Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 29 janvier 2019

Frédéric Couchet

Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 29 janvier 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Vincent Calame, April - Anne-Catherine Lorrain, Parlement européen - Pierre-Yves Beaudouin, Wikimedia France - Patrick Creusot, April - Étienne Gonnu, April - Frédéric Couchet, April
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 29 janvier 2019
Durée : 1 h 30 min
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Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio et cliquez sur « chat » ; vous pouvez ainsi nous retrouver sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 29 janvier 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, son délégué général.
Mon collègue Étienne Gonnu, en charge des affaires publiques à l’April, est également présent. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Le site web de l’April est april.org et vous pouvez déjà y retrouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission. Nous mettrons à jour cette page évidemment après l’émission si nécessaire.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Je vous souhaite une excellente écoute.

Nous allons maintenant passer au programme de l’émission.
Nous allons commencer dans quelques secondes par une intervention de Vincent Calame, informaticien et bénévole à l’April, qui va nous proposer une nouvelle chronique intitulée « Jouons collectif ». Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur le désormais célèbre projet de directive droit d’auteur , un échange qui sera animé principalement par mon collège Étienne Gonnu. Nous avons le plaisir d’avoir avec nous en studio Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimedia France. Bonjour Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Et au téléphone, tout à l’heure, nous rejoindra Anne-Catherine Lorrain, qui est conseillère politique à la commission parlementaire affaires juridiques au Parlement européen pour le groupe des Verts européens.
En fin d’émission nous aborderons notre dernier sujet qui concernera les activités d’un de nos groupes de travail, trad-gnu, qui a pour objectif de présenter l’informatique libre et la philosophie GNU en français. Nous expliquerons évidemment ce qu’est GNU à ce moment-là et j’aurai l’occasion d’échanger avec Patrick Creusot qui participe bénévolement à ce groupe.

Chronique « Jouons collectif »

Tout de suite place au premier sujet. Nous allons commencer par une intervention de Vincent Calame qui est informaticien et bénévole à l’April, qui fait beaucoup de choses pour le logiciel libre, j'y reviendrai à la fin, et qui nous propose une chronique intitulée « Jouons collectif ». Déjà Vincent est-ce que tu peux te présenter rapidement ? Ton profil ? Ton parcours ?

Vincent Calame : Oui. Je suis donc informaticien. Je conçois et je code des logiciels libres. J’ai ma propre petite société et je travaille étroitement, depuis plus de 15 ans, avec une fondation, la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, ce qui m’a amené à travailler pour eux mais aussi pour de nombreux collectifs et associations militantes, en France et à l’international.

Frédéric Couchet : On va préciser tout de suite que la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme est située dans le 10e arrondissement de Paris et qu’elle accueille très souvent des évènements libristes, notamment grâce à ta présence, Vincent Calame : il y a des réunions April, il y a des soirées de contribution le jeudi soir, il y a beaucoup d’évènements qui se passent dans cette fondation qui est donc située dans le 10e arrondissement de Paris.

Vincent Calame : Dans le 11e.

Frédéric Couchet : Dans le 11e, excuse-moi. Tu vois, quand je ne prépare pas je confonds le 10e et le 11e ; donc dans le 11e, à côté de Bastille.
Ta chronique s’appelle « Jouons collectif » et la description c’est : choses vues, entendues et vécues autour de l’usage du logiciel libre au sein des collectifs donc associations, mouvements, équipes en tout genre. En gros c’est le témoignage d’un informaticien « embarqué » au sein de groupes de néophytes. Est-ce que tu peux déjà nous introduire la chronique et le premier sujet que tu souhaites aborder aujourd’hui ?

Vincent Calame : Oui. Informaticien « embarqué » parce que, effectivement, je me retrouve souvent dans le cadre d’évènements ou pour des projets plus long terme de sites web ou d’organisations, comment un groupe travaille, notamment quels sont les meilleurs outils en particulier à l’international, quels sont les meilleurs outils de travail à distance pour ces collectifs-là, et je me retrouve souvent le seul informaticien. Donc informaticien de service qui peut gérer aussi bien des petits problèmes de branchement d’ordinateurs que des problèmes de disque dur ou mon cœur de métier qui est quand même de coder. Mais en fait, pour les gens qui ne s’y connaissent pas, une fois qu’on a touché un peu à l’informatique on est censé tout savoir et pouvoir intervenir sur tous les sujets. Voilà !
Je voulais profiter de cette chronique pour témoigner de comment on passe le logiciel libre à des non informaticiens mais dans le sujet du monde associatif.
Il y a plein de manières, de lieux ou passer le logiciel libre auprès du grand public, mais ça ce sont plutôt des actions de sensibilisation. Moi c’est plutôt quand je suis confronté à un groupe, essayer de proposer du logiciel libre et le faire adopter, ce qui n’est pas toujours simple.

Frédéric Couchet : Justement, c’est un peu le point de départ de ta chronique, ce n’est pas toujours simple ! Et pourtant, le logiciel libre devrait aller finalement de soi dans les milieux associatifs et notamment les collectifs militants. Et pourtant, finalement de ton expérience, ça ne va pas de soi aussi facilement. Quelles sont les raisons ?

Vincent Calame : Les raisons. Il y a une raison pratique, au début, qui est le poids de l’habitude et des pratiques. Il faut dire, quand on est face à Google, il y a également la force de frappe financière et technique de ces grands groupes ce qui fait qu’il est difficile de lutter, parfois, contre des outils qui marchent très bien. C’était à la limite plus facile il y a une dizaine d’années quand on était face à Microsoft et ses problèmes récurrents. Là, quand on est face aux GAFA, c’est plus compliqué de proposer des outils alternatifs quand les gens ont déjà leurs habitudes.

Frédéric Couchet : Tu as parlé des GAFA, on peut parler des GAFAM, c’est-à-dire Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. En gros ce sont les géants d’Internet dont le modèle économique est basé sur la captation des données des personnes qui utilisent ces services.

Vincent Calame : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Je te laisse poursuivre.

Vincent Calame : Donc il y a beaucoup de raisons pratiques. Je précise qu’il y a aussi de ma part, de mon expérience au début, quand on est militant du logiciel libre on a une petite naïveté quand on aborde ces collectifs en pensant que ça va aller de soi, qu’ils allaient se mettre au logiciel libre parce qu’on est les gentils, ce sont les méchants, qu’il y a des proximités de valeur, de partage et ainsi de suite. En fait, ce dont on se rend compte, enfin moi ce dont je me suis rendu compte — c’est pour moi une des raisons assez profonde — c’est qu’au fond, pour beaucoup de gens, l’informatique c’est quand même quelque chose d’hostile ; c’est un outil hostile et aliénant, notamment dans un cadre professionnel. Je ne pense pas au quotidien, je veux dire que pour un usage privé ça peut être très agréable, mais je pense que pour beaucoup de gens, dans le monde professionnel, l’informatique est quelque chose de pénible qui fait perdre de la maîtrise. Je prends un exemple qui est hors du cadre associatif mais pour les garagistes maintenant, réparer une voiture c’est brancher un ordinateur et regarder ce que fait le tableau de bord. Il n’y a plus du tout la noblesse du métier, on va dire, de réparer le moteur ce qui, sans doute, faisait la passion des gens qui aimaient la mécanique.

