Relations entre l'Éducation nationale et les géants du Web - Question de Mme Morin-Desailly, sénatrice, au gouvernement

Catherine Morin-Desailly

Titre : Relations entre l'Éducation nationale et les géants du Web
Intervenants : Madame Morin-Desailly, sénatrice - Monsieur Blanquer, ministre de l'Éducation nationale - Monsieur Larcher, président du Sénat
Lieu : Sénat - Questions d'actualité au gouvernement - Séance publique
Date : 10 avril 2018 (après-midi)
Durée : 5 min
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Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Capture d'écran de la vidéo
NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Transcription

Gérard Larcher, président : La parole est à notre collègue Madame la présidente Catherine Morin-Desailly pour le groupe de l’Union centriste. Vous avez la parole.

Catherine Morin-Desailly : Merci Monsieur le président. Ma question s’adresse à Monsieur Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et elle porte sur les relations qu’entretient son ministère avec certaines entreprises du numérique. Monsieur le ministre, j’ai été très surprise de l’annonce du recrutement du directeur du numérique éducatif par Amazon France. Ce débauchage fait suite à celui tout aussi regrettable, il y a quelques mois, du directeur général de l’Arcep par Google. Vous me répondrez sûrement que la Commission de déontologie de la fonction publique s’est prononcée. Certes, mais ce débauchage nourrit l’inquiétude. Nos sommes nombreux, au Sénat, à nous préoccuper de la perméabilité de l’Éducation nationale à l’influence des géants américains du numérique. Une série de contrats conclus avec Google et Microsoft, sans même d’appels d’offres, du temps de votre prédécesseur, font craindre une mainmise progressive de ces acteurs sur les vies de millions d’enfants et d’enseignants. Ne soyons pas naïfs ! Ces géants américains de l’Internet mènent des stratégies d’influence qui sont avérées et étudiées, parfois déguisées derrière le soutien à l’innovation pédagogique. Microsoft soutient le Forum des enseignants innovants ; après la Grande École Numérique voilà que Google va financer la chaire sur l’intelligence artificielle de Polytechnique ! Est-il normal que des sorties de classe aient lieu dans des boutiques Apple ? Cela pose la question de la neutralité du service public. Au demeurant, vous en conviendrez, la place des écoliers serait plutôt au musée ou à la bibliothèque. Pour rassurer, votre directeur du numérique s’appuyait sur des chartes conclues avec les GAFAM. Or on le sait, la captation et le microtargeting des données sont le fondement du modèle économique de ces entreprises. La scandaleuse affaire Cambridge Analytica-Facebook vient démontrer que nous ne pouvons pas nous satisfaire d’engagements, de promesses et de chartes, même si le règlement général sur la protection des données s’appliquera désormais. Ne pensez-vous pas, Monsieur le ministre, qu’il est temps de clarifier la position de votre ministère sur cette question ? Je vous remercie.

Gérard Larcher, président : Pour vous répondre, la parole est au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Madame la présidente Morin-Desailly, merci pour cette question sur un sujet absolument essentiel, un sujet de notre temps pour lequel nous devons avoir une position d’équilibre puisque nous avons à la fois de grands acteurs du numérique qui sont importants dans notre société, nous devons en avoir une claire conscience, et d’autre part nous devons, évidemment, faire en sorte que l’école ne soit pas perméable à des influences qui ne doivent pas avoir lieu. Il y a plusieurs questions dans votre question et je vais tenter de répondre à toutes les dimensions. Il y a la question, d’abord, du départ de notre directeur du numérique. Je vous confirme ce départ. Ce départ fait l’objet d’un examen, en effet, par la Commission de déontologie dont j’attends une réponse future et nous verrons donc ce qu’il en est, et à ce stade je ne me prononce pas. Je tiens simplement à souligner que l’Éducation nationale n’a aucune relation contractuelle avec Amazon aujourd’hui.

Simplement sur les GAFA vous avez soulevé un véritable problème. Nous savons bien que les données sont considérées aujourd’hui comme le nouvel or, comme un nouveau trésor et que oui, vous avez raison, bien évidemment, l’école, le collège et le lycée ne sauraient être considérés comme des lieux où on entre et on sort, en la matière, avec la possibilité de puiser dans les données. Je serai extrêmement vigilant sur ce point. Il est possible qu’il y ait des situations de fragilité qui aient été causées dans le passé, mais je serai le premier gardien d’une solidité à l’avenir avec le futur directeur du numérique.

Ensuite, sur les questions de visites dont vous avez parlé, c’est d’abord l’occasion pour moi de dire que les sorties scolaires c’est extrêmement important et, qu’en effet, nous allons les encourager, avec les collectivités locales, de plus en plus dans le futur. Oui vous avez raison, il vaut mieux aller au musée, dans la forêt ou à la bibliothèque que dans une boutique Apple; je vous donne totalement raison. Je pense que ceux qui ont fait ça l’ont fait avec une certaine bonne volonté. Ils ont fait une erreur ; je le leur ai dit ; à l’avenir çe ne doit plus se produire. En tout cas, ce qui est important, c’est que nous ayons des bonnes sorties scolaires pour nos élèves et que l’école reste, évidemment, le lieu de la République, protégé d’influences mais aussi ouvert sur l’avenir. Merci.

Gérard Larcher, président : Madame la présidente.

Catherine Morin-Desailly : Je vous remercie de cette réponse, Monsieur le ministre, mais plus largement, je voudrais souligner qu’au moment où Mark Zuckerberg est auditionné aujourd’hui même par le Congrès américain, il nous faut absolument renoncer à cette complaisance naïve que nous avons entretenue jusqu’à maintenant dans nos relations avec ces entreprises qui ont leur propre agenda, qui ont leurs propres objectifs à atteindre. Ça ne veut pas dire se fermer à la technologie, au développement et au progrès, ça veut dire tout simplement être lucides pour la construction d’un avenir qu’on veut voir basé sur nos valeurs qui sont les valeurs de liberté, fondamentales de l’Europe.

Gérard Larcher, président : Merci.