Point d'étape sur la mobilisation de l'April sur le projet de loi « pour une République numérique »
En 2013, avec la loi enseignement supérieur et recherche, le Parlement français avait adopté pour la première fois une disposition législative donnant la priorité au logiciel libre. L'April avait beaucoup contribué aux débats et s'était réjouie de ce vote tout en indiquant que cette première étape devait se poursuivre et se généraliser par la mise en place d'une vraie politique publique en faveur du logiciel libre.
La consultation
L'April s'est engagée dans le processus d'élaboration du projet de loi « pour une République numérique » dès la consultation publique en ligne organisée par le gouvernement en septembre et octobre 2015. C'était la première fois qu'un texte de loi du gouvernement était ainsi ouvert à la relecture et aux propositions citoyennes avant même sa présentation en Conseil des ministres. La plate-forme dédiée permettait de formuler son opinion. Malgré ses limites, c'était une opportunité de s'exprimer sur chacun des sujets, de proposer des amendements voire de nouveaux articles.
Pour une informatique loyale au service de l'intérêt général, nous avions alors fait deux propositions d'amendement à l'avant-projet de loi : la reconnaissance de la qualité de document administratif communicable des codes sources des logiciels produits par l'administration et la priorité au logiciel libre dans le secteur public.
Le résultat de la consultation a montré une véritable tendance de fond en faveur du logiciel libre. Parmi les 10 propositions les plus soutenues, plusieurs étaient en lien avec les logiciels libres. Notre proposition de donner la priorité au logiciel libre arrivant en troisième place et notre proposition « Le code source d'un logiciel est un document administratif communicable » arrivant en 7e position.
Le projet de loi
Mais faisant fi de cette expression citoyenne, la version du projet de loi soumise au Parlement n'intégrait aucune de ces propositions. Le gouvernement se limitant à de floues déclarations d'intention et à de vagues promesses peu contraignantes pour encourager l'usage du logiciel libre.
L'April s'est donc mobilisée pour que soient intégrées ses propositions, aussi bien lors de ses auditions par les rapporteurs du projet de loi, à l'Assemblée nationale et au Sénat ; au moment de ses entretiens avec certains parlementaires, députés et sénateurs, pour les sensibiliser en vue de les inviter à adopter, voire à déposer, des amendements en faveur de la communicabilité des codes sources des administrations et de la priorité à donner au logiciel libre dans le secteur public ; mais aussi en contactant les élus, et en appelant chacun à faire de même.
Le code source est un document administratif communicable
Ce travail a permis l'adoption à l'Assemblée nationale en janvier 2016, contre l'avis du gouvernement, d'un amendement qui ajoute explicitement le code source dans la liste des documents administratifs communicables. Malheureusement, ce principe de communicabilité a rapidement été restreint. D'une part par l'ajout d'une exception en cas de risque d'atteinte « à la sécurité des systèmes d'information des administrations », exception adoptée par les députés et validée par les sénateurs. D'autre part, avec un amendement adopté au Sénat qui exclut de la liste des documents administratifs communicables les codes sources des « personnes publiques ou privées chargées d’une mission de service public dans un secteur exposé à la concurrence ». C’est le cas des entreprises chargées d'un SPIC (service public à caractère industriel et commercial), par exemple dans le domaine des transports comme la SNCF. À l'occasion des débats au Sénat, l'April a diffusé une infographie pour soutenir une réelle communicabilité des codes sources. Infographie transmise aux sénateurs et largement diffusée sur les réseaux sociaux. Espérons que la réunion de la commission mixte paritaire en juin, dont le rôle est d’aboutir à la conciliation des deux assemblées sur un texte commun, soit l'occasion de revenir sur la seconde exception. La première ayant été adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres, il s'agit d'un « vote conforme », n'est théoriquement plus susceptible d'être modifiée.
Priorité au logiciel libre dans le secteur public
Concernant la priorité au logiciel libre dans le secteur public, plusieurs députés avaient déposé des amendements visant à inscrire ce principe dans la loi. Pour s'opposer à cette proposition le gouvernement a argué d'un « risque constitutionnel » fondé sur une prétendue incompatibilité d'une priorité au logiciel libre avec les droits de la concurrence et de la commande publique. L'April a publié une analyse démontrant la validité juridique d'une telle disposition. De plus, le Conseil National du Numérique a expliqué dans une fiche synthétique qu'une priorité au logiciel libre ne remet en cause ni le principe de "neutralité technologique" de l'achat public, ni les règles de concurrence de l'Union européenne.
