Décision de la Grande chambre de recours de l'OEB sur les brevets logiciels

Alors que la Cour suprême des États-Unis doit prononcer dans quelques jours un jugement dans l’affaire Bilski qui pourrait potentiellement rendre invalides les brevets logiciels outre-Atlantique, la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets (OEB) a rendu mercredi 12 mai un avis frileux en la matière. Les questions posées dans une saisine par la présidente de l’Office en octobre 2008 ont été déclarées irrecevables, au motif que la haute juridiction n’a pas trouvé de divergences entre les différentes décisions des Chambres de recours techniques, tout au plus une évolution légitime de la jurisprudence. Après avoir saisi l’occasion pour envoyer à l’OEB sa position, l’April analyse cette décision et ses conséquences dans le contexte juridique international des brevets logiciels.

L’analyse qui suit a été rédigée pour être la plus exhaustive possible. Elle aborde non seulement les termes et conclusions de l’avis rendu par la Grande Chambre, mais évoque également les différents problèmes ayant trait à l’acceptation de brevets logiciels par l’OEB, les sophismes utilisés pour parvenir à une telle acceptation, les failles du système des brevets en Europe dans sa globalité, ou encore les projets accentuant ou au contraire tentant de corriger ces failles. Le lecteur pressé pourra se contenter de consulter le résumé exécutoire de l’avis avant de directement passer aux conclusions à en tirer. Nous espérons cependant que la lecture intégrale de l’analyse ci-dessous pourra contribuer à une plus large diffusion et une meilleure compréhension des problèmes qu’elle soulève.

Rappel sur le contenu de la saisine

En octobre 2008, la présidente de l’OEB, Alison BRIMELOW, sollicitait l’avis de la plus haute juridiction interne à l’OEB, la Grande Chambre de recours, sur la question des brevets logiciels. En effet, la jurisprudence des cours de première instance de l’Office, les Chambres de recours techniques, a évolué sur la question, depuis une interdiction formelle inscrite dans le droit (la Convention sur le brevet européen, CBE) jusqu’à une validation des pratiques de l’Office ayant conduit à accepter des dizaines de milliers de tels brevets. Ainsi, en s’appuyant sur des exemples de décisions des Chambres de recours techniques, quatre questions avaient été posées.

L’April avait alors envoyé à la Grande Chambre de recours un mémoire en amicus curiæ, qui à la fois critiquait l’orientation des questions posées et faisait valoir la position de l’April sur les brevets logiciels. On pourra relire le billet d’actualité publié à cette occasion, pour détailler les questions posées et les réponses apportées par l’April. Mais d’ores et déjà, on peut souligner les conclusions que nous tirions de cette saisine :

La rédaction de ces questions, à l’exception de la première qui est assez directe, laisse à penser qu’elles offrent un chèque en blanc aux pratiques actuelles de l’OEB. En effet, l’OEB a accordé des dizaines de milliers de brevets logiciels en s’appuyant sur le fait que ceux-ci produisaient un effet « technique ». Or les question d’Alison BRIMELOW ne définissent jamais ce qui doit être considéré comme « technique ». Pire, elles ne demandent pas non plus de le définir.
[…]
La raison est probablement qu’elle a demandé au personnel des Chambres de recours de rédiger ces questions, qui restent très proches de leur propre doctrine. Les questions ci-dessus, posées par les juges britanniques, auraient permis d’obtenir des réponses très différentes de la ligne du parti actuelle des organes de l’OEB. Mais on peut douter que l’OEB veuille vraiment des réponses, mais plutôt des confirmations.
[…]
Il faudra désormais attendre plusieurs mois la réponse de la Grande Chambre de recours de l’OEB. Mais quelle qu’elle soit, elle restera confinée à une décision interne à l’office, alors que le sujet des brevets logiciels exigerait une prise de position politique définitive et sans ambiguïté d’instances démocratiques, telles que le Parlement européen.

En détaillant maintenant la réponse apportée par la Grande Chambre de recours, nous allons voir à quel point ces conclusions ont été confirmées.

Décryptage de l’avis de la Grande Chambre de recours

Résumé « exécutoire »

La réponse de la Grande Chambre de recours pourrait tenir en quelques lignes :

« Chère Présidente, nous sommes là pour éclaircir et mettre un terme aux incohérences des tribunaux internes à l’OEB. Or leur jurisprudence est très cohérente. Nous ne sommes pas là pour juger si cette cohérence va dans le bon sens ou non. Ça, c’est le rôle d’instances législatives démocratiques. Lorsque la conférence diplomatique de l’OEB – qui est censée être son organe législatif bien qu’il faille une bonne dose d’imagination et d’aveuglement pour la qualifier de démocratique – a voulu confirmer la jurisprudence de l’OEB et ainsi supprimer l’interdiction de breveter des logiciels, elle n’y est pas arrivée. Lorsqu’on a essayé de faire dire au Parlement et au Conseil de l’Union européenne que la jurisprudence de l’OEB allait dans le bon sens et que les brevets logiciels devaient donc être légalisés, cela a lamentablement échoué aussi. Alors, nous savons très bien que cette histoire vous embête et que aimeriez bien une bonne fois pour toutes que les dérives de l’Office soit juridiquement approuvées. Mais il faudrait alors poser des questions un peu plus pertinentes… Alors, non merci, nous ne voulons pas de cette patate chaude. Meilleures salutations et bonne continuation. »

La Grande Chambre de recours a pris la peine de détailler sa réponse en 56 pages, mais le paragraphe ci-dessus, malgré son ton direct qui ne sied guère à une instance se réclamant de l’autorité judiciaire, est un résumé fidèle de son avis. Jugez-en par vous même dans la description détaillée qui suit.

Les 56 pages de la réponse

Page de couverture

L’avis de la Grande Chambre de recours de l’OEB commence par une page d’en-tête1 qui n’est pas dénuée d’intérêt. Elle recense en effet le nom des membres qui ont statué sur cette affaire. On y reconnaîtra ainsi le britannique Dai REES, qui, ainsi que le souligne l’un des mémoire en amicus curiæ2, avait pu faire valoir la position de l’OEB, favorable à la brevetabilité des logiciels, lors de l’examen de la directive européenne sur les brevets logiciels. Le juge allemand, Uwe SCHAREN, est également connu pour ses positions pro-brevets logiciels.

Résumé des conditions de la saisine

L’avis rappelle ensuite que la Grande Chambre a été saisie sur la question des brevets logiciels par la présidente actuelle de l’OEB, Alison BRIMELOW, alors que son prédécesseur, Alain POMPIDOU avait décliné de le faire malgré la suggestion du juge britannique, Sir Robert Raphael Hayim "Robin" JACOB. On se souvient pourtant de la pertinence des questions suggérées par le magistrat de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles. Et nous verrons à la fin de l’avis de la Grande chambre, que nous ne sommes pas les seuls à regretter qu’Alison BRIMELOW n’ait pas eu la même sagacité que Lord Justice JACOB.

Mémoires en amicus curiæ

Durant deux pages et demi3, il est ensuite rappelé que cette saisine a suscité près d’une centaine de mémoires en amicus curiæ : 30 de la part de juristes et avocats en brevets, 54 d’entreprises et associations, dont 17 provenant d’associations liées au logiciel libre – dont bien entendu, le mémoire de l’April –, 6 d’universitaires, 2 d’offices de brevets4 et 9 provenant d’autres sources. Outre le fait que la question des brevets logiciels a, une fois de plus, suscité un vif intérêt, on retiendra de cet inventaire qu’un quart des mémoires, particulièrement ceux des avocats et des entreprises autres que celles du logiciel libre, ont critiqué l’admissibilité de la saisine et ont donc obtenu satisfaction. Il est également à noter qu’un tiers des mémoires s’est prononcé contre la brevetabilité du logiciel, contre 10% pour une brevetabilité élargie et 30% approuvant les pratiques actuelles de l’OEB.

Admissibilité a priori de la saisine

Vient ensuite la section qui occupe la plus grande partie de l’avis de la Grande Chambre. En effet, tout au long de près de 20 pages5, on va examiner si le refus d’un prédécesseur interdit au président de saisir la Grande Chambre, préciser le rôle de la Grande Chambre dans une telle saisine, rappeler les articles de la CBE régissant les saisines de la Grande Chambre de recours, essayer de définir ce que désignent ceux-ci par une « divergence » entre deux Chambres de recours techniques et les différences de traduction de ce mot dans les trois langues officielles de l’OEB, examiner si lorsque l’on parle de « deux » Chambres, cela implique que celles-ci soient distinctes ou si cela peut englober une seule Chambre de recours technique mais formée de juges différents, s’il faut que les décisions divergentes soient espacées ou non dans le temps, etc. Tout ceci pour en arriver à la conclusion que la présidente a parfaitement le droit de saisir comme elle l’a fait la Grande Chambre de recours et qu’il faut maintenant examiner si les décisions citées dans la saisine sont bien divergentes.

Il serait cependant imprudent de considérer que cette partie ne constitue qu’un exercice juridique dénué d’intérêt pratique pour le non-juriste. On y trouve en effet de précieuses déclarations6.

Ainsi, page 8, la Grande Chambre rappelle l’importance de la question des brevets logiciels en Europe, comme en témoignent les débats enflammés qui l’ont toujours entourée :

4.1 La brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur a bien entendu été le sujet de chauds débats dans les pratiques administratives et juridiques, ainsi que dans la littérature des pays disposant d’un système avancé de brevets, en particulier au sein du territoire couvert par la CBE. Dans ces pays, avec leurs règles nationales, bien qu’harmonisées sur une base européenne, sur les objets brevetables, ce problème a moins donné lieu à des verdicts judiciaires différents qu’à des raisonnements parfois différents les soutenant. En outre, il y a quelques années, le Parlement européen et le Conseil ont fini par échouer dans leur tentative d’harmoniser le droit au sein de l’UE sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur, au moyen d’une directive (COM (2002) 92 final - 2002/0047 (COD)). Malgré une convergence considérable dans des verdicts récents, on ne peut toujours pas partir du principe qu’existerait une compréhension uniforme de là où placer la ligne entre les demandes relatives à des programmes d’ordinateur en tant que tels, qui sont exclus de la brevetabilité selon l’article 52(2)(c) et (3) CBE, et celles relatives à des solutions techniques brevetables, sous la forme d’inventions mises en œuvre par ordinateur.

Et pour cause ! Comme cela a souvent été démontré, le terme d’invention mise en œuvre par ordinateur n’est qu’un artifice de langage, désignant exactement la même chose qu’un brevet logiciel. Et l’un des buts de cet artifice est justement de faire croire qu’il existerait deux catégories de logiciel : les logiciels en tant que tels et les autres, de manière à passer outre la non brevetabilité des premiers dans la lettre et l’esprit du droit européen. La Grande Chambre de recours reconnaît ici implicitement l’impasse à laquelle mène cette distinction artificielle.

