Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 8 octobre 2019
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 8 octobre 2019 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s : Emmanuel Revah - Alain Casier - Claude Guedj - Dimitri Even - Frédéric Couchet - Isabella Vanni à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 8 octobre 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco.
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. Merci d’être avec nous.
La radio dispose d’un webchat, utilisez votre navigateur web préféré, rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous ainsi sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 8 octobre 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’association est april.org et vous y retrouvez d’ores et déjà une page consacrée à l’émission avec les références que nous allons citer et la page sera évidemment mise à jour après l’émission. N’hésitez pas également à nous faire des retours.
Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio ou à nous appeler au 09 50 39 67 59, je répète 09 50 39 67 59.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Maintenant le programme de l’émission.
Nous allons commencer dans quelques secondes par la première chronique d’Emmanuel Revah qui portera sur les DRM, les menottes numériques.
D’ici 10/15 minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le logiciel libre et les seniors.
En fin d’émission nous aurons une interview d’un groupe de musique libre qui s’appelle Stone From The Sky.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui ma collègue Isabella Vanni. Bonjour Isa.
Je crois qu’on ne t’a pas entendue, en tout cas je ne t’ai pas entendue dans le casque.
Nous allons vous proposer comme à chaque émission avant de commencer un petit quiz. Je vous donnerai les réponses au fur et à mesure de l’émission.
Première question : à quel célèbre roman Amazon a-t-elle supprimé l’accès du jour au lendemain sur ses liseuses, non sans ironie vu le nom du roman, y compris pour personnes qui avaient payé pour le livre numérique ?
Deuxième question : lors de l’émission du 1er octobre 2019 nous avons parlé de la licence professionnelle Métiers de la Communication : Chef de projet : Logiciels Libres, quel est le nom de cette licence ?
Vous pouvez bien sûr proposer les réponses sur les réseaux sociaux, sur le salon web et au fur et à mesure de l’émission je vous donnerai les réponses.
Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Itsik Numérik » d'Emmanuel Revah sur les DRM
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la première chronique d’Emmanuel Revah intitulée « Itsik Numérik ». Nous initions des chroniques courtes depuis cette saison 3 de Libre à vous !. Emmanuel Revah a une entreprise qui s’appelle Hoga, h, o, g, a, et la mission est de sensibiliser les gens sur la façon d’utiliser des logiciels et des services et de faire la promotion du Libre, du partage et de la décentralisation. Normalement Emmanuel est avec nous. Bonjour Emmanuel.
Emmanuel Revah : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Emmanuel, ta chronique va porter sur les DRM. Je te laisse nous expliquer ta façon de penser sur les DRM.
Emmanuel Revah : Merci.
Parlons donc des DRM tant qu’on a encore le droit de le faire d’ailleurs ! Le DRM ou digital rights management ou, comme dit la FSF, Digital Restrictions Management ou en français « la gestion de restrictions numériques », c’est en fait l’obsession des maisons de disques et autres organismes de diffusion et plus récemment aussi celle de Google, Apple et Netflix.
En gros, ça fonctionne techniquement en prenant le contrôle de l’ordinateur des gens pour réguler ce que l’on peut faire, ou pas, avec nos propres machines. Ça fait des trucs comme permettre à Amazon de supprimer des livres des liseuses de leurs clients et ils l’ont d’ailleurs fait avec un livre, avec le fameux 1984. Les clients peuvent toujours aller chouiner sur les forums ou créer des groupes de mécontents sur Facebook où il n’y aura pas beaucoup de « like », car, de toute façon, la génération Facebook accepte pleinement les conditions générales de mépris de l’humanité. Pardon ! Je m’égare.
Ça fait des années, voire des décennies que nous, les libristes, on râle, mais aussi quelques libéraux capitalistes. Oui parce que les DRM ça soûle, ça soûle tout le monde ! Pire, ça soûle surtout les clients qui payent pour leurs trucs. Par exemple le dernier SimCity : pour y jouer il faut être connecté à Internet pour prouver qu’on a bien payé pour le jeu, mais aussi qu’on n’est pas banni d’Internet. Finies les soirées dans sa petite cabane en bois au fin fond de l’Ardèche à jouer au jeu vidéo tranquille, pénard. Oui, c’est dans ce genre de cadre que j’ai envie de jouer à un simulateur de gestion, de conception de ville capitaliste moderne.
Pour ces gens, la seule solution pour profiter du jeu, acheté avec de l’argent durement gagné dans notre monde sans pitié, c’est de le pirater. Eh oui ! Le DRM est devenu monnaie courante. Même la W3C [World Wide Web Consortium], organisme qui met en place des standards de publication qui sont censés promouvoir le Web ouvert à toutes et à tous. sans discrimination et sans barrière, a accepté cette notion de protectionnisme en tant que standard HTML.
Et pour aller plus loin dans la déprime, même les ordinateurs avec un système libre sont compatibles avec le DRM moderne : c’est intégré directement dans le navigateur, dans Chromium et, sans trop de résistance, dans Firefox aussi.
Nos médiathèques publiques nous donnent accès à des films et des documentaires très intéressants mais ça aussi ça passe par du DRM et pas n’importe quel DRM. Voilà, vous avez bien compris, c’est celui de Google qui, en plus, peut nous pister.
Il faut savoir que tous les films et séries diffusés sur Netflix, Arte et autres, qui sont protégés par la magie des DRM, peuvent être trouvés sur les machins de téléchargement légal sans problème et surtout sans DRM. Du coup, on peut les regarder sans être connecté au fin fond de sa cabane en Ardèche.
Bref ! Le DRM ça coûte « un pognon de dingue » et ça fonctionne cinq minutes.
Si on voulait vraiment éviter la diffusion via le partage entre guillemets « illégal », il faut faire comme avec le film LoL : avec juste un nom à la con ce film est pratiquement introuvable sur les sites de Torrent. Essayer de chercher LoL sur PirateBay, vous verrez bien ! Il y a tellement de réponses à côté de la plaque que j’ai carrément attendu qu’il soit diffusé sur TF1 en film du dimanche soir pour me dire que finalement, bof, je n’ai pas vraiment envie de le voir !
Il faut dire que le fait que Libé décrit ce film comme « comédie bourge à haute teneur sarkoziste » peut aussi expliquer le fait qu’on a du mal à le retrouver sur des sites de partage de culture. Oui, on peut soit parler de pirates – des gens qui attaquent et qui pillent les autres – ou alors on peut parler de partageurs de culture – des gens qui rendent la culture accessible à tous.
Si vous voulez faire un film qui ne soit pas restreint par les DRM mais qui soit difficile à trouver sur les Inter Web des pirates partageurs de culture, choisissez des titres à la con, par exemple, pour un film, je vous propose HDTV x264 ; ou, pour une série, Saison 3 complète ou alors Webrip. Il y a aussi Yify ou 1080p.BluRay ou DeeJayAhmed ou alors il y a AMZN. Avec ces noms, même Google aura du mal à pirater nos œuvres !
Frédéric Couchet : Merci Emmanuel pour cette chronique. Tu vas rester en ligne avec nous parce que la chronique s’inscrit dans une journée internationale contre les DRM organisée par la Fondation pour le logiciel libre, journée prévue samedi 12 octobre 2019, le site web c’est defectivebydesign.org, donc défectueux par dessin ou par conception ; les références sont sur le site de l’April, april.org. Et le 4 septembre 2018 nous avions consacré une émission au thème des DRM avec Marie Duponchelle avocate et Jean-Baptiste Kempf de VLC, le fameux lecteur multimédia libre. On va vous diffuser un court extrait de cette émission qui dure à peu près 5 minutes 30/6 minutes. Emmanuel, on se retrouve juste après.
[Extrait de la partie consacrée aux DRM de l’émission du 4 septembre 2019]
Frédéric Couchet : Vous êtes sans doute encore nombreuses et nombreux à utiliser des supports traditionnels des œuvres de l’esprit, par exemple un livre papier. Une fois que vous avez acheté ce livre papier vous disposez de libertés fondamentales, comme celle de le lire comme bon vous semble : vous pouvez sauter des passages, commencer par la fin, le relire autant de fois que vous voulez, l’annoter, le prêter.
De même, pour les personnes qui portent des lunettes, et nous sommes deux autour de la table sur trois personnes, on ne vous impose pas, quand vous achetez un livre, une paire de lunettes avec un prix en plus ; on ne vous dit pas « les lunettes que vous avez là c’est une marque qu’on ne connaît pas, dans laquelle nous n’avons pas confiance, vous ne pouvez donc pas les utiliser pour lire ce livre ; vous devez utiliser nos marques de lunettes à nous dans lesquelles nous avons confiance. »
Vous exercez donc votre droit à des usages considérés, comme pour la plupart des gens, légitimes.
Et puis, dans ce monde traditionnel, ce sont des pratiques qu’on ne peut pas vraiment contrôler. Parce que sinon, pour contrôler votre usage du livre, si on prend cet exemple-là, vous imaginez un agent assermenté de l’éditeur qui apparaîtrait tout d’un coup à vos côtés, vous tapoterait l’épaule et vous dirait « non, tu dois commencer ta lecture par le premier chapitre, avec toutes les annonces des prochains livres et les alertes sur les dangers ou pseudo-dangers de la contrefaçon, avant même de commencer la lecture de ton roman. Et puis de la même façon, si tu veux relire une deuxième fois le livre, eh bien il faut que tu repasses à la caisse. Et pareil, tu portes des lunettes, eh bien non ! Tu ne dois pas prendre tes lunettes habituelles, tu dois prendre les lunettes qu’on a vendues avec le livre.
Évidemment c’est un peu Big Brother. Ce contrôle absolu des usages privés est inimaginable, bien entendu, sauf qu’il est inimaginable dans le monde traditionnel. Mais en fait pas pour tout le monde car certaines personnes, enfin de très nombreuses personnes et organisations, notamment qui produisent des livres numériques, des DRM, ou tout objet numérique, considèrent qu’à partir du moment où techniquement on peut contrôler des usages, même privés, eh bien on va le faire, parce qu’après tout, si la technique le permet, on ne va pas se gêner si on peut contrôler des usages privés !
