Protection des données personnelles - Faut-il brûler Facebook

Arthur Messaud - Giuseppe de Martino - Gwendal Le Grand - Fabienne Sintes

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Titre : Protection des données personnelles - Faut-il brûler Facebook ?
Intervenants : Arthur Messaud - Giuseppe de Martino - Gwendal Le Grand - Fabienne Sintes
Lieu : Émission Le téléphone sonne - France Inter
Date : mars 2018
Durée : 38 min 43
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Licence de la transcription : Verbatim
Illustrations : Logo France Inter Wikipédia ; Logo Facebook Wikipédia ; Tableau abstrait noir et blanc représentant des flammes et des courbures Wikimedia Commons licence Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International
NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Transcription

Fabienne Sintes : France Inter – Le 18-19

Fabienne Sintes : Nous avons tous collectivement trouvé ça d’abord ludique, les réseaux sociaux, Facebook en tête, puisque tout de suite il a séduit la planète entière. On y trouvait des amis, on y racontait les petites banalités de la vie, on y partageait quelques photos et puis des opinions et puis des liens et puis on nous a parlé des algorithmes qui vous connaissent mieux que vous-même, des pubs ciblées dès que vous allez sur un site ou sur un autre. Bref, nous avons fini par réaliser, au fil du temps, que nous laissions des petits bouts de nous-même sans trop savoir où, mais que d’autres savent très bien s’en servir. À un moment ou à un autre nous sommes devenus des fichés volontaires et aujourd’hui tout cela prend des proportions énormes, avec une accélération vertigineuse, peut-être, ces derniers mois : les fake news, la campagne américaine, l’ingérence russe. Facebook et les réseaux sociaux sont devenus utiles au fil des temps, bien sûr, mais aussi peut-être dangereux. L’impact politique est là, l’influence donc la propagande, et des geeks à très grande échelle plus malins que les autres qui savent très bien détourner le réseau social de son but, l’utiliser à d’autres fins et c’est bien, peut-être, ce qui se passe avec Cambridge Analytica.

Alors est-ce que les réseaux sociaux, est-ce que Facebook ne maîtrise plus le monstre tentaculaire qu’il a lui-même créé ? Est-ce que ça veut dire que la seule issue c’est de partir, de quitter le réseau ? Peut-on leur tordre le bras, en faire un outil qui restera ludique, pratique et utile ? C’est à vous de nous le dire. Ce soir pas d’appels sur France Inter, mais le site internet franceinter.fr qui vous attend avec vos remarques, avec vos questions.

Voix off : Fabienne Sintes – Le téléphone sonne

Fabienne Sintes : La première question, avant de présenter les invités, c’est Virginie qui la pose et qui nous a écrit sur franceinter.fr depuis Marseille : « Où sont les fameuses données qui ont été collectées par Cambridge Analytica ? Est-ce qu’il y a eu des copies ? Est-ce qu’on risque de les retrouver encore ailleurs et plus tard ? C’est comme ça qu’on entame ce débat dans Le téléphone sonne ce soir. Et pour répondre à toutes les questions que vous nous posez par écrit et sur franceinter.fr, Arthur Messaud est là, bonsoir.

Arthur Messaud : Bonsoir.

Fabienne Sintes : Vous êtes juriste à La Quadrature du Net1, l’association de défense des droits et des libertés fondamentales à l’ère du numérique. Bonsoir Giuseppe de Martino. Vous êtes fondateur de Loopsider, le média en ligne, et vous êtes président de l’Association des services Internet communautaires2.

Giuseppe de Martino : Bonjour.

Fabienne Sintes : Et bonjour Gwendal Le Grand, vous êtes directeur des technologies et de l’innovation à la CNIL.

Gwendal Le Grand : Bonsoir.

Fabienne Sintes : Arthur Messaud, c’est pour vous la première question, celle de Virginie : elles sont où ces données collectées désormais ?

Arthur Messaud : D’abord, il faut se réjouir qu’on se pose enfin la question, ce genre de question, parce qu’il a fallu qu’on ait un sujet politique qui parle de Trump et du Brexit pour qu’on s’y intéresse et tant mieux parce qu’en fait, ces questions-là, on se les pose depuis le début et on manquait un peu d’éléments concrets pour que les gens s’inquiètent vraiment. Donc là, on se pose cette question-là pour Cambridge Analytica et tant mieux !

Fabienne Sintes : On manquait d’éléments disant à quoi ça sert effectivement de prendre les données, pour en faire quoi ? Maintenant, effectivement, on sait très bien.

Arthur Messaud : Effectivement, quand c’est politique, ça nous parle, mais en fait, quand c’est publicitaire ça va être les mêmes formes de conditionnement que la population va subir, donc conditionnement économique mais pas que, politique évidemment : Facebook filtre les contenus que vous pouvez lire, il hiérarchise, il va mettre en avant certains contenus et ça, ça a évidemment une influence sur le débat public.

Pour répondre à la question de Virginie, les données qu’a collectées Cambridge Analytica sont probablement dans les mains d’énormément d’autres applications qui, de la même façon, ont collecté autant d’informations si ce n’est plus, parce que Facebook, depuis le début, permet ça. Il n’y a pas du tout un détournement de Facebook, il n’y a pas du tout quelque chose qui échapperait aux mains de Facebook. Facebook est très clair dans ses conditions générales d’utilisation : elles permettent aux applications que vous utilisez d’accéder aux like de vos amis.

Fabienne Sintes : On va venir à ce qu’on pourrait faire nous, effectivement, pour éviter que tout ça ne se répande. Pour en revenir à ce que disait Giuseppe de Martino, peut-être à ce que demandait Virginie, les journalistes, par exemple, qui ont fait des papiers sur Cambridge Analytica, en ont vu certaines de ces données. Est-ce que ça veut dire que ça fonctionne comme lorsque vous donnez votre numéro de téléphone une fois, à l’ancienne, et qu’il se retrouve après dans des publicités ici et là avec des gens qui vous appellent. Elles sont déjà partout ces 50 millions de données ? Ou pas ?

Giuseppe de Martino : C’est le risque. Vous avez eu la très bonne expression : les usagers de ces services se transforment en fichés volontaires. Il n’y a pas eu de vol. C’est vraiment chaque utilisateur qui a donné sciemment des informations qu’il a partagées volontairement et, au fil de l’eau, toutes ces informations continuent à se diffuser de la manière la plus large possible. On revient donc au point de départ : c’est comment empêcher de se transformer en fiché volontaire ?

Fabienne Sintes : Mais alors, avant cela, ça veut dire que ça ne s’arrêtera jamais ? C’est-à-dire ces données-là, maintenant qu’elles sont quelque part, on va les retrouver pendant combien de temps ?

Giuseppe de Martino : Indéfiniment, indéfiniment !

Gwendal Le Grand : Oui.

Fabienne Sintes : Gwendal Le Grand.

