Brevets logiciels : recadrage historique de la Cour Suprême des États-Unis

Paris, le 20 juin 2014. Communiqué de presse.

Le 19 juin 2014, la Cour suprême des États-Unis a enfin posé des limites à la brevetabilité des logiciels. Dans une décision unanime les juges ont rejeté les brevets mis en cause dans l'affaire Alice v. CLS Bank. Tout comme la Free Software Foundation, l'April se réjouit de cette décision qui, si elle concerne les États-Unis uniquement, est un signal fort contre les brevets logiciels. Elle souligne également que cette décision de la Cour Suprême expose l'importance de pouvoir recourir à une juridiction généraliste et indépendante sur la question des brevets, pour limiter les dérives des cours spécialisées - et redoute l'absence d'une telle protection dans le cadre du futur brevet unitaire européen.

Si la décision ne mentionne pas explicitement les brevets logiciels1, elle réduit le champ de la brevetabilité, en affirmant que le fait qu'une idée abstraite soit appliquée par le biais d'un ordinateur ne suffit pas à la rendre brevetable. Cela tord le cou à une interprétation trop extensive par la cour spécialisée sur les brevets (appelée Cour of Appeal of the Federal Circuit, CAFC) aux États-Unis d'une ancienne décision de la Cour Suprême, Diamond v. Diehr, qui considérait qu'une invention était brevetable dès qu'elle était implémentée par ordinateur2.

« Cette décision est une excellente nouvelle pour l'informatique en général et pour le logiciel libre en particulier », explique Jeanne Tadeusz, responsable des affaires publiques de l'April. « Cela réactive le principe fondamental selon lequel les idées sont de libre parcours, c'est-à-dire que c'est leur application matérielle qui est encadrée par le droit. Le simple fait de la mettre en place par ordinateur ne suffit pas à la rendre brevetable.»

Si cela n'interdit pas explicitement tous les brevets logiciels, cela permet au moins de les circonscrire. L'April se réjouit donc de la décision, mais souligne aussi l'importance d'avoir une juridiction suprême généraliste, qui ne soit pas incluse dans un microcosme des brevets. En effet, les cours spécialisées avaient toutes validé ce type de brevets logiciels ; seule la cour suprême les réfute. La mise en parallèle de ce système avec celui proposé par le brevet unitaire européen souligne les dangers de ce dernier : avec uniquement des juridictions spécialisées, peuplées de spécialistes des brevets, le futur système européen risque fort de ne pas permettre de tels recadrages.

« Les vannes des brevets logiciels ont été ouvertes aux US parce que la CAFC a interprété Diamond v Diehr comme permettant la brevetabilité d'un procédé mis en œuvre par ordinateur, parce qu'il implique un ordinateur » explique Gérald Sédrati-Dinet, spécialiste des brevets pour l'April. « La cour suprême dit ici que cette interprétation est fausse. Quand la juridiction unifiée des brevets européenne entérinera qu'un logiciel est brevetable parce qu'il est technique, certains logiciels devront être considérés comme techniques et d'autres au contraire “en tant que tels”. Et aucune Cour suprême ne pourra corriger cela en réaffirmant l'évidence : un logiciel est un logiciel, point barre. Il n'y a pas de distinction à faire entre des logiciels techniques et d'autres qui ne le seraient pas. »

« La mobilisation contre les brevets logiciels continue », conclut Frédéric Couchet, délégué général de l'April. « Cette décision est une bonne nouvelle, mais une réforme du système des brevets n'est pas suffisante. Il est nécessaire d'obtenir l'interdiction pure et simple des brevets logiciels, qui sont un grave danger notamment pour la liberté de programmer ».

L'April continuera le travail qu'elle mène depuis près de 15 ans contre les dangers du brevet logiciel et contre la confiscation du savoir par quelques grands monopoles, et a besoin du soutien et de la participation de toute personne, de toute organisation opposée aux brevets logiciels.

Citation de la décision de la cour suprême, détaillant le danger des brevets logiciels :

We must distinguish between patents that claim the “buildin[g] block[s]” of human ingenuity and those that integrate the building blocks into something more, thereby “transform[ing]” them into a patent-eligible invention. The former “would risk disproportionately tying up the use of the underlying” ideas, and are therefore ineligible for patent protection. The latter pose no comparable risk of pre-emption, and therefore remain eligible for the monopoly granted under our patent laws.

Nous devons faire la distinction entre les brevets qui revendiquent les « briques de base » de l'ingéniosité humaine et ceux qui intègrent ces briques de base dans quelque chose qui va au-delà, les « transformant » de ce fait en une invention susceptible d'être brevetée. Les premiers « risqueraient d'assujettir de manière disproportionnée l'utilisation des idées sous-jacentes », et sont par conséquent inéligible à une protection par un brevet. Les derniers ne pose aucun risque comparable de préemption et dès lors demeurent éligibles pour le monopole qu'octroie notre droit des brevets. (Traduction par nos soins)

À propos de l'April

Pionnière du logiciel libre en France, l'April est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du Logiciel Libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone. Elle veille aussi, à l'ère du numérique, à sensibiliser l'opinion sur les dangers d'une appropriation exclusive de l'information et du savoir par des intérêts privés.

L'association est constituée de plus de 3 600 membres utilisateurs et producteurs de logiciels libres.

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Contacts presse :

Gérald Sédrati-Dinet, conseiller bénévole sur les brevets, gibus@unitary-patent.eu +33 6 60 56 36 45
Frédéric Couchet, délégué général, fcouchet@april.org +33 6 60 68 89 31
Jeanne Tadeusz, responsable affaires publiques, jtadeusz@april.org +33 1 78 76 92 82

  • 1. Pour plus d'information sur les brevets logiciels et leurs dangers, n'hésitez pas à consulter la synthèse de l'April à ce sujet.
  • 2. "the claims in Diehr were patent eligible because they improved an existing technological process, not because they were implemented on a computer".