Vidéosurveillance et fichage - Sylvain Steer - Fréquence protestante

surveillance-camera, image Wikimedia Commons

Titre : Vidéosurveillance et fichage
Intervenants : Sylvain Steer - Nathalie Zanon
Lieu : Fréquence protestante - Mouvement international de la réconciliation
Date : juin 2019
Durée : 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Site de l'émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Simple silhouette image/symbol showing a CCTV surveillance camera mounted on a wall (not visible), Wikimedia Commons - Licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Nathalie Zanon : Au micro Nathalie Zanon. Nous allons parler aujourd’hui de restrictions à nos libertés, de vidéosurveillance, de politiques locales de sécurité, de fichage, de biométrie, j’en passe et des meilleurs, avec Sylvain Steer de l’association CECIL1, Centre d’études sur la citoyenneté, l’informatisation et les libertés et aussi de l’association La Quadrature du Net2. Bonjour Sylvain.

Sylvain Steer : Bonjour.

Nathalie Zanon : Peut-être deux mots d’abord sur ces associations, pour qu’on se situe un peu.

Sylvain Steer : Ce sont deux associations dont la thématique est assez proche, c’est-à-dire la lutte contre les restrictions aux libertés qui sont faites dans les enjeux du numérique, donc la promotion et la défense des droits et libertés fondamentales face aux enjeux du numérique, avec le CECIL qui est plutôt axé sur des logiques d’éducation populaire, de transmission, de partage entre personnes, citoyens, journalistes, sur ces questions et La Quadrature du Net qui est plutôt axée sur des questions d’influence citoyenne, d’essayer de lutter contre des volontés politiques de textes sécuritaires ou d’agir en justice contre des lois qui auraient pu être adoptées, qui restreignent les libertés. Il y a un mode d’action plus…

Nathalie Zanon : Lobbying.

Sylvain Steer : La Quadrature est plus une association de lobbying que le CECIL qui est plutôt axée vraiment sur l’éducation populaire. La Quadrature en fait aussi un peu, fait aussi de la transmission et de l’éducation, mais essaye d’agir plus largement directement sur les textes de différentes façons

Nathalie Zanon : Faisons un petit peu un point, on va prendre la vidéosurveillance, par exemple.

Sylvain Steer : C’est parti pour la vidéosurveillance.

Nathalie Zanon : Qu’est-ce qu’on peut en dire ? Quel est son développement aujourd’hui ? Quelles sont les restrictions, les lois ?

Sylvain Steer : La vidéosurveillance. Il y a un mouvement qui continue depuis longtemps. Il y a des développements récents, que je vais voir après, sur toutes les questions de reconnaissance faciale où on essaye de développer encore plus le poids de ces outils. Autrement, la vidéosurveillance, je dirais que c’est quelque chose qui s’est étendu assez largement les cinquante dernières années où on a une explosion de ces mécanismes portés notamment par les acteurs privés qui surveillent très lourdement l’intérieur de leurs bâtiments et aussi, du coup, l’État, principalement par le biais des mairies qui considèrent que c’est un outil utile pour limiter la criminalité dans leurs villes. Globalement, on constate que ça la déplace, ça a une efficacité assez limitée. Pour ça on peut voir les travaux de Laurent Mucchielli ou un autre bouquin, je ne sais plus l’auteur [Élodie Lemaire], qui s’appelle L’œil sécuritaire. Bref ! Globalement la recherche sur la question montre que la vidéosurveillance coûte très cher et c’est peu efficace.

Nathalie Zanon : Quand même ! Il y a eu des terroristes ou des délinquants qu’on a retrouvés grâce à ça !

