie sous la houlette d'Oracle, mais après, le projet s'est retrouvé en stand-by, il me semble un an à peu près. C'est à ce moment là, donc la 3.4, en fait, il y a eu le projet LibreOffice qui a été lancé, d'ailleurs avec deux des membres fondateurs qui sont français, Charles-Henri Schulz et Sophie Gautier, donc qui a été lancé à ce moment-là, donc avec la version 3.4 de LibreOffice qui est sortie en parallèle de la version 3.4 de OpenOffice.org
Luk : Très bien. LibreOffice a plutôt bien évolué. Est-ce que Open Office, qui a été, je pense, si je me souviens bien, repassé à la Fondation Apache par Oracle, parce que manifestement ils n'arrivaient à rien en faire, aujourd’hui Open Office est un projet qui reste vivant, qui évolue ?
Arnaud : Il reste vivant. Il y a encore quelques développeurs dessus, principalement de chez IBM. Après ils n'ont pas de cycles de versions comme nous. On a eu une version, là il me semble que la dernière c'est la version 4.0. Après, je reconnais que je ne suis pas trop ce projet-là, je suis plutôt LibreOffice. J'essaie plutôt de voir leurs évolutions.
Luk : D'accord. On se concentre sur ce qu'on fait et pas sur ce que font les voisins. Ce n'est pas mal ! Donc c'est quoi le bilan de ce fork ? Parce c'est quand même un truc qui était assez spectaculaire, c'est quand même une très grosse application, enfin c'est quelque chose de sérieux. Sur tous ces trucs-là, Oracle a pas mal de projets qui sont morts dans l'opération. On craignait pour LibreOffice. Je pense que LibreOffice a réussi à récupérer pas mal de notoriété aujourd'hui. Et pour vous trois c'est quoi le bilan de ce fork depuis, je ne sais pas, ça faut trois ans maintenant ?
Marie-Jo : 2010. 28 septembre 2010.
Luk : Quelle mémoire ! Bravo ! Donc fork positif ?
Arnaud : C'est très positif. C'est qu'on était sur un projet qui était vraiment dirigé par une société avant, la société Sun. Alors que maintenant on voit vraiment un projet communautaire, avec l'ensemble des actions qui sont communautaires : on peut citer tout ce qui est développement, mais ce n'est pas le plus important. Il y a aussi tout ce qui est localisation des produits, tout ce qui est qualité, tout ce qui est documentation, etc, tout ceci est vraiment géré par la communauté. Avec derrière, bien entendu, certaines boîtes. On peut citer par exemple Collabora, Red Hat, il me semble. Après il y en a probablement d'autres, je n'ai pas tous les noms en tête.
Le projet est dirigé par une fondation, enfin le projet est soutenu par une fondation. Les développeurs sont membres de la fondation, mais ne sont pas dirigés par une entreprise pour ce travail. On est vraiment clairement sur un projet communautaire.
Luk : D’accord. Et donc il y a des entreprises, des administrations. Je me souvenais, alors ce sont des vieux souvenirs, vous me dites si je me trompe, je me trompe probablement, que notamment il y avait une entreprise brésilienne et peut-être le gouvernement brésilien qui soutenaient LibreOffice, non ?
Arnaud : Au niveau soutien, oui, on a pas mal de soutiens. Au niveau brésilien, il me semble que la communauté est très active ; après je ne connais pas le statut de soutien du gouvernement brésilien.
Luk : D'accord.
Arnaud : Après pour tout ce qui est je pense administration, ce sera peut-être plus...
Luk : Effectivement un des usages, c'est dans le MIMO. Donc c'est ce catalogue.
Christophe : Pour rappeler très rapidement ce qu'est le MIMO. C’était un groupe de travail, il y a bien dix ans, pas tout à fait, et en fait on a tout de suite travaillé sur la bureautique libre et sur Open Office, à l'époque. Eh bien le bilan c'est qu'effectivement on a, au moment où Open Office a pris du plomb dans l'aile à cause d'Oracle, on a reçu tous les intervenants, les gens qui avaient fait le fork LibreOffice, et Oracle. Et puis on a pesé le pour et le contre du choix pour continuer MIMO et clairement tout le monde a plaidé en la faveur de LibreOffice.