Page 14, la Grande Chambre suggère quelle va être la motivation principale de sa décision :

7.2.2 Comme l’autorité judiciaire de toute entité démocratique basée sur le principe de séparation des pouvoirs, les Chambres de recours de l’OEB, en tant qu’autorité judiciaire indépendante, garantissent un jugement en bonne et due forme au sein de l’Organisation. Elles se voient également confier le dernier mot en matière d’interprétation de la CBE en termes de son champ d’application (voir également l’article 23(3) CBE). Selon l’article 21(1) CBE, elles sont compétentes pour examiner les recours formés contre les décisions prises par l’Office dans les procédures de dépôt et d’opposition. Les pratiques établies par l’Office pour l’examen des demandes de brevets et les oppositions contre les brevets délivrés se basent sur leur interprétation. Sinon, le droit à saisine de la part du Président ne serait aucunement nécessaire.

Force est de constater que la Grande Chambre entend dans cette décision clamer haut et fort son indépendance. Les termes qu’elle emploie – « entité démocratique », « principe de séparation des pouvoirs », « autorité judiciaire indépendante », « garanti[e d’]un jugement en bonne et due forme » – pourraient presque faire rougir Locke et Montesquieux. Presque, si les théoriciens de la séparation des pouvoirs ne se gaussaient pas plutôt de cette affirmation au regard du système régissant l’Organisation européenne des brevets.

Il faut ici rappeler que l’Organisation européenne des brevets7 repose sur deux organes – et non trois : le Conseil d’administration, qui se comporte comme le pouvoir législatif, et l’Office européen des brevets, prenant le rôle de l’exécutif. Le Conseil d’administration est composé de représentants des États contractants de la CBE. Il est à noter que ces représentants sont presque exclusivement des dirigeants des offices de brevets nationaux, ce qui n’est déjà pas sans soulever quelques interrogations quant à d’éventuels conflits d’intérêts8. Et, puisque la Grande Chambre évoque l’autorité judiciaire, il faut préciser que les Chambres de recours font intégralement partie de l’OEB9 Ce qui soulève, au sein même de l’OEB, le problème de l’indépendance des Chambres de recours. Ainsi, sur le site web de l’OEB, une initiative législative pour le droit européen des brevets, réfléchit sur l’autonomie organisationnelle des Chambres de recours de l’OEB et déclare que puisque « le lien administratif et organisationnel entre les chambres [de recours] et l’OEB obscurcit leur nature judiciaire et ne prend pas la mesure complète de leur fonction d’instance judiciaire »10, appelant par conséquent à la création, au sein de l’Organisation européenne des brevets, d’une troisième instance judiciaire, aux côtés du Conseil administration et de l’Office européen des brevets. Toutefois, selon certains experts, les appels pour améliorer l’indépendance institutionnelle des Chambres de recours n’ont pas reçu jusqu’ici l’attention qu’ils mériteraient de la part du Conseil d’administration de l’Organisation européenne des brevets11.

Néanmoins, la motivation de la Grande Chambre apparaît ici au grand jour : elle cherche à justifier son indépendance vis-à-vis de l’OEB en général, et de sa présidente en particulier, ce qui la conduira à rejeter la saisine en réaffirmant son absence de pouvoir dans l’élaboration du droit – pouvoir dévolu aux Chambres de recours, qui pourtant ne sont pas plus indépendantes, au contraire, pour ce qui est de l’application de la CBE ; aux conférences diplomatiques de l’Organisation européenne des brevets, composées de représentants des offices nationaux et donc à l’indépendance questionnable, pour ce qui est des modifications à apporter à la CBE ; et, en dernier lieu, aux instances démocratiques législatives des États contractants, susceptibles de contrôler le mandat donné aux délégations négociant au nom des États signataires lors d’une conférence diplomatique.

Et, la Grande Chambre poursuit en rappelant quelques pages plus loin, page 17, pourquoi exactement elle ne peut accepter la saisine présidentielle, en y faisant ce qui est certainement sa déclaration la plus importante de tout son avis sur la saisine12 :

7.2.7 Étant donné son objet et son but, le droit à saisine ne va pas jusqu’à permettre au Président, pour quelque raison que ce soit, d’utiliser la saisine de la Grande Chambre comme un moyen de remplacer les décisions des Chambres de recours sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur par la décision d’une autorité supposée supérieure. Par exemple, une saisine présidentielle n’est pas admissible au seul motif que le Parlement européen et le Conseil ont échoué dans l’adoption d’une directive sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur ou parce que des décisions cohérentes d’une Chambre sont remises en question par un groupe de pression influent (cf. la présente saisine, page 2, section 1, paragraphe 3)13. Même le désir d’harmonisation hautement méritoire, exprimé par le juge JACOB dans le verdict des affaires Aerotel/Macrossan ne peut être repris par la Grande Chambre que dans les limites de la CBE, même si sa suggestion pourrait faire avancer significativement la cause d’une uniformité juridique en Europe. Lorsque l’élaboration juridique conduite par la jurisprudence atteint ses limites, il est temps pour le législateur de reprendre la main.

Il devient ainsi clair que la Grande Chambre de recours reconnaît l’incompétence de l’OEB pour définir une législation en fonction d’objectifs politiques : décider de ce qui peut faire l’objet de monopoles temporaires, en l’occurrence de brevets, est une tâche dévolue aux instances législatives des États contractants.

Et la Grande Chambre de conclure en conséquence, page 22, sur l’admissibilité a priori de la saisine :

7.3.8 La conclusion à tirer est que la Grande Chambre ne peut pas élaborer le droit de la même manière que les Chambres de recours, parce qu’elle n’a pas à se prononcer sur des faits dans des recours en attente, mais seulement sur des instances spécifiques et ce, uniquement dans le contexte susmentionné de questions de droits qui lui sont soumises selon l’article 112(1) CBE. Ceci s’applique a fortiori aux saisines par le Président, qui n’émanent même pas d’un recours spécifique.
Si, comme il est exigé pour une saisine par le Président, il existe différentes décisions sur des questions de droit, la Grande Chambre peut suivre l’approche juridique de l’une d’entre elles et rejeter l’autre comme étant inappropriée, ou elle peut trouver appropriée une troisième voie. Ainsi, la seule façon pour elle d’influencer l’appréciation de sujets particuliers est de rompre avec une pratique antérieure et d’indiquer une nouvelle direction ou de confirmer l’approche adoptée par une Chambre.
Toutefois, dans la procédure, la Grande Chambre doit également considérer si les décisions divergentes ne pourraient pas faire partie d’une élaboration constante, éventuellement toujours en cours, de la jurisprudence sur des sujets récents du droit des brevets, au cours de laquelle d’anciennes décisions ont perdu de leur portée et ne peuvent donc plus être considérées en les rapprochant de décisions plus récentes. De telles différences présumées ne justifient pas de saisines présidentielles, l’élaboration juridique étant l’une des principales tâches des Chambres de recours, en particulier dans un nouveau territoire.
Ainsi, le Président n’a aucun droit de saisine selon l’article 112(1)(b) CBE simplement pour intervenir, quelle qu’en soit la raison, dans la simple élaboration juridique si, avec une interprétation de la notion de « décisions divergentes » au sens de décisions contradictoires, aucune correction ne s’avère nécessaire afin d’établir une certitude juridique.

Il faut donc maintenant examiner si les décisions à l’origine des questions soulevées par la saisine sont véritablement contradictoires, ou si elles ne font que s’inscrire dans l’évolution normale de l’élaboration juridique.

Remarques préliminaires sur les questions de la saisine

La Grande Chambre commence son étude des questions de la saisine, page 23, par presque 2 pages de remarques préliminaires sur les termes clés employés par la saisine, à savoir « programmes d’ordinateur » et « technique ». C’est l’occasion pour elle de noter qu’elle n’est absolument pas tenue par les définitions proposés dans la saisine, qu’elle ne manque pas d’ailleurs de corriger, en soulevant leurs lacunes.

Il faut ici s’arrêter sur les remarques, page 24, de la Grande Chambre quant au terme « technique ».

9.2 Le terme « technique » – Nous ne tentons pas de définir le terme « technique ». À part utiliser ce terme pour citer la jurisprudence, la Grande Chambre, dans ce qui suit, fait seulement les affirmations qu’« un support informatique de stockage de données » et une tasse ont un caractère technique et que la conception d’une bicyclette implique des considérations techniques, dans le but d’être capable d’explorer les conséquences de la jurisprudence. On espère que le lecteur acceptera ces affirmations sans que soit nécessaire une définition de ce qu’englobe exactement le terme « technique ».

Cette notion de « technique » est en effet centrale dans l’évolution de la jurisprudence de l’OEB l’ayant conduite à accepter des brevets logiciels. Comme nous pourrons le constater dans l’examen des questions à proprement parler, c’est en profitant du flou juridique introduit par l’absence de définition du terme « technique », que l’OEB a décidé qu’il existait des programmes d’ordinateur qui pourraient être considérés comme n’étant pas des programmes en tant que tels et, par conséquent brevetables.

En témoigne, cet article, paru dans le journal officiel de l’OEB en novembre 2007, explicitant les conditions dans lesquelles l’Office peut accepter un brevet logiciel ou un brevet sur une méthode d’affaires informatisées. Nous reviendrons en détail sur ces conditions, lors de l’examen des questions de la saisine, mais le point clé à retenir dès maintenant est qu’il faut que l’invention présente un caractère technique, ce qui conduit les examinateurs à distinguer dans la demande les caractéristiques techniques et celles non techniques. Toutefois, ces dernières ne peuvent l’être qu’en apparence, comme le précise l’article du journal officiel de l’OEB :

Une évaluation supplémentaire est à ce stade effectuée en vue de déterminer s’il est possible de conclure, sur la base du contenu global de la demande telle que déposée, qu’un ou plusieurs des aspects apparemment non techniques sont à même de modifier la nature physique ou le fonctionnement technique des aspects clairement techniques (T 26/86, JO OEB 1988, 19, point 3.3 des motifs), ou qu’ils reflètent les considérations techniques nécessaires à la réalisation de l’invention divulguée. Tout aspect apparemment non technique qui est ainsi identifié contribue au caractère technique et ne revêt par conséquent pas de caractère purement non technique.
[…]
Cependant, s’il était constaté que les aspects apparemment non techniques n’influent pas sur la nature physique ou le fonctionnement technique des aspects clairement techniques et qu’ils ne reflètent aucune des considérations techniques nécessaires à la réalisation de l’invention divulguée, les aspects non techniques ne produisent pas d’effet technique en interagissant avec les aspects clairement techniques. Dans ce cas de figure, l’objet comporte des aspects clairement techniques qui concourent au caractère technique et des aspects purement non techniques qui n’y contribuent pas.