Frédéric Couchet : Il faut disposer d’une mallette qui est fournie par le constructeur de la voiture, sinon effectivement, la plupart des interventions ne peuvent pas être faites aujourd’hui sur des voitures.

Vincent Calame : Voilà ! Je pense qu’il y a énormément de métiers qui ont perdu cette maîtrise de leur outil. Nous, informaticiens, on reste beaucoup devant notre écran mais, au fond, quand on regarde dans un milieu professionnel, tout le monde reste devant son écran, face à des logiciels qu’il ne contrôle pas, qu’il ne maîtrise pas et qui lui imposent des choses qui peuvent même le freiner ; qui sont censés l’aider et qui peuvent le freiner ou le contrôler.
Pour moi, l’informatique a mauvaise presse auprès des gens et c’est pour ça que c’est considéré comme quelque chose à part.

Frédéric Couchet : Tu as parlé d’aspects pratiques, d'habitudes, du côté aliénant de l’informatique. L’informatique libre, le logiciel libre vise, justement, à libérer les personnes. Quelles sont les conséquences du constat que tu fais par rapport à tes pratiques de sensibilisation de ces collectifs au logiciel libre et d’installation de logiciels libres ?

Vincent Calame : Il y a presque, pour moi, un paradoxe. Effectivement, le logiciel libre c’est un message d’émancipation puisqu’il s’agit de retrouver, justement, le contrôle de sa machine, le contrôle de ses logiciels, savoir ce qui fonctionne réellement. Simplement, c’est aussi un message très exigeant puisqu’il s’agit d’aller vers l’absolu, il s’agit d’aller regarder le code et regarder comment c’est possible, évidemment ce qu’on ne fait pas quand ce n’est pas son métier surtout, je dirais, dans un cadre professionnel. Un amateur peut le faire sur son propre ordinateur, mais quand on est face à un logiciel comptable ou n’importe quoi, un comptable n’a pas cette capacité, n’a pas cette connaissance, n’aura pas la formation ; on ne lui donnera même jamais la formation, d’ailleurs, pour le faire !
Donc au fond, je dirais que le message du logiciel libre est presque culpabilisant. J’ai eu le témoignage, l’expérience avec quelqu’un qui m’avait dit il y a une dizaine années : « Quand j’ai un problème avec Microsoft et que j’ai un écran bleu, eh bien je me dis que c’est la multinationale, méchant Microsoft, et ça permet, finalement, de se défouler ». Alors que quand le problème venait d’un logiciel libre ça renvoyait aussi à la propre incapacité de la personne de contrôler son environnement et, finalement, l’hostilité vis-à-vis de l’informatique était encore accrue vis-à-vis du logiciel libre qui avait presque une image encore plus technique et informatique que le reste. Au fond, on avait l’impression qu’on avait plus d’efforts à faire pour montrer que non, l’ordinateur ne veut vous pas du mal quand il se plante ; il y a l’apprivoisement, il y a un apprentissage et c’est possible. C’est l’impression que j’ai qu’au fond on était encore plus identifiés comme une race à part, on va dire.

Frédéric Couchet : D’accord. En tout cas c’est surtout une image parce que, finalement, si on réfléchit bien et quand on explique aux gens, le logiciel libre vise aussi à expliquer plus concrètement comment fonctionne l’informatique et que les bugs ça existe, que ce n’est pas forcément la faute de la personne qui utilise l’ordinateur, que cela peut être corrigé et que quelque part, justement, ça change ce modèle de relations entre la personne qui utilise un ordinateur et les logiciels qu’il n’y avait pas dans le logiciel privateur comme Microsoft.
Quand tu parles, oui c’est Microsoft, c’est machin, ça me fait aussi penser qu'à l’époque quand, dans les grandes entreprises, il y avait des problèmes avec IBM, on disait : « De toute façon ce sont les hommes en bleu — parce qu’à l’époque les personnes étaient souvent habillées avec des costards — et ce n’est pas de notre faute, etc. » Pourtant le logiciel libre essaye de renverser un petit peu cette tendance. Mais toi tu constates que dans les collectifs, en fait, ça demande quand même beaucoup de travail d’explication. Quelles seraient les perspectives ou les pistes pour l’avenir ?

Vincent Calame : La situation a quand même bien évolué depuis que je suis dans ce milieu. On sent une sensibilisation accrue. Je pense que les gens ont conscience que l’informatique n’est pas un monde à part, de moins en moins, et notamment avec toute la question des communs numériques ce n’est plus réservé, ce n’est pas isolé par rapport au reste. Je pense que les gens, les collectifs, sentent mieux cette importance, le fait que c’est un fait de société essentiel. Je sens aussi qu’il y a une demande qui commence à s’exprimer, de manière presque spontanée, des gens autour de ces questions-là. C’est de plus en plus intégré dans la démarche des gens et des collectifs. Donc je suis très optimiste là-dessus. Simplement, effectivement, je pense qu’il faut juste prendre son bâton de pèlerin et c’est un travail de long terme qui porte ses fruits, mais ça ne se fait pas dans un claquement de doigts. Le problème de l’informatique c’est que c’est très facile de créer, de mettre en place des choses, d’installer quelque chose, le plus dur c’est de maintenir et c’est souvent, d’ailleurs, dans ce défaut de maintenance que se pose le problème. C’est pour ça que c’est un travail de longue haleine.
Moi, ce que je vois, c’est que les gens comprennent bien les avantages. Je programme des logiciels qui sont utilisés et je suis en contact direct avec les utilisateurs ; ça ils apprécient, effectivement, le fait de pouvoir me remonter immédiatement les problèmes et les voir corriger. Quand le logiciel libre c’est le système d’exploitation et que, effectivement, on ne sait pas trop à qui s’adresser, là c’est plus compliqué.

Frédéric Couchet : D’accord. D’où l’importance aussi de l’accompagnement physique que tu fais auprès des collectifs. Ça sera un peu la thématique récurrente de ta chronique. Là on a parlé, on a échangé en terme général, mais dans les prochaines chroniques tu prendras des points particuliers, des exemples. Tu parleras aussi des fonctions cachées de certains logiciels, des fonctions magnifiques qu’on découvre totalement par hasard ou, au contraire, des rajouts de fonctionnalités qui perturbent la personne qui utilise l’ordinateur parce qu’elle a été habituée à autre chose. Ce sont tous ces sujets-là que tu aborderas de par ton expérience d’accompagnement de collectifs.
Je crois qu’Étienne veut poser une question ou rajouter quelque chose.