Luk : Quels ont été les critères pour faire ce choix ?
Christophe : En fait le poids de la communauté. On avait en face de nous juste Oracle qui disait « Si, si, ne vous inquiétez pas, on va s'en occuper, etc, » mais la personne qui prônait en fait l’utilisation d'Open Office chez Oracle était un community manager international, et chez Oracle France il n'y avait aucun répondant sur le sujet. On n'avait aucun price de support. Enfin vraiment, c’était… Alors qu'à l'époque Charles et Sophie nous ont convaincus et puis on a bien vu que toute la communauté, l'ex-communauté Open Office, avait basculé, avait fait son choix. Donc, nous on avait réellement besoin dans l'administration d'avoir un choix porté par un maximum d’utilisateurs et, disons, un certain nombre de références. Donc il y avait à l'époque Google qui a suivi, il y avait un certain nombre d’entreprises qui ont participé à la première conférence LibreOffice et on n'a pas eu peur en fait de basculer vers LibreOffice, avec l'assurance que, effectivement, il y avait une communauté derrière.
Luk : Et aujourd'hui, donc LibreOffice est largement utilisé dans l'administration. On a tous en tête l'exemple de la gendarmerie nationale, qui est l'exemple parfait.
Christophe : Oui. La gendarmerie a commencé avec Open Office et ils viennent de terminer le basculement vers LibreOffice, ces jours-ci. En fait ils ont gardé Open Office assez longtemps, parce qu'en fait ils n'étaient pas sur la version MIMO. Ils n'y sont toujours pas d'ailleurs, puisqu’ils utilisent Linux et donc ils utilisent Ubuntu, et ils utilisent la version qui est packagée dans le socle de leur distribution. Donc sur la 10.04 c’était Open Office. Sur la 12.04, là ils viennent d'installer 67 000 postes et donc ils sont maintenant sur LibreOffice.
Luk : Et du coup il y a d'autres exemples ? Moi j'ai en tête l'accord Open Bar Microsoft - La Défense qui nous a beaucoup fait râler à l'April, par exemple, et donc du coup le MIMO combien ça pèse en termes de proportions de postes ?
Christophe : Tout confondu Open Office plus LibreOffice, on doit avoir 500 000 postes dans l'administration qui sont installés.
Luk' : Sur combien ?
Christophe : Je crois que ça dépend si on compte tous les EPIC, etc. 500 000 postes, ça doit faire pour deux millions de postes, tout confondu.
Luk : D'accord, donc à peu près 25% ?
Christophe : Oui, ça doit faire ça. Oui. Mais tous les gros ministères, de toutes façons, ont installé LibreOffice. Alors, la seule difficulté, c'est qu'il y a encore beaucoup d'installations doubles, où effectivement on trouve Microsoft Office et LibreOffice. Et en fait on arrive tout juste dans une phase de désinstallation puisqu'en fait avec la migration de XP vers Seven. la suite Office qui avait été achetée à l'époque ne suit pas Seven, n'est pas compatible, et donc on commence à désinstaller les Office.
Luk : Ça veut dire qu'il n'y a pas de politique de remplacement avec la nouvelle version de Microsoft Office ?
Christophe : Dans une majorité d'administrations, non. Ça c'est clair, C'est LibreOffice qui est proposé. Maintenant effectivement, il y a des ministères comme le ministère de la Défense, où ils ont des accords très serrés avec Microsoft, et cela, pour eux c'est beaucoup plus difficile, parce qu'ils ont beaucoup plus d'adhérences de leur système d'information avec la suite Office.
Luk : Et en termes humains, et là Marie-Jo pourra peut-être nous parler puisque tu fais de la formation. On sait que changer un outil c'est toujours très compliqué. Ça peut être très douloureux pour des équipes et dans la bureautique c'est vraiment le milieu où Microsoft joue à fond là-dedans, c'est d'avoir des formats qui vont être le moins compatibles possible. Du coup est-ce ça ne génère pas des psychodrames ? Comment ça se traite ce genre de choses ?
Marie-Jo : Je voudrais déjà ajouter sur le nombre annoncé par Christophe, dans les administrations, Il faut rajouter les collectivités locales et territoriales, que tu ne comptes pas je pense, quand tu parles de nombre.