En clair, quelque chose apparemment non technique peut tout de même contribuer au caractère technique de l’invention, qui devient ainsi brevetable. Et le même article de conclure :

Pour évaluer si les caractéristiques individuelles d’un objet revendiqué contribuent au caractère technique de cet objet, l’examen porte toujours sur l’objet dans son ensemble. Cependant, seuls les éléments de l’objet qui contribuent à son caractère technique sont pris en considération pour apprécier l’activité inventive. Les aspects purement non techniques d’un objet revendiqué qui définissent un objectif à atteindre dans un domaine non technique peuvent être énoncés dans la formulation du problème technique sous forme d’une spécification de conditions, notamment en tant que contrainte à respecter.

Mais laissons de côté, pour l’instant, le raisonnement employé par l’OEB pour accepter des brevets logiciels en dépit de la non-brevetabilité des programmes d’ordinateur, pour nous concentrer sur le jargon employé afin de justifier ces pratiques. Les citations précédentes font apparaître clairement que cette justification repose entièrement sur la notion de technique.

Et un livre publié récemment et coécrit par 4 examinateurs de l’OEB, explicite quelque peu ce qui est généralement admis par l’OEB pour qualifier un logiciel de technique :

Les traitements de données physiques sont techniques. Des données physiques peuvent être, par exemple, des données représentant une image ou des paramètres et valeurs de contrôle d’un processus industriel. Les traitements qui affectent la manière dont un ordinateur fonctionne (par exemple, qui modifient le système d’exploitation ou le mode opératoire d’une interface graphique utilisateur, qui économisent de la mémoire, qui augmente la vitesse ou qui améliorent la sécurité) sont techniques.14

Dernier exemple de dérive engendrée par la non-définition du terme technique, l’aveu de la Chambre de recours technique de l’OEB dans sa décision T 258/03, Hitachi : La Chambre n’ignore pas que son interprétation – relativement large – du terme « invention » figurant à l’article 52(1) CBE inclut des activités qui sont si courantes que leur caractère technique tend à être négligé, par exemple l’acte consistant à écrire en utilisant un stylo et du papier.

Nous avons déjà argumenté pourquoi cette acceptation est justement inacceptable en matière de logiciels, étant donné la nature abstraite et mathématique des données manipulées.

Aussi, il est particulièrement regrettable, comme nous le notions déjà lors de la soumission par l’April d’un mémoire en amicus curiæ, que la saisine n’ait pas explicitement posé la question de définir clairement ce terme. Il est encore plus déplorable que la Grande Chambre refuse explicitement de le faire et demande au lecteur d’accepter cette absence de définition précise.

Première question de la saisine

1. Un programme d’ordinateur ne peut-il être exclu à titre de programme d’ordinateur en tant que tel que s’il est revendiqué de façon explicite en tant que programme d’ordinateur ?

À l’appui de cette question, la saisine citait les décisions T 1173/97 IBM du 1er juillet 1998 et T 424/03 Microsoft du 23 février 2006. En effet, la première a stipulé qu’au regard des exclusions de la brevetabilité selon l’article 52 (2) et (3) CBE, il ne fait aucune différence si un programme d’ordinateur est revendiqué seul ou enregistré sur un support. Alors que la décision T 424/03 Microsoft a déclaré que l’objet [d’une] revendication possède un caractère technique puisqu’il est relatif à un support informatique, i.e. un produit technique impliquant un support, suggérant ainsi qu’il suffit de revendiquer un logiciel sur un support pour qu’il soit considéré comme étant brevetable. La Grande Chambre reconnaît cette différence entre les deux décisions, mais juge qu’il ne s’agit pas d’une divergence, mais seulement d’une évolution de la jurisprudence.

Sa justification pour conclure ainsi à l’inadmissibilité de cette première question est assez simple. La décision T 1173/97 IBM, sur le point cité ci-dessus de l’équivalence au regard de l’exclusion de la brevetabilité d’une revendication portant sur un logiciel seul ou sur un support informatique, n’a pas été suivie dans des décisions ultérieures des Chambres de recours. Au contraire, la décision T 424/03 Microsoft n’a pas été remise en cause15.

Mais la Grande Chambre va plus loin en n’hésitant pas à conclure que, malgré la divergence apparente entre les deux décisions, la position prise dans la décision T 424/03 qu’une revendication d’un programme sur un support informatique n’est nécessairement pas exclue de la brevetabilité par les dispositions des articles 52 (2) et (3) CBE, est en fait une conséquence des principes posés dans la décision T 1173/97.

Le raisonnement pour arriver à cette acrobatie est particulièrement intéressant, puisqu’il explicite les pratiques non moins acrobatiques de l’OEB pour accepter des brevets logiciels.

La décision T 1173/97 IBM a en effet posé un autre principe que celui de l’équivalence de la brevetabilité d’une revendication sur un logiciel seul ou sur un support informatique : celui de l’effet technique supplémentaire, consistant à accepter qu’un logiciel soit un objet brevetable si, lorsqu’on le lance ou qu’on le charge sur un ordinateur, il produit des effets techniques supplémentaires au-delà des interactions physiques normales – par exemple, un courant électrique – entre tout logiciel et tout ordinateur. Qui plus est, cet effet supplémentaire n’a pas besoin d’être nouveau. L’OEB se plaît16 à citer comme exemple d’effet technique supplémentaire le fonctionnement plus sûr d’un frein pour voiture ou pour train. Il s’agit d’un brevet sur le système de freinage ABS, brevet que les opposants à la brevetabilité des logiciels n’ont jamais contesté17. Mais l’OEB a validé sur cette base, des brevets dont le seul effet technique supplémentaire était d’économiser de la place sur l’écran, par exemple grâce à des onglets.

Quoi qu’il en soit, le fait, dans la décision T 1173/97 IBM, de ne pas considérer ce qui était connu auparavant18 pour déterminer s’il existe des effets techniques supplémentaires a constitué, selon l’expression même de la Grande Chambre, un abandon en conscience de l’approche fondée sur la contribution à l’état de la technique. Cette dernière exigeait que pour décider si une demande portait sur un objet brevetable, au sens des articles 52 (2) et (3) CBE, il fallait que la contribution apportée à ce qui était connu auparavant fasse partie d’un domaine non exclu de la brevetabilité. Or, si l’on ne considère plus ce qui était connu auparavant, un support informatique de stockage de données a toujours un effet technique. Lequel ? Celui, ainsi que la Grande Chambre nous répond doctement, d’être informatisé19 et de pouvoir stocker des données. Peu importe que ce support informatique soit nouveau ou ingénieux. Et comme les supports informatiques ne font pas partie de la liste des exceptions de l’article 52 (2) CBE, il n’est pas nécessaire que l’effet technique soit « supplémentaire » au-delà des propriétés basiques des supports informatiques de stockage.

Bref, un support informatique est brevetable. Mais qu’en est-il d’un support informatique stockant un programme d’ordinateur ? La Grande chambre y voit là une réduction des supports informatiques, et puisqu’aucune jurisprudence des Chambres de recours n’a jamais suggéré que réduire une revendication puisse la faire entrer dans les exclusions des articles 52 (2) et (3) CBE, […] si la revendication « Un support informatique de stockage » n’est pas exclue de la brevetabilité par l’article 52 (2) et (3) CBE, ce n’est pas non plus le cas pour une revendication « Un support informatique de stockage stockant le programme d’ordinateur X ».

C’est certainement dans ce dernier élan que la pirouette de la Grande Chambre est la plus spectaculaire. Pour l’illustrer, prenons l’exemple d’un pays – cela pourrait être la Suisse, si elle n’était pas signataire de la CBE – ayant décidé que la propreté est une chose tellement importante, que toute invention dans ce domaine doit immédiatement bénéficier à tous ses citoyens et que par conséquent les machines à laver sont exclues des domaines brevetables. Or si l’on suit le raisonnement de la Grande Chambre, on pourrait circonvenir à cette exclusion en revendiquant une maison équipée d’une machine à laver. En effet, une revendication sur une maison n’étant pas exclue de la brevetabilité, et une revendication sur une maison équipée d’une machine à laver n’étant qu’une réduction de la première revendication, cette dernière ne doit pas non plus être exclue. Et hop !

Après cette acrobatie concluant à la simple évolution de la jurisprudence entre les décisions T 1173/97 IBM et T 424/03 Microsoft et donc à l’irrecevabilité de la première question de la saisine, la Grande Chambre rappelle la position actuelle de la jurisprudence. En effet après cette brillante mais périlleuse démonstration, on serait à même de se demander si les exclusions de la brevetabilité selon l’article 52 (2) et (3) ont toujours une quelconque pertinence. Après tout, s’il suffit de mentionner l’utilisation d’un support de stockage informatique20 pour qu’un logiciel devienne brevetable, y a-t-il toujours une justification à exclure les programmes d’ordinateur de la brevetabilité ? Oui, nous répond la Grande Chambre, car ces exceptions sont prises en compte dans l’évaluation de l’activité inventive.

Rappelons que pour être brevetable en Europe, l’innovation doit remplir les critères suivants : ne pas être exclue du domaine de la brevetabilité – c’est le critère que nous venons de voir – ; être nouvelle – c’est-à-dire ce que nous avons appelé être non connue auparavant – ; impliquer une activité inventive – i.e. apporter une contribution non triviale par rapport à ce qui était connu auparavant ; et être susceptible d’application industrielle.

Ainsi, nous rassure la Grande Chambre, un logiciel peut certes passer le premier critère, mais lorsque l’on va examiner s’il implique une activité inventive, on fera attention cette fois-ci à ce que la contribution par rapport à ce qui était auparavant connu – i.e. l’activité inventive – ne porte que sur des caractéristiques techniques, c’est-à-dire sur des éléments non exclus de la brevetabilité selon l’article 52 (2) et (3) CBE. Ou alors, dans le cas où l’activité inventive porte sur un logiciel, on exigera, selon la jurisprudence élaborée par la décision T 1173/97 IBM, que ce logiciel ait des effets techniques au-delà des interactions physiques normales entre tout logiciel et tout ordinateur.

Tout cela peut paraît compliqué au lecteur peu averti du jargon et des raisonnements couramment employés dans le microcosme des brevets. On lui conseillera vivement la lecture d’une explication de cette approche complexe et de la déviation qu’elle a entraîné par rapport aux pratiques antérieures de l’Office des brevets polonais.

En tout cas, la Grande Chambre concède qu’effectivement cette approche est complexe : Il a été élaboré un système sophistiqué pour prendre en compte [les exceptions des articles 52 (2) et (3) CBE] dans l’appréciation de l’activité inventive. Et elle va même jusqu’à reconnaître que ce rejet pour défaut d’activité inventive plutôt que selon les exclusions des articles 52 (2) et (3) CBE est quelque peu répugnant (sic) pour beaucoup de personnes. Mais elle se dédouane aussitôt : c’est l’approche qui a été systématiquement élaborée depuis la décision T 1173/97 et depuis, aucune divergence n’a été constatée dans la saisine par rapport à cette élaboration. La fonction de la Grande Chambre dans le présent avis n’est pas de renverser [cette jurisprudence cohérente]. Et elle insiste : Ce n’est pas la tâche de la Grande Chambre dans le présent avis de juger si ce système est correct, puisqu’aucune des questions posées ne se rapporte directement à son utilisation21.