Sylvain Steer : Ça ne sert qu’à ça la surveillance, ça sert à pouvoir accélérer l’élucidation d’affaires. Globalement,il y a beaucoup de façon d'identifier les terroristes, parce que ce sont souvent des actions très explosives, très visibles, donc ce n’est pas le cas où la vidéosurveillance sert le plus. Par contre, dans le cadre d’élucidations d’affaires précises, oui, la vidéosurveillance sert parfois, c’est juste que ça coûte très cher à côté et son usage reste limité. Après, c’est un outil comme un autre qui a ses limites, qui a ses usages, qui mérite d’être évalué. Et globalement les évaluations montrent qu’il y a beaucoup de cas où elle pose problème parce qu’en plus les caméras ne sont pas forcément entretenues, il y a un abus de certains usages et tout ça crée une surveillance assez constante qui peut facilement dériver.
On a des volontés – je commence à expliquer – de pas mal d’acteurs politiques de coupler tous ces mécanismes de vidéosurveillance qui est maintenant très présente, de prendre un peu l’exemple de la Chine sur ça et déjà d’y ajouter un monitoring, d’ajouter plus de personnes derrière les caméras, parce qu’à l’heure actuelle il y a beaucoup de caméras où, en fait, les bandes sont peu exploitables ou ne sont pas exploitables parce qu’il n’y a personne derrière. Parfois même, dans le cadre d’élucidations d’affaires, on se rend compte qu’elles ne sont pas enregistrées ou que ça ne va pas. Augmenter ça, à la limite c’est cohérent, mais surtout d’y adjoindre des outils numériques d’analyse automatique de ce qui se passe devant les caméras pour faciliter le travail de la police. C’est notamment la volonté de Christian Estrosi et de monsieur Ciotti dans le Sud de la France qui déposent très régulièrement à l’Assemblée nationale des volontés de coupler à la vidéosurveillance des mécanismes de reconnaissance faciale automatique pour essayer d’identifier, comme ça, des personnes dans les foules.
Par exemple ils ont fait une expérimentation dans le cadre du carnaval de Nice, il y a quelques mois, pour faire de la reconnaissance faciale automatique sur la population. Là il y a des risques de dérives assez conséquents, c’est clairement d’inspiration chinoise de « on veut avoir des profils qu’on veut trouver dans une foule et on va, du coup, faire de la surveillance de masse de toutes les personnes qui sont dans la foule. On va scanner tous leurs visages pour essayer de trouver les personnes qui nous intéressent ».

Nathalie Zanon : On cherche des visages particuliers de personnes particulières ou des visages types ? On cherche des personnes spéciales, en fait, qui sont recherchées par la police ?

Sylvain Steer : Non. Les volontés sécuritaires pourraient aussi aller, après, pour des visages types. À l’heure actuelle les demandes qui sont faites, c’est notamment ce qui a déjà pu être fait en Angleterre sur le carnaval de Nothing Hill où ils cherchaient des personnes types. Il y avait une liste, j’ai un doute sur le chiffre, mais, en gros, 17 personnes étaient recherchées. Ils ont scanné tous les visages de toutes les personnes, en tout cas d’un grand nombre de personnes qui participaient au carnaval de Notting Hill pour essayer de trouver des personnes qui étaient recherchées. Au final ils ont arrêté des personnes, mais il n’y en avait aucune qui était recherchée. Il n’y avait que des faux positifs. En fait, il suffit d’un faible taux d’erreur. Comme on le compare à une large base de manifestants, en fait il suffit d’un faible taux d’erreur de l’algorithme pour faire énormément de faux positifs. En l’occurrence, là, aucune des personnes qui étaient recherchées n'a été interpellée et c’est un des problèmes de ce type d’outil. La logique, effectivement, c’est surtout d’essayer d’identifier dans des foules des personnes qu’on recherche pour différentes raisons.

Nathalie Zanon : Dans le privé, vous disiez, on a le droit d’installer des caméras absolument partout à partir du moment où on est chez soi ou dans son entreprise ? Quelles sont les règles ?

Sylvain Steer : Chez soi ou dans son entreprise c’est assez différent. C’est largement encadré par les règles sur la protection des données personnelles.
En l’occurrence, chez soi il y a globalement une certaine liberté. En fait, à partir du moment où des personnes viennent chez soi on réalise un traitement de données personnelles, donc il faut respecter les règles sur les traitements de données personnelles, donc il faut un fondement légal, il faut un certain nombre de caractéristique, mais, on va dire que pour l’installer chez soi…

Nathalie Zanon : Et chez les sois collectifs, comme les immeubles, c’est pareil ?

