[oecd.org] Questionnez les économistes : Internet et développement - vers un réseau des réseaux vraiment mondial ?

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« http://www.oecd.org/document/35/0,3343,en_2649_37441_40070563_1_1_1_3744...
Q. S'agissant des pays dont la population ne figure pas dans le premier milliard de personnes en ligne, (a) que peuvent-ils faire ou (b) de quoi ont-ils besoin pour que leurs habitants fassent partie du deuxième milliard d'internautes ?
Irene Wu, titulaire d'un doctorat et d'une bourse d'étude Yahoo! à l'Université de Georgetown
R. Les initiatives destinées à renforcer l'utilisation d'Internet, et des technologies de l'information et de la communication (TIC) connexes, doivent être considérées comme des mesures de base dans tous les domaines du développement économique et social. Il conviendrait par exemple de développer les qualifications nécessaires pour exploiter les possibilités créées par Internet. Plus précisément, dans le cadre de la régulation du secteur des communications, l'introduction de la concurrence, la séparation des fonctions d'élaboration des politiques publiques et d'exploitation, ainsi que la création d'une autorité de régulation indépendante, dotée de pouvoirs d'exécution lui permettant de faire appliquer des garanties juridiques adéquates, sont autant de mesures nécessaires pour favoriser le renforcement de l'accès à Internet.
Ce thème sera une des principales questions abordées au cours de la prochaine Réunion ministérielle de l'OCDE sur « Le futur de l'économie Internet », qui se déroulera à Séoul, en Corée, les 17 et 18 juin 2008.
Q. Y a-t-il des mesures particulières que les membres de l'OCDE peuvent prendre pour faire en sorte que davantage de personnes accèdent à Internet au cours des dix prochaines années ? Ces mesures sont-elles différentes selon qu'elles visent le deuxième, le troisième ou le quatrième milliard de personnes arrivant en ligne ? Quel est votre point de vue sur les conditions du développement d'Internet à long terme, mesuré par son nombre d'utilisateurs ?
Irene Wu, titulaire d'un doctorat et d'une bourse d'étude Yahoo! à l'Université de Georgetown
R. Pour qu'Internet s'ouvre à plusieurs milliards de nouveaux utilisateurs, il faut qu'il soit plus largement accessible, plus abordable et plus en phase avec les besoins de ces utilisateurs. En conséquence, les prestataires de services doivent s'efforcer d'étendre la couverture de leurs réseaux, de réduire leurs coûts et d'adapter leurs services aux demandes des nouveaux utilisateurs (tant en termes de pertinence des contenus que d'adéquation des dispositifs employés).
Les politiques publiques nationales constituent le principal facteur de développement selon ces trois axes, mais les gouvernements des pays développés et leurs organismes publics peuvent contribuer au renforcement des capacités. Dans le secteur des communications, cela pourrait notamment passer par un échange de données d'expérience concernant la mise en place d'institutions telles que les autorités de régulation. Les gouvernements des pays de l'OCDE doivent également veiller à ce qu'Internet reste ouvert à l'innovation, et à ce que leurs propres marchés soient ouverts à la concurrence.
Q. Dans de nombreux pays en développement, les recettes fiscales provenant des taxes prélevées sur les communications téléphoniques entrantes servent à financer des ressources nationales essentielles, telles que des écoles ou des hôpitaux. Dans la mesure où la téléphonie IP [c'est-à-dire les services téléphoniques transitant par Internet] à bas coût remplace la téléphonie à commutation de circuit onéreuse du siècle dernier, comment les États devraient-ils s'adapter à cette évolution ? La téléphonie IP peut-elle être taxée, ou bien les États devraient-ils renoncer à prélever des surtaxes sur les services de téléphonie, et trouver d'autres sources de recettes ?