De nos jours un exemple : quand vous achetez un DVD ou de la musique en ligne, très généralement, on — le « on » étant le producteur, les industries culturelles — vous impose par exemple de visualiser certaines plages sur le DVD – publicité ; on vous impose aussi le choix d’un lecteur multimédia : vous téléchargez de la musique sur un site, vous devez utiliser le lecteur multimédia qui est fourni avec ce site et pas un autre. Et ce contrôle d’usage se met en place par ce qu’on appelle les DRM, qu’on va redéfinir après, bien entendu, qui est un outil technique qui contrôle un usage privé, mais aussi surtout par leur protection juridique.
…
Est-ce qu’on peut citer quelques exemples ? Parce qu’évidemment, aujourd’hui on va cibler beaucoup la vidéo avec Jean-Baptiste et Marie, mais est-ce que vous pouvez nous citer quelques autres exemples de DRM dans la vie quotidienne, pour permettre aux gens de comprendre que, finalement, on vit une vraie overdose de DRM ? Jean-Baptiste, Marie ?
Jean-Baptiste Kempf : Les capsules Nespresso. Ils ont essayé d’empêcher d’avoir des capsules compatibles. Aujourd’hui il ne faut pas acheter Nespresso pour d’autres raisons, notamment écologiques, mais c’était vachement pratique, ça c’est vrai. Et ils sont arrivés, ils ont essayé de vous empêcher, empêcher Monoprix et tout ça, de faire des capsules beaucoup moins chères. Et ça c’était juste pour des raisons d’incompatibilité et d’attaques juridiques. Ce n’est pas exactement des DRM mais c’est exactement la même idée. Vous n’avez pas le droit de mettre le café que vous voulez ; vous mettez le café que je vous vends, dont j’ai fait l’approvisionnement et dans lequel j’ai mes marges, etc.
Frédéric Couchet : Marie, vas-y.
Marie Duponchelle : On avait aussi l’exemple dans les imprimantes ; on a eu pendant très longtemps, en fait, des petits systèmes qui vous disaient « si vous ne mettez pas la cartouche imprimante de ma marque, votre imprimante ne marchera plus ! » Au niveau concret c’est à la limite des mesures techniques de protection mais c’est la même problématique et c’est exactement la même logique.
Frédéric Couchet : Étienne, tu as un exemple ?
Étienne Gonnu : Oui, je pensais à un exemple. Moi je suis amateur de jeux vidéos : quand je suis obligé d’être connecté à Internet pour jouer à un jeu qui, pourtant, le jeu lui-même, ne nécessite pas une connexion, mais pour vérifier que je l’utilise comme convenu ou que je n’ai pas une version qui ne serait pas autorisée. Je suis obligé de me connecter ! Je pense que ça relève de cette même logique.
Jean-Baptiste Kempf : Je pense à l’exemple que tu donnais tout à l’heure avec des lunettes qui se brouillent quand tu lis un bouquin ; ça fait rigoler aujourd’hui ; dans 20 ans c’est carrément possible ! Quand on voit l’évolution de la réalité augmentée ou même des Google Glass, aujourd’hui c’est ridicule ; franchement, dans 30 ans, ce n’est pas une blague quoi, c’est tout à fait possible !
Étienne Gonnu : D’avoir accès à une pleine expérience. Si vous avez nos lunettes, vous aurez une expérience supplémentaire.
Jean-Baptiste Kempf : Ce n’est pas déconnant de se dire que dans 15 ans, 20 ans, tout le monde aura des lunettes qui rajouteront des informations, plutôt que d’avoir à sortir son smartphone pour savoir où tu vas ; ça peut être vachement cool pour plein d’utilisations. Donc ce n’est pas débile de se dire que ça va être quelque chose qui va être généralisé. Oui, maintenant vous n’avez pas le droit de passer par là. Donc il y a des possibilités vraiment gênantes !Moi je n’utilise pas de DRM.
Frédéric Couchet : Tu utilises quoi ?
Jean-Baptiste Kempf : Je ne parle pas de « management » à chaque fois, je ne dis pas « gestion », je dis « limitation » et c’est ce que je dis aussi en anglais, je parle de digital rigths limitations, parce que le management donne l'impression qu’il y a une gestion, que ça simplifie, alors qu’en fait, pour l’utilisateur, c’est une limitation de ses droits.
[Fin de l’extrait]
Frédéric Couchet : C’était un extrait de l’émission du 4 septembre 2018 consacrée aux DRM. Vous retrouverez évidemment le podcast sur le site causecommune.fm et sur le site april.org.
Emmanuel, souhaites-tu faire une petite réaction courte suite à cette diffusion ?
Emmanuel Revah : Oui. Il y a deux trucs que je voulais dire, mais je crois que je ne vais n’en dire qu’un parce que sur les DVD et tout ça il y a déjà pas mal d’exemples. Mais je pensais aussi aux argumentaires des gens qui veulent défendre le DRM et souvent ils le défendent avec des trucs aussi absurdes que « la copie à usage personnel tue l’industrie », qui était le gros truc dans les années 80 en anglais d’où la cassette qu’on voit dans pas mal de logos. Et dans IT Crowd on voit un poster avec marqué « La couture maison tue la mode ». C’est très intéressant, ça résume super bien : en fait, ce que l’on fait en dehors du contrôle du capitalisme nuit au capitalisme, donc il faut absolument l’interdire. Avec l’informatique moderne on peut pousser plus loin que la loi et, en fait, c’est ça le DRM.
Frédéric Couchet : C’est une belle conclusion. Je vais juste préciser que IT Crowd est une série anglaise qui a eu deux ou trois saisons, je pense qu’on peut trouver les épisodes sur Internet.
Merci Emmanuel. C’était Emmanuel Revah dont le site est hoga.fr et on se retrouve le mois prochain.
Emmanuel Revah : Oui. Merci.
Frédéric Couchet : Belle journée. À bientôt.
Emmanuel Revah : À vous aussi. Au revoir.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Avant la pause musicale, je vais répondre à la première question du quiz vu qu’elle est en lien avec le sujet précédent. La première question c’était : à quel célèbre roman Amazon a-t-elle supprimé l’accès du jour au lendemain sur ses liseuses y compris pour les personnes qui avaient payé le livre numérique ? L’ironie a voulu que ce fut 1984 de George Orwell.
Nous allons faire une petite pause musicale. Nous allons écouter Bouquet d'Opinions par MoiJe. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Pause musicale : Bouquet d'Opinions par MoiJe.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Bouquet d'Opinions par MoiJe disponible sous licence Art Libre. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Avant de passer au sujet suivant je vais signaler à Emmanuel Revah qui faisait la chronique juste avant sur les DRM que nos invités ont trouvé la chronique très intéressante. Je lui fais passer le message s’il nous écoute toujours.
Nous allons donc maintenant passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Logiciel libre et les seniors avec Alain Casier et Claude Guedj
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur les logiciels libres et les seniors.
Nos invités du jour : Alain Casier, conseiller en formation continue retraité et bénévole dans un centre social parisien. Bonjour Alain.
Alain Casier : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Et Claude Guedj, comédien. Bonjour Claude.
Claude Guedj : Bonjour.
Frédéric Couchet : Je tiens à préciser que le sujet m’a été proposé, enfin nous a été proposé par Alain qui fréquente de temps en temps les apéros April au local, donc une fois par mois, j’en fais la pub, le prochain je crois, de mémoire, c’est le 18 octobre 2019, vendredi 18 octobre ; c’est un apéro ouvert à tout le monde dans le 14e arrondissement de Paris, vous retrouverez les références sur le site april.org. Alain nous a proposé il y a quelque temps ce sujet sur la question des logiciels libres pour un public très précis que sont les seniors même si, évidemment, les seniors ça commence, en fonction de la définition, à plus ou moins différents âges, mais avec des problématiques particulières.
Première question, une petite question de présentation, un tour de table. Qui est êtes-vous ? On va commencer par Alain Casier.
Alain Casier : À l’heure actuelle je suis essentiellement bénévole dans un centre social parisien – j’y suis depuis 18 ans donc ce n’est pas nouveau – j’anime des ateliers d’informatique, j’aide les utilisateurs à régler les problèmes qu’ils peuvent avoir avec l’informatique et, en particulier, on est en liaison avec le conseil des seniors du 10e arrondissement qui nous envoie fréquemment des personnes qui ont des problèmes avec l’informatique, qui ont des soucis avec leur portable ou avec leur smartphone d’ailleurs, donc on essaye de régler ça de façon à ce qu’ils soient plus tranquilles et plus libres aussi, de ce point de vue-là.
Ça m’a amené, en liaison avec mon intérêt pour les logiciels libres, à proposer à des gens qui avaient des difficultés sur des systèmes propriétaires à passer sur du système libre et en général, ce que j’ai pu constater, c’est que ces personnes avaient beaucoup moins de soucis une fois qu’elles avaient pu avoir un système libre installé. Elles revenaient moins me voir ou, quand je les voyais, elles me disaient : « Ça va, je n’ai pas trop de problèmes. »
Frédéric Couchet : Alain, excuse-moi. On va finir le tour de table, la présentation de Claude, et on va rentrer dans le détail, comme ça on saura qui sont nos invités. Claude Guedj c’est à vous.
Claude Guedj : Moi je suis comédien. Actuellement je joue dans une pièce qui a pour titre 12 Hommes en colère au théâtre Hébertot tous les soirs à 19 heures.
Frédéric Couchet : J’encourage toutes les personnes à aller la voir. Pour rappel il y a le film des années 50 de Sidney Lumet si je ne me trompe pas. On en parlait juste avant l’émission, dans la période qu’on vit actuellement avec notamment un certain nombre de réseaux sociaux qui jouent le rôle de tribunal ou autre, voir cette pièce ou lire la pièce Douze hommes en colère est une nécessité absolue.
Claude Guedj : Oui, certainement.
Frédéric Couchet : Je signale que la personne qui est en régie, donc Isabella, signale que c’est l’un de ses films préférés.
