Le projet de rapport étudiant l'intérêt, ou non, de créer un commissariat à la souveraineté numérique disponible en ligne

Le rapport, ou plutôt le projet de rapport au Parlement, sur la possibilité de créer un Commissariat à la souveraineté numérique vient d'être publié sur son site par une Sénatrice. L'April avait été auditionnée en 2017 par les deux ingénieurs des mines chargés de rédiger le projet de rapport. Dans le document publié, ils font le constat que le logiciel libre doit être un élément structurant pour une politique publique de souveraineté numérique cohérente. Ils soulignent notamment, à très juste titre, que le logiciel libre n'est pas une question technique, mais bel et bien politique. Ce projet de rapport figurait auparavant uniquement en annexe de la version définitive du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique (page 207).

L'article 29 de la loi pour « une République numérique » du 7 octobre 2016 avait mis à la charge du gouvernement de Manuel Valls de remettre au Parlement dans un délai de trois mois à compter de sa promulgation « un rapport sur la possibilité de créer un Commissariat à la souveraineté numérique rattaché aux services du Premier ministre, dont les missions concourent à l'exercice, dans le cyberespace, de la souveraineté nationale et des droits et libertés individuels et collectifs que la République protège ». L'April avait été auditionnée en 2017 par les deux fonctionnaires du Conseil général de l'économie chargés de rédiger le projet de rapport. L'occasion pour l'association de rappeler qu'aucune politique de « souveraineté numérique » ne peut se faire sans un engagement en faveur du logiciel libre, seul à même de garantir la pleine maîtrise de leur informatique aux personnes, fussent-elles physiques ou morales, qui l'utilisent.

Malgré le délai imparti par la loi au gouvernement, ce rapport n'a jamais été publié. Prenant acte de cette situation, la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam a sollicité à deux reprises la publication de ce rapport par le biais de questions écrites au gouvernement en juillet 2017 et en juin 2019. Sa collègue, la sénatrice Catherine Morin-Desailly fit de même en juillet 2019. Le document fut finalement communiqué le 26 juillet 2019 à cette dernière, et en mai 2020 à Joëlle Garriaud-Maylam qui a publié le document de 46 pages sur son site. Le projet de rapport figure également en annexe de la version définitive du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique, dont Catherine Morin-Desailly était membre et par laquelle l'April avait été auditionnée en juillet 2019.

Télécharger le projet de rapport

Pour les rédacteurs du document, un tel commissariat à la souveraineté numérique semble représenter, en lui même, peu d'intérêt. « La mission tient à rappeler à rappeler en préambule qu'il ne sert à rien de créer des structures s'il n'y a pas de volonté politique pour considérer que la transformation numérique est un enjeu majeur qui nécessite des moyens et des actions. » Ils feront d'ailleurs quelques recommandations quant à la manière d'organiser la « transformation numérique » – qui semble donc pour eux le véritable enjeu – afin de traduire cette volonté politique en acte.

Il est intéressant de relever que les rédacteurs du projet de rapport font le constat que le logiciel libre doit être un élément structurant pour une politique publique de souveraineté numérique cohérente. Ils soulignent notamment, à très juste titre, que le logiciel libre n'est pas une question technique, mais bel et bien politique. Ils insistent en particulier sur les enjeux en matières d'éducation en problématisant très justement, et sans ambivalence, la situation : « veut-on former de simples utilisateurs des outils numériques ou bien former au monde numérique de demain ? Selon la réponse, on choisira des logiciels propriétaires ou bien des logiciels libres.»

On relèvera ces quelques citations :

Les directions en place, pour beaucoup au niveau des services du Premier ministre (SGDSN, DINSIC [devenu DINUM en octobre 2019], SGMAP [remplacé en novembre 2017 par la DITP] ) ont la capacité de mettre en œuvre une politique de souveraineté dès lors qu'il y a une volonté politique en écho. C'est cette volonté politique qui doit primer, pour imposer l'usage de logiciels libres à l'Éducation nationale ou soutenir l'industrie des composants cryptologiques, plutôt que la création d'un Commissariat. [page 6]
Aussi, le choix entre logiciels libres et logiciels propriétaires ne semble pas relever d'un choix technique mais plutôt d'un choix politiques : quel objectif veut-on atteindre avec les logiciels libres ou avec les logiciels propriétaires ? Prenons le cas de la formation dans l'enseignement secondaire ou supérieur : veut-on former de simples utilisateurs des outils numériques ou bien former au monde numérique de demain ? Selon la réponse, on choisira des logiciels propriétaires ou bien des logiciels libres.[page 22]
Le choix de Microsoft office à l'Éducation nationale, qui peut effectivement être critiqué car il oriente des millions de jeunes vers ces produits à la fois payants et non souverain, n'a pas été fait sans une information du premier ministre. [page 32]

Enfin, les rédacteurs listent parmi les objectifs à poursuivre pour une structure dont la mission serait de porter une volonté politique de « transformation numérique », le fait de « favoriser l'usage de logiciels libres au sein de l'administration et des collectivités locales » (page 34). Ce qui n'est bien sûr pas sans rappeler la principale revendication de l'April : la priorité au logiciel libre dans le secteur public.

L'insistance de ce projet de rapport sur la nécessité d'une volonté politique ambitieuse n'est pas sans évoquer les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique. Lors des différentes auditions menées, deux membres de la commissions d'enquête en particulier, la sénatrice Catherine Morin-Desailly et le sénateur Pierre Ouzoulias, ont régulièrement interpellé les représentants du gouvernement sur l'absence de stratégie politique cohérente et claire en matière de souveraineté numérique.

Le rapport issu des travaux de cette commission, en plus de contenir en annexe le projet évoqué, fait lui aussi le lien entre logiciel libre et « transformation numérique » puisqu'il souligne qu'« il est urgent d'engager la réflexion sur le recours aux logiciels libres au sein de l'État ». La nouvelle ministre en charge de la transformation et de la fonction publiques , Amélie de Montchalin, entendra-t-elle cette urgente nécessité ? Aucune politique de souveraineté numérique, aucune transformation numérique réellement au service de l'intérêt général, ne pourra se faire en faisant l'économie de cette réflexion.