Christophe : Non.
Marie-Jo : Puisque les mairies, les préfectures, les Conseils généraux migrent massivement. De toutes façons ils sont obligés de migrer vers une nouvelle suite. Après en effet, la modification du poste utilisateur c'est compliqué, parce que c'est de la conduite du changement principalement, c'est de la communication et je crois que ça se passe bien si on explique aux gens ce que c'est que le libre. Et à partir de là ça passe. Mais c'est vraiment de la conduite du changement plus qu'un problème fonctionnel parce que les boutons on les retrouve.
Luk : Et toi, du coup dans ton activité de formatrice, je suppose que tu es confrontée à ça tous les jours sur le terrain ?
Marie-Jo : Tous les jours. Tous les jours. Après il y a toujours ces problématiques de compatibilité. Et en fait en conclusion de migration, le problème ce n'est pas d'utiliser LibreOffice ou Open Office, c'est ceux qui ne l'utilisent pas en face. Donc plus les collectivités et les structures migrent toutes aux mêmes outils, mieux ça se passe. Parce qu'avec leurs partenaires extérieurs, j'ai travaillé avec des pompiers dernièrement, ils travaillent avec les préfectures qui sont sous LibreOffice, ils travaillent avec la gendarmerie qui est sous LibreOffice, donc leurs partenaires les plus proches sont sous LibreOffice. Le problème c'est ceux qui n'utilisent pas LibreOffice. Mais c'est compliqué d'expliquer à l'utilisateur, en effet, qu'il faut changer. C'est un accompagnement au changement. D'où l'importance d'avoir un maximum de communication, ensuite accompagné de formation. Mais surtout de la communication
Luk : D'accord. Et il faut s'y prendre, j'imagine plutôt, à l'avance.
Marie-Jo : Oui. Ce sont des projets qui doivent être mûris, qui doivent être réfléchis. Le problème, notamment des boîtes privées, qui sont sur du LibreOffice, c'est qu'elles ne le disent pas, elles n’accompagnent pas. Elles installent des postes sans accompagner les personnes. Je pense qu'il faut communiquer. Oui, c'est une démarche projet. Il faut avoir une vraie démarche projet avec les partenaires, avec tout ce qui va avec.
Luk : Quand tu dis qu'il faut parler de ce que c'est que les logiciels libres. C'est quelle part d’arguments ? C'est la part d'indépendance, de la stratégie d'enfermement de Microsoft qu'il faut dénoncer ?
Marie-Jo : C'est l'importance des formats standards, l'importance de l’interopérabilité, de l'ouverture du code. Et d’arrêter de dire que c'est parce que c'est gratuit. Voilà ! Les gens le comprennent et finalement quand on arrive à leur expliquer, ils sont contents parce qu'ils vont installer LibreOffice le soir chez eux et ils auront le même outil qu'au travail.
Luk : Du coup dans les expériences dans l'administration, puisque là on a un terrain, est-ce que toi donc Christophe, tu as des exemples de migrations qui se sont bien passées sur des trucs un peu difficiles ? On pense notamment justement à toute cette partie, enfin des trucs un peu spécifiques. Je pense que dans tous les environnements professionnels il y a des machins avec des macros, des trucs qui ont été un peu bricolés sur le terrain, etc.
Christophe : Oui, en fait, les premiers services qui avaient migré vers OpenOffice, ça a parfois été un petit peu difficile, mais maintenant, je vois, ce n'est plus le sujet. Les douanes ont complètement migré, le ministère de l'Écologie, ils n’utilisent plus du tout Office. Bon, la gendarmerie nationale, naturellement, puisque en plus comme ils sont sous Linux il n'y a pas de suite Office qui tourne sous cet environnement. On a, disons, des administrations qui sont entièrement et qui n'ont plus cette problématique d'agents qui comparent, qui se disent ça serait mieux avec, puisque de toutes façons maintenant ils sont formés avec depuis très longtemps. Ils utilisent ça. Pour eux c'est de l'histoire ancienne.