Gwendal Le Grand : Oui, tout à fait. En fait, ce qui se passe avec Facebook, c’est qu’en répondant à des questions, des petits quiz que vous récupérez, non seulement vous donnez des réponses à celui qui a posé le quiz et vous expliquez ce que vous pensez mais, en plus, vous donnez accès à des informations qui concernent vos amis. Et en fait, c’est ça la particularité du cas Cambridge Analytica, c’est qu’il y a un nombre illimité de personnes qui ont répondu à des questionnaires et que, comme ils ont été en contact avec celui qui a posé la question, ils ont également donné accès à des informations qui étaient dans les profils des amis.

Arthur Messaud : Ce n’est pas spécifique à cette application-là ; toutes les applications peuvent fonctionner pareil.

Gwendal Le Grand : Tout à fait. Et c’est pour ça que c’est absolument essentiel, quand vous utilisez ce type d’outil-là, de bien regarder les paramètres de confidentialité pour décider quel est le niveau de visibilité que vous allez donner aux informations qui sont dans votre profil.

Fabienne Sintes : Mais alors attendez ! Qu’est-ce que ça veut dire pour l’instant, Arthur Messaud ? Est-ce que ça veut dire que, en fait, ce n’est même pas du hacking, ce n’est pas du siphonnage ? Tout ça s’est fait de manière extrêmement légale, du début jusqu’à la fin ?

Arthur Messaud : Non, ce n’est pas légal. On va en parler, le souci. C’est fait de façon volontaire par Facebook. Facebook a organisé ça pour attirer des applications sur sa plateforme, pour rendre Facebook le plus intéressant pour le public. Donc c’était un échange. Il vendait nos données, enfin il laissait un accès à nos données, en échange de services qui venaient sur Facebook type Tender, Airbnb quand vous allez vous connecter via Facebook, etc. Ça permettait de faire grossir Facebook. Est-ce que c’est légal ?

Fabienne Sintes : Donc pour comprendre. Je voudrais qu’on comprenne vraiment bien de quoi on parle. Airbnb par exemple, pour parler de choses que les gens connaissent, à quoi ils ont accès sur ma page Facebook par exemple ?

Arthur Messaud : Normalement Facebook vous demande, au moment de vous inscrire, d’accepter que Airbnb ait accès à tout ce qui est public chez vous, à la liste de vos amis, à votre bio, à votre localisation, à ça, et aussi aux like, à la liste des pages qu’ont aimées vos amis. Donc à cause de vous, quand vous vous inscrivez sur Airbnb, Airbnb peut accéder à tout ça. On ne parle pas de technique. Là, on parle de ce que Facebook vous demande d’accepter quand vous vous inscrivez à Facebook. Et toute l’illégalité est là parce qu’en fait, Facebook ne vous laisse pas le choix. Elle vous dit : « Pour accéder à mes services vous devez vendre vos données personnelles à moi, à Facebook, et à tous mes partenaires ». Et ça, cette obligation de vendre vos données, c’est illégal. Vos données personnelles ce sont des libertés fondamentales, on ne peut pas les vendre. Ce ne sont pas des biens, ce n’est pas de l’argent ; vous ne pouvez pas céder une liberté fondamentale contre un service ; c’est interdit.

Fabienne Sintes : Gwendal Le Grand, là pour la CNIL, pour le coup, c’est effectivement interdit ? Cette pratique-là est purement interdite et donc « sanctionnable » par des gens comme vous ?

Gwendal Le Grand : Il y a une loi informatique et libertés en France, qui est là depuis 1978, avec des règles à respecter. On peut traiter des données personnelles ; la loi n’est pas là pour interdire le traitement de données personnelles, elle est là pour l’encadrer. Et une des choses fondamentales, quand on traite vos données, c’est qu’on vous informe correctement. Donc vous devez savoir ce qui est traité, par qui, comment et pendant combien de temps. Et l’idée c’est de donner le contrôle à l’utilisateur pour qu’il puisse décider avec qui il partage l’information.

Fabienne Sintes : Giuseppe de Martino, qu’est-ce qu’on peut cocher et qu’est-ce qu’on peut décocher ? C’est-à-dire, il y a un certain nombre de choses qu’on maîtrise : à qui on montre un certain nombre de statuts, à qui on ouvre nos contacts, comme on l’expliquait à l’instant. Quelles sont les choses que, en revanche, on ne peut pas décocher ? Donc de fait, dès que nous sommes sur Facebook, on les donne.

Giuseppe de Martino : Il y a un besoin essentiel d’identification des utilisateurs, même en cas de dérapage, pour que la plateforme puisse donner des informations, par exemple aux autorités répressives. Donc tout ce qui est adresse mail, tout ce qui est adresse IP.

Arthur Messaud : C’est interdit ça aussi mais bon, on en reparle après.

Giuseppe de Martino : La carte d'identité nationale, en quelque sorte numérique, de chaque utilisateur. Mais ce qui est quand même important, pardonnez-moi d’y revenir, c’est qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain numérique. Ces services sont gratuits.

Arthur Messaud : Non, ils ne sont pas gratuits ! Pardon, ils ne sont pas gratuits !

Giuseppe de Martino : Attendez, ne dites pas n’importe quoi !

Arthur Messaud : Wikipédia est gratuit.

Fabienne Sintes : Attendez !

Giuseppe de Martino : Vous m’avez coupé. Facebook est gratuit.

Arthur Messaud : Non, non ! Tout le monde est au courant. N’importe quel auditeur sait très bien que Facebook n’est pas gratuit. On renonce à une liberté fondamentale pour accéder.

Giuseppe de Martino : C’est totalement faux. Vous êtes juriste, essayez d’être rigoureux et de ne pas dire n’importe quoi.

Arthur Messaud : D’accord. Je pense que tout le monde sera d’accord avec moi !

Fabienne Sintes : D’accord. Ce que vous êtes en train de dire, excusez-moi, ce que vous êtes en train de dire c’est qu’effectivement on ne paye pas pour entrer sur Facebook.

Arthur Messaud : Voilà. On ne donne pas de l’argent. D’accord ! Il ne faut pas confondre le fait de ne pas donner d’argent avec gratuit.

Giuseppe de Martino : Quelle est votre définition de payer ? On ne donne pas d’argent.

Arthur Messaud : On perd quelque chose quand on va sur Facebook. On perd quelque chose, donc ce n’est pas gratuit.

Giuseppe de Martino : Vous perdez votre temps, sûrement vous, mais il y a plein de gens qui découvrent des choses, qui s’amusent, qui se divertissent. C’est une ouverture sur le monde, c’est une ouverture sur ses amis. Donc ces plateformes représentent un gain formidable en termes de liberté d’expression et ça vous l’oubliez !

Arthur Messaud : Mais non !

Giuseppe de Martino : Il y a trente ans, il y a vingt ans quand on n’avait pas ces plateformes.

Arthur Messaud : C’était Internet. Vous confondez Internet et Facebook. C’est Internet qui apporte la liberté d'expression.

Giuseppe de Martino : Je vous parle des réseaux en général.

Arthur Messaud : Facebook filtre les contenus.

Giuseppe de Martino : On parle de la possibilité pour tout un chacun de découvrir…

Fabienne Sintes : Attendez ! L’un après à l’autre s’il vous plaît ; je ne vois pas l’intérêt de parler en même temps, sincèrement, sinon personne ne s’entend.

