Il nous faut beaucoup d'associations comme l'April

photo de Yann Moulier Boutang

Pourquoi l'association April mérite-t-elle pleinement le prix du Lutèce d'or qui lui sera décerné ce soir ? Prix qu'elle recevra à travers son délégué général et animateur infatigable Frédéric Couchet que je salue dans ce message, ne pouvant être parmi vous ? L'April, une association toute jeune, a déjà joué un rôle crucial dans la bataille pour que de nouveaux espaces publics soient créés dans l'espace urbain et plus généralement dans tous les territoires où la coopération numérique et l'intelligence sont devenus les ressorts productifs de la croissance durable. Face aux redoutables défis qui nous attendent : une croissance soutenable pour l'ensemble des hommes et de la planète, beaucoup plus d'égalité entre le Sud et le Nord, il nous faut de nouveaux instruments mais aussi une nouvelle culture. L'April en promouvant le libre (l'usage de logiciels non propriétaires) participe, dans le domaine du numérique et de la culture des nouvelles technologies, de ce mouvement plus large et passionnant qui travaille à la création des nouveaux biens communs dont l'eau, l'air, la terre arable, les mers, le langage sont d'autres illustrations. L'April est non seulement d'utilité publique, mais invente les nouvelles frontières de l'action publique. L'accès le plus démocratique possible, la mise à disposition du maximum d'intelligence est la condition commune de toutes les activités ; celle que l'on nomme économie de marché (l''entreprise, les marchés financiers) mais aussi toutes les formes d'activités qui interviennent en amont et en aval ( la culture, l'espace privé, l'économie solidaire ou publique). Il n'est pas jusqu'à l'industrie qui n'ait à se féliciter de plus en plus de la progression des technologies et des langages non propriétaires (à la fois parce qu'ils sont moins chers, plus mobilisateurs des coopérations, de la confiance, de la contribution, plus justes et plus efficaces). Plus efficace parce qu'ils contrecarrent la tendance à la création d'un maquis de normes dont les DRM sont la dernière expression. Les PME, les start up, les grandes entreprises qui ont compris le film ont raison d'aider l'April et les développeurs de programme libres ou devraient le faire. Il en va de leur survie. L'inter-opérativité des ordinateurs dans leurs systèmes d'exploitation, dans leurs applications est une évidence que connaissent bien tous ceux qui ont travaillé sur l'industrie non numérique et sans lesquels le modèle de la concurrence entres les entreprises tourne à la captation de rente. Les garanties d'égalité d'accès, de sauvegarde de la personne privée face à des oligarchies techniques du cryptage sont des exigences de la nouvelle action publique que connaissent bien des organismes comme la CNIL. Les nano technologies et les objets intelligents posent de redoutables problèmes pour les libertés. Il deviendra encore plus nécessaire d'assurer une transparence des programmes informatiques, des systèmes d'informations, des réseaux. Tous les discours sécuritaires du monde ne sauraient inventer les solutions à ces questions. Seul davantage de démocratie, de débat public, européen et mondiaux peuvent défendre la société et une société non barbare L'April a joué un rôle crucial dans la bataille contre la brevétisation des logiciels au Parlement Européen. Ce dernier a pu être éclairé et échapper au tropisme de la Commission qui subissait le lobbying intense des grandes firmes de logiciels propriétaires. À quoi servent les amendes infligées à la firme de Redmond si c'est pour lui redonner d'une main beaucoup plus ce qu'on lui a repris de l'autre en adoptant une législation la plus conservatrice sur les droits de propriété intellectuelle ? Il nous faut plus de présence de l'April dans les batailles à venir. L'April et son Président travaillent sans le filet d'un emploi public garanti. Il nous faut beaucoup d'associations comme l'April qui sont une illustration de l'expertise citoyenne. Longue vie à l'April qui nous enseigne tous les jours que la démocratie est à construire tous les jours. Que l'April reçoive le Lutèce d'or est une signal heureux pour la métropole parisienne. L'accès gratuit à l'Internet sans fil (WIFI) dans les lieux publics en serait un autre.

— Yann Moulier Boutang
, Professeur des Universités en sciences économiques