Personne ayant souhaité conserver l'anonymat
R. Il fut un temps où les services de communication étaient considérés comme un « luxe » que les économies et les sociétés pouvaient uniquement s'offrir une fois que d'autres objectifs prioritaires avaient été atteints, compte tenu de la rareté des ressources publiques (n'oublions pas que les prestataires étaient pour la plupart détenus par l'État, et qu'ils faisaient souvent partie d'un ministère). Cela se traduisait par des investissements insuffisants et de longues listes d'attente, même pour les personnes qui avaient les moyens de s'offrir ces services. Les capitaux nécessaires à l'expansion du secteur étant affectés à d'autres emplois, utiles ou non, l'accès aux communications était pris de fait dans un cycle perpétuel de sous-développement. C'est pourquoi de nombreux pays en développement ont eu bien du mal a dépasser des taux d'équipement de 1 % ou 2 % de leur population pendant la plus grande partie du vingtième siècle.
Il est désormais couramment admis que l'utilisation des TIC constitue une condition essentielle du développement économique et social. Les réformes engagées en vue de favoriser cette utilisation (notamment en termes de libéralisation et de privatisation) ont permis au secteur privé de jouer un rôle moteur en investissant les capitaux requis et en étoffant le marché (y compris pour les utilisateurs à faible revenu). Cette augmentation de la taille du marché s'est accompagnée d'une hausse des recettes fiscales, qu'il s'agisse des prélèvements classiques appliqués à tous les biens et services (tels que les appels téléphoniques) ou des impôts sur les sociétés acquittés par les prestataires de services. En outre, dans la mesure où il existe des réseaux commerciaux viables, les pouvoirs publics disposent maintenant des moyens financiers nécessaires pour contribuer à la desserte de zones qui n'étaient précédemment pas couvertes, et pour lancer des programmes de raccordement d'hôpitaux et d'établissements scolaires dont le coût était jusqu'alors prohibitif.
La téléphonie IP permet indéniablement de contourner dans une certaine mesure les services téléphoniques classiques au niveau international. Néanmoins, les communications téléphoniques sur Internet n'échappent pas toutes à la fiscalité. Ainsi, la transmission internationale d'un appel téléphonique passé à l'aide du logiciel Skype, ou d'un minimessage (SMS) émanant d'un internaute, destiné à un utilisateur de services téléphoniques permet aux prestataires (donc aux pouvoirs publics) d'engranger des recettes. En outre, la téléphonie IP favorise globalement le développement économique et social, et ses retombées positives sont probablement supérieures à celles que pourrait avoir une limitation de ces services.
Q. Quel rôle jouent les points d'échange Internet (IXPs) dans la création de services d'accès à Internet ?
Personne ayant souhaité conserver l'anonymat
R. Les IXPs sont des lieux d'interconnexion physique entre différents réseaux Internet, où peuvent être envoyées et reçues des données circulant entre ces réseaux. Après qu'Internet eut pris une dimension commerciale, ils se sont rapidement multipliés dans le monde entier, afin que les prestataires de services puissent échanger localement du trafic de manière économique et efficace.
S'il n'existe pas d'IXP dans un pays, tout trafic local entre deux prestataires de services devra, de manière générale, faire l'objet d'un échange international. Dans ce cas de figure, un courriel dont l'émetteur et le destinataire résident dans le même pays, mais utilisent des prestataires de services différents, est susceptible d'être acheminé via un IXP situé à New York ou à Paris, au lieu d'être échangé au niveau local. Or, l'échange local de ce type de trafic peut s'avérer beaucoup moins coûteux (puisqu'il permet d'éviter des circuits internationaux onéreux) et plus efficace pour les utilisateurs (notamment parce qu'il permet, dans certains pays, d'éviter les circuits par satellite et les délais qui les caractérisent).