Giuseppe de Martino : Bien sûr.

Fabienne Sintes : En quoi Facebook savait-il la fragilité de ces données ? Lorsque Zuckerberg s'excuse, pour dire les choses clairement, il s’excuse de quoi ? Puisque vous nous expliquez que tout ça est parfaitement légal et que nous le savons nous-mêmes lorsqu’on s’inscrit sur Facebook ? Gwendal Le Grand.

Gwendal Le Grand : En fait, ce qui se passe c’est que quand vous vous inscrivez sur Facebook, par défaut il y a un certain nombre des données qui sont échangées, qui sont rendues visibles. La question, finalement, c’est quelle est l’étendue des données qui sont rendues visibles ? Est-ce que c’est tout ce que vous avez mis sur votre profil ? Est-ce que c’est visible par tout le monde ? Ou est-ce que c’est seulement un sous-ensemble ? Au moment de Cambridge Analytica, les paramètres par défaut étaient extrêmement larges. Depuis, d’ailleurs, ils ont refermé un petit peu l’accès par défaut aux données qui sont dans les profils et, ce qui est très important, c’est de passer suffisamment de temps, quand vous vous inscrivez sur ces services-là, pour aller regarder les paramètres de confidentialité. Parce qu’effectivement, sur ces réseaux, on paye comment ? On paye avec ses données, d’une certaine manière. Il y a une expression consacrée qui est « si c’est gratuit c’est vous le produit. »

Eh oui, ces réseaux-là utilisent vos données, ils savent vous profiler exactement et ce qu’ils vont vendre, ils vont vendre à des annonceurs ou à des tiers le fait qu’ils connaissent une personne avec un profil particulier et ils vont vendre ce profil-là en disant : « Qui veut afficher une publicité à cette personne que je connais bien ? » Et si la publicité est ciblée, en général la logique économique derrière c’est de dire que l’annonceur est prêt à payer plus cher que si, évidemment, la publicité n’est pas ciblée. Et c’est comme ça qu’ils se rémunèrent.

Fabienne Sintes : Éric est dans le Nord. Il nous demande : « Peut-on fermer Facebook pour le sanctionner ? Il y a un hashtag qui court en ce moment DeleteFacebook. Un État a-t-il le moyen de fermer le réseau ? » Alors un État c’est peut-être un peu plus compliqué, Giuseppe de Martino ?

Giuseppe de Martino : Encore une fois, c’est une liberté de chacun. Chacun est libre de ne pas aller sur Facebook. Aujourd’hui il y a à peu près trente millions de Français qui ont un compte Facebook ; il y a à peu près vingt millions de Français qui y vont tous les jours. Personne n’interdit à tous ces Français de couper leur compte. On vote avec ses pieds, on vote avec son clavier, on peut décider de ne plus être actif sur ces réseaux. Après, la question essentielle, c’est comment apporter une pédagogie plus grande pour comprendre véritablement à quoi mène un usage un peu trop facile, un peu trop libre de ces plateformes ?

Fabienne Sintes : Mais au-delà de la pédagogie, pardon, pourquoi ça marcherait dans ce sens-là ? C’est-à-dire il faudrait faire de la pédagogie pour éviter d’être sanctionné, d’une certaine façon, par les réseaux sociaux ? Est-ce qu’on n’a pas nous les moyens d’obliger, de tordre le bras des réseaux sociaux ? Est-ce qu’on a les moyens de faire ça ?

Giuseppe de Martino : En fait, nous l’État…

Arthur Messaud : Vous n’êtes pas l’État vous ! Vous êtes Facebook en fait ! Les citoyens oui ont les moyens en tout cas.

Fabienne Sintes : Arthur Messaud, comment on fait ?

Arthur Messaud : Juste pour revenir sur cette question de transparence, on nous appelle à la transparence. Si moi je vous donne un contrat très transparent où je vous dis : « Vous allez travailler pour moi 16 heures par jour, contre 3 euros par jour » ; vous êtes dans la misère donc vous allez accepter. C’est complètement transparent, vous avez accepté en liberté. Mais non ! Heureusement qu’on ne fonctionne pas comme ça. On a le droit du travail pour vous empêcher de vous soumettre comme ça et de brader votre temps de travail. Pour les libertés fondamentales, les données personnelles, c’est pareil. Vous ne pouvez accepter n’importe quoi. Vous ne pouvez pas accepter de vendre vos données à Facebook ; ça c’est interdit. Alors comment on peut forcer Facebook à arrêter de faire ça ?

Dès le 25 mai prochain, on a une nouvelle loi européenne, très importante, qui va entrer en application et qui va avoir pour effet presque principal de donner des nouveaux pouvoirs de sanction à la CNIL, des amendes à hauteur de 4 % du chiffre d’affaires mondial. Donc ça, ce sont des vrais moyens pour la CNIL d’agir. Sauf que la CNIL, on l’a vu depuis un moment, elle n’est pas forcément très courageuse tout le temps pour s’en prendre à des choses aussi fondamentales. Alors, là ce sont les citoyens qui peuvent se mobiliser, agir ensemble, pour bouger la CNIL, pour mettre la pression sur Facebook avec une nouvelle arme qui va être l’action de groupe. Nous, à La Quadrature du Net, on peut faire des actions de groupe, donc on va en faire contre Facebook, évidemment, et pas du tout que sur ce sujet de Cambridge Analytica et pas que contre Facebook. Parce que là, ce qui se passe sur Facebook, c’est exactement le même modèle économique que vont avoir tous les GAFAM – Google, Apple, Amazon – qui reposent tous sur les mêmes choses, donc il faudra s’attaquer à tous.

Ce qu’on peut faire nous, beaucoup plus que fermer son compte qui est juste procéder tout seul et ne se protéger qu’à moitié parce qu’en fait Facebook, tel un petit renard, va vous traquer sur tous les autres sites du moment qu’il y aura un bouton like ou quoi que ce soit dessus.

Fabienne Sintes : Vous nous demandez aussi ce que deviennent les données quand on ferme son compte. Les données elles sont quelque part ?

Arthur Messaud : Oui, elles restent là. Facebook le dit : « Aussi longtemps qu’elles seront utiles à ce à quoi Facebook en a besoin », c’est-à-dire vous tracer. Et même quand vous n’avez pas de compte, Facebook s’est encore fait sanctionner il y a quelques semaines par la CNIL en Belgique, parce qu’ils traçaient sur Internet même les gens qui n’avaient pas de compte. Donc fermer son compte, aujourd’hui, hélas, n’est pas suffisant. C’est un peu égoïste parce qu’il faut aussi protéger les gens qui resteront sur Facebook, qui sont contraints pour des raisons familiales, professionnelles. Et la seule façon d’agir, comme toujours en politique, c’est collectivement. Et là ça tombe bien, on a une arme toute faite c’est l’action de groupe. Donc dans quelques semaines, La Quadrature annoncera et invitera chacun à rejoindre ces actions de groupe contre ces géants-là, pour ces problèmes-là, et pour mettre la pression sur la CNIL.

