Rémy Card (avril 1998)

Suite à un problème technique, tout l'entretien n'a pu être enregistré.

Q: Ton travail sur ext2fs est-il documenté ?

j'essaye dans les derniers patches de mettre des commentaires, ce qui est déjà beaucoup, le problème c'est que je préfère écrire du code. Il y a d'autres personnes qui ont écrit des documentations. Mais cela pourrait être mieux documenté.

Q: Pourquoi avoir voté non pour la création de fr.comp.applications.libres ?

je n'en voyais pas trop l'intérêt. Je craignais que cela soit des querelles de chapelles sur les licences. Il y a toujours des gens un peu intégristes (qui vont gueuler sur les différences entre GPL et BSD). Il me semblait qu'il y avait d'autres choses qui pouvaient être discutées dans les groupes de discussions spécifiques, et c'était peut-être aussi et principalement, par provocation, en me doutant bien que cela ne ferait pas capoter le vote. D'ailleurs, cela n'a pas loupé.

Q: Quels sont les avantages pour les entreprises et administrations d'utiliser des logiciels libres ?

en cas de problèmes, on peut repartir du logiciel corrigé si on a les compétences en interne, ou faire appel à quelqu'un de l'extérieur. Savoir aussi qu'il y aura toujours une version libre, qui va évoluer. Je constate que les logiciels libres évoluent plus vite qu'un certain nombre de logiciels commerciaux. Il est clair que quand un bug est décelé, dans un logiciel libre, tout de suite des gens cherchent comment le corriger (cela ne veut pas dire qu'il sera corrigé dans la minute) ; généralement il va être corrigé assez vite. Mais par contre, on aura pas tout un souk administratif (inventorier les bugs, etc.) et, ensuite, on aura les patches, éventuellement beaucoup plus tard, dans les softs commerciaux. On aura le patch beaucoup plus vite, même si le patch n'est pas forcément dans une version officielle.

Q: Que répondrais-tu à ceux qui considèrent qu'il n'y a pas de garantie de stabilité et de pérennité avec les logiciels libres ?

Il n'y a pas de règle générale. Il y a des logiciels libres qui sont stables et d'autres non. Quel que soit le logiciel (libre ou propriétaire) que l'on utilise, il y aura toujours des bugs. Le problème du logiciel libre est que, pour l'instant, l'utilisateur d'un logiciel libre a besoin, en cas de problèmes, de personnes qui les corrigent bénévolement. Donc, qui ne vont pas forcément être là au moment où apparaît le problème (par exemple quelqu'un qui prend ses vacances ou qui n'est pas joignable). Alors que dans le cas des softs commerciaux, on est censé avoir un support garanti (je dis bien censé). Ce n'est pas souvent le cas. Mais au niveau commercial on leur dit : vous allez avoir une maintenance, c'est super. On ne peut pas garantir cela au niveau du logiciel libre. A moins que des sociétés qui vendent du support se développent. Le fait que ce soit un logiciel libre ou ouvert, il y a beaucoup de personnes qui s'y intéressent, et par conséquent, qui peuvent apporter une solution, mais ce n'est pas une garantie contractuelle. L'évolution est tout de même plus rapide et les bugs sont corrigés plus rapidement dans les logiciels libres, car il n'y a pas la lourdeur d'une boite derrière.

Q: Ton avis sur l'annonce de Netscape ?

Intéressant, car on peut enfin voir à quel point c'est mal écrit ;-). C'est intéressant comme code. Leur navigateur ne leur rapportait pas beaucoup d'argent, c'était assez marginal comme revenu. D'une part, ils ont, d'une manière un peu cynique, essayé de le faire maintenir par des bénévoles. Par ailleurs, ce n'est pas négatif du tout parce que même si cela part d'une logique commerciale, où ils affrontent Microsoft sur Internet Explorer, il veulent récupérer des gens qui sont bons et qui vont travailler sur leur logiciel. C'est intéressant de voir qu'une boite relativement importante reprend des concepts du logiciel libre. Le jour où on aura Internet Explorer en source, on aura presque gagné. Mais cela reste Internet Explorer, je ne l'aime pas. Je l'ai lancé une fois, pour voir, sous Solaris, c'était monstrueux.

Q: Qu'est-ce qui explique le succès de Linux par rapport aux autres OS libres ?

Marketing, marketing, marketing, si on peut dire. En fait, le public n'est pas le même. Les gens qui ont installé FreeBSD par exemple, connaissaient déjà Unix et voulaient avoir Unix chez eux. Ou alors installer Unix sur des machines moins chères. En ce qui concerne Linux, il y a eu pas mal de gens qui venaient de MSDOS, donc forcément il y en a plus. Il y aussi le fait que BSD a éclaté en trois projets, et certaines personnes n'ont pas su choisir.