Environ 90 pays ne disposent pas d'IXPs aujourd'hui. L'organisme Packet Clearing House (PCH) tient à jour une carte des pays dotés d'IXPs : https://prefix.pch.net/applications/ixpdir/summary/
Les IXPs sont relativement peu coûteux (leur prix unitaire peut être inférieur à 40 000 USD) à mettre en place, et toutes les parties prenantes peuvent en bénéficier. Pour moins de 4 millions USD, on pourrait doter d'un IXP chacun des pays du monde qui en est aujourd'hui dépourvu.
Il ne serait cependant rationnel d'engager de telles dépenses, dans le cadre de la coopération pour le développement par exemple, que si les conditions nécessaires sont réunies pour que l'IXP considéré puisse fonctionner de manière efficace, et que le secteur privé prenne le relais. Le principal défi à relever consiste bien souvent à susciter une prise de conscience des avantages des IXPs.
Q. Outre le fait de rendre abordable l'accès à Internet dans les pays en développement, j'aimerais savoir quelle contribution pourrait apporter, selon vous, le logiciel libre à l'essor de la société de l'information dans ces pays, afin que l'utilisation d'Internet soit également abordable – tant pour les entreprises que pour la culture numérique des individus (suite logicielle Open Office, ressources gratuites sur Internet, « web social »).
Mar Negreiro
R. Les logiciels libres peuvent effectivement contribuer à réduire le coût de l'accès à Internet et de son utilisation. Le succès rencontré par Internet à ce jour peut être attribué en grande partie à son ouverture à différents niveaux. Cela permet la création d'un grand nombre d'applications et de services qui font concurrence à ceux qui existent déjà (tant en ligne que hors ligne), tout en offrant un espace de créativité et de collaboration. Outre les exemples que vous mentionnez, les logiciels libres pourraient apporter des solutions en matière de sécurité (telles que des applications destinées à contrecarrer les logiciels malveillants) aux utilisateurs à faible revenu des pays en développement, qui n'auraient pas les moyens de payer de tels services.
Q. Quelle importance est accordée à la question des informations disponibles sur Internet, dans le cadre des efforts déployés pour rendre le réseau des réseaux accessible aux pauvres à l'échelle mondiale ? Pour l'heure, la majorité des informations disponibles sur Internet ne le sont pas dans les langues des populations des pays en développement. De plus, même si l'on fait abstraction de ce problème linguistique, les contenus offerts aujourd'hui sur Internet sont souvent sans rapport avec les besoins de ces nouveaux utilisateurs en termes d'information. Les autorités élaborent-elles des stratégies en vue de créer des contenus pertinents à l'échelon local, tant sur le plan linguistique qu'informationnel ?
Scott Dalessandro, Université de Washington
R. Si l'on prend l'exemple du Népal ou du Nigéria, on constate généralement que les contenus locaux sont particulièrement prisés lorsque les obstacles à leur création sont levés, ou que les outils nécessaires deviennent accessibles. Au Népal, à la suite de la mise en place du premier IXP du pays, la principale pointe de trafic enregistrée cette année a eu lieu lors de la diffusion en ligne des résultats scolaires locaux. Au Nigéria, la baisse du coût des caméras numériques et des logiciels de montage assisté par ordinateur a permis à ce pays de devenir le troisième producteur de films.
Il est assurément nécessaire de veiller à ce que les contenus et services offerts soient utiles aux individus à faible revenu pour qu'Internet attire quelques milliards de nouveaux utilisateurs. Dans un environnement concurrentiel, les prestataires de services sont très fortement incités à se saisir de cette question pour satisfaire la demande des consommateurs. Une partie de cette offre sera naturellement de nature populaire (qu'il s'agisse de sports ou de loisirs, par exemple), mais elle comportera également des informations de nature à renforcer les capacités économiques des utilisateurs, telles que des données sur les prix du marché ou les possibilités d'emploi au niveau local. Par ailleurs, les pouvoirs publics peuvent aussi jouer un rôle clé en offrant en ligne des « informations du secteur public », dans des domaines aussi divers que la santé, l'enseignement, la météorologie, la cartographie ou le patrimoine culturel. Les politiques publiques peuvent favoriser l'instauration d'un environnement créatif, stimulant toutes sortes d'activité marchandes et non marchandes de création, de diffusion et de conservation de contenus numériques. De plus, ces politiques peuvent être particulièrement fructueuses lorsqu'elles sont conjuguées à des initiatives visant à combler les lacunes en matière de qualifications, de formation, d'enseignement et de développement des ressources humaines qui entravent la création, la diffusion et l'utilisation de contenus numériques novateurs.