Le gouvernement s'appuyerait sur une « note juridique » de la Direction des affaires juridiques (DAJ) du Ministère des Finances et des comptes publics. L'April a écrit au gouvernement pour demander la communication de l'analyse juridique. Aucune réponse n'est parvenue. Nous avons alors fait une demande de communication directement auprès de la DAJ. Réponse de non-recevoir : la DAJ se retranche en effet derrière l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration et plus particulièrement derrière la notion très floue du secret des délibérations du Gouvernement. Le gouvernement a donc refusé d'agir dans la transparence pourtant nécessaire à tout débat démocratique. L'April a alors saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). Notre demande a été examinée le 28 avril 2016, donc après le débat au Sénat. Nous attendons la communication de l'avis de cette Commission.
Notons par ailleurs que cette même DAJ a reçu une leçon de droit communautaire par le juge administratif qui avait été saisi de la demande de communication du code source du calculateur de l'impôt sur le revenu des particuliers.
En commission des lois, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui encourage simplement à l'utilisation des logiciels libres dans le secteur public. Lors du débat en séance publique, plusieurs amendements proposaient de donner la priorité aux logiciels libres. Les députés porteurs de ces amendements ont mené dans l'hémicycle un long et intense débat de 45 minutes, d'une très grande qualité, pour démonter un à un les arguments qui leur étaient opposés par Mme Axelle Lemaire et M. Luc Belot, le rapporteur du projet de loi. Malgré cette admirable défense et le soutien de députés de différentes tendances politiques, ces amendements ont été rejetés à quelques voix près.
Le projet de loi a ensuite été examiné au Sénat en avril 2016. Plusieurs sénateurs ont déposé des amendements en faveur d'une priorité au logiciel libre. En commission des lois, le rapporteur avait fait adopter un amendement de suppression de l'article qui instituait un encouragement à l'usage du logiciel libre, lui reprochant notamment son absence de portée normative. Il affirmait pourtant partager « les préoccupations des auteurs de cette disposition en termes de maîtrise, voire de souveraineté, de leurs systèmes d’information par les administrations ». L'April considère également que « l'encouragement » souffre d'un manque flagrant de portée politique et que cette notion est dénuée de toute portée contraignante. Le rapporteur aurait pu choisir de soutenir la priorité plutôt que de supprimer la disposition initiale.
Des amendements de priorité au logiciel libre ont été à nouveau déposés par des sénateurs de plusieurs bords politiques (gauche et droite) pour le débat en séance publique. Les débats ont duré plus d’une heure. Malgré l'évident consensus sur les qualités et vertus du logiciel libre le Sénat s'est finalement contenté de restaurer un encouragement à l'utilisation du logiciel libre tout en y accolant de vagues objectifs de maîtrise et d'indépendance non moins dénués de portée normative. Une simple « déclaration de bonnes intentions » pour reprendre les propos d'une sénatrice qui souhaitait inscrire la priorité au logiciel libre.
C’est une occasion manquée pour le Parlement. L'April salue néanmoins la qualité de cette heure de débats où plusieurs intervenants ont su exprimer l'importance des enjeux et expliquer la nécessité d'un recours au logiciel libre. On sent donc une progression sur le sujet, même si on regrette que les parlementaires n’aient pas été au bout de leur logique. Autre point positif : plusieurs amendements voulant accorder la priorité au libre ont été déposés par des groupes de différentes couleurs. Un jour cette priorité sera inscrite dans la loi, car c‘est le sens de l’histoire.
Vous pouvez consulter la version actuelle du projet de loi. L'article sur le code source est le 1er bis et celui sur l'encouragement à l'usage du logiciel libre est le 9 ter.
Article 1er bis
I. - Le premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Constituent également de tels documents les codes-sources, à l'exception des codes-sources des personnes publiques ou privées chargées d'une mission de service public dans un secteur exposé à la concurrence. »
II. - Le 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration est ainsi modifié :
1° À la fin du d, les mots : « ou à la sécurité des personnes » sont remplacés par les mots : « , à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations » ;
2° (nouveau) Le g est ainsi rédigé :
« g) À la recherche et la prévention, par les services compétents, d'infractions de toute nature ; ».
Article 9 ter
Les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l'indépendance de leurs systèmes d'information.
Elles encouragent l'utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d'information.