Q: Quelles sont les différences techniques entre les noyaux Linux et *BSD ?

Le noyau Linux a été réécrit de fond en comble, mais il est basé sur des concepts d'Unix. Torvalds a beaucoup utilisé le livre de Bach. Il y a un certain nombre de choses qui ont été réécrites de manière différente, parfois mieux, parfois moins bien. Alors que les noyaux BSD sont plus basés sur ce qui a été fait au cours du temps, depuis les années 70. Il y a des choses qui étaient bien à l'époque, mais d'autres ont maintenant évolué. Les solutions dans BSD, à la base, ne sont pas forcément les plus pertinentes aujourd'hui. Maintenant, les deux évoluent de le même façon et fournissent les mêmes services. Certains sont plus efficaces sous Linux, d'autres sous BSD. Exemple concrêt : le réseau BSD est normalement plus robuste et plus efficace. Au niveau de la gestion mémoire, elle est traitée de manière différente sous Linux (ex: le fait que le buffer cache puisse grandir ou rapettisse sur la mémoire, suivant les applications qui sont en mémoire, et suivant les tampons mémoires). Cela a été ensuite implémenté sous BSD. En fait, chacun s'inspire de l'autre. C'est normal.

Q: Linux est-il plus piratable qu'un BSD ?

non. Généralement, on pirate au niveau applicatif, grâce aux bugs. L'optique de tout réécrire chez Linux, c'est plus long au départ, mais on peut arriver à quelque chose de plus efficace à long terme.

Q: Que penses-tu de Hurd ?

C'est une jolie idée. Mais cela prend un peu retard en terme de livraison. A mon avis, cela ne s'imposera pas. Les gens ont Linux ou BSD. Il n'y a pas de version stable d'HURD. Et, pour l'instant, on n'a qu'une version pour PC.

Q: Quelles ont été tes sources d'inspiration pour ext2fs ?

Différentes choses. Bien évidemment du système de fichiers de BSD, où il y a de bonnes idées que j'ai reprises en les adaptant, et d'autres fournies par des gens. Pour Ext2, j'avais envoyé une demande dans la liste des développeurs, disant que j'allais faire un nouveau système de fichiers, et j'ai demandé 'qu'est-ce que vous aimeriez avoir'. Donc, j'ai profité d'ajouts qui viennent de contributions externes. Il y a environ 6000 lignes pour Ext2Fs. Pour la première version de Ext2Fs, on peut estimer qu'il y a eu 2 mois de codage (à raison de 2 ou 3 heures par jour). Il existe un système de compression pour Ext2 développé par Antoine de Maricourt. C'est maintenu maintenant par un australien.

Q: comment Ext2Fs s'est-il imposé ?

Ce sont essentiellement les utilisateurs qui l'ont choisi, en tout cas ceux qui faisaient les distributions et qui ont permis que les utilisateurs aient ce systèmes par défaut. Ensuite, c'est devenu le standard de fait. A l'époque, il y avait deux systèmes de fichiers concurrents, XiaFs et Ext2Fs . XiaFs avait un certain nombre de limitations, et aussi l'auteur a affronté tout le monde en essayant de l'imposer, ce qui a provoqué une réaction inverse. En fait, c'est les gens qui l'ont choisi. Au début, Ext2 était assez buggé, puis il est devenu stable. Il y a bien sûr eu des retours sur les bugs (des rapports) que je corrigeai. Encore actuellement, il y a des gens qui envoient des rapports de bugs (rarement, car Ext2fs est stable) ou des corrections (des patches), c'est un bout de code que j'intègre. Je vérifie qu'il soit correct, je teste et je l'intègre. Puis je l'envoie à Linus Torvalds et à Alan Cox pour que ce soit intégré dans les versions de dévelopement stables.

Q: Quels sont tes outils de développement ?

Vi. J'aime bien avoir un éditeur. Emacs est beaucoup trop lourd pour moi. Gcc pour le compilateur.

Q: En quoi l'accès aux sources t'a aidé dans son travail ? (a completer)

L'accès aux sources est nécessaire pour comprendre un certain nombre de choses. Sans l'accès aux sources, j'aurais difficilement pu faire quelque chose. Ext2fs est basé sur ExtFs, lui-même basé sur MiniX.

Q: Que penses-tu de Windows ?