Q. Vous indiquiez sur votre site : « Selon un nouveau rapport de l'OCDE, la plupart de ces personnes [se] connecteront [à Internet] via des réseaux sans fil, et nombre d'entre elles seront pauvres. » Quelle est l'importance du coût de l'accès à Internet pour ces personnes pauvres par rapport à d'autres facteurs (comme son manque d'intérêt supposé) ? L'octroi de subventions est-il envisagé ? Si oui, comment seront-elles calculées ?
Personne ayant souhaité conserver l'anonymat
R. Le monde compte maintenant plus de trois milliards d'utilisateurs de téléphones portables, et la plupart des personnes qui rejoignent actuellement les réseaux de téléphonie mobile ont de très faibles revenus. Ils le font parce qu'ils jugent que ce service leur est utile d'une manière ou d'une autre. De plus, en termes relatifs, ils sont prêts à consacrer aux communications une proportion plus importante de leurs revenus que les utilisateurs des pays développés. Une des principales raisons avancées est la sécurité (les appels d'urgence, par exemple), mais cela tient aussi au fait que ce service renforce leurs capacités ou améliore leur existence d'autres manières (notamment sur le plan de l'emploi ou des relations sociales). Toute la difficulté, comme vous le soulignez fort justement, est de faire en sorte que ces services soient utiles et aisément accessibles. Les technologies sans fil joueront à cet égard un grand rôle, tout simplement parce qu'elles seront plus accessibles pour de nombreux utilisateurs. En Inde, par exemple, les abonnés qui se connectent à Internet via des réseaux sans fil sont déjà cinq fois plus nombreux que ceux qui le font à partir de lignes fixes.
La réponse apportée à la question des subventions variera d'un pays à l'autre, en fonction des circonstances. La situation de départ diffère toutefois sensiblement de celle qui prévalait antérieurement, puisque les quelques milliards de futurs utilisateurs représentent un gisement commercial, et qu'il appartiendra au premier chef au secteur privé de satisfaire cette demande. Une fois que des réseaux commerciaux auront été mis en place, il sera plus aisé pour les pouvoirs publics d'envisager de financer des services dans des zones laissées à l'écart par le marché, qu'il s'agisse de desservir un village, un établissement scolaire ou encore un hôpital.
Q. La question du « prochain milliard d'utilisateurs » et de l'accès à Internet sera probablement un thème essentiel lors du prochain Forum sur la gouvernance de l'Internet (FGI), qui se déroulera en Inde vers la fin de l'année 2008. Établissez-vous un lien entre vos travaux et cette conférence ? Par ailleurs, comment et dans quelle mesure les États devront-ils, selon vous, contribuer à ouvrir les portes d'Internet aux personnes qui n'y ont pas encore accès ?
Kieren McCarthy, Société pour l'attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (ICANN)
R. L'OCDE a participé au premier FGI (organisé à Athènes en 2006) et à sa deuxième édition (qui s'est déroulée à Rio en 2007), notamment à la principale session de groupe consacrée à la question de l'accès, ainsi qu'à plusieurs ateliers connexes. En 2008, nous nous réjouissons par avance de pouvoir partager les conclusions de la Réunion ministérielle de l'OCDE sur « Le futur de l'économie Internet » au cours du prochain FGI. S'agissant de votre seconde question, toutes les parties prenantes peuvent contribuer à ce que les possibilités de développement économique et social offertes par Internet soient accessibles aux prochains milliards d'utilisateurs. Les États qui prennent les dispositions nécessaires pour confier au secteur privé un rôle moteur dans le développement de l'accès à Internet sont ceux qui bénéficieront de l'expansion la plus rapide, mais il faut y ajouter des mesures complémentaires relevant de différents domaines qui ont été abordées dans les précédentes questions.