Sylvain Steer :Ah non ! Pour les immeubles, dès qu’on va toucher des personnes qui ne sont pas nous-mêmes, qui ne sont pas des personnes qui ont valablement consenti à la vidéosurveillance, là il y a des règles à respecter. Typiquement les entreprises n’ont pas le droit de vidéo-surveiller leurs salariés en permanence. La CNIL, la Commission nationale informatique et libertés, qui est l’autorité de contrôle qui s’occupe de la protection des données personnelles, a eu un grand nombre de positionnements et de décisions administratives, avec aussi des décisions de justice qui en ont découlé, sur le fait qu’il n’est pas possible de surveiller de façon constante ses salariés et que, dans le cas de vidéosurveillance, il faut déjà une information des personnes qui vont être concernées. C’est pour ça que vous avez devant les magasins où il y a de la vidéosurveillance « attention ce lieu est — on dira — vidéo-protégé » donc vidéo-surveillé, il faut une information. Il faut que la surveillance soit proportionnelle au but poursuivi. Par exemple, si on a eu différents cas de vols, on peut justifier de faire de la vidéosurveillance dans certains cadres, mais pas de surveillance constante de personnes, pas de surveillance sur l’espace public.

Nathalie Zanon : Dans les cabines d’essayage bien sûr.

Sylvain Steer : Pas de surveillance dans les cabines. Il va y avoir un certain nombre de règles à respecter pour avoir le droit de faire ça.

Nathalie Zanon : Ce sont des sociétés ? Quelles sont les sociétés qui installent et qui, du coup, traitent les données dans ces différents cas ?

Sylvain Steer : Souvent le matériel est acheté et il est géré en interne.

Nathalie Zanon : Du coup, par exemple dans un magasin, ce sont les propriétaires du magasin ou les employés qui gèrent ?

Sylvain Steer : Je ne suis pas du tout spécialiste. Dans la grande distribution, là où il y a des équipes importantes, oui, ce sont les équipes de sécurité ; dans la majorité des cas, je pense, les bornes de sécurité vont être gérées en interne. Je pense que dans des petits magasins, souvent, ce sont des bandes qui ne sont pas consultées, c'est-à-dire qu'on les garde justement pour faire de la résolution après coup.

Nathalie Zanon : En cas de problème.

Sylvain Steer : Mais autrement je n’ai pas connaissance de tous les détails de l’écosystème de vidéosurveillance.

Nathalie Zanon : Et au niveau public, vous disiez que dans la rue ce n’est pas autorisé ?

Sylvain Steer : Si, ça peut être autorisé.

Nathalie Zanon : En fait ça ressort du maire de chaque commune ?

Sylvain Steer : Oui, du maire, du préfet, ça va dépendre des situations, ça dépend des autorités publiques de faire des choix. Pareil, il faut respecter un certain nombre de règles, mais globalement, dans des logiques sécuritaires, il y un très faible frein des autorités au pullulement des caméras de vidéosurveillance.

Nathalie Zanon : Quels problèmes cela vous pose-t-il ? Si on n’a rien à se reprocher, ce n’est pas gênant !