Étienne Gonnu : Je trouve très intéressant, en fait, ce que tu dis, la manière dont tu l’abordes et je trouve que ça fait vraiment écho à ce dont j’ai l’impression. Je ne suis pas informaticien et pourtant, au sein de l’April, je défends le logiciel libre. Je trouve que ça fait vraiment écho à ce que je ressens dans la manière dont j’ai l’impression de le défendre et ce pourquoi je me bats.
C’est-à-dire de réfléchir que le logiciel libre c’est une manière, en fait, de réfléchir politiquement la place de l’informatique. Savoir que le logiciel, libre ou non, quand il est imposé aux gens, quand il conditionne les usages, quand il est imposé et que les gens doivent adapter leur manière de collaborer, de travailler, au logiciel qu’on leur impose, forcément c’est aliénant. Toute la réflexion c’est de repartir des besoins effectifs et c’est comme ça que ça va se construire avec toujours aussi ces notions de confiance. Moi, en tant que non informaticien, je n’ai pas besoin de mettre les mains dans le cambouis parce qu’il y a des gens en qui je fais confiance qui m’ont recommandé un outil, par exemple, et je sais qu’il y a une sorte de manière vertueuse de produire, enfin de créer de l’informatique et c’est pour ça aussi que je peux avoir confiance.
Je trouve que c’est très intéressant la manière dont tu renverses, justement, tout ça, toute cette réflexion.

Vincent Calame : Oui. Je pense que l’informatique est un objet technique mais ne doit pas être seulement ça. C’est toute la question de la maîtrise sociale de la technique et des sciences, de montrer que ce n’est pas qu’un sujet d’experts et c’est un sujet qui nous concerne tous au quotidien.

Frédéric Couchet : Écoute on te remercie, Vincent, pour cette première édition de la chronique « Jouons collectif ». On va sans doute se retrouver le mois prochain.
Nous allons passer une pause musicale avant de passer au sujet suivant. La pause musicale c’est Side effect par Fog Lake et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Side effect par Fog Lake.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Side effect par Fog Lake. L’occasion pour moi de rappeler que toutes nos musiques sont diffusées sous des licences libres, nous faisons ce choix volontaire, qui permettent de les partager librement avec vos amis, votre famille, de les télécharger, de les mixer. Donc Side effect est sous licence Creative Commons BY, c’est-à-dire Attribution.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Vous écoutez l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et défense du logiciel libre. J’entends qu’au téléphone notre invitée Anne-Catherine Lorrain nous a rejoints. Bonjour Anne-Catherine.

Anne-Catherine Lorrain : Bonjour tout le monde.

Directive droit d'auteur

Frédéric Couchet : Nous allons passer à notre sujet principal. L’échange va principalement être animé par mon collègue Étienne Gonnu. C’est le projet de directive droit d’auteur. Nous avons avec nous en studio Pierre-Yves Beaudouin président de Wikimedia France. Rebonjour Pierre-Yves.

Pierre-Yves Beaudouin : Rebonjour.

Frédéric Couchet : Au téléphone nous avons Anne-Catherine Lorrain conseillère politique pour le groupe des Verts européens. Étienne je te passe la parole pour ce sujet donc le projet de directive droit d’auteur.

Étienne Gonnu : Merci Fred.
Si vous êtes un auditeur, auditrice réguliers de Libre à vous !, vous savez que nous avons déjà plusieurs fois abordé cette question. Je vous propose peut-être déjà un petit récapitulatif des épisodes précédents, on va dire, de la directive. Tous les liens seront sur la page dédiée, sur le site, pour amener notamment aux transcriptions et aux détails de ces émissions.
Effectivement le 5 juin 2018, d’ailleurs Anne-Catherine avait déjà participé à cette émission aux côtés de Marc Rees qui est journaliste et rédacteur en chef du journal d’investigation en ligne Next INpact, et avec eux nous étions revenus sur la genèse de cette directive et surtout de son article 13 dont l’objet serait de rendre responsables les plateformes de partage de contenus des contenus qu’elles hébergent. Elles devraient donc s’assurer qu’aucun contenu non autorisé par les ayants droit ne soit mis en ligne.
En gros ça remet en cause un principe structurant d’Internet qui est qu’un intermédiaire technique n’a pas à surveiller les contenus que ses utilisateurs et utilisatrices mettent en ligne.
Il y a l’inverse : seul un éditeur qui, par essence, à vocation à connaître les contenus publiés, est directement responsable de ces contenus.
Clairement la cible du texte c’est YouTube, c’est Facebook, mais même si on peut débattre de leur modèle, de leur manière de fonctionner, la loi s’applique à tous. Il ne s’agit pas non plus de faire n’importe quoi et c’est un peu, finalement, l’objet qui anime notre combat contre ce texte très dangereux.

Dans notre émission du 3 juillet, aux côtés de Pierre Beyssac qui est un militant de longue date des libertés informatiques et qui est notamment cofondateur de Gandi, un des principaux hébergeurs de noms de domaine français, on parle de Registrar, nous avions justement discuté plus en détail des dangers des systèmes de filtrage automatisé que pousseraient et forceraient finalement les plateformes à adopter en vertu de l’article 13 et de leur impact sur les libertés informatiques, de leur impact sur la manière dont fonctionnent les plateformes de partage. Nous avions notamment parlé plus spécifiquement de l’impact que ces systèmes pourraient avoir sur les plateformes de développement et de partage de logiciels libres et pourquoi nous nous battions : pour qu’une exception soit prévue et intégrée au texte, on reviendra d’ailleurs un peu plus en détail plus tard sur ce point. Sachez que pour le moment l’exception est plus ou moins acquise, donc au moins, déjà, une petite victoire sur ce sujet.

Enfin le 2 octobre, là c’était plus court, mais j’avais partagé avec vous une triste nouvelle on va dire, celle du vote du 12 septembre par le Parlement européen, vote par lequel le Parlement donnait mandat au parlementaire Axel Voss pour porter le projet de directive dans une version particulièrement inquiétante en ce qui concerne l’article 13, donc pour porter un projet de directive au niveau de ce qu’on appelle les « trilogues ». Je vous rappelle que le « trilogue », en gros, c’est une négociation entre les représentants des trois principales institutions européennes : la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ; le Conseil de l’Union européenne c’est la représentation directe des États membres, des gouvernements si vous voulez. Derrière des portes closes ils discutent ensemble pour obtenir un texte, on va dire un texte de compromis qui, au final, sera voté par les parlementaires européens.

Nous, quand on avait préparé cette émission, il devait y avoir une dernière discussion le 21 janvier. On préparait cette émission avec le but, finalement, de détailler ce qu’il allait ressortir de cette dernière négociation.
Mais surprise, le 18 janvier il s’est passé quelque chose qui a tout remis en cause. Le mandat a été rejeté et là j’ai envie de passer peut-être la parole à Anne-Catherine puisque tu es directement, on va dire, dans les coulisses des institutions européennes, du moins tu as un regard privilégié sur ces questions. Peut-être que tu peux nous en dire plus sur ce qui s’est passé le 18 janvier, tout le contexte qu’il y a autour.