Fabienne Sintes : Et pas seulement en France, ceci dit, les actions de groupe, il y en a qui sont en train de se monter un peu partout pour l’instant.

Arthur Messaud : Heureusement ! Oui.

Fabienne Sintes : Gwendal Le Grand pour la CNIL.

Gwendal Le Grand : Déjà dans chaque pays européen il y a l’équivalent de la CNIL, donc il y a une CNIL et on a déjà mené, par le passé, beaucoup d’actions de mises en conformité vis-à-vis des gens de l’Internet. Donc il y a eu une action de la part des CNIL européennes qui touche les grands acteurs américains et Facebook a d’ailleurs fait l’objet de sanctions de la CNIL. Ce qui est très important, effectivement en 2018, c’est que les pouvoirs de sanction des autorités changent complètement. Pendant très longtemps, la sanction maximum que la CNIL pouvait donner c’était 150 000 euros d’amende. Depuis 2016 c’est passé à trois millions d’euros. Mais avec cette loi européenne, qui est le règlement européen sur la protection des données, on passe à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial consolidé de l’entreprise ; c’est le chiffre le plus élevé qui compte. Et 4 % des géants de l’Internet, c’est quelque chose de dissuasif et qui les incite, évidemment, à respecter la loi.

Fabienne Sintes : Et vous demander effectivement si c'était réellement dissuasif, si, de toutes façons, même à l’époque des 150 000 euros, cette amende a déjà été payée ou pas ? Est-ce qu'ils payaient ces amendes-là ?

Gwendal Le Grand : L’amende a déjà été payée. Il y a un certain nombre de géants d’Internet qui ont fait l’objet d’amendes de la part de la CNIL qui montaient à 150 000 euros. 150 000 euros, rapporté à leur chiffre d’affaires, c’est une goutte d’eau ! Donc vraiment ça donne un instrument nouveau qui crédibilise la question de la protection des données en Europe. Ce règlement européen, c’est vraiment un instrument fondamental qui va renforcer les droits des citoyens en Europe.

Fabienne Sintes : Je pense qu’il faut faire un peu de pédagogie avec cette question sur franceinter.fr : « Je ne comprends pas très bien – nous dit cet auditeur – mes données Facebook ne sont pas publiques sauf si je le décide, puisqu’elles ne sont accessibles que par mes amis ? »

Arthur Messaud : Non, c’est faux ça. Par défaut, énormément de choses sont publiques.

Giuseppe de Martino : Soyez précis ; soyez précis.

Arthur Messaud : Toutes les pages que vous suivez, toutes les personnes que vous suivez, toutes les listes que vous suivez, par défaut sont publiques ; ça c’est dans les conditions générales d’utilisation ; vous allez les voir. Et ensuite, par défaut, si vous allez voir vos paramètres dans l’onglet applications, vous allez dans paramètres ensuite applications, là vous avez la liste pré-cochée de toutes les informations qui vont être transmises aux applications de vos amis. Là vous allez avoir votre bio, votre localisation, votre parcours scolaire, vos centres d’intérêt, etc. , vous allez voir, tout ça est pré-coché par défaut, ce qui est complètement illégal au passage.

Fabienne Sintes : Comment on fait ? Est-ce qu’on peut décocher ce « par défaut » ?

Giuseppe de Martino : Bien sûr ! Et surtout, il faut prendre conscience que tout ce qu’on peut indiquer sur ces réseaux laisse une trace. Donc encore une fois, pardonnez-moi d’insister mais la pédagogie, la prise de conscience, est essentielle. Et ce ne sont pas des petites associations libertaires comme La Quadrature du Net qui vont changer quoi que ce soit.

Arthur Messaud : C’est la CNIL qui va sanctionner, ce n’est pas nous.

Giuseppe de Martino : Elles ne vont pas aller très loin, alors que la CNIL a fait un travail énorme de pédagogie et nous souhaitons rendre hommage à la CNIL et à son travail depuis 1978.

Gwendal Le Grand : La CNIL n’est pas contre l’usage de ces instruments sur Internet. Je pense qu’il y a plein de choses qui sont extrêmement utiles pour les citoyens à travers les usages numériques. Par contre nous, ce à quoi on veille, on veille au fait que les gens, ce qu’on appelle les responsables de traitement, donc les entreprises qui traitent vos données, respectent la loi européenne. Et encore une fois, l’information, le consentement et quelque part derrière, la notion de contrôle par le citoyen est vraiment au cœur ; c’est le principe fondamental que vous trouvez dans la loi informatique et libertés.

Fabienne Sintes : Cette question de Dominique, on l’a déjà évoquée, ça revient très régulièrement sur France Inter : « Pourquoi on n’arrive jamais à se désinscrire réellement de Facebook ? Comment peut-on se désinscrire pour ne plus figurer du tout sur leurs fichiers ? » Une question du même acabit qui vient de Didier à Nogent-sur-Marne et qui nous dit : « Est-il vrai qu’il faut 90 jours, en général, pour supprimer réellement ce qui a été publié ? »

Arthur Messaud : C'est bien plus ! Ces 90 jours c’est très précis, ça, ça va être sur les traceurs qui vont être installés sur votre navigateur, type cookies, cookies ou pixels invisibles, quand vous allez naviguer en dehors de Facebook. Ça c’est le seul chiffre que donne Facebook dans ses conditions générales d’utilisation, c’est 90 jours. En vrai, le vrai chiffre est bien plus long, il n’est pas donné explicitement, c’est « tant que Facebook a besoin de vos informations, il va les garder. » Et si vous avez mis une information publique, par exemple un commentaire sur un article ou une émission de France Inter, normalement ce commentaire va rester associé à votre nom jusqu’à ce que Facebook existe, jusqu’à ce que la page de France Inter existe.

Fabienne Sintes : Ça c’est moins grave.

Arthur Messaud : C’est moins grave, sauf que Cambridge Analytica a utilisé ce genre d’informations-là qui, en fait, sont très graves et révèlent énormément de choses sur vous : à quelle heure vous avez commenté ; quel genre de site ; à quelle fréquence. Ça révèle votre opinion politique, votre état de santé psychique ou même corporel. Ce sont les données qui sont utilisées par le scandale dont on parle aujourd’hui, donc c’est grave en fait.

Fabienne Sintes : Est-ce qu’il peut y avoir un avant et après Cambridge Analytica pour Facebook, pas seulement, pour les réseaux sociaux d’une manière générale ? Est-ce qu’il y a une prise de conscience aujourd’hui ? Je le disais tout à l’heure, il y a eu les fake news, il y a eu Trump, il y a tout ce qui était politique, maintenant il y a Cambridge Analytica, est-ce qu’il peut vraiment y avoir un avant et un après ? Gwendal Le Grand.