Ainsi, dès cette première question, la Présidente BRIMELOW voit la réponse de la Grande Chambre lui revenir sous forme de reproche : les questions posées n’étaient pas les bonnes. Et pour enfoncer le clou, la Grande Chambre termine22 l’examen de cette première question par rappeler que le juge JACOB avait proposé, lui, des questions bien plus pertinentes :

10.13.2 Nous notons, au passage, qu’il est quelque peu surprenant que la saisine n’aborde, dans aucune de ses questions sur la validité, cette manière de juger de l’activité inventive, un problème qui est certainement d’intérêt général (et l’un de ceux que le juge Jacob proposait qu’il soit soumis à la Grande Chambre – « Comment ces éléments d’une revendication qui portent sur un objet exclu doivent-ils être traités lorsque l’on décide si une invention est nouvelle et apporte une activité inventive selon les articles 54 et 56 ? », verdict Aerotel/Macrossan, point 76, question (2)). La Chambre ne peut que spéculer que la Présidente n’a pas pu identifier dans la jurisprudence une quelconque divergence sur cette question, malgré le fait que (jusqu’à présent) approximativement soixante-dix décisions délivrées par un total de quinze Chambres différentes (au sens d’unités organisationnelles) citent le verdict T 641/00, COMVIK (OJ EPO 2003, 352), et plus de quarante décisions par huit Chambres citent le verdict T 258/03, Hitachi, i.e. les verdicts qui ont essentiellement défini l’approche. La Grande chambre n’est pas non plus au courant d’une quelconque divergence dans cette jurisprudence, suggérant qu’elle convient en général assez bien aux Chambres. Il semblerait que la jurisprudence, telle que résumée dans la décision T 154/04, ait créé un système pratique pour délimiter les innovations pour lesquelles un brevet peut être délivré.

Après s’être étendue sur 19 pages23 pour étudier cette première question, la Grande Chambre sera beaucoup plus évasive dans l’analyse des questions suivantes.

Deuxième question de la saisine

2. a) Une revendication relevant du domaine des programmes d’ordinateur peut-elle échapper à l’exclusion prévue à l’article 52(2)c) et (3) CBE en mentionnant simplement de façon explicite l’utilisation d’un ordinateur ou d’un moyen d’enregistrement de données déchiffrables par ordinateur ?

2. b) S’il est répondu par la négative à la question 2 a), un effet technique supplémentaire est-il nécessaire pour échapper à l’exclusion, ledit effet allant au-delà des effets inhérents à l’utilisation d’un ordinateur ou d’un moyen d’enregistrement des données en vue, respectivement, d’exécuter ou d’enregistrer un programme d’ordinateur ?

Selon la saisine, les revendications de méthode représentent, par nature, une série d’instructions ou d’étapes qui doivent être exécutées par toute entité apte à le faire (cette entité pouvant être une personne, une machine, une personne et une machine conjointement, voire un ordinateur). Une méthode mise en œuvre par ordinateur correspond au cas spécifique où l’entité exécutant ces étapes est un ordinateur. De même, un programme d’ordinateur est une série d’instructions ou d’étapes qui constituent une méthode et sont exécutées par un ordinateur. Les revendications relatives à un programme d’ordinateur peuvent donc être considérées comme ayant la même portée que les revendications relatives à une méthode mise en œuvre par ordinateur. Conformément à cette argumentation, une revendication de méthode engloberait un programme d’ordinateur destiné à réaliser cette méthode. Or, conformément à la décision T 258/03 [Hitachi], il suffit qu’une méthode mise en œuvre par ordinateur fasse intervenir des moyens techniques (l’ordinateur) pour qu’elle soit considérée comme ayant un caractère technique. En revanche [selon la décision T 1173/97 IBM], une méthode revendiquée sous forme de programme d’ordinateur est soumise à une autre condition, à savoir la production d’un effet technique supplémentaire, qui doit aller au-delà des effets techniques normaux résultant de l’utilisation d’un ordinateur. Et d’en conclure à la divergence des décisions, puisque cela signifie que la brevetabilité d’un seul et même objet est évaluée selon des critères différents.

La Grande Chambre réfute cette question en soulevant deux faiblesses logiques dans l’argumentation de la saisine. Tout d’abord, l’affirmation qu’une méthode puisse être séparée de l’équipement qui doit l’exécuter a été avancée comme une déclaration générale, non limitée aux méthodes mises en œuvre par ordinateur. Ce n’est manifestement pas le cas [pour les méthodes, en général]. Deuxièmement, la saisine aurait opéré une confusion, du même ordre que celle entre signifiant et signifié24, en confondant une séquence d’instructions mettant en œuvre une méthode et la méthode elle-même. Selon la Grande Chambre, le mot « programme » se réfère à la séquence d’instructions spécifiant une méthode, et non à la méthode elle-même. La décision T 1173/97 IBM, toujours selon la Grande Chambre, aurait adopté la même définition et par conséquent il n’existe pas de divergence dans la jurisprudence des Chambres de recours et la question n’est pas admissible.

Il faut avouer que la réponse sur sept pages25 de la Grande Chambre à cette deuxième question est beaucoup plus critiquable, sur un point de vue formel, que ne l’était, lors de la première question, sa longue reprise de la litanie de l’OEB pour justifier son acceptation des brevets logiciels. En effet, la question d’Alison BRIMELOW, et surtout son explication qu’un logiciel, en tant que suite d’instructions, était équivalent à une méthode, avait mis le doigt sur un point fondamental de la nature du logiciel : le logiciel est sa propre description. Le logiciel est un outil informationnel pour manipuler de l’information. Il est par conséquent le langage dans lequel s’expriment les idées et connaissances qu’il met en œuvre. Le logiciel est une objectivation de la raison et du langage humains, qui vit à travers la communication de ceux qui comprennent le langage dans lequel il est écrit – que ce soit un programmeur, un ordinateur générique, un quelconque appareil informatisé ou un autre logiciel.

Troisième question de la saisine

3. a) Une caractéristique revendiquée doit-elle produire un effet technique sur une entité physique dans le monde réel pour contribuer au caractère technique de la revendication ?

3. b) S’il est répondu par l’affirmative à la question 3 a), suffit-il que cette entité physique soit un ordinateur non déterminé ?

3. c) S’il est répondu par la négative à la question 3 a), des caractéristiques peuvent-elles contribuer au caractère technique de la revendication si les seuls effets auxquels elles contribuent sont indépendants de tout matériel informatique particulier qui est susceptible d’être utilisé ?

Pour cette troisième question, la Grande Chambre ne s’embarrasse pas : en moins de 3 pages26, elle rejette la question. En effet celle-ci se base sur des caractéristiques individuelles de la demande de brevet, alors que les décisions citées ne portent que sur l’objet revendiqué dans son ensemble. En outre, contrairement à ce que prétend la saisine, les décisions T 163/85 BBC du 14 mars 1989 et T 190/94 Mitsubishi du 26 octobre 1995 ne posent nullement qu’un effet technique sur une entité physique dans le monde réel est une condition nécessaire de la brevetabilité. Ces décisions, juge la Grande Chambre, se limitent à en faire une condition suffisante. Aucune divergence n’est donc constatée par la Grande Chambre, qui déclare ainsi cette troisième question inadmissible.

Il est toutefois intéressant de voir la Grande Chambre admettre que c’est en fait un principe bien établi que les caractéristiques qui pourraient, prises isolément, appartenir aux domaines exclus de la brevetabilité par l’article 52 (2) CBE, peuvent néanmoins contribuer au caractère technique de l’invention revendiquée, et par conséquent, ne peuvent pas être écartées dans l’examen de l’activité inventive. Car c’est bien là, l’astuce principale qui permet à l’OEB d’accepter des brevets logiciels : peut importe qu’une invention repose entièrement sur une innovation informatique, normalement exclue de la brevetabilité. C’est pourquoi, les opposants à la brevetabilité des logiciels ont proposé une règle simple exigeant que l’objet d’une revendication peut être une invention au sens du droit des brevets seulement s’il contribue à une nouvelle connaissance à l’état de l’art dans un domaine des sciences naturelles appliquées ; une invention est un enseignement sur les relations de cause à effets dans l’utilisation des forces contrôlables de la nature.

Quatrième question de la saisine

4. a) L’activité consistant à programmer un ordinateur implique-t-elle nécessairement des considérations d’ordre technique ?

4. b) S’il est répondu par l’affirmative à la question 4 a), les caractéristiques résultant de la programmation contribuent-elles par conséquent toutes au caractère technique d’une revendication ?

4. c) S’il est répondu par la négative à la question 4 a), les caractéristiques résultant de la programmation ne peuvent-elles contribuer au caractère technique d’une revendication que si elles contribuent à un effet technique supplémentaire lors de l’exécution du programme ?

Cette dernière question est écartée encore plus rapidement27, la Grande Chambre se contentant d’affirmer qu’il n’existe pas contradiction entre l’implication systématique de considérations techniques dans l’activité consistant à programmer, et le fait qu’il s’agisse d’une activité intellectuelle. Après tout, compare la Grande Chambre, élaborer une bicyclette implique clairement des considérations techniques […] mais c’est un procédé qui, au moins initialement, peut prendre place dans l’esprit de l’inventeur, i.e. il s’agit d’un acte intellectuel. Fermez le ban !

Pas tout à fait cependant, car le dernier point, s’étendant sur presque deux pages28, de l’avis de la Grande Chambre vaut la peine d’être étudié :

Définir un algorithme informatique peut être vu sous deux éclairages différents. D’un côté, cela peut être vu comme un exercice de pure mathématique ou de pure logique ; de l’autre, comme définir une procédure pour faire qu’une machine accomplisse une certaine tâche. Ainsi, par exemple, Knuth, dans « The Art of Computer Programming », Volume 1 / Fundamental Algorithms, seconde édition, 1973, donne une définition mathématique purement abstraite d’un algorithme, puis poursuit immédiatement pour déclarer que « Il existe beaucoup d’autres façons équivalentes de formuler le concept d’une méthode de calcul efficace (par exemple, en utilisant des machines de Turing) », (phrase à cheval sur les pages 8 et 9). Turing, dans « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem », a prouvé un résultat purement mathématique, mais l’a fait en définissant une hypothétique, mais plausible, machine exécutant des algorithmes (« The Essential Turing », ed. B.J. Copeland, Clarendon Press, Oxford, 2004, pages 58-90). Selon lequel de ces angles de vue est privilégié, on peut répondre positivement ou négativement à la question de savoir si la programmation informatique implique toujours des « considérations techniques ». Chaque angle de vue peut apparemment être véritablement défendu, ainsi qu’on peut le constater d’après le manque de consensus des mémoires en amicus curiæ envoyés ; lequel des deux dépend de l’intuition que l’on a du terme « technique ». L’intention des rédacteurs de la CBE était apparemment de prendre l’angle de vue négatif, i.e. de considérer la formulation abstraite des algorithmes comme ne faisant pas partie d’un domaine technique (voir par ex. la référence aux travaux préparatoires dans la saisine, page 12). Dans la décision T 1173/97, la Chambre s’est concentrée sur l’effet d’exécuter un algorithme sur un ordinateur, notant qu’il existait toujours un effet technique, ce qui a conduit la Chambre, puisqu’elle reconnaissait la position soutenue par les rédacteurs de la Convention, à formuler son exigence d’un effet technique « supplémentaire ». Seul un programme qui, lorsqu’on l’exécute, produit des effets techniques supplémentaires, peut être considéré comme ayant un caractère technique. De même, il apparaîtrait que le fait que la formulation de tout programme d’ordinateur exige fondamentalement des considérations techniques, au sens où le programmeur doit construire une procédure que la machine puisse exécuter, ne suffise pas à garantir que le programme possède un caratère technique (ou qu’il constitue un « moyen technique » pour reprendre l’expression utilisée par exemple dans la décision T 258/03, Hitachi). Par analogie, on pourrait dire que ceci n’est garanti que lorsque l’écriture du programme exige des « considérations techniques supplémentaires ».