Et puis, effectivement on a des services pour qui c'est plus difficile parce qu'on leur avait installé, mais ils n'ont jamais utilisé. Et puis on commence à vouloir leur désinstaller Office. En fait c'est une problématique de conduite de changement traditionnel et c'est exactement les mêmes problématiques que dans un autre domaine quand on change de métier. C'est une problématique uniquement de conduite du changement et il y a ses codes. C'est un vrai métier d'apprendre aux gens et de les convaincre de changer de système, de changer d'endroit, de changer de mode d'opération. Voilà ! Il faut appeler des gens compétents pour les assister.
Alors il y a la partie formation, ça c'est important. Il y a la partie technique. Il s’agit effectivement de convertir les macros, d'étudier à ce que le produit s'intègre bien sur leur machine et avec leur système. Ça doit être fait correctement et en amont. Et puis il y a la partie qui est, disons plus psychologique, où là il faut convaincre l'utilisateur d'adhérer à ce changement. Ce n'est malheureusement pas toujours traité. Effectivement, ça donne souvent des psychodrames. Mais si, effectivement on fait appel aux bons acteurs pour le faire au bon moment, ça peut se passer très bien aussi.
Luk : D'accord. Du point fonctionnel, alors LibreOffice, c'est un peu l'exemple qu'on donne très souvent quand on rencontre du grand public. Vous, vous avez par exemple de la bureautique et tout ça. Et on dit assez couramment « Tout ce que vous pouvez faire avec Microsoft Office, vous pouvez le faire avec LibreOffice ! » Est-ce que c'est vrai, en toute bonne foi ?
Marie-Jo : En toute bonne foi, je dirais tout ce que vous savez faire avec Microsoft Office, puisque 80 % des gens utilisent 5 % des fonctionnalités, vous pourrez aisément le faire. Après, oui, c'est vrai, sur la partie traitement de texte, à coup sûr, puisque Writer est un traitement de texte assez exceptionnel. Sur la partie tableur, il y a des choses qui seront moins fluides dans Calc, mais on fera, je le disais encore cette semaine en formation, montrez moi quelque chose que vous ferez dans Office 2013 que je ne ferai pas moi dans LibreOffice.
Luk : C'est un défi ? Les auditeurs peuvent t'écrire et t'envoyer ça à une adresse ?
Marie-Jo : Non, mais c'est un constat. Après les nouvelles versions d'Office sont très jolies, beaucoup de couleurs, c'est fun. Professionnellement je ne sais pas si on a besoin ou si on a le temps de passer trois heures à savoir si on met le rose pâle ou le rose bonbon ; si ça fera améliorer l’efficacité dans le travail. Après, on fait la même chose, en termes documentaire, en termes tableur. Alors, il est clair que Calc a beaucoup été optimisé, là enfin, Arnaud peut en parler, sur l'optimisation.
Arnaud : Au niveau de Calc, depuis quelques versions, on a accéléré jusqu’à quatre-vingts % les temps de calcul et les temps de chargement des documents, que ce soit OpenDocument, comme aussi une accélération au niveau d'Open XML, qui est le format, on va dire, Open XML, le format XLSX, qui sont les formats standards de type Microsoft, non pas vraiment un standard, si ce n'est même pas du tout.
Luk : On a toujours quand même des mauvaises surprises, quand on a des documents un petit peu compliqués. Enfin moi professionnellement je pratique les deux. Et dès que j'ai un truc un peu touffu, la conversation de l'un, quel que soit le sens d'ailleurs, puisque la version 2010 qui est également l'ODF on a des mauvaises surprises quand c'est un peu compliqué quoi !
Arnaud : Ça on essaie de faire évoluer beaucoup le produit là-dessus, sur l'interopérabilité. Mais après il faut vraiment voir que lorsqu’on migre d'un produit vers l'autre, il faut vraiment migrer le format des fichiers. C'est vraiment une chose très importante et ne plus travailler sur des DOC ou des XLS, auquel cas on est quasiment certain de perdre des informations à l'enregistrement. À partir du moment où on migre d'un produit à l'autre il faut vraiment utiliser le format OpenDocument qui est un format standardisé, qui est une norme ISO et qui est vraiment fait pour tout ce qui est archivage, qu'on pourra relire dans dix, quinze, vingt ans, ce qui n'est pas du tout garanti avec l'Open XML et encore moins avec les formats propriétaires.