Gwendal Le Grand : Je pense que ça fait prendre conscience du pouvoir que ces réseaux sociaux ont sur nous à travers les informations qui sont présentées aux individus. Et c’est en ça qu’il est important que tout cela soit le plus transparent possible, que les gens comprennent que les informations qui sont présentées peuvent être ciblées. Donc l’information n’est pas forcément complètement neutre. Donc il faut qu’on comprenne quelles sont les données collectées, comment elles sont collectées, comment elles sont traitées derrière ; comment se passe le ciblage et qu’on puisse contrôler le ciblage. Parce que derrière c’est, finalement, la neutralité de l’information qui vous est présentée qui est en jeu.

Fabienne Sintes : Mais là pour le coup, si on ne peut pas le faire, si c’est aussi compliqué, pourquoi on ne peut pas tordre le bras, comme je vous ai dit tout à l’heure, aux réseaux sociaux, à Facebook ou à un autre, pour que ces informations dont vous parlez soient automatiques et qu’on les ait tout de suite en fait ?

Gwendal Le Grand : C’est ce qu’on fait. On passe notre temps à dialoguer avec les géants d’Internet pour s’assurer qu’ils respectent correctement la loi. Après, les discussions, c’est souvent les mêmes sujets qui remontent, c’est-à-dire les paramètres par défaut. L’enjeu pour ces sociétés, si vous voulez, c’est de partager un maximum d’informations parce que c’est comme ça qu’elles tirent la valeur des données. Donc vous vous inscrivez et il y a de plus en plus de personnes qui vont s’inscrire sur la plateforme, plus elles vont partager d’informations, plus ça va représenter de valeur pour la plateforme.

Derrière, l’intérêt de l’individu, pour protéger sa vie privée, ça va plutôt être de partager uniquement les informations qui sont nécessaires, avec son réseau d’amis. Et c’est cette tension qu’il faut constamment réconcilier. Donc nous, le souci qu’on a au niveau de la CNIL, quand on examine la manière dont fonctionnent ces services c’est : est-ce que les personnes sont bien informées ? Est-ce qu’elles comprennent ce qu’elles font ? Est-ce que les paramètres par défaut sont suffisamment protecteurs ou pas ? Et là, c’est vraiment un des enjeux qu’on a dans le cas Cambridge Analytica à savoir que quand on s’inscrit sur Facebook et qu’on a une activité sur Facebook, on peut révéler un certain nombre de choses sur ses préférences politiques, ce qui est une donnée sensible au sens de la loi. Et donc ça ce sont des choses qui sont particulièrement bien protégées.

Fabienne Sintes : Arthur Messaud.

Arthur Messaud : Vous allez plus loin en fait. La CNIL va, heureusement, beaucoup plus loin que ça. Elle ne s’arrête pas juste à l’information et au contrôle des utilisateurs. Il y a eu, en décembre dernier, une décision extrêmement importante de la CNIL qui a mis en demeure WhatsApp. Parce qu’en fait WhatsApp vous obligeait, pour utiliser les services, d’accepter que vos données soient transférées à Facebook ; Facebook c’est la maison-mère de WhatsApp. Et la CNIL a dit : « Si vous êtes obligé d’accepter un traitement sur vos données, un transfert qui n’est pas utile au service WhatsApp, eh bien alors votre consentement vous le donnez de façon non libre et non valide, donc ce transfert de données vers Facebook est interdit et illicite » et a mis en demeure WhatsApp d’arrêter. Donc là, la CNIL a vraiment une position intéressante, assez nouvelle et courageuse, qui concrétise, ce que j’ai dit tout à l’heure, que les données personnelles ne sont pas des marchandises. On ne peut pas les vendre. Et si on vous oblige à renoncer à votre vie privée pour accéder à un service, c’est interdit. Il faut fermer ça. Donc on n’est pas juste dans le contrôle, on n’est pas juste dans la transparence ; il y a une certaine forme d’un modèle économique qui est interdit par la CNIL aujourd’hui et qui est reconnu comme étant illégitime. Et tant mieux parce que, sinon, ça voudrait dire que seuls les plus riches qui peuvent encore se payer leur vie privée en auraient encore. Ça, la CNIL l’a bien compris et, du coup, protège les gens qui, sous la contrainte, cèdent des choses sans laquelle ils n’auraient jamais cédé.

Fabienne Sintes : Mais vous avez parlé, Gwendal Le Grand tout à l’heure, de changer les règles par défaut, les paramètres par défaut. En fait est-ce que ça suffit réellement ? Est-ce que, on a envie de dire, c’est aussi simple que ça, changer les paramètres par défaut et déjà on aura fait un gros progrès ?

Gwendal Le Grand : C’est essentiel de le faire. Ce n’est pas forcément simple, parce que, justement, la question c’est l’ergonomie du service et c’est pour ça que sur le site de la CNIL vous avez tout un tas de tutoriels3 qui vous expliquent comment utiliser ces services numériques et vous protéger correctement. Après, le cas WhatsApp est très intéressant parce que, quelque part, c’est le deuxième étage de la fusée. Si vous voulez, je suis utilisateur de Facebook, je suis utilisateur de WhatsApp.

Fabienne Sintes : Il faut rappeler aux gens qui nous écoutent.

Gwendal Le Grand : Facebook c’est le réseau social et WhatsApps c’est une messagerie.

Fabienne Sintes : Qui appartient à Facebook.

Gwendal Le Grand : Initialement ça n’appartenait pas à Facebook.

Fabienne Sintes : Initialement non. Mais ils se sont rachetés.

Gwendal Le Grand : Initialement je suis client de WhatsApp et de Facebook et j’ai certaines activités vis-à-vis de WhatsApp et certaines activités vis-à-vis de Facebook.

Fabienne Sintes : Pardon, excusez-moi, que je comprenne bien. Initialement oui, mais on ne peut pas ignorer que l’un appartient à l’autre ; ça change tout !

Gwendal Le Grand : J’y viens. Par le mécanisme de fusion-acquisition, Facebook un jour achète WhatsApp et l’idée c’est qu’ils veulent croiser les données des utilisateurs de WhatsApp et des utilisateurs de Facebook.

Fabienne Sintes : Et d’Instagram par ailleurs !

Gwendal Le Grand : Et ça, ça démultiplie le problème, ça démultiplie le problème.

Arthur Messaud : Et Instagram aussi. Oui.

Gwendal Le Grand : Donc au fur et à mesure que ces géants de l’Internet rachètent d’autres entreprises de l’écosystème numérique, ils ont la possibilité de combiner énormément d’informations et ça, évidemment, ça pose des questions essentielles en matière de protection de la vie privée, parce que c’est toute la segmentation de votre vie numérique qui, d’un seul coup, est réconciliée à travers ce rachat de sociétés. Et donc Facebook-WhatsApp, c’est un cas, justement, sur lequel la CNIL a agi, a mis en demeure Facebook et WhatsApp de cesser le partage de données, de respecter la loi dans le cadre du partage de données et il y a des actions de mise en conformité vis-à-vis de ces acteurs-là également.

Fabienne Sintes : Giuseppe de Martino.

Giuseppe de Martino : Tout le mal originel, en quelque sorte, vient du fait que ces sociétés qui sont à l’origine de l’Internet sont américaines.

Arthur Messaud : Quelles sociétés ? À l’origine de l’Internet ? Facebook n’est pas Internet !