Q. Dans quelle mesure le secteur privé peut-il assurer un accès mondial à Internet dans les pays pauvres (au-delà du rôle joué par les fournisseurs d'accès à Internet locaux « revendeurs » de services) ? Dans les cas où les marges extrêmement réduites offertes par les comptes mobiles prépayés peuvent suffire à assurer la viabilité d'un opérateur de téléphonie mobile, le marché suffira-t-il à justifier l'investissement dans un lien en fibre optique en Afrique centrale, ou dans des zones isolées d'Asie, destiné à raccorder ces régions à l'épine dorsale mondiale d'Internet ? Les obstacles géographiques – et non simplement économiques – à surmonter semblent tels que des financements publics pourraient être nécessaires, de même que pour un réseau d'assainissement urbain ou l'électrification d'une région rurale. Des systèmes de télécommunication d'une telle ampleur gérés par l'État seraient-ils souhaitables ?
Kenneth Cukier, The Economist
R. Les systèmes publics de télécommunication ont constitué le modèle prédominant dans les pays développés et en développement pendant l'essentiel du vingtième siècle. Les résultats obtenus, y compris dans de nombreux pays de l'OCDE, ont été très médiocres et pour les pays en développement, ce système s'est révélé désastreux. Dans la plupart des pays en développement, la croissance de l'accès aux réseaux n'a véritablement commencé à s'accélérer qu'après la libéralisation, qui a permis au secteur privé d'investir dans des infrastructures dont le besoin se faisait cruellement sentir. Précédemment, les États étaient confrontés à l'épineuse question de savoir dans quel domaine investir des ressources rares (autrement dit, il fallait choisir entre assainissement, électrification et télécommunications), d'où la longueur des listes d'attente établies pour ces services. Même lorsque les pouvoirs publics étaient désireux d'investir (pour remédier, par exemple, à l'insuffisance de la couverture des zones rurales), le manque de réseaux commerciaux, en bon état ou ayant une étendue géographique raisonnable, impliquait que les coûts étaient souvent prohibitifs.
Les marges offertes par les services prépayés sont certes modestes, mais il existe de plus en plus d'opérateurs privés très rentables en Afrique et en Asie, et nombre d'entre eux exercent leurs activités dans et entre une multitude de pays. En outre, les investissements Sud-Sud en matière de prestations de services ont progressé de manière spectaculaire, ces entreprises diffusant des modèles couronnés de succès (notamment la revente par micro-entreprises) dans les pays en développement. En conséquence, la connectivité internationale relève de plus en plus de l'appréciation commerciale de ces entreprises, lorsque la situation le permet (les passerelles internationales font l'objet d'un monopole dans plus de 70 pays). À mesure que la taille du marché augmente, la création de nouvelles infrastructures internationales acquiert une justification commerciale, et l'innovation progresse en matière de services. On peut citer à titre d'exemple les sociétés africaines de téléphonie mobile qui permettent à leurs abonnés itinérants de bénéficier de leurs services à l'étranger, dans les pays où elles opèrent, sans frais supplémentaires – ce qui n'est généralement pas le cas dans les pays de l'OCDE !
Pour ce qui est des épines dorsales mondiales d'Internet, le marché a connu une évolution spectaculaire au cours des dernières années. Les entreprises indiennes, par exemple, sont les premiers propriétaires de câbles sous-marins de la planète. Et grâce à la concurrence qui prévaut sur le marché indien, les pays voisins, dont certains sont enclavés, ont accès à des capacités croissantes à des prix nettement plus bas. Ainsi, fin 2006, la société Nepal Telecom a annoncé qu'elle pouvait réaliser une économie considérable sur le coût de la bande passante en acheminant son trafic via les câbles en fibre optique indiens, au lieu d'emprunter des liaisons par satellite – le coût mensuel étant de 1 700 USD par mégabit par seconde (Mbps) dans le premier cas, contre 7 400 USD dans le deuxième.