Anne-Catherine Lorrain : Oui, effectivement. Le 18 janvier, ce qui s’est passé c’est que la présidence roumaine qui venait juste de prendre son mandat à la tête du Conseil, à la présidence du Conseil à partir du 1er janvier, n’a pas réussi à dégager une majorité sur l’article 13, exactement sur l’article 13.
En fait une minorité de blocage, parce que toutes les décisions sont prises à une majorité simple et il suffit qu’il y ait une minorité de blocage pour qu’il n’y ait aucun mandat, aucun accord au sein du Conseil.
La Roumanie n’a pas réussi à convaincre notamment l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, la Suède, la Finlande, la Belgique, les Pays-Bas, la Slovénie, la Pologne, la Croatie, le Luxembourg, le Portugal j’en ai déjà parlé. Donc tous ces pays, en fait, étaient contre ce que la présidence roumaine a mis sur la table. En gros, ce que la présidence roumaine a mis sur la table, c’était des textes qui étaient déjà là en décembre à l’issue du cinquième « trilogue » qui a eu lieu le 14 décembre à Strasbourg.

Étienne Gonnu : D’accord. Si je comprends bien, comme tu disais par rapport à Axel Voss, la Roumanie devait obtenir suffisamment de soutiens pour son texte et tous les pays que tu nous as cités n’ont pas donné ce soutien et ça faisait une masse suffisante pour que le texte ne soit pas adopté ?

Anne-Catherine Lorrain : C’est ça. Ça a constitué une minorité de blocage pour qu’il n’y ait pas de texte à mettre sur la table par la présidence du Conseil.

Étienne Gonnu : D’accord.

Anne-Catherine Lorrain : La France était du côté de la Roumanie, c’est-à-dire voulait continuer les négociations sur le texte existant. On est assez contents, en fait, que l’Allemagne ait permis ce blocage puisque, vous le savez, en Allemagne l’exception pour les petites et moyennes entreprises, les micros entreprises et les PME, l’exception à l’application de l’article 13 est quelque chose de très important pour le gouvernement allemand. Ça a été à l’issue de discussions, de tractations impliquant les partis majoritaires du gouvernement dont la CDU [Union chrétienne-démocrate d'Allemagne] qui ont vraiment insisté pour avoir cette exception, la France, elle, ne partageait pas ce souci. Ce qui a fait que, eh bien, il n’y a pu avoir d’accord.
Évidemment, on présente les choses comme une opposition France-Allemagne ce qui est très simpliste parce que ce n’est pas ça ! Comme je l’ai dit, il a beaucoup d’autres pays qui partagent les vues de l’Allemagne, mais c’est un peu comme ça qu’ont été présentées les choses de manière un petit peu facile, notamment au sein de la commission JURI la semaine dernière.
Donc on en est là pour l’instant et le « trilogue », le sixième « trilogue » qui devait avoir lieu le 21 janvier a été annulé plus ou moins à la dernière minute et nous n’avons pas de date de remplacement. Donc on ne sait pas ; on entend parler d’une prochaine réunion dite COREPER, c’est-à-dire des représentants des gouvernements précisément sur ces questions de propriété intellectuelle et de copyright, peut-être le 6 février.

Étienne Gonnu : D’accord.

Anne-Catherine Lorrain : Et si ça a lieu le 6 février on aurait un « trilogue » très rapidement après, avant la prochaine session plénière du Parlement qui a lieu la semaine du 11 février. Tout au conditionnel. On n’a absolument aucune confirmation, ce qui rend tout à fait possible une non-adoption de la directive avant les élections du Parlement européen, donc avant la fin de la législature.

Étienne Gonnu : C’est tout l’enjeu. D’ailleurs on reviendra plus tard sur comment se mobiliser et ce qu’il faut faire ; forcément ça s’adaptera au contexte. Ce que je trouve peut-être intéressant dans ce que tu disais c’est que c’était présenté – on peut imaginer que c’est important l’opposition France-Allemagne – mais ce dont on avait quand même l’impression c’est qu’avant ce vote du 18 janvier tout n’allait pas forcément bien. Au contraire, on voyait déjà peut-être que la directive et notamment autour de l’article 13 commençait à prendre l’eau. Est-ce qu’il n’y avait pas déjà, justement, des tensions qui existaient, des difficultés à aboutir à un texte ? On parle de « trilogues », donc ces négociations, de mémoire, justement, il y en avait déjà eu cinq ; il y a des dates qui ont été rajoutées parce qu’il me semble qu’ils n’arrivaient pas, justement, à aboutir à des négociations. Je crois que c’est le cinéma hollywoodien qui est revenu en arrière en disant « finalement ce texte est dangereux on n’en veut pas non plus ». Peut-être que tu peux nous donner ton sentiment par rapport à ce qu’on a pu percevoir de l’extérieur comme vraiment une situation de tensions et de difficultés à aboutir à quelque chose, à aboutir à des négociations.

Anne-Catherine Lorrain : Effectivement. De toute façon ce texte donne lieu à des tensions parmi tous les acteurs concernés, les acteurs du secteur culturel, d’Internet. Évidemment, au niveau gouvernemental c’est très tendu depuis le départ ; pour la Commission, ils marchent aussi sur des œufs ; leur service juridique a été réticent envers certaines choses. On a entendu dire qu’ils n’étaient pas tout à fait d’accord avec ce qu’a proposé la Commission sur l’article 11 par exemple. Donc c’est très délicat depuis le départ.

Étienne Gonnu : C'est vrai que nous on s’est beaucoup focalisés sur l’article 13, on va plutôt essayer de rester focalisés sur l’article 13. L’article 11 pour les personnes, pour ceux et celles qui nous écoutent, concerne les publications de presse, notamment ça visait Google News, l'autre pan de monétisation de Google, et finalement donner des droits particuliers au fait de référencer des liens en ligne.

Anne-Catherine Lorrain : Oui, ce qu’on appelle la Link tax aussi. D’accord, je ne vais pas m’étendre sur l’article 11, mais c’est difficile de séparer exactement parce que toute la dynamique, tout est assez imbriqué. C’est juste pour dire que la Commission aussi marche sur des œufs depuis le départ.
La lettre dont tu parlais tout à l’heure, c’est cette lettre qui a été envoyée en décembre par Motion Picture of America et aussi d’autres lobbies du secteur audiovisuel qui se disent que finalement, qui se rendent compte qu’à force d’ajouter plein de conditions sur les filtres, d’ajouter plein de considérants ! Il y a des articles dans la directive, mais il y a aussi ce qu’on appelle les considérants, c’est-à-dire des paragraphes avant les articles qui permettent d’éclairer le juge et le législateur national quand il s’agira de transposer la directive en droit national, d’éclairer sur l’application des articles. Donc c’est très important parce que ça donne beaucoup de contexte, de justifications et, rien qu’autour de l’article 13, il y a dix considérants ; c’est énorme ! Énorme pour justement essayer de justifier ce contournement de la directive e-commerce de 2000 qui était vraiment la pierre angulaire, le cadre juridique d’Internet en Europe depuis 2000, que contourne ce nouvel article 13, puisque cet article 13 crée des règles spécifiques, ad hoc, pour les contenus de droit d’auteur en disant que l’exception pour non-responsabilité dont peuvent bénéficier les plateformes ne s’appliquerait pas concernant ce genre de contexte. Donc il y a dix considérants pour expliquer comment, finalement, c’est possible, etc. Ça prouve bien aussi la délicatesse du sujet et la difficulté du législateur de justifier l’article 13.