On a maintenant fait le petit tour de table de présentation. Avant de revenir sur ce que tu commençais à dire, Alain, sur le fait que tu avais beaucoup moins de problèmes avec des systèmes libres dans le cadre de tes formations, on va peut-être commencer par le premier sujet avant d’aborder vraiment le logiciel libre, c’est ce qu’on pourrait appeler la fracture numérique pour les personnes âgées, donc pour les seniors, parce qu’évidemment forcément il y a une problématique différente de celle que peuvent avoir les personnes de 20 ans, 30 ans ou 40 ans. Il y a plusieurs sujets potentiels, notamment il y a le recul de l’accueil physique dans les services publics ; il y a aussi les sites en ligne, on en a cité certains en préparant et on va en parler ; il y a les liens avec la famille ou les amis géographiquement éloignés. Qui veut commencer sur cette partie, vraiment la fracture numérique pour les personnes âgées ou pour les seniors en général ? Peut-être Claude ou Alain ? Qui veut commencer ? Claude qui a une expérience.
Claude Guedj : Je veux bien commencer. C’est-à-dire que moi j’ai l’impression de ne pas être né dans ce monde alors c’est difficile et tout ça me paraît parfois un peu insolite, pas inquiétant mais curieux et d’un accès un peu difficile. Ça va très vite. Il faut essayer de comprendre des choses auxquelles je n’étais pas habitué ; même la façon de réfléchir le monde est différente maintenant avec l’ordinateur et Internet. Il y a quelque chose en moi qui résiste malgré moi. Bien que j’aie été formidablement bien aidé par un certain Alain Casier qui a essayé de me former, j’ai encore du mal. Il y a des choses qui me font reculer, par exemple faire une déclaration d’impôt, faire des achats sur Internet, prendre un rendez-vous chez le médecin avec Docto je ne sais plus comment.
Frédéric Couchet : Doctolib.
Claude Guedj : Doctolib. Des choses comme ça ! Ce n’est pas que ça m’effraie, mais je ne sais pas très bien comment m’y prendre. Par contre, j’aime bien rechercher des thèmes musicaux, des informations sur des musiciens que j’aime, sur des questions culturelles, sur la lecture, la peinture, des choses comme ça. Bon, j’arrive à le faire et c’est avec beaucoup de plaisir. Mais des choses pratiques de la vie quotidienne, je ne sais pas pourquoi mais ça me rebute, ça me rejette un peu.
Frédéric Couchet : D’accord. On va revenir tout à l'heure sur la partie positive de l’apport de l’informatique, mais pour l’instant on va rester sur la partie problématique ou négative. J’ai une question d’ailleurs, à partir de quand avez-vous commencé à utiliser un ordinateur ? Et à partir de quand avez-vous commencé à utiliser, d’ailleurs peut-être contraint ou forcé, des services sur Internet, donc pour la déclaration d’impôt, comme vous l’avez dit, pour prendre des rendez-vous médicaux, peut-être même pour réserver des places de spectacle ?
Claude Guedj : Toutes ces activités, je ne les fais pas justement !
Frédéric Couchet : Vous ne les faites pas, d’accord.
Claude Guedj : Je ne les fais pas. Je fais des recherches sur la musique, la littérature, la peinture, des choses comme ça, oui, j’y arrive, mais je sais pas encore bien m’y prendre pour faire toutes ces…
Frédéric Couchet : Et l’usage de l’informatique on va dire de base, c’est-à-dire la bureautique, vous avez commencé à l’utiliser ? Si oui à partir de quand ?
Claude Guej : Eh bien quand mon a offert mon ordinateur, c’est-à-dire il y a un peu plus d’un an. Il y a un an.
Alain Casier : Un an.
Frédéric Couchet : Donc il y a un an vous vous êtes mis un petit peu à l’informatique. D’accord. OK ! Alain Casier, tu veux intervenir là-dessus ?
Alain Casier : Ce qu’évoquait Claude est tout à fait symptomatique de toute une population qui n’a pas eu la possibilité dans son travail, quand elle était en activité, d’utiliser l’informatique. Ce sont des gens qui, pour l’essentiel, sont très largement désemparés avec tous les exemples que donnait Claude, c’est tout à fait évident. Il semble qu’il y a de moins en moins d’accueil du public, d’accueil physique du public, donc ils sont en grande difficulté quand ils ont des démarches à faire, prendre un rendez-vous à l’hôpital, ils sont habitués au téléphone, donc on voit des gens qui sont en grande difficulté de ce point de vue-là.
Dans le centre social il y a un autre public qui est aussi en difficulté, ce sont des gens qui ne sont pas des francophones donc qui peuvent avoir des difficultés, dont certains se débrouillent très bien avec tous les outils numériques, mais d’autres, en fonction de leur âge, ce n’est pas forcément le cas. En tout cas pour les personnes âgées c’est une vraie difficulté. Et en même temps, on en parlera peut-être tout à l’heure, il y a ce qu’évoquait Claude, c’est-à-dire qu’il y a tout un potentiel qui peut apporter à ces personnes des connaissances diversifiées dans des tas de domaines, musical, toutes les vidéos qu’on peut voir et dont ils sont friands, tous les échanges avec leurs proches.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Quand tu parlais tout à l’heure du recul de l’accueil physique, c’est évidemment dans les services publics notamment. C’est vrai qu’aujourd’hui on le voit, on parlait tout à l’heure de la déclaration d’impôt, sauf erreur de ma part elle va devenir obligatoire en ligne l’an prochain. Je demande de l’aide sur le salon web, si quelqu’un a des informations précises, mais je crois qu’elle va devenir obligatoire très bientôt, en tout cas pour une certaine catégorie de personnes et que ça pose évidemment, comme Claude Guedj vient de le dire tout à l’heure, des problèmes pratiques pour les gens qui découvrent ce monde-là.
Claude Guedj : Si je peux ajouter une chose.
Frédéric Couchet : Bien sûr Claude, allez-y.
Claude Guedj : Ce que je voudrais dire, je ne vais pas comparer ça à une infirmité mais pas loin, mais j’ai le grand désir d’y arriver, de le faire ; j’ai envie de me débarrasser de ça et de pouvoir utiliser toutes les possibilités qu’offrent Internet et l’ordinateur et de m’en servir, de bénéficier de tous ces avantages, de toutes ces ouvertures.
Frédéric Couchet : On va parler des avantages. Vas-y Alain Casier.
Alain Casier : Un petit point que Claude a évoqué, qu’on a évoqué ensemble, c’est qu’avant que tu aies un ordinateur et aussi un smartphone, tu n’étais jamais au courant des pièces qui étaient jouées par des amis ; tu n’étais jamais au courant des offres qui pouvaient t’être faites de jouer dans telle ou telle pièce parce que là c‘était une coupure dans ce qui fait tout ton métier, ta profession, c’était une coupure totale, quoi !
Claude Guedj : Tu as raison. C’est vrai que bien des amis qui étaient dans d’autres spectacles, qui jouaient des choses, qui faisaient des interventions différentes, je n’étais pas au courant. Je l’apprenais après et ils me disaient : « Oui, mais on a envoyé à tous nos amis qui ont des ordinateurs et Internet. Eux ils savent, ils sont venus. Tu n’es pas venu parce que tu n’as pas ! »
Frédéric Couchet : Donc il y a une exclusion sociale qui se crée, pas par la volonté forcée de vos amis ou des personnes qui sont dans votre métier, mais parce que leurs pratiques font qu’ils ont évolué.
Claude Guedj : Et que la mienne n’a pas évolué !
Frédéric Couchet : Et que la vôtre n’a pas encore évolué.
Claude Guedj : N’a pas encore évolué.
Frédéric Couchet : Concernant la déclaration en ligne obligatoire, on me signale sur le salon web que c’est à compter de 2019 : « l’obligation de télédéclarer ses revenus est généralisée à l’ensemble des contribuables. Le fisc prévoit toutefois des exceptions. » Je remercie @cousine qui est sur le salon web de la radio.
Ça c’est la partie problématique. Tout à l’heure, Claude Guedj, vous avez dit le terme « infirmité », c’est clairement un point de blocage, mais en tout cas dans votre vie à la fois sociale, et je pense qu’on le vit tous à peu près si on n’est pas dans réseaux sociaux, on est informés très tardivement d’un certain nombre de choses et c’est, en plus, un point de blocage dans votre pratique de comédien.
Claude Guedj : Professionnelle.
Frédéric Couchet : Professionnelle, c’est évidemment très dommageable. C’est le point de blocage, mais évidemment vous avez commencé à en parler tout à l’heure Claude, l’informatique apporte aussi des choses positives pour tout le monde, y compris pour les personnes âgées. Justement ans votre expérience récente sur l’informatique, sur l’usage d’Internet, qu’est-ce que ça a pu vous apporter concrètement, à la fois en termes personnels et en termes professionnels ?
Claude Guedj : Professionnels, non, mais individuels oui.
Frédéric Couchet : Alors individuels.
Claude Guedj : Par exemple d’abord pour écouter des chansons de Leonard Cohen ça a été formidable, j’ai découvert plein de choses, des chansons que je ne connaissais pas. Sur un peintre aussi, je cherchais des choses, j’ai réussi à les trouver et ça a été un grand plaisir et une grande satisfaction ; je me suis dit « ah formidable, j’ai appris… »
Frédéric Couchet : Vous utilisez un moteur de recherche ou vous allez sur Wikipédia ? Comment vous faites ? Par exemple Leonard Cohen qui a disparu il y a deux ans maintenant je crois, grand chanteur canadien, comment avez-vous fait ?
Claude Guedj : Écoutez j’ai tapé « Leonard Cohen » et tout est arrivé. C’était magique pour moi ! Je voulais écouter la chanson Le partisan, formidable ! je l’ai eue tout de suite.
Frédéric Couchet : Extraordinaire chanson !
Claude Guedj : Oui ! Et ça, ça a été presque un ravissement si j'ose dire.
Frédéric Couchet : D’accord. Tu voulais réagir là-dessus, Alain Casier ?
Alain Casier : Je crois que c’est un peu le cas de tout le monde. Tu as fait d’autres recherches sur Wikipédia de musiciens, de jazzmen.
Claude Guej : Charlie Parker.
Alain Casier : De Charlie Parker ; c’était pareil. À chaque fois c’est une occasion d’avoir une richesse en informations et pour les gens que j’ai l’occasion d’aider dans les ateliers que j’anime c’est exactement la même chose. Ils font des découvertes absolument incroyables de ce qu’ils pensaient, mais en même temps, et ça sera peut-être un des points qu’on abordera après sur les logiciels libres, il y a ce Claude exprimait, c’est-à-dire la crainte de communiquer sur des données personnelles.
