Plan d'action logiciels libres et communs numériques : le Gouvernement avance, à son rythme

Mercredi 10 novembre 2021, dans le cadre du salon Open source Experience, Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a annoncé le plan d'action du Gouvernement en matière de logiciels libres et communs numériques dans l’Administration. Si on est encore loin d'une priorité effective au logiciel libre, qui doit être la ligne de mire de toute politique publique ambitieuse sur le sujet, le plan d'action pose des bases encourageantes pour une administration tournée vers les logiciels libres, et les communautés qui les font vivre. Un pas de plus dans la bonne direction, dans la continuité de la circulaire Castex d'avril 2021, accompagné de quelques annonces concrètes.

Lors de la présentation du plan d'action, la ministre a précisé l'engagement du Gouvernement pour le logiciel libre, rappelant notamment qu'il s'agit d'un vecteur intrinsèque de transparence et de confiance, donc d'un enjeu de démocratie essentiel. D'une logique de consommateur passif de logiciels, comme produits finis, le Gouvernement semble ainsi vouloir inscrire l'État comme utilisateur et contributeur de logiciel, en faire un acteur des projets logiciels en tant que communs informationnels au service de l'intérêt général. Un signal politique bienvenu qui rompt avec les quatre premières années du quinquennat. Le soutien à l'initiative Blue Hats et au socle interministériel des logiciels libres est à saluer.

Dans son discours1 la ministre a également annoncé qu'elle avait décidé de « renforcer dans le budget proposé au Parlement en 2022 les équipes de mon ministère chargées de la promotion et l’animation interministérielle en matière de logiciel libre et de communs numériques ». On apprend ainsi dans la presse que le pôle « logiciels libres et communs numériques » de la direction interministérielle du numérique compte désormais 4 personnes contre une auparavant.2. Ce pôle, ainsi renforcé, se voit confier le pilotage de ce plan d'action. Des signes encourageants, les enjeux des moyens et de la conduite effective de la politique étant des considérations déterminantes de réussite.

Le plan d'action logiciels libres semble avant tout traduire une démarche pragmatique pour une meilleure prise en compte du logiciel libre dans les pratiques des administrations — ce qui est une bonne chose –, mais ne constitue pas un changement profond de paradigme comme l’appelle par exemple le député Latombe lorsqu'il propose d' « imposer au sein de l’administration le recours systématique au logiciel libre en faisant de l’utilisation de solutions propriétaires une exception »3. Quelques mesures concrètes ont été annoncées, comme la mise en ligne officielle des portails web code.gouv.fr 4 et communs.numerique.gouv.fr, l'ajout des licences Eclipses et UEPL à la liste des licences libres autorisées5, ou encore l'engagement d'une partie du budget du plan de relance, 30 millions d'euros, pour le développement de solutions libres pour les collectivités.

Un signal est envoyé à « l'écosystème » du logiciel libre avec la création d'un conseil d'expertise réunissant administrations et « représentants de l’écosystème ». Si ce genre de conseil n'est en rien une garantie en elle-même d'ouverture et de dialogue réel, la démarche est cohérente avec les volontés annoncées de transparence et d'engagement vers les communautés du logiciel libre. La pratique montrera le poids politique effectif de ce conseil, et les moyens – notamment en termes d'informations – qui lui seront accordés. Sollicitée par le cabinet de la ministre, l'April y participera.

Des points de vigilance :

  • Un portail unique d'accès aux codes sources produits et détenus par l'administration est une bonne initiative, pour autant code.gouv.fr ne répond pas complètement aux enjeux : ces codes resteront hébergés sur des serveurs maîtrisés par des entités privées — à but lucratif ou non – qui pourraient, pour une infinité de raisons, « fermer » du jour au lendemain ou conditionner l'accès à leur plateforme. Les pouvoirs publics doivent développer une forge publique.
  • Le plan d'action s'appuie entre autres sur le « cataloque Gouvtech » qui référence des solutions logiciels, libres et non libres. En mai 2021 l'April avait fait part de ses critiques sur le manque de sérieux dans la conduite de ce catalogue, soulignant qu'il n'était pas au niveau des annonces gouvernementales 6. Pour être en cohérence avec le plan d'action dans lequel il est censé s'inscrire il semblerait à minima pertinent qu'il mette plus en avant les logiciels libres et que l'administration s'engage davantage vis-à-vis des logiciels référencés.

Dans son discours, la ministre dresse de manière pertinente les enjeux : interopérabilité, mutualisation, « décloisonnement », etc. Mais le plan d'action annoncé suffira-t-il à bousculer l'inertie qui règne actuellement au sein de l'État sans opérer un changement de paradigme radical en faveur du logiciel libre ? Quoi qu'il en soit, l'April accueille positivement ces annonces et salue le changement de discours ; elle se prêtera à l'exercice du « dialogue partenarial » proposé. Occasion pour l'association de rappeler qu'une action ambitieuse doit impérativement adresser la question de la commande publique – en posant un principe normatif de priorité au logiciel libre – et œuvrer résolument contre les situations d'Open Bar dans certains ministères fortement dépendants des solutions privatrices de Microsoft.