Étienne Gonnu : C’est ce qu’on défend aussi. Effectivement le texte, dès le départ, est très mal rédigé, le nombre de considérants est un fort indice ; le nombre d’exceptions est un autre fort indice. Une bonne loi n’a pas besoin de tant d’exceptions. Juste préciser, peut-être, que la directive e-commerce que tu mentionnais précise justement ce dont je parlais au début sur l’équilibre des responsabilités, le fait que si on ne connaît pas les contenus, on n’a pas à aller les vérifier, on ne peut pas en être responsable et ça gère toutes ces difficultés.

Anne-Catherine Lorrain : Et un principe de non-responsabilité. La directive e-commerce est un principe de non-responsabilité avec exceptions de responsabilité dans tel et tel et tel cas.
Ici c’est un principe de responsabilité avec, par exception, des fois non-responsabilité. Donc là on inverse complètement le système pour un type particulier de contenus. Juridiquement c’est très problématique. Je suis juriste de formation et ça pose problème aussi à beaucoup de gens.

Étienne Gonnu : Tu mentionnais, et je pense que c’est un point important, l’exception, et on sentait vraiment le point névralgique ; c’est intéressant que ça tourne autour des petites et moyennes entreprises, mais c’était une exception, effectivement, parmi beaucoup d’autres ; c’est là-dessus que ça a basculé. On voit que ce n’est pas l’argument des libertés, forcément, qui a prédominé mais à partir du moment où la directive s’écroule, surtout son article 13, on est preneurs.
On va peut-être demander le point de vue d’un type de plateforme qui a obtenu une exception et c’est Wikipédia. On imagine bien l’importance qui est de ne pas préserver Wikipédia des tentacules de ce texte. Peut-être peux-tu, Pierre-Yves, nous donner ton regard en tant que président de Wikimedia France sur ce texte et sur l’exception qui a été accordée, ou non peut-être, à Wikipédia.

Pierre-Yves Beaudouin : Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’au niveau de la communication, de la publicité, on prétend que la directive européenne est une loi anti GAFA, donc anti plateformes privatives des géants du Web, mais en fait, au tout départ, le texte de la Commission visait tout l’Internet, quasiment tout l’Internet et il a fallu se mobiliser pour obtenir des exemptions petit à petit. La première, à ma connaissance, c’était Wikipédia, sachant que ça pose des problèmes ; dans le mouvement Wikimedia il n’y a pas que l’encyclopédie. Donc après coup, finalement, elle a été élargie pour prendre en compte un peu tous nos projets à but non lucratif, non-commercial, qui visent le savoir, la connaissance et l’éducation au sens large, mais ça pose un problème de fond.
En 2001, quand est créée Wikipédia, peut-être qu’on ne l’aurait pas obtenue étant petits, voire avant sa création ; on ne peut pas exempter quelque chose qui n’existe pas encore. Il faut bien voir que la directive va s’appliquer pendant dix, vingt ans, dans toute l’Union européenne. Donc c’est un peu dommage de n’exclure que des services qui existent déjà sur le Web ou qui sont suffisamment forts pour pouvoir faire du plaidoyer à Bruxelles et comprendre un peu tous les arcanes et qui sont aussi bien vus par les parlementaires et par les membres de la Commission pour avoir une exemption.
En fait, il y a aussi toute cette mobilisation. C’est aussi grâce à la mobilisation des internautes que certains secteurs comme le logiciel libre ou Wikimedia ont obtenu des exemptions. Les députés, après coup, se plaignent un peu de recevoir massivement des coups de fil, des mails, mais malheureusement ils l’ont un peu cherché en ne définissant pas au tout début ce qu’ils entendaient par donnée et par plateforme, par site web, donc il a fallu batailler pour restreindre un peu à ça.
Il ne faut pas tomber dans le piège. Même encore maintenant, avec toutes les exemptions, cette directive n’est pas juste une loi anti GAFA. Elle vise bien plus large.

Étienne Gonnu : Bien sûr. La loi s’applique aussi finalement à tous. On ne fait pas des lois ad hominem. Fred.

Frédéric Couchet : Petite précision par rapport au timing. La précédente directive droit d’auteur date de 2001. Quand tu dis, effectivement, que cette directive, si elle est votée, va s’appliquer pendant dix ou vingt ans, on le constate de façon très claire.
Et le deuxième point c’est que quand que des citoyens et des citoyennes s’expriment et contactent leurs députés, qu’ils soient députés européens ou députés français, c’est la démocratie, surtout quand ils s’expriment avec leur propre expérience et on en parlera tout à l'heure quand on parlera du projet de loi éducation en France. C’était juste une petite incise.

Pierre-Yves Beaudouin : Ensuite, un autre point qui est un peu gênant, c’est de croire que les sites web sont sur des îlots isolés, notamment les sites sous licence libre comme Wikipédia. En fait on ne peut pas fonctionner tout seul. On réutilise des contenus qui sont publiés en premier sur d’autres plateformes à but non-commercial, voire commercial. Flickr, notamment, représente 10 % de la médiathèque Wikimedia Commons parce que, notamment des institutions françaises, les ministères, des musées, l’École polytechnique, préfèrent publier là-dessus. Ils publient quand même sous une licence compatible avec Wikipédia, avec Wikimedia Commons, donc le contenu est remis, après, sur nos serveurs et permet d’illustrer Wikipédia.

Étienne Gonnu : Si un site tiers comme Flickr était finalement censuré ou ne pouvait plus fonctionner correctement, Wikipédia perdrait… ?

Pierre-Yves Beaudouin : On serait directement impactés. Beaucoup de gens dans le débat ces dernières semaines, ces derniers mois, notamment les lobbyistes pro-directive, pro-article 13, s’étonnent que le mouvement Wikimedia reste mobilisé. Il faut bien voir qu’on n’est pas une entreprise commerciale, on ne cherche pas à ce que public consulte à tout prix Wikipédia. Notamment grâce aux licences libres, le contenu est aussi amené à être diffusé ailleurs sur d’autres plateformes, par d’autres moyens, c’est le principe de la connaissance. Idéalement on aimerait que les gens consultent énormément Wikipédia, mais il y aussi beaucoup de gens qui consultent des sites commerciaux, à but tout à fait profitable, donc ça rentre aussi dans notre mission d’aller jusqu’à l’utilisateur final, jusqu’à l’internaute et tout seul on n’y arrive pas forcément.
Là aussi la directive, en fait, va empêcher. Par exemple, à l’heure actuelle, on le voit : on avait publié sur notre blog un chercheur qui avait tenté de diffuser sur une plateforme vidéo telle que YouTube des enregistrements de Bach ; le filtre les avait refusés. À l’avenir, comme le filtrage va s’étendre, on peut prévoir que des textes de Victor Hugo ou les peintures de Léonard de Vinci vont aussi être supprimés de ces plateformes.