Q. Le document que vous avez mis en ligne décrit diverses approches innovantes utilisées pour commercialiser des services fondés sur les TIC auprès de populations pauvres, dont l'exemple le plus notable est le téléphone Grameen, et ces approches sont présentées comme découlant de la déréglementation. Pourquoi est-il affirmé que ces modèles n'auraient pas pu voir le jour dans des situations de monopole, alors que tel a en fait été le cas ? Les femmes qui acquièrent le téléphone Grameen et le louent aux autres habitants de leur village sont l'équivalent mobile des taxiphones privés, qui étaient relativement courants dans de nombreux pays en développement bien avant l'ouverture à la concurrence.
Helena Grunfeld, université de Victoria
R. L'innovation qui a représenté le plus grand changement pour les pays en développement réside peut-être dans les cartes prépayées. Or, c'est une innovation qui a fait son apparition sur des marchés concurrentiels, initialement dans les pays de l'OCDE, mais qui est de plus en plus adoptée dans les pays en développement. Le problème n'est pas qu'il est impossible de créer des services sur des marchés monopolistiques – c'est possible et cela a été fait – mais que leur développement risque d'être entravé ou déconnecté des attentes des consommateurs. Le réseau numérique à intégration de service (RNIS) est un exemple de technologie issue d'un environnement monopolistique. Si la dynamique du côté de l'offre était très forte, la demande était des plus limitées chez les consommateurs dans la plupart des pays (l'Allemagne et le Japon figurant parmi les quelques exceptions à la règle). Après avoir investi des montants de capitaux considérables dans cette technologie, les opérateurs historiques de télécommunications se sont montrés peu enclins à déployer rapidement l'ADSL (raccordement numérique asymétrique), afin de ne pas tarir d'autres sources de recettes d'exploitation – et ce malgré le fait que
L'accès haut débit à Internet suscitait une demande patente.
S'agissant du téléphone Grameen, il existe un bon rapport préparé par le TeleCommons Development Group (TDG) pour l'Agence canadienne de développement international (ACDI), qui décrit bien les difficultés soulevées par la mise en place de ce service, à laquelle s'est farouchement opposé l'opérateur public historique Bangladesh Telegraph and Telephone Board (BTTB).
http://www.telecommons.com/villagephone/finalreport.pdf
BTTB refusait notamment toute interconnexion, limitant les possibilités d'implantation du réseau Grameen, ne transmettait pas les recettes provenant du système international de taxes de répartition, etc. Alors que BTTB aurait pu proposer des services (tels que des téléphones publics) dans des zones où le réseau Grameen a été autorisé à s'implanter, il s'en était abstenu parce qu'il jugeait ces activités a priori non rentables, ou non prioritaires. Sans la libéralisation, l'expérience du réseau Grameen n'aurait pas pu être tentée.
Q. Comment les répercussions d'Internet sur le développement économique des pays pauvres est-il modélisé puis mesuré ?
Antti Savilaakso, analyste spécialisé dans les questions de soutenabilité chez Dexia Asset Management
R. De manière peu satisfaisante ! Les responsables de l'action publique aimeraient disposer de meilleures données pour éclairer leurs décisions en la matière. Les travaux de l'OCDE ont mis en évidence la relation positive existant entre les TIC et la croissance économique, dans les pays développés, et nous commençons à recueillir de meilleures données qui aideront les économètres à étudier ces questions de manière plus systématique qu'il y a dix ans. Les travaux consacrés à l'impact des TIC dans les pays en développement ont été plus limités. Certaines études ont été réalisées sur la relation entre les téléphones portables et la croissance économique en général, parce qu'ils sont plus largement répandus aujourd'hui qu'Internet. Une des mesures prises pour élaborer de meilleures données dans les pays en développement est une initiative conjointe de plusieurs organisations internationales : le Partenariat sur la mesure des TIC au service du développement (pour en savoir plus, vous pouvez vous rendre à l'adresse suivante :
http://new.unctad.org/default____600.aspx).