Sylvain Steer : Là il y a deux choses. Il y a la question de la vidéosurveillance et, dans votre question, il y a ce qu’on appelle le mythe du « rien à cacher ». Le mythe du « rien à cacher » c’est un outil rhétorique qui est souvent opposé quand on milite contre les abus de la surveillance, contre les surveillances illégitimes. C’est un individu qui va dire « non, ce n’est pas grave qu’on fouille toutes mes communications internet, que tout soit surveillé, parce que moi je n’ai rien à cacher ». C’est un mythe qui pose plein de problèmes et qui est extrêmement fallacieux pour plein de raisons. En fait, la question de la vie privée ce n’est pas qu’une histoire de « rien à cacher » dans un moment précis. La vie privée est une notion collective qui dépend d’une liberté fondamentale : on en a besoin, en tant que société, pour évoluer. C’est-à-dire qu’un des premiers contre-arguments c’est : si un individu n’a pas, à un moment t, quelque chose à se reprocher d’un État ou de différentes personnes, en fait peut-être que dans le futur que cet État évoluera, cet État évoluera vers un État plus totalitaire, vers un État qui va s’en prendre directement à lui. Donc c’est un pari sur le futur de dire « moi je n’ai à rien à cacher maintenant, donc c’est bon. Épiez toute ma privée, tout ce que je fais. Ce n’est pas grave parce que je ne subis pas la répression de l’État ». C’est aussi un abandon des personnes qui subissent déjà des répressions illégitimes. Il faut se dire qu’il y a effectivement des personnes qui ont des choses à cacher à l’État pour des motifs valables. Il y en a aussi qui l’ont pour des motifs pas valables, donc il y a un équilibre à trouver qui est absolument nécessaire.

Nathalie Zanon : Pour des motifs valables, qu’est-ce que vous entendez ? Donnez-moi un exemple. Quelque chose qu’on puisse avoir à cacher à un État pour un motif valable.

Sylvain Steer : Par exemple des militants politiques qui vont défendre ces causes écologistes, qui ont besoin d’avoir un agenda politique qui va mettre l’État dans ses contradictions par rapport à ces questions-là. Si l’État a cette information avant que l’action ne soit, par exemple, mise en place, en fait l’État pourra contrôler. Ce qu’il faut comprendre derrière ça c’est que la surveillance c’est une notion de contrôle, c'est-à-dire que quand on surveille quelqu’un, qu’on surveille une population, c’est pour la contrôler. Ça ne veut pas dire que ça va directement agir sur les personnes ; en fait, cette information-là va servir le pouvoir contre ces personnes, ça peut être valable comme ça peut ne pas l’être.

Nathalie Zanon : Ce qui m’inquiète plutôt dans cette histoire de contrôle et de surveillance c’est qu’on met en place des outils, des habitudes qui, pour l’instant peut-être, ne sont pas très gênants, mais qui, si le gouvernement changeait et était moins démocratique, pourraient le devenir.

Sylvain Steer : Ça c’est ce que j’expliquais sur le pari sur l’avenir. Il faut aussi questionner la pratique du gouvernement déjà à l’heure actuelle.

Nathalie Zanon : Déjà aujourd’hui ?

Sylvain Steer : C’est à chacun d’en être juge, mais, en tout cas, je pense que tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a des choses qui sont à améliorer, qu’il y a besoin que la société évolue sur certains aspects, typiquement sur des questions démocratiques, sur des questions d’audition, enfin que des personnes qui sont dans des classes dominées, qui sont opprimées, puissent, elles, faire valoir leurs droits. Ça, ce sont des questions qui se posent à toutes les sociétés, pas seulement à des gouvernements qu’on va présenter comme totalitaires, comme directement répressifs. On a l’exemple de la Chine où il y ce gros problème, ou les exemples du passé ou ceux des dystopies comme 1984. L’État actuel a déjà besoin d’évoluer. Donc ces outils de contrôle servent à limiter, donc la surveillance comme un outil de contrôle sert à essayer de limiter l’évolution de l’État, l’évolution des problématiques qui pourraient être valablement défendues par quiconque.

Nathalie Zanon : À votre connaissance, y a-t-il des différences dans les pays européens ? Dans les pays du Sud, du Nord, est-ce qu’il y a des positions différentes par rapport à ce sujet de vidéosurveillance ou de fichage plus généralement ?

Sylvain Steer : Sur les questions de fichage, il y effectivement des pays qui ont un passé plus tragique par rapport au fichage. Dans le cas de la Seconde guerre mondiale, les Pays-Bas avaient notamment un fichier très développé sur la religion des personnes et, au final, a eu un taux d’extermination de la population juive présente assez conséquent, le plus conséquent de toute l’Europe. L’Allemagne a subi lourdement, dans un sens comme dans l’autre, ce rapport à la surveillance, ce rapport au contrôle, avec l’expérience de la Stasi notamment, donc ce sont des pays qui ont une sensibilité un peu plus particulière par rapport au fichage des populations. La France également. Bref ! Oui, il y a différentes sensibilités dans les différents États européens. Par contre, sur les différentes législations sur la vidéosurveillance, je ne saurais pas vous dire.