Étienne Gonnu : C’est très inquiétant, effectivement, ce que tu dis. Deux choses. Moi ça m’évoque une citation que j’ai trouvée, je vais prendre le risque de l’attribuer à Marc Rees, il me semble bien que c’est lui qui avait pris cet exemple-là, d'une vision d'Internet : « Les rédacteurs de ce texte voudraient qu’Internet soit comme les rayons de la Fnac dans les années 80 ». Ils oublient de voir, justement, toute cette interdépendance, tous ces systèmes de partage. Il ne faut pas juste faire une exception à Wikipédia, ça n’a pas de sens puisqu’il y a, finalement, toute cette interconnexion qui existe, tout ce que tu dis aussi. Il y a peut-être une exception formelle, mais en réalité Wikipédia ne peut pas être épargnée par ce texte, on l'imagine bien. Ne serait-ce que dire qu’une directive met en danger Wikipédia — et je pense qu’on voit tous l’intérêt collectif, social, que revêt Wikipédia maintenant —, le simple fait de menacer ça devrait d’ailleurs disqualifier, à mon sens, un texte de loi. Je parle d’un point de vue libriste.
Anne-Catherine, peut-être que tu voulais donner ton point de vue.

Anne-Catherine Lorrain : Oui. Je voulais rebondir là-dessus. Parce que, comme vous l’imaginez, on a déjà eu cinq « trilogues » et peut-être dix ou douze réunions techniques de « trilogue », juste le staff, pas au niveau politique et notamment toute cette discussion, cette négociation pour exclure des plateformes, des sites tels que Wikipédia, ça a été assez long. D’ailleurs techniquement ce n’est pas dans l’article 13 même mais dans l’article 2 qui est sur les définitions.

Étienne Gonnu : Tout à fait.

Anne-Catherine Lorrain : Il y a un paragraphe sur la définition des plateformes et l’article 13 s’y réfère indirectement.
C’est très difficile de faire comprendre ce que veut dire commercial, non-commercial ; que l’adjectif non-commercial n’est peut-être pas très pertinent sur Internet parce que comment qualifier cela puisque sur Wikipédia il y a un appel au don, donc ce n’est pas forcément non-commercial. Donc il faut mettre le curseur à d’autres endroits et ça donne lieu à des discussions très longues. Il a fallu vraiment batailler pas mal au niveau technique et politique.
Ce qui s’est passé cet été, l’été 2018, donc toute cette campagne qui a permis aux députés, quand même, de voir qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas dans cette directive, y compris tous les députés du Parlement qui ne travaillent pas sur le dossier directement. On a réussi, le groupe des Verts et d’autres, mais on y est beaucoup pour quelque chose à challenger, excusez-moi pour l’anglicisme, le mandat du Parlement qui allait tout simplement adopter le texte comme une lettre à la poste suite au vote de la commission JURI en juin pour juste commencer le « trilogue ». On a réussi à mettre les choses en suspens pour permettre aux députés de se rendre compte que ça n’allait pas et donner l’opportunité de déposer certains amendements. En septembre on a voté sur ces quelques amendements et notamment il y a eu ces amendements sur l’exception pour les PME. C’est pour ça que c’est très important pour le Parlement aussi, parce que, en septembre, c’est ce que le Parlement a dit ; il a dit : « Attendez, on va changer un peu l’article 13, il y a quand même quelques aspects qu’il faudrait prendre en compte. »
Et là on voit qu’au niveau du Conseil c’est aussi ça qui fait achopper le processus.

Étienne Gonnu : Pour ceux qui ne suivent pas forcément le dossier, effectivement le 20 juin il me semble bien, le texte avait d’abord été rejeté puis, plusieurs modifications, mais une des principales c’était cette exception pour les petites et moyennes entreprises qui a été rajoutée et c’est ça qui a fait la bascule et permis au texte d’être adopté finalement en septembre. Et pourtant c’est remis en cause maintenant. Donc on voit bien aussi les effets boule de neige que ça peut provoquer par la suite.

Anne-Catherine Lorrain : Oui c’est ça, exactement. Mais c’est aussi pour ça qu’on insiste sur cette exception. Pour le Parlement au niveau du contexte politique, c’est important de le garder.

Étienne Gonnu : Pour ceux qui le défendent ! Nous, après, on regrette que ça ne soit pas, comme je disais, sur les notions de liberté, sur les valeurs qu’on défend, effectivement. À nouveau je pense, comme tu disais tout à l’heure, qu'il ne faut pas voir uniquement l’opposition France-Allemagne, voir uniquement ce point d’achoppement précis. C’est plutôt révélateur, à mon sens, de la pauvreté on va dire intrinsèque du texte et même de son incompatibilité avec les valeurs fondamentales puisqu’il est impossible de tout faire rentrer, de s’assurer à la fois du principe de la liberté d’expression : on ne peut pas garantir la liberté expression avec du filtrage automatisé ; c’est fondamentalement incompatible !

Anne-Catherine Lorrain : Oui. Par exemple il y a dans l’article 13 un paragraphe qui dit, évidemment, que le filtrage automatique est interdit. Mais quand vous avez dans les autres paragraphes précédents quelque chose qui dit le contraire, parce que tout ce qui est prescrit dans l’article 13, en fait, sous-entend un filtrage automatique de fait. Et cette interdiction de filtrage automatique, de toute façon, ne s’appliquerait pas parce qu’elle provient de la directive e-commerce et quand on regarde la directive e-commerce, cette interdiction de filtrage automatique dépend du safe harbor, de l’exception pour non-responsabilité. C’est vraiment la pierre angulaire de la directive e-commerce.
Mais cette exception ne s’applique pas. Il est dit dans l’article 13 de la directive droit d’auteur que cette exception de la directive e-commerce ne s’applique pas. Donc de fait, par un jeu de dominos juridiques, cette interdiction de filtrage ne s’applique pas non plus. Et ça c’est une interprétation qui a été confirmée par le service juridique du Parlement. Ils peuvent faire des déclarations de principe mais juridiquement, mécaniquement, elles ne peuvent pas s’appliquer en réalité.