Frédéric Couchet : On va en parler tout à l’heure.
Alain Casier : On reviendra peut-être là-dessus, mais je pense qu’à chaque fois que des gens peuvent taper dans un moteur de recherche, pas forcément celui le plus courant, s’ils peuvent taper le nom d’un artiste qu’ils recherchent, ils retrouvent de l’information, de l’information assez précise. Par exemple sur Wikipédia, je les incite à aider au financement de Wikipédia.
Frédéric Couchet : Actuellement il y a la campagne de dons annuelle.
Alain Casier : Il y a la campagne de dons, de façon à ce qu’ils comprennent bien qu’il y a un travail derrière, que ce n’est pas simplement un don, c’est un peu le contraire de Google qui lui va donner, apporter quelque chose de gratuit, de totalement gratuit mais qui, finalement, vous emprisonne largement. Au contraire, là on a la possibilité de donner pour un service ; pareil, les gens qui utilisent LibreOffice dans le centre social, qui veulent se former.
Frédéric Couchet : LibreOffice est une suite bureautique.
Alain Casier : C’est une suite bureautique. Et les gens qui veulent pouvoir taper du texte sans souscrire aux offres de Microsoft, je crois qu’ils comprennent bien qu’il y a un travail derrière et qu’il faut le financer à mesure de ses moyens.
Frédéric Couchet : J’ai une petite question parce que quand vous dites que vous avez tapé « Leonard Cohen » et tout est arrivé par magie, est-ce que vous avez eu conscience à ce moment-là, imaginé un peu le fonctionnement, comment c’est arrivé ? Je vais peut-être préciser ma question : est-ce qu’à ce moment-là vous faisiez la différence entre un navigateur web et un moteur de recherche ?
Claude Guedj : Pas du tout !
Frédéric Couchet : Pas du tout ! Je vous pose la question et je vais vous laisser poursuivre, parce que beaucoup de gens, de nos jours, confondent en fait le navigateur web avec le moteur de recherche, parce que quand le navigateur web s’ouvre les gens tapent un mot et ils confondent les deux ! Donc à ce moment-là vous vous êtes dit « c’est par magie », sans vous poser la question de savoir quel logiciel était mis en œuvre et par qui derrière.
Claude Guedj : Non. Mon ignorance était totale. J’ai eu cette révélation, tout d’un coup, tout ce que j’ai pu apprendre sur Leonard Cohen ou Charlie Parker est arrivé comme ça, après avoir tapé le nom.
Frédéric Couchet : Alain.
Alain Casier : Je confirme, la confusion est constante. Depuis des années que j’anime des ateliers ou que j’aide des personnes, la confusion moteur de recherche et navigateur est constante et à chaque fois je suis forcé de rappeler qu’il y a une hiérarchie entre les deux : l’un sert à aller sur Internet et l’autre à chercher des éléments plus facilement sur Internet. Ça c’est vraiment une difficulté constante de toutes les personnes ; je pense que ce n’est pas limité aux personnes âgées.
Frédéric Couchet : Exactement. Je posais la question parce que, côtoyant des ados, eh bien je constate que beaucoup d’ados, en fait, font aussi la même confusion. D’ailleurs, sur le salon web de la radio, quelqu’un précise que cette confusion n’est pas faite que par les seniors mais aussi par ceux qu’on appelle les digital natives ; ces digital natives confondent effectivement moteur de recherche et navigateur simplement parce qu’on ne leur a pas forcément expliqué. En l’occurrence évidemment, comme le précise mu_man sur la radio, Google, qui est le moteur de recherche, entretient bien volontairement la confusion entre les deux.
En tout cas voilà, c’est cette découverte d’une masse d’informations qui est librement partagée, d'ailleurs pas forcément que librement partagée, mais qui est partagée et qui est la base d’Internet.
J’avais aussi une autre question par rapport aux pratiques individuelles : est-ce que, depuis que vous vous êtes mis finalement sur l’informatique et sur Internet, vous avez plus de nouvelles de votre famille ou de vos amis notamment via un certain nombre de réseaux sociaux, je ne vais pas les citer parce que peu importe lesquels en fait ? J’ai l’impression qu’aujourd'hui on ne s’envoie plus de cartes postales, on ne s’envoie plus de photos imprimées pour se tenir au courant de la naissance du petit dernier ou de l’évolution des gens, on utilise les réseaux sociaux. Est-ce que dans votre pratique actuelle, maintenant, vous avez cette information qui vous arrive ?
Claude Guedj : Formidablement ! Pour moi c’est magnifique, merveilleux. Oui j’ai eu plein d’informations. Par exemple je préparais un autre spectacle, la personne a pu me laisser une page d’informations que j’ai pu lire, découvrir, réfléchir sur les questions qu’elle me posait, lui répondre, ça c’est formidable.
Bien sûr j’ai aussi pu avoir des informations sur ce que faisaient de nombreux amis.Je ne leur réponds pas par Internet, surtout pas, je n’y arrive pas encore très bien, mais encore avec mon téléphone.
Frédéric Couchet : C’est-à-dire ?
Claude Guedj : C’est-à-dire qu’ils m’envoient un message, moi je ne réponds pas forcément avec mon d’ordinateur mais je prends mon téléphone et je leur dis « j’ai eu ton message, je te remercie beaucoup. »
Frédéric Couchet : Pour bien comprendre, quand vous employez le terme « message » est-ce que c’est un courriel que vous recevez ou c’est un autre message ? Est-ce que c’est un SMS ?
Claude Guedj : Non, c’est un courriel sur Internet.
Frédéric Couchet : Et votre réflexe c’est de prendre votre téléphone et d’appeler pour confirmer ?
Claude Guedj : Oui. Ça ce n’est pas très pratique, il faut que je m’y mette. Il faut que je m’entraîne à aussi pouvoir répondre comme eux me contactent.
Frédéric Couchet : Effectivement. C’est un apprentissage !
Claude Guedj : Oui.
Frédéric Couchet : C’est intéressant de voir comment on s’approprie ces technologies et comment les réflexes sont là et comment ça évolue aussi, évidemment.
Avant d’aborder le sujet suivant qui va être la question des handicaps possibles par rapport à l’âge et l’informatique, Alain est-ce que tu veux ajouter quelque chose sur vraiment cette partie on va dire magnifique d’Internet pour les seniors, d’ailleurs pour tous les publics ?
Alain Casier : En fait, je crois que pour ce public comme pour les autres il faut partir des besoins qu’ils ont. C’est-à-dire que les besoins qu’ils ont c’est rechercher de l’information, c’est communiquer et le mail qu’évoquait Claude c’est un moyen de communication. Dans tous les ateliers qu’on anime c’est ce premier point.
Bien sûr, après, il y a accéder à des sites qui vont leur permettre de régler des problèmes administratifs ou de santé ou autres, mais, en fait, les besoins sont très simples. En général les gens ont peu besoin de bureautique ; ils ont éventuellement besoin de taper un courrier simple à une administration ou à une entreprise quand ils ont une question à poser ; si on reste sur ces besoins-là, ça couvre 90, 95 % des besoins.
Les réseaux sociaux en tant que tels, les gens s’en méfient plutôt, Je parle des seniors.
Frédéric Couchet : Les seniors !
Alain Casier : Les seniors, oui, je pense qu’ils ont une certaine méfiance vis-à-vis de l’usage des réseaux sociaux et elle n'est pas complètement infondée.
Frédéric Couchet : C’est la question des données personnelles dont tu parlais tout à l’heure ? Principalement.
Alain Casier : Les données personnelles, oui, tout à fait. Déjà, même le fait de faire une déclaration d’impôt en ligne, pour eux c’est une sorte d’ouverture sur des données personnelles qui devraient rester confidentielles. Donc il y a une crainte et je pense qu’elle est très générale. Elle est vraiment très marquée. Il y a peu de gens qui n’évoquent pas dans les ateliers que j’anime cette question de la confidentialité de leurs données, de la surveillance en ligne, du risque d’être piraté, comme le disent les gens. Donc c’est constant. Là je crois qu’il y a des éléments pour essayer de les rassurer et de leur dire qu’on peut faire certaines choses mais qu’on ne peut pas tout faire.
Ce que je voudrais peut-être rajouter aussi c’est que je m’aperçois que dans ces ateliers les gens n’ont pas seulement besoin d’utiliser des outils, ils ont aussi besoin de comprendre. C’est-à-dire que c’est rare que dans une heure et demie d’atelier il n’y ait pas dix minutes où je ne sois pas amené à expliquer d’une façon très simple quel est le fonctionnement fondamental d’Internet par exemple, comment fonctionne ce réseau ; par exemple comment les informations circulent d’un point à un autre ; comment ils récupèrent sur le serveur de Wikipédia un texte qui va les informer sur Leonard Cohen, pour reprendre ce cas-là.
Donc ce n’est pas simplement une formation à des outils. Il y a ça, il y a un côté très utilitaire, mais à la fois il y a la volonté de comprendre, de voir comment ça marche d’une façon courte, d’une façon simple.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que vous vous posez des questions sur vos données, on parlait des données personnelles, mais des données que vous pouvez produire, par exemple des photos que vous pouvez prendre et de leur devenir ? C’est-à-dire que la compréhension de savoir si la photo que vous avez prise est sur votre téléphone mobile ? Est-ce qu’elle est sur votre ordinateur ? Si demain vous avez un problème technique est-ce que la photo va être conservée ? Tout à l’heure Claude Guedj parlait de magie, effectivement ça peut être un peu magique ça quand on ne connaît pas l’informatique : quand on prend un photo où se trouve la photo, où se trouve le document que j’ai fait pour tel service public. Est-ce que ces questions-là vous y pensez ? Comment vous les traitez aujourd’hui ? Claude Guedj.
Claude Guej : Écoutez, je ne les traite pas parce que je ne sais pas l’utiliser.
Frédéric Couchet : D’accord.
Claude Guej : Je le regrette, ça fait partie de tous mes regrets, il faut que je me soigne sérieusement.
Frédéric Couchet : Dans les ateliers, Alain, ce point-là est abordé ?