Nathalie Zanon : Et sur le fichage, on en est où en France ?

Sylvain Steer : On en est sur une situation qui est vraiment problématique à plein d’égards. C’est-à-dire qu’on a une explosion des fichiers de police. À partir du moment où il y a eu le commencement de cette logique des fichiers de police ça n’a fait que croître. En fait il y a un mécanisme de cliquet, ça veut dire qu’on ne revient jamais sur les fichiers de police alors qu’on en crée de nouveaux.
Le plus récent en date, ce n’est pas le plus récent mais il est assez conséquent, c’est le fichier TES, Titres électroniques sécurisés, qui, en fait, a remplacé les logiques de pièces d’identité ; ça a d’abord était fait pour les passeports puis pour les pièces d’identité. Là où avant c’était contenu, les données biométriques des personnes, donc leurs empreintes digitales notamment, étaient détenues dans les mairies séparément, on a créé un fichier unique où du coup, très rapidement, il va y avoir toute la population française dedans. On va avoir leur photo, leur taille, leur âge, la couleur de leurs yeux, leurs empreintes digitales. C’est un fichier qui est maintenant créé, qui est mis en place, qui est encore limité pour les choses qui touchent à la vérification d’identité dans le cadre de contrôles d’identité.

Nathalie Zanon : Y ont accès les policiers et les gendarmes, j’imagine ?

Sylvain Steer : Pas tous les policiers et les gendarmes à l’heure actuelle, mais il y a déjà des volontés que ce fichier soit utilisé effectivement en cas d’enquête. C'est-à-dire que dès qu’on va retrouver des empreintes digitales, probablement à la prochaine attaque terroriste ou au prochain fait divers qui fera lourdement parler de lui, il y aura à nouveau des volontés politiques qui vont sortir en disant « on a ce fichier TES maintenant où il y a des données biométriques, il y a les empreintes donc comparons à toute la population française ». On a fiché toute la population française qui devient suspecte, qui deviendra, il faut encore mettre un peu de futur là-dessus parce que le fichier ne peut pas être encore directement utilisé pour ça.

Nathalie Zanon : Moi j’ai eu un problème suite à une mauvaise volonté de quelqu’un, donc on m’a demandé mes empreintes digitales. Normalement ils les auraient puisque je suis… Pourquoi est-ce qu’ils me les ont demandées si vraiment j’étais déjà fichée comme tout le monde ? C’est parce qu’en fait tous les policiers, tous les gendarmes n’ont pas accès à ce fichier général.

Sylvain Steer : Je ne sais pas dans ce cas particulier, il faudrait que je comprenne un peu mieux.

Nathalie Zanon : Il y avait une plainte déposée, donc on a pris mes empreintes digitales. Je me dis, en vous écoutant, que si on avait déjà les empreintes digitales de tout le monde on ne les prendrait pas.

Sylvain Steer : Ils ne peuvent pas les utiliser librement comme ça. Ça veut dire que s’il y a un cas où il y a besoin des empreintes digitales, vous consentez à les donner. Oui, ils ne peuvent pas interroger le fichier TES systématiquement.

Nathalie Zanon : Il faut le consentement ?

Sylvain Steer : Ça dépend. Dans le cas de la carte d’identité, malheureusement non, ce n’est pas si simple.

Nathalie Zanon : Dans le cas d’enquêtes il faut le consentement ?