Étienne Gonnu : Oui. Et je trouve que le texte est juridiquement est très compliqué, il est très difficile à lire. Pourtant, en sortant juste du point de vue juridique, en rentrant finalement dans le domaine du bon sens, on voit bien que si on demande à des plateformes qui doivent gérer des millions de contenus tous les jours d’être capables de détecter, d’empêcher certains contenus qui n’auront pas reçu une certaine autorisation d’être mis en ligne, on imagine bien tout de suite que ça nécessite de fait la mise en place de filtres automatisés ; ça se comprend assez simplement et les risques ensuite sous-jacents se comprennent très bien. Il y a des outils qui existent, on en avait parlé comme je vous le disais avec Pierre Beyssac, d’ailleurs il avait écrit un billet qui sera en ligne, qui est très intéressant, et qui explique cela très bien : il est impossible de mettre en place des filtres satisfaisants. Je trouve que ça illustre très bien à quel point ces filtres sont inadmissibles : sur des millions de contenus passés tous les jours il suffit qu’il y ait finalement même 0,01 % et ça représenterait quand même des milliers de personnes. Il paraît inacceptable de censurer quotidiennement des milliers de personnes sur des bases automatiques.
Parlant de ces milliers de personnes potentiellement censurées par cet outil, je pense qu’il est du coup peut-être important de mobiliser sur ces sujets. Si le texte paraît compliqué, finalement ce qu’il menace est très clair : c’est notre capacité à partager, c’est la liberté d’expression, c’est la capacité à croiser des contenus, à créer de nouveaux contenus, à interagir ensemble et à s’informer, à partager le savoir, tout ce qu’on défend finalement au quotidien, je pense à l’April comme chez Wikimedia en général.
Du coup ça nous ramène peut-être à ce que tu évoquais sur les prochaines échéances qui vont venir assez rapidement. Je pense qu’on peut revenir à ça après une petite pause musicale, revenir sur la manière de se mobiliser et sur les prochaines échéances à attendre.

Frédéric Couchet : Effectivement. Nous allons faire une petite pause musicale. Le morceau que nous allons écouter c’est Age of Feminine par Kellee Maize et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Age of Feminine par Kellee Maize.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. J’espère que vous avez dansé, comme nous, en écoutant Age of Feminine par Kellee Maize. Ce morceau est disponible en licence CC BY-SA, c’est-à-dire Attribution, Partage à l’identique, et les références sont sur le site de l’April, april.org.

Avant la pause, nous étions sur le sujet du projet de directive droit d’auteur. Nous allons poursuivre avec mon collègue Étienne Gonnu en charge des affaires publiques, avec Pierre-Yves Beaudouin président de Wikimedia France et au téléphone Anne-Catherine Lorrain, conseillère juridique pour le groupe des Verts européens au Parlement européen. Je repasse la parole à Étienne.

Étienne Gonnu : On parlait effectivement de cette question de la mobilisation parce que là on va revenir dans une période où la mobilisation sera peut-être possible. On va revenir peut-être sur les pronostics.
On parlait de « trilogues », ces négociations entre les principales institutions de l’Union européenne qui discutent du texte de manière un peu technique, derrière des portes closes on va dire. Nous, pendant cette période, on n’est pas restés les bras croisés, on a essayé d’agir pour obtenir, comme je le mentionnais plus tôt, une exception très satisfaisante pour les plateformes de développement et de partage de logiciels libres.
On en avait parlé, c’est GitHub qui avait fait beaucoup de bruit, parce que, comme Pierre-Yves disait, il faut être en mesure de faire du bruit pour être entendu. On a fait partie de ces secteurs, pour reprendre le terme souvent employé, qui ont réussi à se faire entendre. Pour ceux qui avaient suivi, on en est arrivé à ce que je trouve assez satisfaisant. Au départ ça n’excluait que les plateformes de développement à but non lucratif ; dans un premier ils ont fait sauter ce critère de lucrativité qui n’a aucun sens. Donc toutes les plateformes de développement de logiciels libres étaient effectivement exclues sur le papier et, nouvelle amélioration à notre sens, l’ajout de la notion de partage. Parce qu’il n’y a pas que les forges logicielles à proprement parler, comme GitHub, pour faire du développement de logiciels. Il y a aussi les dépôts et aussi les archives de logiciels, là je pense à Software Heritage qui est un superbe projet d’archivage de l’ensemble des codes. On fera une émission, je pense, dans un futur proche.

Frédéric Couchet : Software Heritage, le 12 février. Non le 19, excuse-moi, le 19.

Étienne Gonnu : Nous vous en parlerons en détail. C’est un magnifique projet, d’ailleurs, qui aurait pu être impacté alors que je crois que l’Unesco a reconnu l’utilité pour le bienfait de l’humanité, dans d’autres termes peut-être, mais dans cette idée-là. Donc le terme de partage a été rajouté et permet d’avoir une définition qui nous paraît suffisamment sûre juridiquement. À cette fin, nous avions notamment rencontré des membres du ministère de la Culture français qui ne sont pas les moins, on va dire, stricts en ce qui concerne l’application rigoureuse du droit d’auteur.

Frédéric Couchet : Extrémistes !

Étienne Gonnu : Extrémistes, oui, je pense qu’on peut utiliser ce terme effectivement, parfois on entend aussi maximalistes. Ils comprenaient nos arguments, ils avaient l’air sur cette longueur d’onde de partage et de développement, sans le critère de lucrativité.
Donc nous arrivons sur la fin de ces négociations.

Frédéric Couchet : Ce que tu veux dire par là, en fait, c'est qu'au niveau des gouvernements et notamment du gouvernement français il y a un soutien sur cette exception pleine et entière des plateformes logicielles ?

Étienne Gonnu : Ça n’a pas l’air de faire débat pour eux. C’est acté.

Frédéric Couchet : En tout cas c’est important.

Étienne Gonnu : C’est toute la difficulté de ces négociations. Tant que le texte final n’est pas connu, rien n’est acté encore, mais sur ce point je pense qu’on peut être assez confiants sur un résultat possible. Maintenant, pour nous, ça c’est juste une exception et clairement le combat reste de faire tomber cette directive et surtout de faire tomber l’article 13.
Donc cette situation est un peu inattendue et Anne-Catherine ou Pierre-Yves pourraient me corriger. Pour reprendre, finalement les négociations devaient se terminer le 21 juin comme on disait. Le 18 janvier un des participants, donc le Conseil de l’Union européenne n’a pas obtenu le mandat pour pouvoir continuer ces négociations. Maintenant on ne sait pas si les négociations vont continuer, si elles vont réussir à aboutir ; ça c’est la première question. Et savoir qu’est-ce qui se passera ensuite.
Sur ce point, peut-être Anne-Catherine d’abord ensuite Pierre-Yves, est-ce que vous pensez que les négociations vont aboutir ?

Anne-Catherine Lorrain : Comme je disais tout à l’heure, les élections européennes arrivent à grands pas, au mois de mai, ce qui veut dire techniquement qu’aucun texte ne peut être adopté par le Parlement après début avril, vraiment au dernier moment. Mais la plupart des choses seront votées, actées par le Parlement fin mars, ce qui rend les choses vraiment difficiles maintenant puisqu’on n’aura pas eu de « trilogue » en janvier. Donc effectivement une possibilité d’absence d’accord pendant cette législature du Parlement est tout à fait possible. Oui.

Étienne Gonnu : En plus de mémoire, à la fin, s’ils arrivent à négocier, il faut au moins un délai d’environ deux mois pour que le texte puisse finalement être voté ensuite, donc ça réduit d’autant plus.

