L'April demande la création d'une commission d'enquête parlementaire concernant les relations entre l'État et Microsoft
L'émission Cash Investigation consacrée à l'Open Bar Microsoft/Défense, diffusée le 18 octobre 2016, a mis au jour de nouvelles révélations concernant les relations privilégiées entre Microsoft et l'État français. L'April va s'adresser aux parlementaires pour leur demander la création d'une commission d'enquête. Il est indispensable que toute la lumière soit faite sur les conditions de la signature du contrat « Open Bar » Microsoft/Défense et sur le périmètre exact de l' « accord de sécurité » entre l'entreprise américaine et l'État.
Lors de la diffusion de l'émission Cash Investigation, Marc Mossé, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France, a reconnu l'existence d'un « accord de sécurité » entre Microsoft et l'État français, sans donner aucun détail sur le périmètre de cet accord (lire notre transcription). Dans l'ère post-Snowden, il est essentiel que chacun puisse prendre connaissance de ce document.
L'enquête a souligné également que les décideurs du ministère de la Défense n'ont pas tenu compte des recommandations du groupe d'experts qu'ils ont eux-mêmes mandatés (voir les propos de Thierry Leblond, ingénieur général de l'armement, à partir de 46 minutes, propos confortés par des témoins masqués 1). Notre propre rappel chronologique sur la signature du contrat initial montrait que c'est le comité de pilotage, suite à une fiche écrite par son président Alain Dunaud, alors directeur adjoint de la DGSIC2, qui a permis la signature du contrat initial avec Microsoft. Et ce, en dénaturant les conclusions du groupe d'experts de la Défense mandatés par le comité de pilotage.
Dans la même émission (vers 1h 05 min) le vice-amiral Arnaud Coustillière, officier général à la cyberdéfense et qui a été membre du comité de pilotage chargé d'étudier la proposition d'accord « Open Bar » de Microsoft en 2007/2008, reconnaît qu'il ferait aujourd'hui le même choix. Il ajoute « Je m'en fous de ce débat-là. C'est un débat qui a plus de 4 ou 5 ans ce truc. Pour moi c'est un débat d'informaticiens, c'est un débat qui est dépassé » (lire la transcription de son interview). Éric Filiol, ex lieutenant-colonel de l'armée de terre, directeur du centre de recherche de l'ESIEA, a indiqué que les propos du vice-amiral relevaient de l'inconscience : « Le montage semble indiquer que ma réponse concernait son affirmation sur le fait qu’il prendrait la même décision si cela était à refaire. Dans ce cas, ce n’est pas de l’incompétence, mais de l’inconscience. Quoi qu’il en soit, je regrette que mes propos aient été sortis de ce contexte. » (extrait d'une interview publiée le 24 octobre 2016 « Windows est pour nous une boîte noire que connaît très bien la NSA ! »). Dans la même interview, Éric Filiol ajoute que « le choix a été avant tout politique. Les militaires obéissent aux politiques, on ne le rappellera jamais assez ».
Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense a refusé de répondre aux légitimes questions d'Élise Lucet, montrant un manque de courage politique et de respect pour sa fonction. Le ministre ne peut fuir ses responsabilités et devrait rendre compte devant le Parlement des décisions prises sur ce dossier, ainsi qu'Hervé Morin, ministre de la Défense lors de la signature du contrat initial en 2008. Les ministres devraient être accompagnés du vice-amiral Arnaud Coustillière, de l'ex Ingénieur Général de l'Armement Alain Dunaud ainsi que des membres du comité de pilotage et du groupe d'experts.
L'April demande donc la création d'une commission d'enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur les conditions de signature du contrat « Open Bar » Microsoft/Défense, sur le périmètre exact entre l'« accord de sécurité » entre Microsoft et l'État et plus globalement sur les « relations particulières » entre Microsoft et l'État.
Une nécessité de transparence qui prend une importance particulière quand parallèlement à cet « Open Bar », le ministère de l'Éducation nationale offre les clefs des écoles publiques françaises au géant américain en recourant à un douteux « mécénat » combattu notamment par le collectif Édunathon. Des affaires sans corrélation directe, mais qui doivent interroger sur l'immixtion de Microsoft dans les plus hautes instances politiques de l'État français.
Au-delà des questions de sécurité et de souveraineté informatique il s'agit d'un enjeu de société majeur. Et non pas un simple « débat d'informaticiens » comme semble le penser Arnaud Coustillière.
- 1.
Le journaliste, au téléphone avec un membre du groupe d'experts « Il y a une étude interne qui écarte le scénario Microsoft [note de l'April : comprendre le scénario Open Bar ]. Pourquoi cette étude n'a pas été suivie ? ».
Réponse de la personne : « Je pense que la décision était prise avant même qu'on lance l'étude ». Un autre interlocuteur « Ce contrat, il y a des gens qui ont les fesses qui ne sont pas propres ».
L'auteur du rapport du groupe d'experts : « Le seul scénario qui était déconseillé a été celui qui in fine a été retenu. Oui, on peut considérer que les recommandations n'ont pas été suivies. ».
- 2. Direction générale des services d'information et de communication, ministère de la Défense