Cela m'indiffère, je n'en ai pas l'utilité. Il y a des utilisations où c'est clair qu'il vaut mieux Windows que Linux. Quelqu'un qui ne connait pas Unix, ne doit pas, à mon avis, passer sous Linux, s'il n'est pas prêt à investir un peu de temps. Ce n'est pas un cliquodrome. Ce n'est pas encore ca, mais cela va sûrement le devenir. Pour l'instant, il faut être prêt à investir pour utiliser Linux. De toutes les façons, il y a plusieurs systèmes pour des utilisations différentes. Il ne faut pas être intégriste. Il ne faut pas forcer les gens à utiliser un système malgré eux. Ils vont faire de la mauvaise pub pour Linux car ils ne vont rien comprendre.

Q: Que penses-tu de Microsoft ?

très bon en marketing. Ils ont tendance à ce titre à prendre les gens en otage et profiter de leur situation de monopole. Je n'aime pas trop ce genre de pratiques. C'est un peu la même chose pour IBM.

Q: Que penses-tu de Linux sur d'autres architectures que PC ?

ca marche bien sur SPARC par exemple. Le futur serveur Web de LIP6, qui est en test actuellement, est une SPARC station 5 sous Linux. Le serveur ftp de LIP6 est une RedHat 4.2 sur PC.

Q: Que penses-tu du programme Compétence 2000 de Microsoft (et de l'enseignement des filières informatiques à l'université aujourd'hui) ?

Cela me parait être une mauvaise chose qu'il y ait un monopole de ce type (Compétence 2000) sur l'éducation publique, dans la mesure où l'on est censé former les étudiants pour qu'ils soient polyvalents à la fin de leurs études (on les forme à l'informatique et pas seulement à Microsoft). Il ne faut pas qu'ils soient limités. Ainsi, dans les salles de 3eme cycles, on a essayé de ne pas avoir un seul constructeur. Faire en sorte qu'ils puissent juger par eux-mêmes. On ne doit pas leur forcer la main. Les étudiants sortent avec une vision large et non pas une vision unique.

Q: Que penses-tu de Rhapsody, futur OS d'Apple ?

intéressant, repartir depuis NextStep et faire un système Unix et bureautique, qui permette d'avoir des applications bureautiques. C'est plus intéressant que Mac Os qui est assez propriétaire.

Q: Next Step ?

c'était intéressant. Le problème c'est qu'ils n'ont pas tenu compte des standards. C'était une grande idée au départ, le fait de faire de la bureautique sous Unix. Il y a eu deux problèmes. Le premier, ils se sont basés sur une architecture qui est devenue très vite obsolète. Le deuxième problème, c'est que ca n'était pas vraiment compatible avec les standards utilisés sous les autres Unix. Pour faire intéragir les Next dans un environnement réseau avec notamment des Sun, des HP (pages jaunes) c'était un gros souk. Ils avaient des choses différentes. Un autre truc qu'ils ont raté, à mon avis, dans le même genre d'idées, c'est le fait que j'aurais bien aimé que ce soit compatible X11. Pouvoir lancer une application sous une machine Next et voir le résultat sur une autre station SUN ou sur un PC, alors que là c'était propriétaire. Ils auraient dû faire leur système beaucoup plus ouvert. Quand on n'a que des Next c'est bien. C'est souvent ca le problème, c'est pouvoir intéragir avec d'autres systèmes ou d'autres types de machines.

Q: Penses-tu qu'Unix puisse être un jour aussi convivial à utiliser que Windows (d'un point de vue utilisation et non administration) ?

Il me semble (moi je suis sous Fvwm 1.24r, cette vieille version me convient très bien) avoir vu pas mal de produits bons au niveau graphique, ce que soit des window managers ou au niveau applications (KDE, Gnome), qui montrent que cela évolue très très vite par rapport au point de départ qui était Twm. Savoir si cela va atteindre le même niveau, je n'en sais rien. En tous cas, il y du progrès. Moi je n'en n'ai pas forcément besoin (Administration Système, Développement). L'interface graphique n'est pas ma priorité. J'ai surtout besoin de shells par exemple. Ainsi, j'administre ma machine Linux à la main, avec les commandes. Cela va beaucoup plus vite quand on connaît les commandes, que de passer par un truc graphique. Et puis, au départ, le Control Panel par exemple était un peu buggé, me semble-t'il. Mais c'est une bonne idée pour un débutant sous Unix, il peut s'en sortir sans avoir à tout apprendre ou tout comprendre dès le départ. A ce niveau là cela peut-être intéressant.