Luk : Oui, ça change tout le temps, tous les cinq ans, quoi, à peu près Microsoft ?
Marie-Jo : J'insiste sur ce que dit Arnaud. D'expliquer aux gens en effet qu'à chaque fois qu'on change d'outil il y a un filtre d'import. Un filtre d'import est un programme informatique qui n'est pas pédagogue. Donc un document mal structuré sera mal restitué. Et la plupart des documents traitement de texte sont mal structurés parce que les gens n'ont pas été formés. Donc c'est catastrophique en traitement de texte.
Luk : Notamment dans l'utilisation des styles, plein de gens ne les utilisent pas.
Marie-Jo : Voilà. Les gens ne connaissent pas les styles, ne les utilisent pas. On a des problèmes d'ancrage, donc en plus avec Word qui permet de déplacer une ancre sans son image, enfin des choses absurdes ce qui fait qu'on récupère des choses dramatiques. Mais on peut les avoir dans les deux sens, et en effet, comme dit Arnaud, on a une perte, je ne dirai pas de perte de données, mais de perte de mise en page, plutôt. On ne perd quand même pas les choses.
Luk : Du coup est-ce que la bureautique et tout particulièrement le traitement de texte, n'est pas devenu un machin, une sorte d’usine à gaz ? Parce qu'on a l'impression qu'en gros on a voulu faire un outil totalement intuitif où on puisse faire n'importe quoi sans réfléchir et sans méthode. Et donc du coup, on a des trucs quand on change ou même des fois par erreur, on a créé un style. Si on applique quelque chose dans un titre, ça va créer un nouveau style ou des choses comme ça ?
Marie-Jo : Ça c'est l'horreur de Word.
Luk : Voilà. Et les numérotations qui sautent et des trucs comme ça.
Arnaud : On n'a pas la création automatique des styles de Word qui fait vraiment un truc atroce. On n'a pas ça au niveau de LibreOffice. On crée un style, c'est vraiment volontaire.
Marie-Jo : J'ai des gens qui ont été testeurs des projets, on les a mis en bêta test, qui disaient qu'il faut être beaucoup plus structuré sur Writer puisque c’était OpenOffice à l'époque. Mais par contre quand on est structuré, c'est nickel. Et c'est vrai que Word, c'est le principe, je clique sans comprendre. Et en effet Word est une catastrophe en termes de style, puisqu'il mélange les styles de paragraphes, les styles de caractères et qu'à la volée si on « pourrit » son style, j’utilise ce mot entre guillemets...
Luk : Pourtant il lui va bien.
Marie-Jo : Eh bien on crée le style « titre 1 bleu », « titre 1 bleu souligné ». C'est une aberration. Donc en effet, même si on commence bien, dès qu'on fait une petite erreur, ça devient assez dramatique de structurer correctement un document. Ce qui ne sera jamais le cas dans Writer, parce que en effet on ne peut pas polluer des styles. On doit rester. Après il faut que l'utilisateur soit formé à utiliser correctement un traitement de texte
Luk : Voilà. Il y a également des fonctions du côté Microsoft qui sont là pour l'enfermement. Professionnellement il y a pas mal d'import export de fichiers CSV, c'est pourtant super basique. J'ai un collègue qui a renoncé à expliquer comment quelqu'un pouvait faire un export en CSV en UTF-8, parce que c’était juste, il fallait qu'il passe par quatre étapes différentes et la personne qui expliquait ça, enfin pour un utilisateur occasionnel, c'est juste pas possible. Est-ce que vous avez d'autres exemples comme ça d'enfermement, de trucs qui sont juste l'enfer ?
Marie-Jo : Ce que vous disiez c'était dans Excel.
Luk : Oui, dans Excel, pardon oui, je me suis peut-être trompé. Non, non, c'est bien Excel et effectivement, voilà. Est-ce que vous avez, vous, dans la stratégie des fonctionnalités de LibreOffice des trucs où vraiment il y a une différence par rapport aux stratégies d'enfermement ? Parce que c'est quelque chose moi que j'ai tendance à mettre en avant quand je discute avec des gens sur des stands ou des choses comme ça. Du coup, voilà, comment pointer ces avantages-là ?