Puisque la Grande Chambre se donne la peine d’invoquer le professeur Donald Knuth, éminent opposant à la brevetabilité des logiciels, ayant répété sa position dans un mémoire en amicus curiæ lors de cette saisine, il convient de souligner le biais fondamental par lequel elle travestit la pensée du professeur émérite de l’université de Stanford.

En effet, les deux éclairages qui aveuglent la grande Chambre ne sont pas distincts. Définir une procédure pour faire qu’une machine accomplisse une certaine tâche, c’est un exercice de pure mathématique ou de pure logique. Car la machine en question – un ordinateur, ou tout appareil programmable – ne fonctionne qu’à partir des instructions mathématiques logiques qui lui sont fournies. La machine de Turing a, effectivement, été conçue pour répondre à un problème mathématique. Mais c’est une machine abstraite, que l’on peut représenter à l’aide d’un septuplet d’équations (Q,Γ,B,Σ,q0,δ,F). Comme le constate la Grande Chambre, elle est hypothétique, sa mise en œuvre concrète suppose un ruban de longueur infinie vers la gauche ou vers la droite.

Dans « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem », Turing donne29 sa version de la thèse de Church : Une suite calculable γ est déterminée par une description d’une machine qui calcule γ… et, en fait, n’importe quelle suite calculable est susceptible d’être décrite en termes d’une table [c’est-à-dire d’une machine de Turing]. Une forme élaborée de cette thèse affirme qu’un concept intuitif, la calculabilité effective, coïncide avec un concept formel et mathématique, la calculabilité, défini de plusieurs façons dont on a pu démontrer mathématiquement qu’elles sont équivalentes.

Aussi, lorsque le professeur Knuth évoque des façons équivalentes de formuler le concept d’une méthode de calcul efficace, il parle de formulations tout aussi mathématiques.

Et si nous voulions singer la Grande Chambre, nous ne pourrions que conclure que nous ne constatons pas dans la littérature mathématique ou informatique de divergence dans ces éclairages et que l’observation est par conséquent irrecevable.

Conclusions à tirer de l’avis de la Grande Chambre

L’OEB est incapable d’évoluer de manière endogène vers un système des brevets juste et efficace

L’avis de la Grande Chambre de recours de l’OEB est éloquent sur l’origine intrinsèque des problèmes générés par l’acceptation de fait des brevets logiciels de la part de l’office.

Dans la dernière citation que nous avons traduite, la Grande Chambre avoue que l’intention des rédacteurs de la CBE était apparemment […] de considérer la formulation abstraite des algorithmes comme ne faisant pas partie d’un domaine technique. Il est ainsi on ne peut plus clair que la décision ayant présidé à la rédaction de la CBE était que les logiciels n’étaient pas brevetables. Mais petit à petit, ainsi que nous l’avons détaillé par ailleurs, l’OEB a relâché cette exclusion de la brevetabilité. Et, la Grande Chambre elle-même reconnaissant explicitement que l’intuition que l’on a du terme « technique » fonde l’exclusion ou l’inclusion des logiciels dans les domaines de la brevetabilité, il devient désormais évident que l’absence de définition de ce terme est une volonté délibérée dans le but de justement pouvoir étendre les domaines de la brevetabilité.

En outre, la Grande Chambre est tout aussi claire sur la désignation d’un responsable de cette extension de la brevetabilité : l’évolution du droit des brevets en Europe est une élaboration juridique conduite par la jurisprudence. Et les conducteurs de cette évolution jurisprudentielle sont les Chambres de recours30.

Or, les Chambres de recours sont parties intégrantes de l’OEB. Et les juges qui y siègent31 sont nommés et congédiés par le Conseil d’administration de l’OEB. C’est-à-dire par des fonctionnaires ministériels nationaux chargés de la politique des brevets et dont la carrière est fortement liée au systèmes des brevets. Qui plus est, l’interaction entre les Chambres de recours et les divisions responsables de l’examen et de la délivrance des brevets est extrêmement forte. Elles font partie de la même organisation – on serait tenté de dire : de la même famille32.

Non moins considérable est l’interaction entre l’Office et les déposants, qui ont tendance à être traités comme des clients devant être satisfaits. Et le fait que le budget de l’Office soit financé par les redevances des détenteurs de brevets concourt à satisfaire les déposants en acceptant leurs demandes plutôt qu’en les refusant, ainsi qu’à étendre le champ des domaines de la brevetabilité. C’est oublier que le système de brevets est fondé sur un contrat social : la société bénéficie d’avantages – diffusion de la connaissance technique – et en échange concède des libertés à l’inventeur – celle d’exploiter son invention comme bon lui semble par monopole limité dans le temps et l’espace. Les clients des systèmes de brevets ne sont donc pas les seuls déposants, mais bien la société dans son ensemble.

Dans un document envoyé à des PME lors d’une consultation en 2006 sur le système de brevets en Europe, la Commission européenne résumait ainsi la situation :

Alors qu’il est à la base un office délivrant des brevets, l’OEB a l’ambition de piloter la politique des brevets aux niveaux européen et international. Il a sa propre culture d’entreprise, avec une compréhension minime de ce qui se passe à Bruxelles dans un contexte plus global. Les initiatives de Bruxelles impliquant des modifications au système multilatéral du brevet européen sont considérées comme des attaques contre les Saintes Écritures. L’OEB est étroitement lié aux offices des brevets nationaux et beaucoup moins au niveau ministériel des États membres. Récemment, l’OEB a été l’objet de critiques croissantes de la part d’euro-députés et de divers États membres de l’UE sur son manque de contrôle politique33.

Ainsi, au sein d’un système des brevets fondamentalement biaisé, replié sur lui-même, caractérisé par une prise de décision technocratique, manquant de légitimité et de contrôle démocratique, les dérives ayant conduit à la brevetabilité des logiciels ne sont que peu surprenantes. Et la Grande Chambre ne cesse de le répéter dans son avis : ce n’est pas à elle de corriger ces dérives.

Le projet d’unification des juridictions liées aux contentieux relatifs aux brevets est voué à l’échec

Hélas, les évolutions actuellement envisagées pour le système des brevets en Europe semblent aggraver plutôt que corriger les dérives actuelles.

Il faut bien avoir à l’esprit qu’à l’heure actuelle, quelles que soient les dérives de l’OEB dans la délivrance de brevets, il est toujours loisible aux tribunaux nationaux d’invalider les brevets accordés. L’OEB ne fait effectivement que délivrer des titres conférant à leurs détenteurs un monopole sur leur invention, mais lorsqu’il s’agit de faire valoir ce monopole contre de présupposés contrefacteurs, une action en justice doit être intentée. Et ce, devant un tribunal national. Dès lors, la véritable validité d’un brevet délivré par l’OEB est soumise au jugement de cours nationales.

Cela a donné lieu notamment à la décision de la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles dans les affaires Aerotel et Macrossan, explicitant la pratique actuelle de l’office des brevets britannique pour refuser les brevets logiciels et sur les méthodes d‘affaires informatisées34. En France, le Tribunal de grande instance de Paris a récemment annulé un brevet sur un moteur de recherche, sur la base de l’absence de brevetabilité, i.e. de l’article 52 (2) et (3) CBE. Au contraire, la division des brevets de la Cour suprême fédérale allemande a déclaré dans une récente décision qu’était technique, et donc brevetable, toute demande dans laquelle des éléments d’un ordinateur universel forment une partie du problème ou de la solution.

Cette potentielle hétérogénéité des décisions, mais surtout le risque causé par l’indépendance vis-à-vis de l’OEB des tribunaux nationaux, ont conduit l’Office à proposer d’intégrer au sein de l’Organisation européenne des brevets, une juridiction unifiée, qui aurait eu une compétence exclusive en matière de litiges liés aux brevets. Ce projet, dénommé EPLA, d’après son acronyme anglais35, a finalement échoué, notamment grâce au climat politique qu’ont su faire naître les opposants à la brevetabilité des logiciels, pour des raisons de compétence de la Commission et des États membres de l’Union européenne : l’Organisation européenne des brevets est une structure interétatique extérieure à l’UE, mais l’acquis communautaire comprend certaines dispositions relatives au droit pénal en matière de brevets, aussi les États membres n’ont pas le droit de signer des accords confiant à une instance externe une compétence en matière pénale risquant d’affecter l’acquis communautaire.

Cependant, le projet d’unification en Europe des juridictions sur les brevets a été repris par la Commission européenne en avril 2007. Ce projet, nommé actuellement36 EEUPC, est toujours en cours de discussion au Conseil de l’Union européenne.

Or, l’EEUPC présente d’inquiétantes caractéristiques à la lumière de ce que nous venons de voir sur les problèmes intrinsèques de l’OEB. En résumé37, la juridiction envisagée devrait avoir une compétence exclusive pour les litiges civils liés à la contrefaçon et à la validité des brevets européens, i.e. les brevets délivrés actuellement par l’OEB qui se traduisent en un ensemble de brevets nationaux, mais également sur de futurs brevets de l’Union européenne, qui seraient des titres uniques, valides à l’échelle de l’Union. Elle devrait comprendre un tribunal de première instance, une cour d’appel et un greffe. Le tribunal de première instance devrait comprendre une division centrale, ainsi que des divisions locales et régionales dans chaque État signataire de l’accord ou selon des regroupements d’États lorsque le nombre d’affaires à traiter est peu élevé. Les divisions nationales et régionales seraient compétentes pour juger des actions en contrefaçon, alors que la division centrale traiterait également des actions directes en invalidité. Un groupe (pool) de juges avec des qualifications soit juridiques, soit techniques, mettrait à disposition ses membres pour la division centrale, ainsi que pour les divisions nationales et régionales, dont les formations comprendraient deux juges nationaux et un juge issu de ce pool. La Cour de justice de l’Union européenne veille au respect du principe de la primauté du droit de l’UE et à son interprétation uniforme via une possibilité pour le tribunal de première instance et une obligation pour la cour d’appel de poser une question préjudicielle à la CJUE. Enfin, la Juridiction du brevet devrait être financée par ses recettes financières propres, composées des frais de procédure et, à tout le moins durant [une] période transitoire, si nécessaire, par des contributions de l’Union européenne et des États contractants qui ne sont pas membres de celle-ci.