Sylvain Steer : Il y a des infractions pénales sur le refus de signalétique. Ça veut dire que si on est impliqué, même assez faiblement, dans le cadre de quelque chose qui donne lieu à une enquête pénale, vous avez des infractions pénales pour le refus signalétique donc le refus de transmettre son identité, ses empreintes digitales et même après, dans des cas qui sont censés être plus graves mais qui sont, en fait, une infraction qui est aussi utilisée très librement pour le refus d’empreintes génétiques, c’est-à-dire le refus de donner son ADN

Nathalie Zanon : Là c’est pareil, j’ai l’impression d’un grand flou, parce qu’on m’a demandé mon ADN, j’ai dit « vous êtes sûr ? ». Le gendarme n’était pas très sûr, il m’a dit : « Je ne suis pas très sûr » et, finalement, ils ne les ont pas prises. Donc j’ai l’impression que ça se serait fait tout naturellement si je n’avais pas été un petit peu sur mes gardes.

Sylvain Steer : C’est une vraie problématique. Ça veut dire qu’à l’heure actuelle les militants, souvent, dans le cadre de choses où potentiellement il y a un délit pénal, il peut y avoir une entrave à la circulation, des choses assez banales – il y a eu des affaires dans les cas de fauchages de champs OGM avec des militants qui faisaient déjà ça de façon totalement ouverte, leur identité était connue, c’était des infractions qu’on pouvait considérer comme des infractions politiques, en tout cas qui ont un sens politique, où eux refusaient –, mais il y a eu beaucoup de prélèvements qui sont faits pour alimenter ce qu’on appelle le FNAEG, le Fichier national des empreintes génétiques, j’ai un doute, il y a un « A » au milieu, mais ce n’est pas très grave [Fichier national automatisé des empreintes génétiques].

Nathalie Zanon : Là c’est pareil on peut se dire que ça peut aider beaucoup…

Sylvain Steer : La surveillance complète, totale, de tout le monde en permanence, ça aide beaucoup l’État, il n’y a pas de problème avec ça. L’exemple de 1984 sur ça est très clair. Si l’État est capable de savoir ce que fait tout le monde à chaque moment, capable de rentrer dans sa vie privée à chaque moment pour savoir ce qu’il fait, oui effectivement, on est dans une…

Nathalie Zanon : Mais l’État est un peu à notre service, donc ça devrait nous aider aussi !

Sylvain Steer : Ça c’est un questionnement de sciences politiques. Est-ce que l’État est uniquement au service de la population ? Malheureusement, historiquement, ça n’a clairement pas toujours été le cas. Il y a toujours eu ce rapport de force entre l’État qui est censé être effectivement un service public, quelque chose qui est censé représenter les intérêts de la population et, au final, un gouvernement qui sert aussi, dans certains cas, ses intérêts ou des intérêts de classe ou différentes choses. L’État a besoin de contre-pouvoirs. Si l’État a tous les pouvoirs, ça se transforme en un État totalitaire, en un État autoritaire qui là, clairement, dessert l’intérêt général. Des exemples historiques sur ça il y en a un paquet.

Pause musicale : Manipulez-nous mieux, Didier Super.

Nathalie Zanon : Vous êtes sur Fréquence protestante, c’est l’émission du Mouvement de la réconciliation. Nous sommes avec Sylvain Steer de l’association CECIL, Centre d’études sur la citoyenneté et l’informatisation et les libertés, l’association La Quadrature du Net. C’est vous qui avez apporté cette musique qui bouge un peu.

Sylvain Steer : Qui bouge un peu mais qui est surtout très ironique.

Nathalie Zanon : Qu’est-ce que c’est ?

Sylvain Steer : C’est une chanson de Didier Super qui est un auteur qui va beaucoup dans la provocation et ce morceau, du coup, ce n’était pas prévu comme ça, mais justement fait une liaison assez importante avec ce dont on parlait avant sur les abus de l’État. C’est-à-dire qu’effectivement l’État est censé être au service de l’intérêt général sauf que, de fait, il y a des abus qui sont faits. En tout cas il y a des problèmes démocratiques qui se posent, il y a des abus qui peuvent faits par les États et, pour ça, il y a besoin de contre-pouvoirs. La chanson parle de la manipulation des États pour, justement, que la population n’ait pas à se plaindre en fin de compte. Ce qui est écrit dans la chanson, les auditeurs ont pu l’entendre, c’est qu’en fait on pourrait se sentir bien dans un état un peu d’ignorance que tout est bien fait pour nous, alors que la réalité est très loin de ça. Il y a besoin d’être vraiment actifs par rapport à ces États, par rapport à leurs pouvoirs, et de les questionner systématiquement.