Alain Casier : C’est pareil, où sont les données c’est un point incontournable des ateliers qu’on peut animer, parce que les gens les voient sur leur smartphone, par exemple, ou sur leur ordinateur, et ils ont l’impression que c’est chez eux. Ça c’est vraiment une notion sur laquelle il faut insister en disant « eh bien non, c’est dans un serveur, on ne sait pas où il est, donc on ne sait pas où c’est stocké. » Je crois que là il y a une formation très précise, pas forcément très longue, à faire sur cette question-là.
Frédéric Couchet : D’accord. Vous vouliez compléter Claude ?
Claude Guej : Oui. Moi savoir où sont les choses, ce n’est pas ça qui m’inquiète, c’est de savoir faire les choses.
Frédéric Couchet : Et de comprendre ! Ce que disait Alain.
Claude Guej : Et de comprendre, ce que disait Alain, comprendre les choses. Oui c’est ça qui me paraît le plus important, enfin en ce qui me concerne, avec mes limites.
Frédéric Couchet : Sur le salon web de la radio, sur causecommune.fm, où les auditeurs et auditrices peuvent nous rejoindre, il y a plusieurs réactions qui confirment effectivement que cette compréhension, ce besoin de compréhension est quelque chose qui est partagé par les seniors, notamment Marie-Odile. Non ! Marie-Odile parle d’autre chose, c’est WhatApps, on parlera tout à l’heure de WhatApps et de la méfiance, en tout cas c’est quelque chose qui est partagé.
Par rapport à cette volonté de comprendre, on y reviendra tout à l’heure sur le logiciel libre, mais Internet permet de consulter de nombreux documents qui vous permettent de comprendre. Je suppose que ça doit être absolument extraordinaire : tout d’un coup il y a un sujet qui vous intéresse, vous parliez tout à l’heure de Leonard Cohen, il y a la page Wikipédia de Leonard Cohen, mais je suppose qu’il y a des sites de fans de Leonard Cohen sur lesquels vous avez peut-être trouvé des références, des petits bijoux.
Claude Guedj : Oui. Ça je n’y ai pas pensé du tout. Je n’ai pas été très loin, j’ai été jusqu’au plaisir que je prenais à écouter Leonard Cohen et avoir des informations sur qui il était, comment il vivait. Voilà ! Je me suis arrêté là. Moi ça m’a beaucoup apporté, ça peut paraître comme limité.
Frédéric Couchet : Pas du tout ! J’ai une petite question avant la pause musicale. Dans l’introduction vous avez dit que vous étiez comédien et que vous jouiez dans la pièce 12 Hommes en colère au théâtre Hébertot. Est-ce que vous êtes allé voir la page Wikipédia de Douze hommes en colère ?
Claude Guedj : Non, moi je ne suis pas allé voir, mais mes amis au théâtre me l’ont montrée. Eux savent faire fonctionner tout ça ! Ils m’ont montré, c’était passionnant. Formidable. Oui !
Frédéric Couchet : On va faire une petite pause musicale et après on va reprendre la suite de notre conversation. Nous allons écouter Ambroise par Eau Forte. On se retrouve juste après. Continuez à passer une belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Pause musicale : Ambroise par Eau Forte.
Frédéric Couchet : Nous avons écouté Ambroise par Eau Forte, disponible sous licence Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de la radio causecommune.fm et sur le site de l’April, april.org.
Nous poursuivons notre échange avec Alain Casier, conseiller en formation continue retraité, bénévole dans un centre social parisien, que je vais d’ailleurs nommer, le Pari's des faubourgs dans le 10e arrondissement de Paris, et claude Guedj, comédien.
Nous parlons de logiciel libre et seniors. On va aborder le point suivant, notamment les handicaps possibles avec l’âge, parce qu’avec l’âge arrivent des handicaps possibles, que ce soit la vue, l’audition, même la dextérité sur le clavier. Claude Guedj, est-ce que vous avez rencontré ce genre de problèmes, quels qu’ils soient depuis que vous vous êtes mis à l’informatique, il y a à peu près un an de cela vous disiez avant la pause musicale.
Claude Guej : Oui. L’audition, je suis appareillé, donc je n’ai pas de problème ; pour la vue ça va, mais c’est le clavier. Là j’ai du mal avec le clavier.
Frédéric Couchet : C’est quoi le problème avec le clavier ?
Claude Guej : C’est-à-dire que je m’empêtre dans les lettres, au lieu d’écrire « bonjour », j’écris bonjour avec « zturt ». Je ne sais pas. Il faut que j’apprenne à me servir de ce clavier sans trop me tromper. J’ai essayé d’envoyer un mot à des amis qui m’ont dit : « Qu’est-ce que tu nous as raconté ? On n’a rien compris ! » Forcément, j’avais mis des lettres un peu n’importe comment sans le faire exprès ; en croyant bien faire, je faisais mal.
Frédéric Couchet : D’accord. Alain Casier est-ce qu’il y a des formations ? C’est le clavier sur ordinateur, c’est-à-dire le gros clavier ?
Claude Guej : Oui. Le clavier de l’ordinateur.
Frédéric Couchet : Est-ce qu’il y a des formations simplement à taper au clavier dans ton centre social ?
Alain Casier : Des formations spécifiques à la frappe sur le clavier, non, pas véritablement, par contre c’est vrai que ça fait partie des trois éléments de base que les gens doivent maîtriser au départ, c’est-à-dire la connaissance du clavier. Là aussi la connaissance du clavier c’est progressif. On ne peut pas le faire instantanément parce que si on noie les utilisateurs potentiels en leur décrivant toutes les touches d’un clavier et les usages possibles qu’on peut en faire, ça ne va pas marcher. Donc le clavier, la souris, le fenêtrage, ce sont les trois éléments de base.
Frédéric Couchet : Le fenêtrage, explique ce que c’est s’il te plaît.
Alain Casier : Le fenêtrage, c’est-à-dire que quand on lance une application on va voir sur l’écran un rectangle où va tourner l’application, le programme qu’on souhaite utiliser, par exemple Firefox qui est un navigateur web, donc on va voir ça, les gens vont vouloir le fermer, vont vouloir ouvrir un autre onglet pour, en même temps qu’ils font une recherche sur tel musicien pouvoir lire leurs mails sur un webmail et ainsi de suite, donc tout ça, ça fait partie des éléments de base ; il faut prendre le temps de le faire, justement avec les problèmes qui peuvent surgir, de vue, de dextérité manuelle ou simplement d’oubli : des personnes qui ne se souviennent plus que c’est la touche « AltGr » qui va permettre de taper une arobase.
Frédéric Couchet : Effectivement, il y a beaucoup de choses à apprendre. Sur le salon web on me signale Grammalecte qui est un correcteur typographique et grammatical libre qui peut être installé par exemple pour LibreOffice, qui permet de faire de la correction automatique ; c’est peut être une étape d’après, en tout cas il y a des outils qui sont disponibles. Et autour de l’accessibilité en général il y a pas mal d’outils dans le monde du logiciel libre qui dépendent des environnements de travail qu’on peut rencontrer. En tout cas il y a quand même pas mal de choses.
On a relativement peu parlé de logiciel libre parce qu’on a fait une introduction mais c’est une introduction qui est importante. On me signale que Grammalecte est aussi pour Firefox, donc le navigateur web, et Thunderbird qui est un outil pour lire ses courriels ; en tout cas il y a pas mal d’outils qui sont disponibles, on mettra évidemment les références sur le site de Cause Commune et sur le site de l’April.
On va aussi parler de logiciel libre, même si on en a déjà un petit peu parlé, et puis d’ateliers parce que toi, Alain, tu as notamment une longue expérience en formation continue vu que c’était ton métier avant et maintenant tu es animateur, enfin depuis très longtemps bénévole dans un centre social. Est-ce que tu fais de la formation au logiciel libre ou est-ce que tu fais de la formation à l’informatique en utilisant des logiciels libres ? Quelle est ta pratique de formation et notamment pour ce public spécifique des seniors ?
Alain Casier : Le public senior qui vient dans le centre social, dans pas mal de cas ils ont un ordinateur portable et c’est clair que, dans la plupart des cas, ce n’est pas un système libre qu’ils ont sur leur ordinateur portable. Je ne leur propose pas de changer leur système, bien sûr, mais je leur propose d’abord d’utiliser, même dans ce contexte d’une machine avec un système Microsoft, d’utiliser des logiciels libres, d’utiliser Firefox comme navigateur, d’utiliser des moteurs de recherche qui ne soient pas Google, d’utiliser LibreOffice quand ils ont besoin de taper du courrier. Ça c’est un premier pas.
Ensuite il y a des gens qui viennent et, comme il y a des relations qui s’établissent, qui me disent : « Moi je vais changer de portable, qu’est-ce que vous me conseillez, qu’est-ce que tu me conseilles ? » À ce moment-là je vais pouvoir, peut-être dans certains cas, leur proposer l’installation d’un système libre sur une machine sans système et, dans ce cas-là, je fais l’installation. Ça fera partie non pas des ateliers directement, mais toutes les demi-heures, pendant une demi-journée, je reçois des gens qui ont un problème informatique, je leur dis « vous prenez rendez-vous à l’accueil du centre pour venir » et ils viennent une demi-heure voire un peu plus parce qu’une installation ça peut être un peu plus long que ça, dans ce cas-là je leur installe un logiciel libre.
Ça peut aussi être des gens qui ne veulent plus de Windows, qui ont déjà une notion d’être dans un système propriétaire, d’avoir une restriction de leur liberté, et qui me demandent sur une machine, ça peut être dans un titre de voisinage ou d’amis, « j’aimerais mieux avoir un système qui ne soit pas un système Microsoft sur ma machine ». Dans ce cas-là je leur installe.
Frédéric Couchet : Ce sont des personnes qui ont déjà une réflexion bien avancée quand même.
Alain Casier : Oui, là c’est plutôt le cas.
Frédéric Couchet : Ce qui est intéressant dans l’approche c’est que les logiciels libres que tu as cités, LibreOffice, Firefox ou autres, sont des logiciels libres qu’on appelle multiplateformes c’est-à-dire qu’ils sont disponibles à la fois sur environnement Windows, également sur environnement libre donc les systèmes d’exploitation GNU/Linux et, pour la plupart, je crois aussi sur environnement Mac. Ce qui permet, en fait, qu’une personne qui arrive, comme tu le dis, avec son portable sous Windows tu vas la former, en tout cas lui montrer quelques logiciels libres de base qu’elle pourra évidemment continuer à utiliser chez elle et si un jour elle évolue vers un système entièrement libre, elle retrouvera les mêmes logiciels et d’autres. Finalement ça permet une transition souple vers les libertés informatiques.