Ainsi, alors que nous avons vu que les dérives de l’OEB étaient principalement dues à l’autonomie laissée sans contrôle démocratique à un système fonctionnant selon la politique et les règles qu’il a lui-même adoptées, le projet EEUPC se propose d’éliminer les dernières digues capables de contenir et enrayer ces dérives : les jugements des tribunaux nationaux. On se souvient d’ailleurs que la divergence d’opinions entre les tribunaux nationaux avait déjà été l’un des arguments de la Commission européenne afin de proposer une directive européenne légalisant les brevets logiciels. Avec le projet EEUPC, en éliminant les différents tribunaux nationaux par la création d’une cour des brevets centralisée, cette disparité serait abolie. Alors que celle-ci est en fait importante pour montrer au législateur les points où il existe des divergences d’interprétations et par conséquent où il se doit d’intervenir pour clarifier le droit.

Le principe d’équilibre entre les pouvoirs nécessiterait que la création d’une cour centralisée entre différents États soit contrebalancée avec l’intervention d’un législateur capable de corriger les déviances de cette cour. Or, dans le projet EEUPC, le pouvoir législatif échouerait à l’Organisation européenne des brevets, composée principalement des dirigeants des offices de brevets nationaux. Ni le Parlement européen, ni les parlements nationaux n’interviendraient comme législateurs démocratiquement élus.

Hanns ULLRICH, spécialiste du droit économique européen et international, notamment du droit de la concurrence et du droit de la propriété intellectuelle, a récemment souligné ce danger dans la construction européenne d’un cadre juridique cohérent :

Alors que la Communauté, maintenant l’Union, a développé sa propre politique autonome de modernisation du droit de la propriété intellectuelle, lorsqu’elle l’a tout d’abord harmonisé, puis, lorsqu’elle a unifié, par la création d’un système propre, la protection des marques déposées et des modèles, elle est maintenant sur le point d’abandonner complètement ses pouvoirs d’harmonisation de la protection par le brevet national en faveur d’un système des brevets international autonome et elle veut transférer toute juridiction sur son futur brevet unitaire de l’Union à un système judiciaire autonome.
[…]
Le système actuel de protection de brevets accordés nationalement et par l’OEB sera fondamentalement transformé par la proposition d’une Cour des brevets européens et de l’Union européenne, parce qu’elle fait bien plus que seulement suggérer l’établissement d’un système judiciaire spécialisé pour les brevets. […] Elle introduit un jeu complet de règles sur le droit post-délivrance des brevets puisqu’elle a trait à la portée des droits exclusifs conférés à un détenteur de brevets, y compris dans ces exceptions, définissant ainsi ce qui constitue une contrefaçon (article 14 c) et suivant du projet EEUPC). […] [Ces règles] signifient cependant une transformation du système de l’OEB pour la délivrance de brevets européens en un système de la CBE pour la protection complète par les brevets, système reposant sur ses propres pieds. […] Ni les tribunaux nationaux, ni la CJUE, n’auront leur mot à dire dans son interprétation ou son application, excepté si le droit de l’EEUPC, lorsqu’il traite des brevets européens, ne soulève des problèmes de conflit avec le droit primaire communautaire. […] Il n’y a que l’EEUPC, et non la CJUE, qui puisse interpréter et appliquer le droit de l’EEUPC lorsqu’il traite des brevets européens (le problème a été récemment très bien illustré par le refus de la Grande Chambre de recours de l’OEB de justement soumettre ces questions de l’interprétation des règles 23 et suivantes, désormais 28 d) du Règlement d’exécution, qui transposent l’article 6 de la directive de l’UE sur les inventions biotechnologiques dans le droit de la CBE, à une décision préjudicielle de la CJUE). […] En conséquence, le brevet de la CBE ou « brevet européen » est devenu un choix beaucoup plus attractif qu’un éventuel brevet communautaire ou de l’Union. Il maximalise la protection et minimalise ses charges, telles que celles pouvant résulter de réglementations sur les droits de l’utilisateur antérieur, sur l’utilisation par le gouvernement, ou sur les licences obligatoires en cas d’utilisation insuffisante, de brevets de perfectionnement ou d’urgence publique, puisque toutes ces exceptions et ces charges demeurent nationales. Il est quasiment immunisé contre la modification et il reste largement étanche aux considérations non spécifiques aux brevets qui pourraient être prises en compte par des tribunaux généraux, tels que la CJUE. […] Manifestement, la perte par l’Union de son pouvoir à définir sa propre politique des brevets en harmonisant le droit des brevets délivrés par l’OEB ne peut être compensée par le pouvoir qu’il lui reste d’harmoniser le droit des brevets délivrés nationalement. Dès lors, l’établissement d’un système unitaire de brevets de l’Union devient d’autant plus important, comme un moyen de formuler de manière autonome une politique des brevets pour l’UE qui soutienne sa propre politique d’innovation et qui régule un Marché intérieur tiré par l’innovation. […] Le problème est que, d’un côté, les règles de l’EEUPC seront définies en dernier ressort à travers une négociation internationale et que, d’un autre côté, le parallélisme des règles futures du brevet européen et du futur brevet communautaire ou de l’Union n’existe qu’au regard de ces règles. Ils sont d’origine et de nature différentes. Ainsi, leur parallélisme de facto n’en est pas un dont la CJUE est appelée à s’assurer, ni à maintenir. Cela a déjà été dit à propos du brevet européen, qui est contrôlé par la Cour des brevets européens et de l’Union européenne, c’est également vrai dans la perspective du brevet communautaire. […] Cela signifie plutôt que la CJUE perd tout contrôle sur le brevet communautaire. […] En outre, le transfert de juridiction sur les brevets communautaires exclut cependant également la CJUE de l’exercice de tout pouvoir de contrôle significatif sur l’élaboration des règles du droit des brevets communautaires.
[…]
Pour faire court, on ne peut s’attendre, et ce n’est pas non plus dans la logique du système de l’EEUPC, que l’article 48 [de l’EEUPC sur la transmission de questions préjudicielles à la CJUE] établisse un lien ferme et significatif avec la CJUE en ce qui concerne le droit des brevets de l’Union. Par conséquent, sur cette base, la Cour de justice n’aura aucun rôle à jouer en ce qui concerne l’élaboration des règles de l’Union relatives à sa propre forme unitaire de protection par le brevet. En fait, ce qui est réellement en jeu n’est pas le risque de diversité, ni une garantie d’uniformité, mais la cohérence de l’élaboration de ce corpus de droit en tant que tel et au regard de son imbrication dans le système plus large du droit communautaire et, en particulier, du droit communautaire de la propriété intellectuelle. Si et quand de telles questions de cohérence se posent, il ne s’agit cependant pas d’un sujet sur lequel la Cour internationale et spécialisée des brevets européens et de l’UE devrait décider de soulever ou non une décision préjudicielle. La responsabilité d’une telle cohérence et l’initiative de la porter à l’examen de la Cour de justice devrait plutôt résider au sein des propres institutions de l’Union et, si possible, de ses citoyens.38

Outre ces problèmes de compétence de l’Union européenne, ce qui est hautement critiquable dans le projet EEUPC est bien sa proximité officialisée avec l’OEB et les pouvoirs accrus, quasi-illimités que ce dernier se verra confié dans l’ensemble de la politique européenne des brevets, ainsi que ses répercussions dans des politiques connexes, telles que l’innovation, la concurrence ou les droits et libertés fondamentaux.

En effet, le projet EEUPC ne constitue guère plus qu’une reprise du projet EPLA, élaboré par l’OEB, avec un affichage laissant penser qu’il s’agit d’un projet de l’Union européenne. Pire, alors qu’une précédente version de travail du projet39 stipulait qu’un membre d’une chambre de recours de l’Office européen des brevets ou d’un office national ne peut être juge à la Cour européenne des brevets qu’à l’expiration d’un délai de six mois après avoir terminé ses précédentes fonctions, cette disposition a été supprimée dans les dernières versions40. Il y a donc lieu de s’inquiéter de l’indépendance de la Cour des brevets européens et de l’Union européenne, puisque rien n’interdit désormais qu’elle soit partiellement, voire intégralement, composée de membres des chambres de recours de l’OEB ou, en tant que juges techniques, d’examinateurs de l’OEB ou des offices nationaux. La séparation des pouvoirs n’est dès lors pas garantie.

Heureusement, l’accord est loin d’être trouvé. Le Conseil est en effet en attente d’un avis de la CJUE sur la conformité aux Traités du projet d’accord. Quand bien même cet avis serait positif41, de nombreuses difficultés juridiques ont été soulevées lors de l’audition de la CJUE par différents États membres42, ainsi que par le Parlement européen, qui n’a pas encore pu exprimer son avis sur le sujet. Réunir une majorité qualifiée au Conseil de l’UE reste donc hasardeux, tout autant que d’anticiper sur l’acceptation de cet accord par le Parlement européen. Qui plus est, la question des langues utilisées devant cette nouvelle Cour est extrêmement sensible – et c’est l’un des écueils majeurs ayant empêché depuis plus de vingt ans la conclusion d’un accord sur le brevet communautaire, désormais désigné par brevet de l’UE – et nécessite l’unanimité au Conseil, ce qui, avec notamment l’opposition actuelle de l’Espagne, sera difficile à acquérir. Enfin, un accord entre les États membres de l’UE ne préjuge en rien de son acceptation par les États tiers signataires de la CBE43.

L’échec de l’EEUPC est d’autant plus prévisible qu’il reprend les travers – et en ajoute d’autres – du systèmes des brevets des États-Unis qui disposent d’une juridiction spécialisée et unifiée depuis près de trente ans, et qui s’est révélé être un véritable fiasco…

À l’Ouest, du nouveau ?

Jusque dans les années 80, les affaires relatives aux brevets étaient traitées aux États-Unis par des juges de districts. Puis, en 1982, le Congrès créé une nouvelle Cour d’appel appelée le Circuit fédéral (CAFC, Courts of Appeal of Federal Circuit), chargée d’entendre tous les appels concernant les affaires de brevets. Le professeur de droit et d’histoire du droit à l’école de droit de Columbia, Eben MOGLEN, avocat conseil de la Free Software Foundation et président du Software Freedom Law Center, résume ainsi la création de la CAFC : Rapidement bien sûr cette cour s’est remplie de juristes des brevets. Et ces juristes des brevets ont ensuite fait la loi à la Cour d’appel, qui s’applique à tous les juges de district, qui prenaient encore des décisions de non-spécialistes dont ils avaient peur. Naturellement, le Circuit fédéral s’est avéré être un lieu qui aimait les brevets, et son juge en chef Rich Giles, qui vécu très, très vieux et mourut presque centenaire, était un homme qui aimait particulièrement les brevets sur tout. La Cour pour le Circuit fédéral sous Gilles Rich a en quelque sorte laissé « Diamond contre Diehr »44 perdre de son sens originel et est arrivée à la conclusion que le logiciel lui-même pouvait être breveté.45

L’exemple des États-Unis montre que les juges spécialisés en brevets ont tendance à favoriser les détenteurs de brevets, en interprétant le droit de manière laxiste et notamment en relâchant les critères d’évidence des inventions, ce qui a notamment entraîné la brevetabilité des logiciels et des méthodes d’affaires et une véritable explosion du système des brevets.