Q. La fracture numérique paraît vouée à s'élargir, et la perspective de rendre Internet accessible à l'ensemble de la population mondiale semble représenter une tâche assez difficile à accomplir pour les acteurs des secteurs considérés. Compte tenu du déficit considérable de formation et d'accès aux technologies, pour les populations non connectées, et du rythme auquel les technologies évoluent, cela pourrait déboucher sur des problèmes de mobilité de la main-d'œuvre, sur la fermeture des frontières des économies développées aux travailleurs qualifiés, voire sur des tensions sociales à long terme. Un fléchissement de l'économie mondiale pourrait ralentir fortement le mouvement engagé en faveur d'un accès universel, et la concrétisation de l'objectif d'universalité pourrait s'avérer difficile au regard des exigences posées en matière de rentabilité du capital.
Souscrivez-vous à ce raisonnement ? Quelle solution proposeriez-vous ? Quelles serait la position des membres de l'OCDE disposant de capacités limitées en cas de contraction de l'activité économique ?
Vernon K Padayachee, Atos Origin, Espagne
R. La fracture numérique ne s'élargit pas à tous égards. La téléphonie mobile, par exemple, est un domaine dans lequel on peut considérer que l'écart se referme. S'agissant de la mobilité de la main-d'œuvre, l'amélioration des communications peut ouvrir de nombreuses voies nouvelles pour aller de l'avant. Ainsi, les cybercafés et les téléphones portables sont de plus en plus utilisés par des travailleurs étrangers pour envoyer des fonds aux membres de leur famille restés dans leur pays d'origine. Ces services peuvent être non seulement moins coûteux, mais aussi plus sûrs. Inversement, de meilleures communications peuvent faciliter l'existence des ressortissants de pays développés qui viennent travailler dans les pays en développement, et il peut s'avérer plus difficile de convaincre ces personnes de contribuer au développement économique et social des pays en développement en l'absence de ces ressources. L'amélioration des communications peut également créer des possibilités d'emploi pour les habitants des pays en développement.
Q. Pourquoi se focaliser exclusivement sur Internet ? Sans minimiser, ou même remettre en question, l'importance d'Internet pour le développement, il conviendrait de reconnaître que d'autres technologies sont également riches de potentialités à cet égard. L'une d'elles est la radio, qui a été et est toujours largement utilisée au service du développement, parfois avec Internet. Cette technologie est particulièrement adaptée lorsque les niveaux d'instruction sont bas.
Helena Grunfeld, Centre for Strategic Economic Studies, université de Victoria
R. Vous avez tout à fait raison de souligner que la radio constitue un moyen de communication important, et elle joue d'ores et déjà un rôle très appréciable. Néanmoins, l'utilisation de la radio à ces fins se heurte généralement à moins d'obstacles réglementaires.
Q. Dans le même ordre d'idées, dans quelle mesure est-il envisageable que le secteur privé offre un service mondial d'accès à Internet (c'est-à-dire une connexion à l'épine dorsale) ? Nombre de pays pauvres, du fait de leur situation géographique, sont isolés ou enclavés. Un modèle économique d'accès à Internet peut-il vraiment s'imposer pour ces pays ? Ai-je raison de supposer que même si les monopoles concernant les passerelles étaient supprimés, le coût resterait très élevé et la bande passante très restreinte ? Par ailleurs, le parallèle établi avec la téléphonie mobile ne semble pas pertinent, dans la mesure où cette technologie correspond à un modèle totalement différent d'investissement productif (consistant, par exemple, à mettre en place l'infrastructure au coup par coup à mesure que le nombre d'abonnés augmente, tout en bénéficiant de généreux crédits fournisseurs de la part des équipementiers). Il semble donc qu'il sera relativement difficile d'offrir un accès mondial à Internet dans les pays pauvres. Êtes-vous d'accord ? Et une fois encore : dans quelle mesure est-il envisageable que le secteur privé offre un service mondial d'accès à Internet dans les pays pauvres ?