Giuseppe de Martino : Internet est une invention américaine.

Arthur Messaud : Elle est collective. Pas du tout, elle est collective.

Giuseppe de Martino : Internet est né aux États-Unis.

Arthur Messaud : À un moment précis, mais c’est collectif ; les inventions, on ne les fait pas tout seul dans un coin ; ce n’est pas une personne. Facebook n’est pas Internet !

Giuseppe de Martino : Toutes les entreprises d’Internet sont américaines.

Arthur Messaud : Ce n’est pas une entreprise ! Internet, à la base c’est un réseau.

Fabienne Sintes : Vous étiez au péché originel.

Arthur Messaud : Juste, ne confondez pas Facebook et Internet !

Giuseppe de Martino : Voilà si monsieur me laisse parler ; si monsieur utopie me laisse parler. La question des données personnelles est beaucoup plus sensible en Europe qu’aux États-Unis. Les géants de l’Internet sont américains aujourd’hui et donc, le travail compliqué des régulateurs des données en Europe, est de se rassembler, de créer ce dialogue et de faire comprendre qu’on ne peut pas agir de la même façon dans les maisons-mères et dans les territoires où ces sociétés se sont lancées au départ, qu’en Europe. C’est pour ça qu’il y a, encore une fois, un énorme travail de pédagogie à faire par ces plateformes, mais aussi, je pense, au niveau de l’Éducation nationale. Est-ce que nos enfants sont sensibilisés à la façon dont ils s’inscrivent sur ces plateformes ? Est-ce qu’on leur apprend véritablement à ne pas partager avec tous leurs données ? On n’en est pas certains aujourd’hui !

Fabienne Sintes : Et c’est là, effectivement, qu’il y a quelque chose que moi j’ai du mal à suivre, en fait. Il faut donc expliquer aux enfants « attention c’est dangereux », au lieu d’essayer de faire en sorte qu’on n’aille pas sur un endroit dangereux. Vous voyez ? C’est un peu comme si on suggérait de traverser à pied par l’autoroute au lieu de traverser sur le passage clouté. Quitte à obliger la ville à faire un passage clouté !

Giuseppe de Martino : La première fois que vous permettez à vos enfants d’aller chercher le pain, vous les accompagnez ; vous leur apprenez à traverser la route, à traverser aux feux, à ne pas voler de bonbons, à donner l’argent, à récupérer la monnaie. C’est exactement la même chose en ligne. Il faut accompagner ses enfants, il faut leur apprendre les bonnes manières, les bonnes pratiques et qu’ils ne tombent dans les pièges qui peuvent exister, comme dans la vraie vie.

Fabienne Sintes : Et c’est ce qu’on disait, Gwendal Le Grand, dans l’avant-après, en fait. Peut-être que désormais il y a des choses qu’on a apprises qui feront que les réseaux sociaux seront moins dangereux pour les gens.

Gwendal Le Grand : Tout le monde apprend à se servir progressivement de ces outils numériques. Après, il y a double travail à faire. Il y a à s’assurer que ces acteurs-là respectent la loi. Pour prendre l’analogie de tout à l’heure, il faut s’assure qu’on construit des passages cloutés quelque part et, en même temps, après, il faut éduquer les gens pour qu’ils utilisent ces passages cloutés. Donc il faut que les deux existent, si vous voulez. Et c’est pour ça que l’action de la CNIL concerne les deux. On a des actions de mise en conformité vis-à-vis des grands acteurs d’Internet ; on va vérifier s’ils respectent bien les règles, s’ils informent les gens correctement, s’ils effacent les données quand ils doivent les effacer, s’ils traitent uniquement les données qui sont nécessaires pour le service, parce que tous ces principes-là sont dans la loi. Et puis, en même temps qu’on fait ça, il y a des actions d’éducation au numérique. On a beaucoup d’actions de sensibilisation que vous trouvez sur le site de la CNIL, par exemple, avec des tutoriels pour paramétrer son compte Facebook, pour prendre juste l’exemple de cette société-là.

Giuseppe de Martino : Donnez-nous un exemple. 30 millions de Français qui vont sur Facebook et sur les autres plateformes, on ne les a pas assez mentionnées, YouTube, LinkedIn et les autres, combien de visiteurs sur le site de la CNIL ? Quelques dizaines de milliers. Donc ça ne suffit pas cette action formidable de la CNIL, mais il faut également se mobiliser tout un chacun au quotidien.

Arthur Messaud : Justement sur cette question d’éducation, juste il ne faut pas en faire trop ! Le numérique on ne va pas comprendre. Autour de la table personne ne comprend vraiment comment ça marche tout ça, moi compris, et c’est normal ! Ce sont des choses complexes ; la façon dont on est ciblé, les fichages sur nous, ce sont des choses beaucoup trop complexes ! Il ne faut pas penser, il ne faut pas rêver qu’un jour on va comprendre et qu’on sera à l’aise avec ça. Et c’est pour ça que la loi est là pour nous protéger, pour nous empêcher de prendre des risques qu’on ne comprend pas, pour nous interdire, à la limite, d’aller sur Facebook alors qu’on ne sait pas ce qui se passe.

Fabienne Sintes : Alors justement, tiens, on a cette question de Jean-Marc, à Paris, qui nous dit : « Moi j’ai une page Facebook, mais je n’y mets presque rien, je ne fais que regarder celle des autres. Est-ce que le fait de ne pas être actif protège réellement ? Ou ça ne suffit pas ? »

Arthur Messaud : Il est actif. Il dit bien ce qu’il fait : il va regarder la page des autres ; il est actif !

Fabienne Sintes : Même si on ne like pas ?

Arthur Messaud : Bien sûr ! Pour Facebook ça ne change rien ça. Facebook sait très bien ce que vous faites et ça, ce n’est pas « décochable ». La surveillance qu’a Facebook sur vous, qui est 100 fois plus forte que celle de Cambridge Analytica, celle-là vous ne pouvez pas la décocher. Et peu importe que vous « likiez » ou pas, il voit les pages que vous allez voir, à quelle heure vous vous connectez, à quelle heure vous vous déconnectez. Ça suffit largement pour savoir quel est votre profil psychologique, votre métier, votre âge, etc.

Fabienne Sintes : Une autre question qui vient de Morgane, qui habite en Vendée : « Comment fonctionne le nouvel algorithme de Facebook et qu’est-ce que ça change ? » Un algorithme qui a d’ailleurs été légèrement modifié entre sa première sortie et puis désormais.

Giuseppe de Martino : Facebook change régulièrement son algorithme et la dernière fois que Facebook a annoncé un changement c’était pour favoriser les contenus venant de son entourage plutôt que ceux des médias comme France Inter. Les résultats, aujourd’hui, font qu’il peut y avoir un amalgame avec la notion même de média. Vs amis ne sont-ils pas la principale source d’information que vous êtes amené à préférer par rapport aux sources officielles ?

Fabienne Sintes : Et dont les critiques disaient, finalement, que la monnaie de la pièce, si vous voulez là-dessus, c’est qu’on tourne en rond, en fait, autour des mêmes idées et donc, finalement aussi, des mêmes complots, des mêmes thèses, etc.