Les études économiques de James BESSEN et Michael J. MEURER, s’appuient sur un modèle permettant d’analyser les changements dans le droit des brevets affectant la certitude de la validité des droits conférés par les brevets. Leur conclusion est sans appel : Au début des années 80, toutes les procédures en appel devant, la CAFC nouvellement créée, ont confirmé les jugements de première instance. L’un des objectifs de la création de la CAFC était de rendre plus clairs les droits conférés par les brevets. Au milieu des années 90, l’examen des revendications a été transféré d’un jury vers des juges ; là encore, l’objectif de ce changement était d’accroître la clarté des droits conférés par les brevets. Manifestement, si ces réformes avaient été des succès, nous aurions dû observer une réduction des actions en justice. Cependant, les litiges relatifs aux brevets ont explosé depuis la création de la CAFC46.

En effet, l’explosion aux États-Unis des litiges relatifs aux brevets a récemment amené la Cour suprême à être saisie à maintes reprises, afin de corriger les pratiques abusives de la CAFC. Ainsi, en 2007, dans l’affaire Teleflex contre KSR, la Cour suprême a infligé un cinglant reproche à la CAFC, accusée d’avoir interprété le critère d’évidence47 d’une manière rigide et étroite, incompatible avec le droit des brevets : La section 103 interdit la délivrance d’un brevet lorsque les différences entre l’objet que l’on cherche à breveter et l’art antérieur sont telles que l’objet dans son ensemble aurait été évident au moment de l’invention pour une personne possédant une qualification ordinaire dans le domaine auquel appartient ledit objet48. Et non seulement la Cour suprême a prié la CACF d’appliquer le droit, mais elle lui a fait la leçon sur la raison même pour laquelle ce droit a été instauré : Délivrer une protection par le brevet à des avancées qui se seraient produites en temps normal sans véritable innovation retarde le progrès.49

Ces rappels à l’ordre de la Cour suprême ont conduit la CAFC a revenir à une sage jurisprudence lorsqu’en 2008, elle a confirmé la décision de l’office des brevets des États-Unis de refuser une demande de brevet sur une méthode d’affaires informatisée. Le jugement de la CAFC dans cette affaire – dite « Bilski », du nom de l’inventeur revendiquant le brevet – s’est appuyé sur le test « machine ou transformation » stipulant qu‘un procédé n’est brevetable que s’il est mis en œuvre avec une machine particulière, i.e. spécialement conçue et adaptée pour exécuter le procédé d’une manière qui, de l’aveu général, ne soit pas conventionnelle ni triviale ; ou si ce procédé transforme un article particulier en un état ou une chose différent. Ce test avait notamment été utilisé par la Cour suprême dans les affaires Gottschalk contre Benson en 1972, Parker contre Flook en 1978 et Diamond contre Diehr en 1981 pour réaffirmer la non-brevetabilité des algorithmes et des logiciels – avant que la CAFC, livrée à elle-même n’ignore complètement ces décisions.

L’affaire Bilski a été soumise en mai 2009 à un examen par la Cour suprême dont la décision est attendue avant le mois de juillet 2010. Cette décision, si elle confirme le jugement de la CAFC ou clarifie plus encore l’exclusion des algorithmes et logiciels des domaines brevetables pourrait bien signer la fin des brevets logiciels outre-Atlantique.

Pour revenir au système européen de brevets et à nouveau citer Hanns ULLRICH : Un regard rapide sur les États-Unis nous donne une bonne leçon sur les risques d’une telle isolation jurisprudentielle et sur les difficultés et les efforts de leur Cour suprême pour faire fonctionner correctement le droit des brevets au sein d’un ordre juridique global cohérent50.

Il est important de souligner qu’un tel mécanisme correctif ne peut-être mis en œuvre en Europe. L’avis de la Grande Chambre de recours de l’OEB nous a montré que l’Office est incapable de corriger ses pratiques de manière endogène. La seule instance européenne qui serait à même de remplir ce rôle correctif serait la Cour de justice de l’Union européenne. Mais la CJUE n’a à l’heure actuelle aucun mot à dire sur les brevets délivrés par l’OEB. Et nous avons vu que le projet EEUPC ne permettrait de la saisir qu’accessoirement.

Une reprise en main démocratique du système des brevets est nécessaire

Aussi, lorsque l’action curative s’avère quasiment impossible, seul un acte préventif est à même d’endiguer la progression d’un trouble et de revenir à un état sain. S’il n’existe pas en Europe d’instance juridique capable de corriger les dérives de l’OEB, une législation empêchant ces déviances en premier lieu est nécessaire, voire indispensable. Et c’est exactement ce que demande la Grande Chambre : Lorsque l’élaboration juridique conduite par la jurisprudence atteint ses limites, il est temps pour le législateur de reprendre la main.

Et les universitaires ayant étudié le mode de fonctionnement et la gouvernance de l’OEB se rangent à cet avis, telle Ingrid SCHNEIDER, chercheuse en science politique à l’Université de Hambourg, qui écrit dans la brochure de l’OEB de « Scénario pour le futur » :

Les jugements sur la brevetabilité de nouveaux développements techniques et de nouveaux objets sont inhérents et inévitables. Par conséquent, jusqu’à un certain point, ces décisions doivent certainement être laissées à la discrétion de l’OEB. D’un autre côté, les décisions sur l’éligibilité au brevet sont des actes authentiquement politiques, qui devraient être réservés au législateur. L’interface entre l’OEB et les législateurs européens et nationaux devrait donc être renforcée, et des systèmes de remontée de l’information être établis. En tant qu’obligation volontaire qu’il s’appliquerait à lui-même, l’OEB devrait fournir des rapports annuels qualitatifs sur ses pratiques d’octroi et sur les décisions (en attente) de ses chambres de recours. Cela permettrait au législateur européen d’intervenir sur la politique en matière de brevets, soit par une régulation législative, soit en formant une opposition contre les brevets récemment délivrés. L’OEB devrait également admettre les limites de ses propres compétences en tant qu’organe exécutif. Dans les affaires sensibles ou concernant des décisions sur l’éligibilité au brevet et la portée des brevets dans de nouveaux domaines techniques, il devrait demander le soutien consultatif des législateurs nationaux et européens ou de la Cour de justice [de l’Union européenne]. Une législation spécifique, détaillant les exceptions à l’éligibilité au brevet, ou tout au moins ses limites externes, fournirait une plus grande assistance à l’OEB et aux tribunaux pour déterminer la brevetabilité. En outre, l’OEB devrait aider le législateur européen en surveillant les demandes sur des sujets sensibles, et ainsi utiliser l’information des brevets comme un système d’alerte avancé. Cela permettrait aux activités de régulation extérieures au droit des brevets d’être abordées par les mécanismes de régulation de l’UE, tels que le financement de la recherche, les régulations en matière de santé, d’environnement ou anti-concurrentielles. Il s’en suit que l’équilibre des pouvoirs entre l’UE et l’OEB devrait être établi. Bien que l’OEB ne soit pas une institution de l’Union européenne, tous deux font partie d’un cadre plus large de la gouvernance européenne. La politique en matière de brevets doit résulter d’une communication adéquate et d’une coordination politique entre les multiples niveaux nationaux et supranationaux, ainsi qu’en les organes législatif, judiciaire et exécutif51.

L’April et les opposants aux brevets logiciels ont depuis longtemps formulé cette demande et proposé des exigences et solutions pour élaborer une telle législation :

  1. l’OEB doit mettre un terme à l’octroi de brevets sur les logiciels et les méthodes d’affaires, cesser de faire la promotion de ses propres règles définissant la brevetabilité, et en lieu et place suivre la voie tracée par les tribunaux nationaux et le Parlement européen ;
  2. l’Union européenne doit bâtir son système des brevets en commençant par ses fondations, en créant un droit du brevet UE qui absorberait et remplacerait la Convention sur le brevet européen ;
  3. le futur système de « propriété intellectuelle et industrielle » en Europe doit être organisé de manière allégée et intégrée pour favoriser des droits d’exclusions qui soient rapides, peu onéreux et ciblés ; une première étape dans cette direction pourrait consister à débureaucratiser les examens et à faire payer les pollueurs ;
  4. tant qu’il n’existe pas de cadre constitutionnel permettant de légiférer démocratiquement à l’échelle européenne, les législateurs doivent s’abstenir de créer une institution judiciaire centralisée ; les tribunaux nationaux doivent continuer d’être des voies alternatives dotées d’un rôle correctif ;
  5. toutes les lois et les règles mises en œuvre par de nouveaux tribunaux à l’échelle européenne doivent être sujettes à l’examen et au contrôle de législateurs élus ; les États signataires de la CBE doivent transférer les pouvoirs législatifs correspondants au Parlement européen et aux parlements nationaux.

Il est donc temps que le législateur démocratique européen, i.e. le Parlement européen et les parlements nationaux reprennent en main le système des brevets en Europe.