Nathalie Zanon : Tout à l’heure, vous parliez de fichage aux Pays-Bas, qu’est-ce qui est dans le fichage actuel ? Par exemple en France la religion est indiquée ? L’origine ethnique.

Sylvain Steer : Non. En France il y a certaines données qui sont considérées… Maintenant c’est une législation qui est au niveau de toute l’Union européenne, c’est le Règlement général sur la protection des données3 ; sur les questions de police il y a aussi une directive européenne. Tout ça c’est maintenant largement réglé par du droit européen. Les affiliations religieuses sont considérées comme une donnée sensible donc ne peuvent pas être traitées de la même façon que des données plus classiques comme le nom, l’âge, l’adresse postale ou son e-mail. Ça ne veut pas dire que personne n’a le droit de les traiter. Typiquement les organisations religieuses, par défaut, vont devoir traiter l’affiliation religieuse de personnes, mais, en France particulièrement, l’État ne peut pas faire de fichage sur ces choses-là sauf dans des cas très spécifiques. Il y a des limitations sur ça.

Nathalie Zanon : Est-ce qu’il y a eu des prises de position de partis, de mouvements politiques par rapport à ces questions-là ? Est-ce que certains partis politiques ont pris position en disant s’ils étaient plutôt pour le développement du fichage général, de la biométrie ? Est-ce que d’autres ont dit au contraire… ?

Sylvain Steer : Comme je disais, je parlais de Christian Estrosi et d’Éric Ciotti, qui sont membres des Républicains, historiquement l’UMP, les Républicains, ont toujours été dans une logique de pousser à des logiques plus sécuritaires. Des choses où, en fait, le pouvoir, le gouvernement aurait plus de pouvoirs contre la population.

Nathalie Zanon : Le Rassemblement national aussi, j’imagine.

Sylvain Steer : Le Rassemblement national aussi. Par ailleurs, il y a aussi des membres de ces organisations qui défendent certaines libertés fondamentales pour les citoyens. Donc il y a un équilibre sur certains aspects.

Nathalie Zanon : Ce n’est pas forcément par groupes politiques, c’est aussi par personnalités ?

Sylvain Steer : Les groupes politiques, je dirais, ont des orientations qui vont avec le classique du genre. Effectivement la droite, en tout cas ce qu’on appelle la droite, va plutôt être dans des logiques sécuritaires là où la gauche est censée remettre en cause, être plus dans la prévention. Maintenant, au final, on retrouve dans différentes formations politiques des acteurs, des électrons libres, qui vont lutter dans un sens comme dans l’autre. L’aspect directement partisan des partis politiques n’est pas forcément toujours un prisme totalement pertinent pour évaluer ces sujets.
En l’occurrence, si on parle du RGPD qui a été adopté au niveau de l’Union européenne, à la base c’est un peu les Verts européens qui ont poussé le texte avec une partie de la gauche européenne. Il y avait des logiques de lobbying assez fortes contre. Le RGPD, particulièrement, est plutôt contre les logiques de surveillance commerciale, publicitaire, que contre les États. En tout cas ça pose aussi des limites à certains actes de surveillance de l’État. En fait, les révélations d’Edward Snowden en 2013, qui étaient à un moment de négociation de ce texte, ont largement permis de changer un peu la vapeur sur ce texte et d’avoir une forme de consensus de la classe politique pour la protection des données personnelles des citoyens. Mais c’est un cas très particulier.

Nathalie Zanon : Est-ce qu’il y a déjà des restrictions de nos libertés ? Est-ce qu’il y a déjà des manipulations suite à cela ? Est-ce qu’on peut repérer, vous parliez par exemple de surveillance commerciale, est-ce qu’il y a effectivement déjà des manipulations utilisant ces outils ? C’est simplement potentiellement dangereux, mais est-ce qu’actuellement c’est déjà une restriction de nos libertés ou pas ?