Arthur Messaud : Bien sûr.

Giuseppe de Martino : >Encore une fois Facebook n’est pas un service public, personne n’est obligé d’y aller.

Fabienne Sintes : Certes !

Arthur Messaud : Il faut comprendre comment il fonctionne quand même.

Giuseppe de Martino : Continuez à lire, continuez à écouter la radio ; vivez !

Fabienne Sintes : Oui, oui ! J’imagine que les gens font les deux !

Arthur Messaud : C’est important ce que vous dites parce que Facebook, son grand argument qu’on a entendu là, c’est : on est vecteur de liberté d’expression. Il faut comprendre que Facebook filtre ce que vous lisez. Le but de l’algorithme c’est de vous empêcher de voir certaines choses et de mettre en avant d’autres. La liberté d’expression ce n’est pas ça ! On est en dehors. La liberté d’expression, telle qu’elle est utile, c’est que tout le monde peut accéder au débat sur un pied d’égalité. Sur Facebook, les contenus sont filtrés dans le but de vous vendre du temps de cerveau disponible ; Facebook c’est comme la télé : son métier c’est de vous proposer du contenu qui va vous faire rester devant pour bien vous cibler et vous montrer la bonne publicité. Ça, en termes de liberté d’expression, c’est une calamité. Facebook ne veut pas que tout le monde accède au débat de la même façon sur un pied d’égalité. Il va mettre en avant les contenus qui vont vous faire rester.

Fabienne Sintes : Vanessa est à Cherbourg, nous écrit sur franceinter. fr, nous dit : « Comment peut-on croire Mark Zuckerberg quand il dit qu’il va corriger ses erreurs ? Comment peut-on restreindre – c’est bien la question qu’on posait tout à l’heure – l’accès aux données comme il l’annonce ? »

Arthur Messaud : Avec des sanctions ; des fortes sanctions.

Fabienne Sintes : Le moyen c’est ça ? C’est l’argent ?

Arthur Messaud : C’est le seul moyen !

Giuseppe de Martino : C’est clair que ces sociétés cherchent à gagner de l’argent, comme c’était expliqué tout à l’heure par Arthur, finalement, quand vous allez sur ces réseaux sociaux, ce qu’ils cherchent à faire c’est à garder l’utilisateur captif. Donc montrer toutes sortes de contenus qui vont faire en sorte que l’utilisateur reste sur son téléphone parce que plus longtemps vous restez sur la plateforme et plus on va vous afficher de publicités et donc plus vous allez générer des revenus pour la plateforme. Donc derrière, c’est vraiment l’enjeu du respect de la loi. Ce n’est pas interdit d’afficher de la publicité, ce n’est pas interdit de collecter des données ; ce n’est pas interdit d’offrir ce type de service-là et, encore une fois, ça peut rendre beaucoup de service aux gens ; il y a des gens qui sont très contents d’utiliser ce type de service.

Arthur Messaud : Pas la majorité.

Giuseppe de Martino : Il ne s’agit absolument pas d’interdire. Il s’agit juste de le faire en respectant les règles qui sont dans la loi européenne, qui est bien connue, et qui protège le citoyen quand elle est correctement appliquée.

Fabienne Sintes : Est-ce que le fait que Facebook commence à perdre un peu, c’est très léger, mais un peu, quand même, une certain nombre d’adhérents, je ne sais pas comment on peut dire ça, d’adeptes.

Giuseppe de Martino : D'utilisateurs.

Fabienne Sintes : D’utilisateurs, merci,parce que peut-être la moyenne d’âge est en train de changer, est-ce que tout cela peut modifier un certain nombre de pratiques ou pas du tout ?

Arthur Messaud : Les gens partent sur WhatsApp, Instagram ; Facebook, ils ne sont pas bêtes ; ils se diversifient et ils n’ont pas besoin d’avoir autant d’utilisateurs non plus pour surveiller les gens.

Fabienne Sintes : Mais ils se diversifient peut-être en croyant que c’est différent de Facebook alors que, de fait, c’est pareil, non ?

Arthur Messaud : Facebook a investi ; comme tous les GAFAM, ils n’ont pas un cheval de course sur lequel ils restent. Ils ne sont pas du tout stupides et c’est le problème. Le problème c’est que là on se focalise sur Facebook aujourd’hui, mais le problème est généralisé, complètement et à tous, pas qu’à Facebook, à tous les GAFAM.

Fabienne Sintes : « J’aimerais que vous nous expliqueriez, nous demande cette auditrice sur franceinter.fr, comment il est possible d’utiliser des données personnelles pour influencer un vote, parce que, jusqu’à nouvel ordre, la publicité elle-même nous assaille à travers tous les médias et nous sommes libres d’y être sensibles ou non. » Est-ce qu’on sait, alors c’est compliqué statistiquement j’imagine, là, par exemple Cambridge Analytica, 50 millions de fichiers, est-ce qu’on sait, quand on a 50 millions de données, combien on peut toucher réellement de personnes ? Est-ce que là il y 1 % des gens qui, effectivement, iront dans la direction qu’on leur a indiquée ? 2 %, 10 %, 20 %? Est-ce qu’on sait ça, ou pas ?

Gwendal Le Grand : Je serai incapable de vous répondre. Ce sont ces personnes qui ont trituré les données, qui les ont revendues, qui pourraient vous donner un début de réponse. Mais ce n’est pas une notion scientifique.

Fabienne Sintes : Non, mais si elles l’ont fait c’est que le pourcentage existe.

Arthur Messaud : Sûrement et leurs promesses !

Gwendal Le Grand : Et c’est plus. C’est que, peut-être sans doute, ça permet d’identifier les indécis et ceux sur lesquels ça vaut le coup « d’investir », entre guillemets, pour être capable de forcer leur décision dans le cas du vote politique. Donc un profil détaillé sur une personne va révéler beaucoup de choses sur ses habitudes de vie, sur ses préférences politiques, sur ses préférences sexuelles et ainsi de suite. Et en fait derrière, si vous donnez ça à des gens qui triturent les données, ils vont savoir si vous êtes extrêmement décidé et vous ne changerez pas d’avis ou si vous êtes un petit peu indécis. Et ensuite on va choisir, finalement, d’afficher de la publicité à ceux qui sont un petit peu indécis pour essayer de changer leur opinion et l’amener du côté de celui qui affiche la publicité.

Arthur Messaud : Vous faites bien d’utiliser l’expression publicité, ce n’est pas qu’en matière politique ; la publicité fonctionne exactement pareil. Il n’y a pas que la publicité aussi : la mise en avant de certains médias, la mise en avant de certaines news plus ou plus moins fake, tout ça est fait avec la même logique, pour le présenter aux gens indécis, aux gens qui hésitent. Ce n’est pas que des problèmes de politique ; ce sont des problèmes de comportement économique ou de comportement de société en général, et ça Facebook le fait et est fier de le faire. Quand ça touche Trump et le Brexit, Zuckerberg a un peu honte ; mais pour tout le reste d’influencer, de conditionner les gens, il est fier de le faire et il le revendique.