Liens

Documents officiels sur la saisine

Jurisprudence citée dans la saisine et dans l’avis rendu par la Grande Chambre

Mémoires en amicus curiæ relatifs à la saisine

Commentaires sur l’avis rendu par la Grande Chambre

Notices de Wikipédia

Articles divers sur les brevets logiciels

  • 1. Cette page n’est pas numérotée, l’avis comporte donc 55 pages numérotées en plus de cette en-tête. Cependant lorsque nous nous référons à une pagination dans le présent article, nous prenons en compte cette page de couverture, de manière à ce que le lecteur puisse accéder à la page qui est décrite selon la numérotation de son logiciel visionneur de documents PDF.
  • 2. Cf. la décision intermédiaire du 16 octobre 2009 de la Grande Chambre de recours de l’OEB au cours de l’examen de la présente saisine.
  • 3. Pages 2 à 4.
  • 4. On consultera avec intérêt le mémoire de l’office des brevets polonais.
  • 5. Pages 5 à 23.
  • 6. La traduction des citations est assurée par nos soins afin de faciliter la compréhension du lecteur francophone, elle ne constitue pas l’avis officiel de la Grande Chambre de recours de l’OEB, disponible uniquement en anglais lors de l’écriture de cet article – dernière vérification, le 15 juin 2010.
  • 7. Qu’on abrège habituellement par OrgEB pour la distinguer de l’OEB, abréviation utilisée couramment pour l’Office européen des brevets.
  • 8. Ainsi, l’Union syndicale de l’Office européen des brevets, représentant le personnel de l’OEB, dénonçait dans une lettre adressée au blog IAM : « Les dirigeants des délégations nationales au Conseil d’administration sont presque sans exception dirigeants de leurs offices nationaux respectifs. Pour la plupart des offices nationaux, leur part de 50% des taxes annuelles [de l’OEB] constitue une proportion très substantielle de leur budget annuel (dans plusieurs cas, bien au dessus de 50%). Dans leurs fonctions de dirigeants des offices nationaux, ces dirigeants des délégations ont ainsi un intérêt à avoir de nombreux brevets délivrés, et à ce qu’ils soient délivrés rapidement. ».
  • 9. Selon l’article 15 et la règle 9 de la CBE, l’Office européen des brevets est organisé sur le plan administratif en directions générales, auxquelles sont rattachés une section de dépôt, des divisions de la recherches, des divisions d’examen, des divisions d’opposition, une division juridique, des chambres de recours et une Grande Chambre de recours, ainsi que les services créés pour traiter les questions juridiques et l’administration interne de l’Office.
  • 10. Traduction par nos soins.
  • 11. Cf. la notice en anglais de Wikipédia sur la procédure d’appel à l’OEB, citant le mémoire en amicus curiæ du professeur Joseph Straus : « Depuis que l’étude Sedemund-Treiber/Ferrand Study a été soumise au Conseil d’administration de l’Organisation européenne des brevets, rien ne s’est passé pour amélioré l’indépendance institutionnelle des Chambres de recours. Au contraire, il semble que ce soit l’inverse. », traduction par nos soins.
  • 12. Nous graissons.
  • 13. D’aucuns craignent actuellement, à l’instar des juridictions nationales et du public, que l’étendue de l’exclusion ait été interprétée de manière trop restrictive dans certaines décisions des chambres de recours. Or, l’Office européen des brevets devrait à l’évidence frayer la voie à l’harmonisation de la pratique au sein des offices de brevets en Europe
  • 14. Traduction par nos soins.
  • 15. On ne manquera pas de noter que la Grande Chambre précise que si la décision T 424/03 n’a pas été remise en cause par une décision ultérieure d’une Chambre de recours de l’OEB, les décisions des tribunaux nationaux sont une autre question, mais qui ne peut être prise en compte pour l’admissibilité [de la saisine]. Or, c’est dans une décision de l’office britannique remettant en cause les pratiques de l’OEB que le juge JACOB avait demandé à ce que la Grande Chambre soit saisie, ce qui lui avait été refusé par le président Alain POMPIDOU, avant que son successeur, Alison BRIMELOW, ne le fasse, mais avec des questions beaucoup moins pertinentes que celles suggérées par le magistrat anglais.
  • 16. Voir par exemple, la brochure Des brevets pour les logiciels publiée par l’OEB en 2009.
  • 17. Cf. par exemple un rappel de la position du Parlement européen en première lecture de la directive sur les brevets logiciels : « La position du Parlement est parfaitement conforme à la fameuse décision Freinage non bloquant (Anti Blocking System, ABS) de la Cour fédérale allemande. Elle autorise des brevets sur tout procédé apportant une nouvelle connaissance empirique sur les forces de la nature (ex. les relations entre la température et les frottements dans les freins d’automobile), indépendamment du fait qu’un tel procédé soit contrôlé par un ordinateur ou non. ».
  • 18. Le jargon de l’OEB utilise l’expression état antérieur de la technique. Cependant nous n’avons pas voulu troubler le lecteur en ajoutant à la confusion sur le terme technique et nous employons donc plus simplement l’expression ce qui était connu auparavant. Qui plus est, le terme de technique n’est ici utilisé que dans la traduction officielle française en vigueur à l’OEB. On parle en anglais de prior art, i.e. d’état de l’art, selon la traduction commune.
  • 19. Nous avons traduit dans cet article computer-readable media par support informatique pour plus de fluidité en français que la traduction littérale média lisible par un ordinateur, ou que la traduction choisie dans le texte de la saisine, moyen d’enregistrement de données déchiffrables par ordinateur, dont le manque de clarté et la potentielle confusion qu’elle engendre se passent de commentaire. Ainsi, littéralement, la Grande Chambre a considéré ici qu’un des effets techniques de tout média lisible par ordinateur est d’être lisible par ordinateur, sic !
  • 20. La Grande Chambre utilise ici la formulation de la deuxième question de la saisine : l’utilisation d’un ordinateur ou d’un moyen d’enregistrement de données déchiffrables par ordinateur.
  • 21. Nous graissons.
  • 22. Page 42.
  • 23. Pages 25 à 43.
  • 24. La Grande Chambre donne l’exemple par l’absurde de l’affirmation : Les tigres mangent de la viande. Or, viande est un mot. Donc, les tigres mangent des mots. Elle évoque aussi, sans craindre que cela ne ridiculise son propre raisonnement, le passage suivant de Lewis CARROLL : « Le nom de la chanson s’appelle : “Yeux de Morue”. » « Ah, c’est donc là le nom de la chanson », dit Alice, en essayant de prendre intérêt à ce qu’on lui disait. « Non, vous ne comprenez pas, répliqua le Cavalier, quelque peu contrarié. C’est ainsi qu’on appelle “le nom“ de la chanson. Son nom, à elle – la chanson – en réalité, c’est “Le très vieil homme”. » « Alors, j’eusse dû dire : c’est ainsi que s’appelle la “chanson“ », rectifia Alice. « Pas du tout : c’est encore autre chose. La “chanson” s’appelle “Procédés et Moyens” : mais c’est seulement ainsi qu’elle “s’appelle”, ce n’est pas la chanson elle-même, voyez-vous bien ! » « Mais qu’est-ce donc, alors, la chanson elle-même ? », s’enquit, complètement éberluée, Alice. « J’y arrive, dit le Cavalier. La chanson elle-même, à vrai dire, c’est “Assis sur la Barrière”; et l’air en est de mon invention. », De l’autre côté du miroir et de ce qu’Alice y trouva, traduction française par Henri PARISOT.
  • 25. Pages 43 à 49.
  • 26. Pages 49 à 51.
  • 27. Pages 52 à 55.
  • 28. Page 54 et 55.
  • 29. Page 239.
  • 30. Comme le constatait la chercheuse à l’Université de Hambourg, Ingrid SCHNEIDER, lors d’un atelier au Parlement européen : « la délivrance des brevets et les décisions des Chambres de recours constituent une interprétation de la CBE et, par conséquent, une prise de décision politique implicite, masquée comme n’étant guère qu’une application technique et administrative du droit », traduction par nos soins.
  • 31. Même s’ils ne sont pas qualifiés officiellement de « juges » mais, simplement de « membres » et même si nous sommes justement en train de critiquer leur manque d’indépendance, d’impartialité et de légitimité, nous nous rangeons du côté de l’avis du juge Jacob qu’ils « ont tout du juge, sauf le nom », traduction par nos soins.
  • 32. Le directeur du service juridique du Conseil de l’Union européenne, Hubert LEGAL, ancien juge au Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE), parle des magistrats spécialistes des brevets comme d’un « microcosme », voyant l’intervention d’un juge qui « ne se sentirait aucunement liée par leurs habitudes, leurs présupposés et leur doctrine », comme « l’intrusion d’un éléphant dans le magasin de porcelaines », faisant preuve « d’irrespect des usages d’une discipline, je dirais presque d’une corporation, déjà ancienne ».
  • 33. Traduction par nos soins.
  • 34. C’est à partir de cette décision que le juge JACOB avait suggéré des questions à poser pour une saisine de la Grande Chambre de recours de l’OEB.
  • 35. European Patent Litigation Agreement (Accord sur le règlement des litiges en matière de brevet européen).
  • 36. En effet, ce projet a connu diverses appellations au cours de son élaboration. Tout d’abord, EU-EPLA, pour signifier l’intégration au sein de l’Union du projet EPLA. Puis, UPLS, pour Unified Patent Litigation System (Système unifié des litiges sur les brevets). Ensuite, ECPC, pour European and Community Patent Court (Cour des brevets européens et communautaires), lorsque le Conseil de l’Union européenne a décidé que cette juridiction traiterait non seulement du brevet européen, celui délivré actuellement par l’OEB qui se traduit en un ensemble de brevets nationaux, mais également du futur brevet communautaire, qui serait un titre unique, valide à l’échelle de l’Union). Enfin, EEUPC, pour European and European Union Patent Court (Cour des brevets européens et de l’Union européenne), le brevet communautaire étant devenu, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le brevet de l’Union européenne.
  • 37. Les citations qui suivent sont issues des conclusions du Conseil sur un système de brevets amélioré en Europe qui ont été adoptées par le Conseil « Compétitivité » lors de sa session du 4 décembre 2009.
  • 38. Traduction par nos soins.
  • 39. Document 7728/08 du 19 mars 2008
  • 40. Notamment celle soumise à la CJUE, document 7928/09 du 23 mars 2009.
  • 41. Au vu des auditions de la CJUE qui se sont tenues le 18 mai 2010, les commentateurs en doutent, tels Jochen PAGENBERG, consultant juridique à Munich, qui en conclut : « Que peut-on attendre de l’avis de la CJUE ? Une réponse clairement affirmative en faveur de la compatibilité du présent accord est hautement improbable, au vu des questions persistentes et des doutes sérieux concernant le manque de contrôle juridique de l’UE sur la procédure de délivrance de l’OEB. Au-delà, le plus probable est que la Cour abordera la base juridique controversée entre les États membres sur le système de cour [des brevets européens et de l’UE] dans son ensemble, et en particulier en ce qui concerne une juridiction combinée pour les brevets de l’UE et les brevets européens, et que cela sera difficilement résolu à la satisfaction de tous les États membres. », traduction par nos soins.
  • 42. L’Espagne, la Grèce, l’Irlande, la Littuanie, le Luxembourg, l’Italie et Chypre. Dans une moindre mesure, la France objecte que l’accord devrait être amendé quant aux procédures relatives aux questions préjudicielles que la Cour des brevets nouvellement créée pourrait ou devrait soumettre à la CJUE.
  • 43. La Suisse, le Liechtenstein, Monaco, la Turquie, l’Islande, la Croatie, la Norvège, la Macédoine, Saint-Marin et l’Albanie.
  • 44. Jugement de la Cour suprême des États-Unis du 3 mars 1981, rappelant clairement qu’on ne peut pas breveter un logiciel car il s’agit seulement d’un ensemble d’instructions, ou algorithme, et les lois abstraites de la nature ainsi que les algorithmes ne sont pas brevetables aux États-Unis.
  • 45. Traduction par Emmanuel Charpentier et Gérald Sédrati-Dinet.
  • 46. Traduction par nos soins.
  • 47. L’équivalent dans le droit des brevets des États-Unis du critère d’activité inventive selon l’OEB.
  • 48. Traduction par nos soins.
  • 49. Traduction par nos soins.
  • 50. Traduction par nos soins.
  • 51. Traduction par nos soins.