Alain Casier : Oui, exactement. On est forcé de tenir compte du point où en sont les gens qui arrivent. Il n’y a pas de forcing à faire dans ce domaine-là. C’est sur la base de la conviction. Par contre, je pense qu’il y a des gens qui ressentent un petit peu, en tout cas qui craignent la mainmise sur toutes leurs données et qui sont assez ouverts sur ce type de questions. Disons que dans mon voisinage et entourage proche il y a une dizaine de personnes auxquelles j’ai dû installer un système libre à la place de Windows ou des machines sans Windows. Il y a aussi un point auquel elles peuvent être sensibles c’est quand même le coût des licences. C’est-à-dire que Windows, d’accord, on achète l’appareil, d’accord on ne se rend pas compte.
Frédéric Couchet : Le prix est quelque part inclus.
Alain Casier : Le prix est inclus. D’ailleurs on ne sait pas exactement quelle est la part respective du système et du matériel quand on achète un portable, ça c’est la première chose. Par exemple pour la bureautique, pour des gens qui ont besoin de LibreOffice pour différentes fonctionnalités, eh bien il faut s’abonner auprès de Microsoft si on veut Microsoft Office, c’est un renouvellement tous les ans et on paye tous les ans. Je leur dis « dans ce cas-là il faut mieux utiliser LibreOffice » ; on aide LibreOffice à continuer à se développer en versant un somme, somme toute modique et moins importante que celle qui est versée à Microsoft, pour avancer sur cette question.
Frédéric Couchet : Cette question du coût revient assez souvent dans les motivations ?
Alain Casier : Dans les ateliers que j’anime ce sont essentiellement des femmes âgées, essentiellement, beaucoup plus que des hommes.
Frédéric Couchet : D’accord. Comment tu l’expliques ?
Alain Casier : Déjà il y a un différentiel d’espérance de vie, peut-être que c’est ça ! Il y a peut-être ça et d’autre part, disons que dans l’ensemble il y a des femmes qui sont un peu isolées. Celles qui sont isolées viennent dans le conseil des seniors et, du coup, elles ont connaissance des ateliers qu’on peut animer. Je pense que des fois c’est le coût et, en plus, il faut penser que dans la maîtrise de l’informatique il y a un aspect culturel mais il y a un aspect social. Par exemple dans l’atelier que j’animais lundi dernier, donc hier, il y a une personne qui était couturière chez un tailleur, donc c’est quelqu’un qui a des revenus très modestes. Si je lui dis « il y a peut-être une économie de 50 euros ou de 100 euros à faire », ça fait une différence. Quand on voit les prix des licences Windows, quand elles sont achetées à part, c’est phénoménal !
Frédéric Couchet : Oui, c’est du racket !
Alain Casier : C’est plutôt 150 euros. Je pense que ça, ça peut toucher certaines catégories.
Frédéric Couchet : D’accord. Claude Guedj vous avez dit tout à l’heure que ça faisait à peu près un an que vous vous étiez mis à l’informatique. C’est quoi ? C’est quelqu’un de votre famille qui vous a acheté un ordinateur ou vous-même vous vous êtes dit « je vais m’acheter un ordinateur » ? Qu’est-ce qu’a été le déclencheur ?
Claude Guedj : Le déclencheur, ça a été une grande surprise, ça a été un cadeau qui m’a été fait par des gens de ma famille dont Alain, un oncle, un cousin qui, pour me mettre un peu au pied du mur, m’ont offert cet ordinateur.
Frédéric Couchet : On va expliquer que tous les deux vous êtes cousins. Je suppose que ça doit être assez souvent le cas qu’une personne de la famille ou la famille se cotise pour acheter un ordinateur à quelqu’un, à un senior de la famille, donc c’est l’occasion de découvrir. Très souvent, on va dire la majeure partie du temps, le système est préinstallé sans soute avec Microsoft Windows d’où l’importance d’avoir des logiciels libres multiplateformes et d’y aller par étapes. Tout à l’heure quand on préparait, Alain tu parlais de partir des besoins. On rencontre de moins en moins de gens qui essaient de contraindre et forcer les gens d’aller vers le logiciel libre ; ce qui est important c’est de partir des besoins des gens en fait.
Alain Casier : Oui. C’est-à-dire que si Claude nous avait dit « moi l’informatique je n’en veux pas » — je connais des gens dans mon entourage qui disent « Je ne veux jamais avoir aucun smartphone » —, mais en même temps tu constatais que, par rapport à ton métier, il y avait des liens que tu n’avais plus, que tu perdais de l’information et tout ça. C’est ça qui nous a motivés en faisant un tour et, pour tes 80 ans, que tu puisses avoir un ordinateur et également un smartphone.
Claude Guedj : C’est ça et rester en contact avec beaucoup de gens.
Alain Casier : C’était ça. Mais il y a des gens qui sont complètement réfractaires. J’ai des gens qui disent « je ne veux pas m’occuper de ça ou je n’ai plus l’âge de m’occuper de ça ». Je ne sais pas comment ils réagiront dans deux ans ou dans un an, mais, en tout cas, il faut partir de là où en sont les gens. Là, il y avait clairement chez Claude l’expression d’un besoin, l’expression d’un manque.
Frédéric Couchet : C’est ce qu’il a expliqué tout à l’heure notamment par rapport à son métier.
Je suis en train de regarder les commentaires sur le salon web. Je rappelle aux personnes qui nous écoutent qu’elles peuvent nous rejoindre sur causecommune.fm. Alain, tout à l’heure tu parlais de l’aspect coût, eh bien il y a mu_man qui nous rappelle qu’on peut trouver sur le site agendadulibre.org, « agendadulibre » tout attaché, non seulement tous les événements autour du logiciel libre mais également la liste des organisations qui font des formations, des accompagnements autour du logiciel libre, ce qu’on appelle les groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres. Alain, tu es bénévole dans un centre social parisien, mais partout en France il y a des groupes d’utilisateurs et d'utilisatrices qui aident les gens à aller vers le logiciel libre ; il y a aussi des médiathèques, des cyberbases, etc., ça c’est le premier point. Et sur l’aspect du coût c’est toujours mu_man qui dit « autant payer une petite cotisation à son groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices local ou donner à LibreOffice plutôt que donner beaucoup d’argent à Microsoft ou Apple ». C’est vrai que c’est un retour qui peut être intéressant par rapport soit au projet soit aux gens qui vous aident. Alain.
Alain Casier : Tout à fait oui. Par contre dans ce domaine-là, moi je me suis senti des fois un peu démuni parce que j’étais le seul, dans le centre social, à pouvoir former. Le seul en tant que bénévole en général dans l’informatique parce qu’il y a des manques, des besoins. Il y a des centres sociaux qui sont espace public numérique et qui peuvent apporter une aide. Il y a aussi des médiathèques, par exemple comme celle des Halles qui fonctionne sur le logiciel libre, mais, quand on est seul, eh bien on se débrouille avec un petit groupe de personnes et on ne va pas plus loin. Je pense que ça pourrait être une ouverture sur les logiciels libres en général, qu’il y ait installation après d’un système libre c’est une autre question, c’est une autre étape, mais en tout cas sur l’usage de logiciels libres et sur la protection de ses données. Je pense que ce serait peut-être très intéressant que les groupes locaux visent aussi ce public-là, parce que les groupes d’utilisateurs de logiciels libres sont quand même en général plutôt tournés, enfin tournent avec du public jeune et des jeunes qui connaissent bien le domaine.
Frédéric Couchet : Du public avancé. Tu parles de viser le public des seniors.
Alain Casier : Voilà ! Viser le public des seniors et peut-être que dans ces groupes d’ailleurs, s’il y avait des bénévoles, des gens qui voulaient – alors c’est plus difficile pour les gens jeunes parce que les animations se déroulent souvent en journée, mais ça peut aussi se faire le soir dans certains cas –, ça serait bien de pouvoir étoffer le potentiel d’animateurs de ce type d’ateliers.
Frédéric Couchet : C’est un appel lancé aux groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres, effectivement d’élargir leur périmètre s’ils peuvent le faire parce que, comme tu le dis, les formations sont souvent en journée pour ce type de public.
Concernant les espaces publics numériques, j’informe les personnes qui nous écoutent que le 22 octobre, donc dans 15 jours, nous ferons une émission sur les espaces publics numériques et le logiciel libre avec une personne de la Cité des sciences et de l’industrie de Paris, une personne de la Cyberbase de Saint-Denis dans le 93 et une personne de la Bibliothèque francophone de Limoge, pour leur retour d’expérience par rapport à la formation et sensibilisation aux logiciels libres là pour tout public, évidemment ils ont aussi beaucoup de seniors. C’est le 22 octobre.
Je regarde les petites questions qu’on nous a aussi envoyées en préparant l’émission, notamment quelle est la publicité faite et de quelle façon fais-tu, notamment Alain, pour attirer les seniors dans ces formations ? Pour les sortir justement peut-être de la solitude dont tu parlais tout à l’heure ou de les convaincre de venir à ces formations ? Est-ce qu’il y a une méthode utilisée, est-ce qu’il y a une approche qui permet vraiment de les convaincre de venir ?
Alain Casier : Je disais à l’instant que j’étais des fois un peu seul à faire et, faute de relais, c’est difficile. J’ai des activités, je ne peux pas former des dizaines de personnes ; je peux former un groupe, je peux donner une demi-journée de plus. En gros, j’y consacre disons une grosse demi-journée, juste en atelier ou en soutien quand les gens ont un problème, qu’ils ont rencontré un bug en informatique, donc élargir, je n’ai pas besoin de faire trop de publicité en fait, c’est le conseil des seniors…
Frédéric Couchet : D'accord. Tu n'as pas besion. Qu’est-ce que tu appelles le conseil des seniors ?
Alain Casier : Le conseil des seniors est un groupement organisé par la mairie du 10e – je pense que dans les autres mairies d’arrondissement ça doit exister à l’identique – ils se réunissent pour des activités qui les intéressent, ils définissent ensemble les activités et on a la chance qu’ils se réunissent dans le centre social.