Gwendal Le Grand : Et ça donne une catégorisation très fine des personnes finalement, ces réseaux sociaux.

Giuseppe de Martino : J’ai la chance de présider un média qui récemment, grâce à Facebook, a pu mettre en avant une vidéo d’un jeune inventeur bordelais qui a mis en place un igloo au profit des SDF, un igloo en polymère. Nous avons pu toucher 5 millions de personnes. Si j’avais été un petit média dans mon coin, en dehors des plateformes, j’aurais touché 2000-3000 personnes. Il faut quand même ne pas oublier que l’algorithme que vous vouez aux gémonies permet aussi de porter des belles images, de porter des messages d’espoir et est globalement positif.

Fabienne Sintes : Héloïse nous pose cette question sur franceinter.fr : « Y a-t-il d’autres Cambridge Analytica quelque part dans la nature ? »

Arthur Messaud : Oui, Facebook, d’abord ; premier ; Facebook.

Giuseppe de Martino : La Quadrature du Net, sans doute.

Arthur Messaud : Nous non. On ne fait aucun traçage. On n’a pas besoin : on n’a que des dons. On n’a pas besoin.

Giuseppe de Martino : On ira auditer.

Arthur Messaud : Avec plaisir, aucun souci.

Fabienne Sintes : Très sérieusement, est-ce qu’il y a d’autres Cambridge Analytica ?

Arthur Messaud : Toutes les applications de Facebook fonctionnent de la même façon. Google est sûrement un petit Cambridge Analytica, enfin le plus gros ; Apple, plutôt iOS et Android vont fonctionner de la même façon un petit peu. Quand vous les utilisez, vous êtes obligé d’utiliser un identifiant unique qui va permettre à toutes les applications que vous allez utiliser sur votre smartphone de vous cibler dans vos usages ; donc c’est la même logique.

Giuseppe de Martino : Les antiaméricains ce soir ! On ne mentionne que des sociétés américaines. Ce qu’on peut combiner, les entreprises russes, certains médias, je ne sais pas si on peut leur donner ces noms, russes ; il y a des sociétés en Asie également qui jouent sur les pratiques comportementales des internautes.

Arthur Messaud : Et européennes aussi. Il faut le dire aussi. Il y a aussi des européens.

Giuseppe de Martino : Mais les applications que vous installez sur les réseaux sociaux, que vous installez sur votre téléphone, elles accèdent à certaines informations. Quand vous installez une appli sur votre téléphone, elle vous demande l’autorisation d’accéder à certaines données qui sont stockées dans le téléphone. Le modèle, derrière, c’est bien l’exploitation de ces données-là soit pour vous afficher des publicités, pour vous catégoriser et ainsi de suite. C’est vraiment la même logique, en fait, qu’on va retrouver aussi dans cet univers.

Fabienne Sintes : Pardon, allez-y Arthur Messaud.

Arthur Messaud : C’est très bien qu’il y ait ce scandale-là, quand même, parce qu’il faut qu’aux gens on leur parle de choses très concrètes qui vont être des élections politiques influencées. Et tout d’un coup, les gens vont réaliser qu’en fait on est influencés tous les jours, pas que dans nos choix politiques, mais partout. Donc c’est bien ! La question est bien posée. Les gens s’attendent à voir la même chose que Cambridge Analytica apparaître et peut-être que si on leur dit, en fait, toutes les autres applications, même si elles n’ont pas d’influence sur les élections elles fonctionnent pareil, les gens vont commencer à se dire ce n’est pas qu’un problème politique, ce n’est pas qu’un problème d’élections politiques ; c’est quand même plus large.

Fabienne Sintes : Mais est-ce qu’il ne risque pas d'y avoir un nettoyage où chacun va, justement, faire le tri pour éviter d’être dans la même déconvenue que Zuckerberg l’est aujourd’hui ?

Gwendal Le Grand : Le nettoyage est essentiel. La prise de conscience est le début avec, comme on l’a tous indiqué, des paramétrages plus restrictifs et l’enjeu aujourd’hui c’est qu’on est allé, sur l’Internet, vers de plus en plus de personnalisation. Alors c’est votre flux d’informations sur Facebook qui est personnalisé ; c’est en fonction des amis que vous avez ; c’est en fonction des contenus que vous avez visités ; c’est en fonction des sites que vous êtes allé voir. Mais c’est vrai aussi quand vous surfez sur des sites d’information où ce sont des publicités personnalisées qui sont affichées en fonction du profil que vous avez. Et donc réellement, aujourd’hui, le modèle économique de l’Internet c’est ça, c’est de profiler les gens de manière extrêmement précise ; d’un certain nombre de sociétés sur Internet c’est de profiler les gens de manière extrêmement précise pour afficher de la publicité la plus ciblée possible.

Arthur Messaud : Ce n’est pas tout à fait vrai. Vraiment, faisons attention à ne pas résumer Internet aux GAFAM. Un des sites les plus visités, les plus importants au monde, Wikipédia, est gratuit et ne vous filtre pas.

Giuseppe de Martino : Rallié à La Quadrature.

Arthur Messaud : Merci, avec plaisir. On ne résume pas Internet à des grosses sociétés qui sont là pour nous exploiter. Il y a énormément de choses géniales sur Internet, qui ne fonctionnent pas comme ça.

Giuseppe de Martino : Ne schématisez pas, s’il vous plaît !

Fabienne Sintes : Je voudrais quand même donner cette dernière remarque sur franceinter.fr ; elle nous vient de Saint-Lô, je ne sais pas si c’est un monsieur ou une dame, mais qui revient à tous les débats qu’on a pu avoir aussi sur liberté et sécurité qui nous dit : « Ce que Facebook et Google me proposent me convient car c’est adapté à mon profil dans un monde où on prône une personnalisation des services et, comme je n’ai rien à cacher, eh bien il n’y a pas de problème. » Ce sont des choses qu’on entend.

Arthur Messaud : Est-ce que cette dame peut envoyer le mot de passe de son compte mail à La Quadrature ; on sera ravis de voir si elle n’a rien à cacher ; ce sera très rigolo.

Fabienne Sintes : Cinq, quatre, trois, deux, un. Sûrement ! Et j’ai une petite dernière : Gwendal Le Grand, vous avez un compte Facebook ou pas ?

Gwendal Le Grand : Oui.

Fabienne Sintes : Et vous, vous avez un compte Facebook Giuseppe de Martino ?

Giuseppe de Martino : Bien sûr, 2000 amis !

Fabienne Sintes : Arthur je n’ai pas envie de vous demander, Arthur Messaud.

Arthur Messaud : Si !

Fabienne Sintes : Vous en avez un !

Arthur Messaud : Maintenant si, parce qu’il ne faut pas laisser ces gens-là tout seuls en fait. Il faut les défendre ces gens ; il faut les protéger.

Fabienne Sintes : Vous avez un comte Facebook ! Je n’y crois pas ! Allez, continuez à écouter la radio, c’est bien aussi. Portez-vous bien !

Gwendal Le Grand : Exactement.