Kenneth Cukier, The Economist
R. C'est tout à fait envisageable si le cadre politique et réglementaire dans lequel s'inscrivent leurs activités laisse cette possibilité aux entreprises privées. Certains pays sont effectivement confrontés à des obstacles plus importants en raison de leur situation géographique. L'exemple du Népal, cité précédemment, montre que la concurrence prévalant dans un pays voisin peut aider une économie enclavée à réduire le coût de la bande passante internationale. S'agissant de l'évolution des prix, une fois qu'un monopole a été supprimé, il faut du temps pour déployer une nouvelle infrastructure. Les prix restent élevés tant qu'un pouvoir de monopole peut être exercé, comme c'est le cas dans de nombreux pays – développés comme en développement. Si les résultats de la téléphonie mobile sont mis en avant, c'est parce que c'est probablement elle qui constituera pour de nombreux habitants des pays en développement la première voie d'accès à Internet. D'ores et déjà, dans une multitude d'économies en développement, le rapport entre les utilisateurs des services de téléphonie mobile et fixe est supérieur à 20 pour 1. En Inde, comme indiqué dans la réponse à une précédente question, les abonnés qui se connectent à Internet à partir d'équipements mobiles sont cinq fois plus nombreux que ceux qui le font à partir de lignes fixes. Les possibilités offertes sont, bien sûr, différentes et des efforts considérables doivent encore être accomplis pour développer les services proposés aux utilisateurs mobiles. Le secteur privé est en mesure d'offrir un service mondial d'accès à Internet dans les pays pauvres – il est en train de le faire.
Q. Des mesures particulières pourraient-elles être prises en vue d'identifier (et éventuellement de promouvoir) des travaux sur des thèmes spécifiques de recherche-développement (R-D) correspondant à des obstacles à la réalisation d'innovations qui seraient source d'économies, afin d'élaborer des solutions nouvelles qui permettraient d'améliorer les perspectives d'accès aux TIC des régions en développement ? Ainsi, un des obstacles à la mise en place de réseaux de diffusion de contenu (CDN) à bas coût réside dans les problèmes brevets concernant les algorithmes de correction d'erreurs sans circuit de retour utilisés dans les technologies sans fil (codes Turbo, FEC). Des solutions logicielles libres permettraient l'émergence de nouveaux types de services à bas coût, mais le secteur n'est pas disposé à financer les travaux de recherche nécessaires dans ce domaine (projet de recherche DIGITALWORLD EU-FP7).
Roland A. Burger, DigitalWorld
R. L'OCDE n'a pas examiné les exemples précis que vous mentionnez mais, s'agissant de votre première question, nous estimons effectivement que les logiciels libres peuvent contribuer à fournir aux pays en développement des solutions à bas coût. La Réunion ministérielle de l'OCDE sur « Le futur de l'économie Internet » sera précédée par trois forums réunissant des parties prenantes issues du secteur privé, de la société civile et du mouvement syndical, ainsi que de la communauté technique d'Internet. Ces forums permettront aux ministres de prendre connaissance des points de vue des participants sur les lacunes à combler, ou les mesures devant être prises par les pouvoirs publics ou d'autres parties prenantes. Le Réunion ministérielle elle-même mettra en lumière le rôle de la R-D, de l'innovation et de la créativité sous l'angle des dispositions à prendre pour favoriser l'expansion de l'économie Internet au niveau mondial. »

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