Frédéric Couchet : D’accord, ils sont sur place.
Alain Casier : Quand on a une activité chorale ils la mènent dans le centre social, ils connaissent les activités du centre, on leur présente, donc ça se fait très naturellement. Ça serait d’ailleurs peut-être dans d’autres endroits – je pense que ça existe dans d’autres arrondissements – un moyen de contact avec cette population qui est plus âgée que les autres.
Frédéric Couchet : D’accord. Dans ton expérience de formateur est-ce que tu vois des différences réelles dans l’approche entre les différents types de public, que ce soit les jeunes ou les gens de 30/40 et les seniors ? Ou est-ce qu’au niveau formation finalement c’est à peu près pareil ?
Alain Casier : Non, je crois qu’il y a les mêmes démarches de toute façon, sauf que là ce sont souvent des gens qui débutent complètement, qui n’ont même pas eu une approche quelconque ; c’est quand même difficile d’avoir des gens de 30 ans qui n’ont eu aucune approche du numérique et de l’informatique. Pour les gens qui ont plus de 65, 70, voire plus, il faut revenir sur les bases que j’évoquais tout à l’heure c’est-à-dire le clavier, la souris et l’utilisation d’un système avec des fenêtres. En plus, on constate que dans cette formation, la souplesse ergonomique apportée par certains logiciels, d’ailleurs que ce soit libre ou pas libre, peu importe, est une entrave à l’apprentissage rapide. Par exemple, le potentiel pour faire un copier-coller qui existe dans tous les logiciels à l’heure actuelle est perturbant pour beaucoup de personnes. C’est-à-dire qu’on ne va pas annoncer à quelqu’un qu’il y a cinq/six façons de faire un copier-coller dans tel logiciel. Donc il faut s’en tenir à une seule possibilité, leur dire « on peut faire autrement ; si ça vous intéresse je vous le dirai », mais surtout être très progressif dans le potentiel offert par les logiciels à l’heure actuelle. D’une certaine façon l’ergonomie tue l’ergonomie. La richesse visuelle, le graphisme, ça peut être très joli, mais c’est aussi une entrave en termes de formation.
Frédéric Couchet : Des fois la simplicité est un avantage.
Alain Casier : Du coup certains systèmes libres offrent un potentiel de systèmes simplifiés qui n’existe pas dans les systèmes propriétaires. Et je pense que là ça peut aussi être intéressant d’avoir des versions plus sobres.
Frédéric Couchet : Claude Guedj, dans votre découverte de l’informatique, est-ce que vous avez découvert récemment des logiciels ou des sites ? Vous avez parlé tout à l’heure du moteur de recherche, un petit peu aussi de Wikipédia, mais dans votre découverte est-ce que maintenant vous connaissez LibreOffice, VLC ou est-ce que vous êtes dans la phase d’apprentissage ?
Claude Guedj : Je suis plutôt dans la phase d’apprentissage, je ne vais pas trop m’avancer là-dessus, je dirais des bêtises, je suis plutôt dans la phase d’apprentissage et, comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai envie d’en savoir plus et d’utiliser beaucoup plus que je ne le fais mon ordinateur et Internet et avoir une réponse à toutes ces questions que vous me posez auxquelles je ne peux pas répondre.
Frédéric Couchet : Dans votre pratique comment ça se passe ? Vous allez au centre social avec Alain ou vous avez de la formation à la maison ? Comment vous faites ?
Claude Guedj : C’est ALain qui se dérange jusqu’à moi pour m’aider à me dégrossir.
Frédéric Couchet : C’est Alain qui se déplace.
Claude Guedj : Je ne sais pas trop comment le remercier pour tout le mal qu’il se donne ! Je suis un peu bouché !
Frédéric Couchet : Je n’ai pas du tout l’impression que vous soyez bouché. Je crois que dans beaucoup de familles, en fait, c’est ça, c’est l’entraide dans les familles. Là vous avez la chance d’avoir quelqu’un qui s’y connaît bien en logiciel libre. Je pense que de plus en plus dans nos familles c’est le cas. Tu veux rajouter quelque chose Alain ?
Alain Casier : Je voudrais dire qu’il faut quand même aussi penser que ça peut être abordé avec plaisir cette découverte, quel que soit l’âge de cette découverte ; c’est-à-dire qu’à 80 ans, à 85 ans ou a 60 ans, on peut avoir du plaisir à découvrir le potentiel du numérique dans tel ou tel domaine. C’est vrai qu’il y a des contraintes qui sont très lourdes, qui handicapent les gens, il y a plein de choses difficiles, mais, en même temps, il y a aussi du plaisir à découvrir des choses qu’ils pensaient complètement inaccessibles.
Frédéric Couchet : On approche de la fin de l’émission, on a parlé tout à l’heure de sites qui parlent d’artistes et autres, Claude Guedj, dans votre métier, vous êtes comédien, est-ce que vous avez eu envie à un moment de vous lancer dans la création d’un site web, évidemment aidé par quelqu’un, pour faire connaître votre métier d’acteur, de comédien ? Ou ce n’est pas du tout dans vos intentions ?
Claude Guedj : Non, ce n’est pas dans mes intentions pour le moment. Mon intention c’est de l’utiliser d’une façon pratique, un peu intelligente. De m’ouvrir davantage aux possibilités qu’offrent Internet et l’ordinateur et de savoir un peu maîtriser tout ça. J’ai une grande envie de ça et cette émission va beaucoup m’aider et m’encourage fortement à continuer dans cette voie, à le faire et je vous en remercie beaucoup.
Frédéric Couchet : Écoutez c’est super. Vous êtes à la radio, les personnes qui nous écoutent ne peuvent pas voir Claude Guedj, mais quand il parle d’Internet, d’informatique, il a un sourire ! Donc on sent vraiment le plaisir de la découverte. En tout cas je vous remercie d’avoir participé à cette émission et je rappelle que vous êtes à l’affiche en ce moment avec 11 autres acteurs dans 12 Hommes en colère, au théâtre Hébertot, c’est dans quel arrondissement de Paris ?
Claude Guedj : 17e, au métro Rome.
Frédéric Couchet : 17e, métro Rome et c’est jusqu’à quand ?
Claude Guedj : Jusqu’à début janvier.
Frédéric Couchet : Jusqu’à début janvier 2020, donc courrez-y pour voir ce film et l’actualité, comme je l’ai dit tout à l’heure, rend encore plus important de voir ce genre de film, donc 12 Hommes en colère. Alain je vais te laisser le mot de conclusion.
Alain Casier : Je rectifie c’est une pièce, ce n’est pas un film.
Frédéric Couchet : Ah oui, j’ai dit un film. À l’origine c’est une pièce, le nom va m’échapper, c’est Reginald Rose, et effectivement après il y en a eu un film de Sidney Lumet, il y en peut-être eu d’autres. À l’origine c’est effectivement une pièce. Merci de la correction Alain. Donc merci en tout cas. Je remercie de nouveau Claude Guedj, comédien. Peut-être un mot de conclusion d’Alain Casier.
Alain Casier : Si cette émission peut servir à susciter des volontaires pour un bénévolat où qu’ils soient et quelle que soit sa nature pour développer le logiciel libre et aider les seniors à s’en sortir sur les problèmes qu’ils rencontrent en informatique ça sera parfait. Ce sera pour moi un atout important.
Frédéric Couchet : Je l’espère aussi. En tout cas je vous remercie de votre participation et je vous souhaite de passer une belle journée. On va passer au sujet d’après.
[Virgule musicale]
Interview de Dimitri Even du groupe Stone From The Sky
Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale, mais en fait, la pause musicale est intégrée dans le sujet d’après parce que, tout simplement, nous allons écouter la musique d’un groupe que j’aurai le plaisir d’interviewer juste après. Nous allons écouter Agger par Stone From The Sky. On se retrouve juste après.
Pause musicale : Agger par Stone From The Sky.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Aggerpar Stone From The Sky, disponible sous licence Art Libre. J’espère que vous avez apprécié ce morceau comme nous l’avons apprécié ici et nous avons le plaisir d’avoir par téléphone avec nous un des membres du groupe, Dimitri Even. Bonjour Dimitri.
Dimitri Even : Bonjour.
Frédéric Couchet : Tu es donc un membre du groupe Stone From The Sky. Première question avant d’aborder la partie on va dire licence libre, est-ce que tu peux présenter rapidement le groupe d’un point de vue musical parce que tout le monde ne maîtrise pas forcément ce type de musique et puis son historique, son nombre de membres ? Présente-nous un petit peu Stone From The Sky.
Dimitri Even : Stone From The Sky est un projet qui est né en 2012 sous mon impulsion et celle de Florent, le guitariste. C’est un projet qu’on a fait au départ un peu pour s’amuser, on ne savait même pas quel instrument on voulait prendre chacun, c’était à peu près à ce niveau-là, et c’est devenu un projet très sérieux assez rapidement.
On fait ce qu’on appelle du stoner. Dans les grandes généralités, nous on est complètement instrumental et, du coup, c’est de la musique qui est un mélange de tout ce qui est un peu musique Black Sabbath, Kyuss, Queens of the Stone Age, mélangée, en fait, au Krautrock un peu allemand, toutes les musiques un peu psychédéliques allemandes, post-rock, la musique progressive seventies. Il y a beaucoup de choses qui datent du passé, mais réactualisées de façon très moderne avec un fond hyper-moderne, en fait.
Frédéric Couchet : D’accord. Et vous êtes combien dans le groupe ? Vous êtes deux ?
Dimitri Even : On est trois : basse, guitare, batterie. Voilà, le minimum nécessaire pour faire un maximum de bruit !
Frédéric Couchet : D’accord. Dans l’émission, une des spécificités de nos pauses musicales c’est de ne diffuser que des musiques sous licence libre, c’est un choix qui n’est pas forcément ordinaire. C’est votre cas, vous diffusez votre musique sous licence Art Libre. Comment avez-vous découvert l’existence de ces licences libres ? Pourquoi avoir choisi une licence libre et, en particulier, pourquoi la licence Art Libre ?