Arnaud : Un des points qu'on peut voir au niveau donc de l'Open XML c'est qu'ils ne le respectent pas au niveau de Microsoft Office. Donc ils ont créé un standard au niveau ISO mais qu'ils ne respectent pas. Ce qui fait que n'importe quelle suite bureautique qui va respecter le standard Open XML, donc strict, le document ne sera pas, par exemple, ouvrable avec Microsoft Office 2007. Donc c'est vraiment une stratégie d'enfermement sur un standard qui n'est pas même utilisé par leurs propres logiciels.
Luk : Oui, on se souvient qu'il s'était passé un truc super louche au niveau de l'ISO, là où il y avait donc déjà l'ODF qui était normalisé par l'ISO et où Microsoft s’était débrouillé pour que l'Open XML soit également normalisé. Ça remonte à quelques années, j'ai oublié les détails.
Marie-Jo : C'est le Référentiel Général d'Interopérabilité qui avait validé ça ?
Christophe : Non, c'est la commission AFNOR, pour la normalisation ISO, effectivement, qui a validé le format Microsoft, d'une manière curieuse effectivement. Il n'y a pas eu de consensus. C'est rare à l'AFNOR. En fait les délibérations à l'ISO sont différentes suivant les pays. En France c'est l'AFNOR qui gère les commissions ISO. Normalement on termine avec un consensus. Là il se trouve qu'effectivement, bon, il n'y en pas, parce qu'il y a les gens de Microsoft d'un côté et les autres et du coup même s'il y avait une majorité de voix contre, le président de l'AFNOR a décidé qu'il n'y aurait pas d'avis et donc a, comment ça s'appelle, donné une voix nulle pour la France sur la validation. Ce qui fait que du coup la validation ISO est passée. Voilà.
Luk : D'accord. Du coup la France s'est abstenue.
Christophe : S'est abstenue. Oui. La France s'est abstenue de donner un avis.
Luk : Mais Microsoft a énormément de moyens donc on suppose qu'ils font un lobbying super intense.
Christophe : Il y avait certainement un lobbying super intense.
Luk : D'accord. Ce sont des choses dont vous avez eu des traces vous, dans...
Christophe : Oui parce que j'étais dans la commission.
Luk : D'accord.
Christophe : J'ai bien vu qu'il y avait quand même une tension énorme et qu'il y avait effectivement des enjeux. Il y avait des pressions importantes.
Luk : Très bien. Donc depuis la naissance de LibreOffice qu'est-ce qu'il y a eu vraiment de nouveau ? Quelles ont été les grandes évolutions de l'application ?
Arnaud : Au niveau du projet LibreOffice, déjà on a fait un nettoyage du code qui avait assez peu évolué depuis, on va dire, Sun. Donc le projet était un peu des ajouts de fonctionnalités mais pas de gros nettoyage, donc on a nettoyé en très grande majorité le code du produit. Il me semble qu'on doit avoir trois ou quatre millions de moins de lignes de code que Apache, de mémoire. Après je ne garantis pas du tout les chiffres. On a vraiment nettoyé le projet.
Après sinon on est passé sur un cycle de versions donc à six mois. Avant on était dans le mode de sortie de versions « quand on peut », pour résumer un petit peu, un cycle de versions de six mois. Donc on se rapproche des projets Gnu et des projets Ubuntu. Il me semble qu'il y avait aussi Fedora qui avait un cycle de versions de six mois. Donc un cycle qui est quand même très connu. Donc avec une version majeure qui sort tous les six mois.
Luk : Ça force à finir des trucs, c'est ça ? C'est un truc qui stimule ? L’intérêt de passer à six mois, c'est ça ?
Arnaud : C'est aussi l’intérêt de savoir qu'on aura une version dans pas longtemps. Il y a aussi l’intérêt de savoir que la version sera utilisée sur des distributions. Donc à chaque fois qu'on a une nouvelle version on voit bien qu'il y a une distribution qui va l'utiliser, il n'y pas de creux. Il y a aussi comme avantage que l’utilisateur sait que régulièrement il pourra ou pas bénéficier de nouvelles fonctionnalités. Donc le développeur quand il intègre une fonctionnalité il sait que l'utilisateur pourra l'utiliser dans pas très longtemps.
Luk : D'accord.