Q: ton opinion sur l'Internet Français ?

ca se démocratise, mais le problème, à mon avis, c'est que les gens peuvent se connecter sans trop de problèmes et à peu cher (ça c'est une bonne chose). maintenant, on ne leur explique pas les choses - le fonctionnement? le contexte? le mode d'emploi? - (il y a des règles à suivre). Il y a une évolution par rapport à avant (ce n'est pas limité à l'Internet français, c'est l'Internet en général) c'est penser qu'on vient uniquement en tant que client (ça peut être dangereux). Avant, on allait chercher des choses et on en mettaient d'autres à disposition, il existait une coopération. De plus en plus, il y a une mentalité client qui se développe. Il faudrait peut être expliquer cela aux gens. C'est logique que les fournisseurs d'accès, qui cherchent à casser les prix, ne sensibilisent pas les gens et ne leur proposent pas de formation. Ils sont plus souvent occupés à essayer d'avoir le plus d'abonnés possible qu'à les former. Mais il y en a aussi des bons (Oléane par exemple qui fait bien son travail).Il y a d'autres fournisseurs, les supérettes du coin, avec l'abonnement à 50 francs, 1 mois gratuit et anonyme, c'est pas sérieux. Il y aussi des publics différents, Oléane s'adresse plutôt aux professionnels.

Q: que penses-tu de Stallman ?

Il est vachement compétent et assez génial au niveau programmation. Je l'ai rencontré deux fois, mais il faudrait qu'il ait un peu plus de retenue, qu'il s'énerve un peu moins vite. Il part sur des valeurs, au niveau informatique, que je trouve intéressantes et que je partage en partie; mais, par contre, il les défend un peu trop violemment. Dès que quelqu'un n'est pas d'accord avec lui, il se comporte comme un fasciste. Il n'est pas très tolérant. Quand quelqu'un programme dans une boite, car il faut bien gagner sa vie, il se fait traiter de tous les noms.

Q: Quel est ton parcours scolaire et professionnel. (a completer) ?

32 ans. Sur ma machine personnelle j'ai Linux et FreeBSD.

Q: quel est le futur du logiciel libre ?

Je n'en sais rien. Il va continuer à exister. Il y aura toujours des gens pour en faire. Cela rencontre une certaine adhésion.

Q: quels sont les axes à suivre pour que le logiciel libre s'impose ?

Des actions : il faut des boites qui font du support. Il faut un peu expliquer aussi les tenants et aboutissants aux gens, sans essayer de les tromper en leur disant qu'avec tel logiciel libre ils vont tout avoir. Ce n'est pas tout blanc tout noir. Je n'ai jamais été un grand militant.

Q: Quel secteur n'est pas encore couvert par le LL ?

Par exemple la gestion, car ce n'est pas intéressant, donc personne n'en fait.

Q: quelles sont les personnalités, françaises et étrangères, les plus représentatives du logiciel libre ?

Stallman, Torvalds, Larry Wall (Perl), Bsd: Berkeley (Bostic, Mac Cusik). Au Niveau applicatif : Allman (Sendmail). En France, il y avait René Cougnec. C'était quelqu'un qui avait utilisé Linux dès le départ, qui a fait énormément pour que le système se développe en France, en le diffusant, en animant, en ayant une machine où tout le monde pouvait se connecter, rapatrier des softs, des documentations, des traductions (par exemple, la première édition du bouquin de Welsh, pour laquelle il a corrigé pas mal d'erreurs par rapport à la version originale, en accord avec l'éditeur). Je ne connais pas le nom de tout le monde. Par ailleurs, Je ne suis pas vraiment les actions. Il y a un certain nombre de gens qui sont représentatifs pour moi, mais peut-être pas pour le commun des mortels. Ce sont toutes les personnes qui animent des associations pour essayer de diffuser. Parfois, c'est très confidentiel (par exemple Finix à Brest, ils ont une quinzaine d'adhérents, mais ils font quand même des choses), Guilde qui est plus gros. Apodéline récemment.

Q: pourquoi les gens font des logiciels libres ?

d'abord, tu fais un logiciel, c'est une fois qu'il est fait que tu sais s'il est libre ou non. Il y a certaines choses, c'est intéressant à faire, on est content de l'avoir fait et cela sert aux autres, et puis cela permet d'être applaudi à la fin des conférences (par une autre bande de hippies) , tu fais des choses qui t'intèresses et cela intéresse les autres. Tout le monde est content. Le problème, c'est que l'on a plus de chance de trouver des logiciels libres dans des domaines qui sont les plus intéressants, qui posent des problèmes intéressants.