Sylvain Steer : Ça va dépendre de ce que les gens fixent sur leurs libertés, mais typiquement, par exemple, la question des services de renseignement. En France on a une législation depuis 2015, avant il y avait des prémisses de législation, mais c’était quelque chose qui était très peu encadré, les services de renseignement leur boulot c’est de donner de l’information au gouvernement pour que celui-ci puisse réagir par rapport à ce qui se passe. C’est une information, donc il peut l’utiliser pour manipuler : je sais qu’il y a tel conflit social qui va apparaître ou que tel groupe politique va faire telle chose, je peux faire un contre-feu politique avant même leur action. Donc oui, l’outil de surveillance permet d’armer l’État, d’armer le gouvernement en vigueur à un moment donné, pour agir avant et pour, du coup, changer l’opinion politique, essayer de faire un contre-feu. Ça ce sont des formes de manipulation politique qui sont utilisées de façon certaine, il n’y a pas de doutes là-dessus ; ça vient avec la fonction, je dirais.
Il y a des fois où la population peut facilement considérer que c’est légitime : on va surveiller des personnes qu’on suspecte de pouvoir commettre des attentats, de pouvoir commettre des atteintes à la vie des personnes, effectivement la population va largement considérer que c’est bien que ces personnes puissent être surveillées et éviter qu’elles fassent ça.
Et puis il y a des cas où c’est plus limité.

Nathalie Zanon : Vous, qu’est-ce que vous en pensez ?

Sylvain Steer : Je suis tout à fait d’accord, je ne vais pas défendre le terrorisme. Les atteintes à la vie c’est extrêmement grave et il faut lutter contre. Maintenant, la question qu’il y a derrière, c’est le bon contre-pouvoir, c’est le bon contrôle de cette action du renseignement.

Nathalie Zanon : Qu’est-ce que vous verriez comme contre pouvoir peut-être plus formel que les associations ?

Sylvain Steer : Dans le cadre de la loi renseignement, quelque chose qu’on a dénoncé avec de nombreuses associations, c’était le fait qu’on exclut complètement le juge du contrôle des opérations de renseignement. C’est-à-dire qu’il y a une commission ad hoc qui s’appelle la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui est là pour donner des avis, ce sont des avis simples. Ça veut dire que si le gouvernement décide de faire une action de surveillance sans respecter cet avis, sans demander l’avis, il peut le faire. En fait le mécanisme de contrôle, pour être sûr que cette action a eu lieu, est très limité. Donc il y a un avis, il n’y a pas de juge dans ce système-là et après que l’action de renseignement ait été faite, même dans le temps, les personnes qui auraient pu être la cible de surveillance illégitime n’ont, en vrai, aucun moyen de contrôle effectif de cette logique de surveillance.
Donc il y a un problème du manque de juge dans cette boucle. Il y a aussi un problème des finalités du renseignement qu’on considère comme trop larges. Il n’y a pas du tout que la surveillance des terroristes, en l’occurrence autour de 60 % des actions des services secrets ne sont pas consacrés à la lutte antiterroriste. Il y a la criminalité mais il y a aussi toute la surveillance politique sur les intérêts majeurs, scientifiques, économiques de la nation. Clairement, par exemple, il y a eu des indications certaines que le mouvement des gilets jaunes, donc très loin des actes de terrorisme, a été lourdement surveillé par les services de renseignement, les organisations écologistes également.
Donc il y a un problème de spectre de la possibilité de la surveillance et de ses contre-pouvoirs. Pour avoir le temps il faudrait quand même un peu étayer sur la question des contre-pouvoirs, ce n’est pas une question facile, mais il y aurait des choses qui seraient facilement améliorables pour limiter ce pouvoir.

Nathalie Zanon : Nous y reviendrons dans une autre émission du MIR. Je vous réinviterai. Merci beaucoup Sylvain Steer. Vous pouvez avoir plus de renseignements sur le Mouvement international de la réconciliation, MIR France, en allant sur son site. Merci.