Dimitri Even : En fait, dans notre précédent projet à Florent et moi, on est rentrés dans une association qui s’appelle l’AMMD, l’Amicale du Mekanik Metal Disco, qui était constituée de copains qui n’habitaient pas très loin de chez nous. On est rentrés dans l’asso. Quand ils ont commencé à nous parler de tout ça, on a trouvé ça super intéressant, ils nous ont vachement initiés à tout cet univers-là et, en fait, ça nous a paru la logique même. À partir du moment où on a commencé à monter ce projet pour nous c’était la base que ce soit en licence Art Libre. C’était aussi la culture de notre musique et c’est quelque chose qui est en train de se développer donc on est hyper-contents de participer à cette montée en puissance des licences Art Libre, même si elles ne sont pas toujours toutes vraiment libres, mais au moins il y en a une partie qui monte.
Frédéric Couchet : D’accord. Et par rapport à votre but de faire de la musique, c’est quoi la motivation principale ? C’est gagner de l’argent ? Devenir célèbres ? Vous faire plaisir ? Partager le plaisir ?
Dimitri Even : C’est surtout se faire plaisir. En fait, l’idée c’est que le projet nous permette de faire des tournées, des concerts dans plein d’endroits différents, qu’on puisse un peu découvrir des nouvelles têtes, découvrir des nouveaux publics, se faire plaisir aussi. On est aussi très rigoureux sur la gestion du projet : le projet ne nous fait pas gagner d’argent, mais il ne faut pas non plus qu’il nous coûte de l’argent. En fait, on a une manière très professionnelle de faire tourner le groupe même si on est tout bonnement des amateurs selon le système français qui dit que si tu es payé tu es professionnel, si tu n’es pas payé tu es amateur. Alors que nous on se considère un peu comme des professionnels, même si on ne fait pas d’argent dessus.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est-à-dire que vous avez un métier à côté et là, ce que vous faites, c’est pour le plaisir même si c’est fait de façon professionnelle ?
Dimitri Even : Tout à fait. Voilà ! Ça mange nos loisirs et nos vacances, mais on est contents parce que c’est notre plaisir.
Frédéric Couchet : D’accord. Quand tu parles de concerts, est-ce que le fait d’avoir de la musique sous licence libre c’est un frein, quelque chose de plutôt positif ou c’est neutre quand tu organises les tournées ?
Dimitri Even : On va dire que le milieu stoner n’est pas encore hyper-formé à ça, des fois ça leur passe un peu au-dessus de la tête, sauf en Allemagne où c’est quand même un vrai plaisir de pouvoir foutre sur leurs fichus trucs de la GEMA « c’est de l’Art Libre, va te faire voir », c’est assez sympa.
Frédéric Couchet : C’est quoi la GEMA ?
Dimitri Even : La GEMA c’est la Sacem allemande qui est, pour le coup, beaucoup plus agressive que la Sacem française, qui va vraiment chercher y compris dans les squats, y compris dans les lieux autogérés ; s’il y a un concert qui est fait, ils iront quand même te fiche le petit papier souvenir.
Frédéric Couchet : Je ne savais qu’on pouvait être plus extrême que la Sacem. La version allemande de la Sacem est encore pire que la Sacem ; c’est ce que tu dis.
Dimitri Even : C’est ça, ils sont très agressifs. Du coup, on essaie d’introduire cette notion d’Art Libre, de prix libre, de choses comme ça, qu’on essaie de faire entrer aussi un peu dans la tête du stoner français. On commence à voir des groupes qui font la même chose. On commence à voir quelques petites mentions CC BY NC qui traînent par-ci par-là, on se dit « bon ce n’est pas mal, c’est un premier pas, ça commence à venir. »
Frédéric Couchet : Je précise que CC BY NC ça veut dire notamment que c’est « pas d’usage commercial », alors que vous, dans la licence Art Libre, vous autorisez l’usage commercial. Mais, comme tu dis, c’est une première étape dans la réflexion.
Le fait que ce soit en licence Art Libre n’empêche pas évidemment de vous payer, même de payer pour récupérer les sources sur votre site ou sur le site de Bandcamp. J’ai vu que le troisième album, Break A Leg dont Agger est un extrait, est sorti chez Fuse Records. Est-ce que ça veut dire qu’on peut acheter une version on va dire matérielle de l’album, un vinyle ou quelque chose dans le genre ?
Dimitri Even : Nous, notre politique c’est d’avoir quelque chose le plus accessible possible, notamment sur les CD. Le CD est en vente à prix libre sur nos concerts. Par Internet on essaie d’éviter les trucs type prix libre parce que sinon ça va nous coûter plus cher en frais de port qu’en CD donc ce n’est pas gérable pour le moment. La musique en téléchargement numérique est à prix libre aussi. On a également des vinyles et pour le coup, là on essaie d’avoir la meilleure qualité possible pour une vente la moins chère possible, parce que ce n’est parce que tu n’es pas riche que tu n’as pas le droit de repartir avec un beau vinyle. On est, je pense, à au moins six/sept euros moins cher que le prix standard du marché. On est assez contents de pouvoir tirer un peu les prix vers le bas.
Frédéric Couchet : C’est important. Je pense qu’il y a encore plein de gens qui sont attachés. Personnellement je suis toujours attaché à l’aspect matériel, que ce soit un vinyle ou CD, avec éventuellement une petite plaquette, etc., donc c’est important de pouvoir repartir avec un objet qu’on achète lors de vos concerts.
Dimitri Even : Oui, tout à fait. Et puis il ne faut pas se foutre de la gueule des gens, il faut essayer d’avoir un beau projet : si quelqu’un repart avec un beau vinyle, avec une belle pochette, une belle musique, au moins il est vraiment hyper-content de sa soirée et, de toute façon, il reviendra aux concerts, il rachètera autre chose. À partir du moment où on ne se fout pas de la gueule des gens, les gens nous le rendent et, du coup, ils reviennent, ils rachètent le CD suivant, ils font attention à nos sorties. Le prix libre et les prix raisonnés sont toujours le plus efficace. On a réussi à convertir quelques collègues aussi à ça dans le milieu, ils vendent leur première démo en prix libre et, en fait, ils se rendent compte qu'ils font plus d’argent que quand ils vendaient ça à cinq/dix euros.
Frédéric Couchet : C’est parfait. Au-delà de la licence libre, est-ce que, pour faire votre musique, vous utilisez des logiciels libres ?
Dimitri Even : Les logiciels libres, pour tout ce qui est partie on va dire graphisme, visuel, tout ce qui est un peu externe à la gestion du son, on fait tout sous Gimp, logiciel libre. Par contre, encore le petit souci, la petite étape qu’on n’a pas encore pu passer parce que notre sondier n’est pas encore sensibilisé à ces choses-là, mais on l’embête un peu au fur et à mesure pour qu’un jour il y passe. En fait, on a un ingénieur du son qui est notre ancien batteur, qui connaît parfaitement le son du groupe, avec lequel on est hyper en confiance, qui lui, par contre, fonctionne encore sous Mac pour tout ça. Avec le temps on ne désespère pas, un jour, peut-être, de le faire passer sous Ardour, ça viendra avec le temps !
Frédéric Couchet : Dernière question parce que la fin de l’émission est très proche, votre actualité ? Vous êtes en concert à Paris ? Où ça et quand ?
Dimitri Even : On joue à L’International le samedi 12, donc samedi là.
Frédéric Couchet : 12 octobre.
Dimitri Even : Je ne sais pas dans quel arrondissement de Paris c’est.
Frédéric Couchet : 11e.
Dimitri Even : Vous pouvez nous voir là-bas. En plus, on jouera avec Echolot et Qilin, si je me rappelle bien, et pour une association qui est vraiment super, qui se bouge vraiment le cul pour faire jouer des groupes sur Paris qui s’appelle Fuzzoraptors, qui est vraiment dans un esprit similaire au nôtre : essayer au maximum de faire des concerts accessibles, plein de choses comme ça. Le reste du mois, à partir du 23 on part en tournée européenne, on fait France, Belgique, Allemagne, Suisse. Donc si vous voulez nous attraper on ne sera pas très loin de chez vous à un moment ou à un autre dans la fin du mois de novembre.
Frédéric Couchet : Écoute en tout cas c’est super. Pour les gens qui sont en région parisienne le 12 octobre 2019, à L’International dans le 11e. Pour les autres vous allez sur le site, je ne l’ai pas cité mais je vais le citer, stonefromthesky, c’est tout attaché, stonefromthesky.fr et on retrouvera dates de concerts, musique, etc.
Écoute, Dimitri, je te remercie et je te souhaite un bon concert samedi et de continuer à faire de la belle musique qui nous permet de faire des belles pauses musicales dans Libre à vous !. Ça fait très plaisir.
Dimitri Even : C’est un plaisir pour nous. Bonne journée.
Frédéric Couchet : À bientôt Dimitri. Bonne journée, au revoir.
Dimitri Even : Merci.
Annonces
Frédéric Couchet : Nous allons passer aux petites annonces de fin.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Annonces de fin très rapides parce qu’on n’a pas beaucoup de temps.
Déjà la réponse au quiz ; la question c'était : lors de l’émission du 1er octobre 2019 nous avons parlé de la licence professionnelle Métiers de la communication, chef de projet, logiciels libres, quel est le nom de cette licence ? C’est la licence CoLibre, colibre.org.
Pour les annonces vous irez sur l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, et vous verrez tous les évènements.
Je vais juste en profiter pour vous encourager à écouter les autres émissions de Cause Commune ; il y a des antennes libres, il y a des émissions sur la culture numérique, sur la culture, sur la musique, sur les livres, sur les sciences sociales, sur les nouvelles mobilités, sur l’éduc pop. Je félicite tout particulièrement Quentin Hernandez qui a récemment découvert les luttes sociales politiques et climatiques, mais aussi Olicat, Olive, Charlotte, William, Quesch et j’en oublie sans doute. Cause Commune c’est « La voix des possibles », écoutez-la.
L’émission se termine. Je remercie les personnes qui sont participé à l’émission et évidemment Isabella qui était aux manettes de la régie aujourd’hui.
Les références sont sur le site causecommne.fm et sur le site de l’April, april.org.
On se retrouve en direct mardi 15 octobre 2019 avec le collectif Regards Citoyens qui s’intéresse au fonctionnement des institutions publiques à partir des informations publiques.
Je vous souhaite de passer une agréable fin de journée. On se retrouve en direct mardi 15 octobre 2019 et d’ici là portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.