Arnaud : Après ça nécessite aussi pas de mal de travail au niveau qualité pour vérifier les bugs, etc.
Luk : D'accord. Pour vous depuis un an, du point de vue fonctionnel, du point de vue de l'utilisateur, c'est aller, un ou deux trucs avant de partir.
Marie-Jo : Je suis à chaud, je réfléchis, je n'arrive pas à les retrouver. J'en ai des listes entières, mais il y a des ajouts tout le temps. Après, je fais un bémol à l’intérêt. En effet, pour un particulier, de sortir des nouvelles versions, c’est magnifique. Dans un contexte professionnel, c'est plus compliqué, on ne réinstalle pas tous les six mois. D'où éventuellement l’intérêt de la version MIMO justement, qui elle, est maintenue sur une période. Mais c'est vrai qu'il y a toujours des nouveautés, il y a toujours des ajouts. Je n'en ai pas en tête parce que je les cherche, je ne les trouve pas.
Par contre je pense à un truc qu'on ne peut pas faire dans Word. Ce sont des formulaires PDF et ça c'est très utile aujourd'hui, les formulaires PDF. On pouvait le faire avant.
Arnaud : Après on peut aussi citer, au niveau justement de tout ce qui est PDF, c'est d’apprendre à renvoyer en PDF. C'est vraiment tout bête comme principe, mais de considérer que les documents, quand on les publie, ne doivent pas être en fichier DOC ou DOCX ou même ODT et de considérer que le format d'échange et de document on va dire final, c'est le PDF.
Luk : Et ça c'est une constante qui rejoint ce que tu disais un petit peu tout à l'heure.
Marie-Jo : C'est super important. Je le répète aussi toujours, si tout le monde utilisait la bonne pratique du PDF, on n'aurait pas de soucis. Mais en effet on reçoit des DOC, des DOCX, pourris, ou des ODT aussi que les gens envoient dans l'autre sens. C'est pareil. Il y a un problème de formation.
Luk : Et d'une façon générale la bureautique a tendance, et c'est vrai pour les tableurs également, à être utilisée, ça je crois Arnaud, c'est le cheval de bataille chez toi, qui est qu'on utilise un peu trop souvent de la bureautique dans des applications où elle ne devrait pas être utilisée et où on va au-delà de ses capacités.
Arnaud : Ce qu'il faut savoir c'est quand même, pour un grand nombre de choses, on peut utiliser des outils spécifiques. Par exemple dans le salon on a Dolibarr, on a Odoo qui sont des solutions de gestion d'entreprise. On n'a pas besoin d'utiliser un tableur pour créer un bon de commande ou pour gérer son stock. Enfin, il faut utiliser vraiment l'outil adapté à la situation. L'outil bureautique n'est pas l'outil adapté à toutes les situations, ce qui est normal. Il n'est pas fait pour.
Marie-Jo : Après la problématique c'est toujours dans les entreprises, les services informatiques sont débordés. L'utilisateur fait une demande, mais le service informatique n'a pas le temps de s'en occuper et donc ils se débrouillent avec ce qu'ils ont pour faire un outil.
Arnaud : Et ce qu'ils ont sur le poste c'est une suite bureautique.
Luk : Tout à fait. Et c'est à la fois l’intérêt et la calamité de la bureautique, c'est que ça permet de faire plein de choses, mais on finit par monter des usines à gaz. Donc il y a une nouvelle version qui sort bientôt ?
Arnaud : Oui. Donc on aura nouvelle version qui devrait sortir je pense cet été, donc je pense au mois d’août.
Luk : La 4.3.
Arnaud : Donc la version 4.3.
Luk : Très bien. Et il y des petits noms dans vos versions ? Ou c'est juste 4.3 ?
Arnaud : Non on n'a pas mis de nom.
Marie-Jo : ce serait une bonne idée.
Arnaud : Ce sera proposé, tu pourras envoyer une proposition sur les listes de développement.
Luk : Moi je trouve des noms vraiment pourris. Mieux vaut pas que ce soit moi qui propose ça. Voilà. Très bien. Donc Arnaud, Christophe et Marie-Jo, merci beaucoup de ce tour d'horizon et bravo pour votre travail.
Arnaud, Christophe, Marie-Jo : Merci et au revoir.-