Anne-Catherine Lorrain : Oui. Ça veut dire qu’en fait le mieux ça aurait été d’avoir le dernier « trilogue » le 21 janvier, une autre réunion technique, ou deux, pour finaliser la rédaction, et ensuite ça passe vers les services dits des jurys linguistes qui doivent vérifier tous les détails des textes déjà rien qu’en anglais puisqu’il faut que tout soit cohérent entre les articles, entre les considérants aux articles ; quand même une vingtaine d’articles dans cette directive, c’est un dossier prioritaire, donc ça prend du temps. Ensuite, il faut que ce soit traduit dans toutes les langues européennes, en principe, sauf si c’est un dossier vraiment hautement prioritaire et que les circonstances exceptionnelles de fin de mandat font qu’on peut peut-être sauter quelques traductions, mais normalement tout doit être traduit et ensuite soumis au vote. Donc dernière possibilité ce serait en avril. Après il n’y a plus de vote pendant la session sous ce Parlement.

Étienne Gonnu : On voit qu’effectivement le calendrier est serré. Si en plus on rajoute la perspective du Brexit qui, j'imagine, va prendre beaucoup d’énergie ! Tu disais que le mieux était que les négociations aient abouti le 21 janvier. Nous on était assez contents qu’elles soient repoussées, que tout ça commence à s’écrouler. On voit bien que le timing est très serré. Pierre-Yves, peut-être ton avis sur ce point.

Pierre-Yves Beaudouin : Je suis loin d’être un expert de Strasbourg et de Bruxelles, mais on voit que ce qui compte et ce qui énerve vraiment les partisans de la directive et notamment de l’article 13, c’est la mobilisation des citoyens, des internautes, qui continue mois après mois et, en fait, depuis un an, deux années voire plus, d’élaboration du texte. On peut le percevoir avec la pétition qui a dépassé les 4,5 millions de signataires, avec sans arrêt de nouvelles plateformes, la dernière en date ce sont les youtubeurs qui ont fait des mobilisations.
C’est vraiment ça qui est le point fort ; ça a étonné tout le monde, même chez nous, Wikimedia. C’est difficile de le maintenir sur des sujets très compliqués qui changent sans arrêt : il y a trois versions du texte qui sont en cours de négociation et qui changent d’un mot, d’une virgule qui modifient tout le texte. Donc c’est très compliqué. Il faut maintenir un peu la pression parce qu’en fait l’idée du filtrage, si elle ne passe pas dans cette directive, elle peut passer aussi dans d’autres textes. Je ne sais pas si vous avez évoqué la réforme en cours pour lutter contre les contenus terroristes, il y a aussi la même idée. Donc tout un tas d’acteurs, en fait, et de politiciens veulent étendre cette idée de filtrage à tout un tas d’autres secteurs que le droit d’auteur.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Avoir un rapport de force important est essentiel sur ce texte, mais il est essentiel globalement pour lutter contre ce genre de vision très sécuritaire, on va dire, de nos échanges. Fred ?

Frédéric Couchet : Sur le sujet évoqué par Pierre-Yves Beaudouin on peut renvoyer sur le site de La Quadrature du Net qui a publié, hier ou aujourd’hui, je crois, un nouvel article concernant cet autre projet au niveau européen.

Étienne Gonnu : Tu parlais de mobilisation. C’est vrai que là, tout de suite, c’est difficile de se mobiliser parce qu’on est encore un peu dans cette tambouille difficilement compréhensible. Mais si ces négociations finissent par aboutir, s’ils arrivent à se mettre d’accord et que le texte finit par être envoyé au vote des parlementaires c’est là où justement, ce dont tu parlais, l’importance de ces mobilisations va se faire ressentir à nouveau. Ça avait porté ses fruits en juin, ce n’est pas quelque chose qui est inatteignable.
Appeler les parlementaires, leur faire comprendre que c’est une inquiétude qui ne vient pas seulement de Google ou de Facebook, qu’il y a une vraie inquiétude populaire, que les gens se mobilisent sur ces sujets, sont sincèrement inquiets, ça c’est quelque chose qui est essentiel. Effectivement il y a eu la pétition, le site SaveYourInternet — on va vous mettre le lien également — qui était une belle plateforme, qui avait facilité ces prises de contact et qui a d’ailleurs été repris en main par EDRI qui est une association européenne de défense digital rights donc droits numériques, pour traduire littéralement, qui est aussi très active sur ce sujet. D’ailleurs je mentionne qu’ils ont publié une lettre ouverte dont l’April et Wikimedia France sont signataires pour, à nouveau, appuyer au rejet de cet article 13, rappeler l’importance des mobilisations, rappeler l’importance des critiques qui ont été formulées.
Peut-être toi, Anne-Catherine, qui travailles au Parlement européen, ils en sont où les parlementaires ? Comment ils ressentent ce texte ? Est-ce que tu as un ressenti ? Quelle lecture fais-tu d’un point de vue Parlement européen de la situation ?

Anne-Catherine Lorrain : Je peux dire que le rapporteur, monsieur Voss, est extrêmement nerveux et déçu qu’il n’y ait pas eu de sixième « trilogue ». Il espérait même que tout soit bouclé avant Noël. Il y croyait vraiment, donc il devient de plus en plus nerveux. Je suis incertaine, je ne sais pas s’il se présente pour les prochaines élections, mais en tout cas si les négociations continuent après les élections avec un nouveau parlement, le texte restera entre les mains de ce groupe politique, PDE [Parti démocrate européen], donc plutôt libéral de droite.

Étienne Gonnu : Je pense qu’on peut dire l’équivalent des Républicains au niveau du Parlement européen.

Anne-Catherine Lorrain : Voilà. S’il se représente ce serait toujours lui et si ce n’est pas lui ce sera quelqu’un du même groupe. Nous on est plutôt contents, comme je disais tout à l’heure, on vous rejoints là-dessus, on est contents que les négociations soient ralenties parce que ça prouve, eh bien voilà, la difficulté de la chose. Surtout que les négociations buttent sur cet article 13 qui est vraiment le point névralgique de toutes les difficultés engendrées par la directive qui veut, soi-disant, tout régler et faire payer Google de tous les maux qu’elle fait endurer à l’industrie de la culture, en gros. Eh bien c’est beaucoup plus compliqué que ça et la plupart des députés deviennent très nerveux. Je parle aussi d’autres groupes politiques comme les libéraux ADLE [Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe], monsieur Cavada aussi qui est leur rapporteur fictif. Oui, la plupart des gens sont inquiets.

Étienne Gonnu : On parlait d’extrémiste du droit d’auteur, je pense que tu viens d’en citer un en particulier.
Il me semble que j'ai vu que Julia Reda disait sur Twitter, de mémoire — Julia Reda est une députée du groupe des Verts et qui a fait beaucoup pour apporter de la transparence pendant le « trilogue », elle a participé à communiquer des textes — qu’elle voyait de plus en plus de collègues regretter leur vote de septembre en faveur de l’article 13. Est-ce que tu as eu des échos similaires ?

Anne-Catherine Lorrain : Oui, tout à fait.

Étienne Gonnu : Donc c’est intéressant.

Anne-Catherine Lorrain : Oui parce qu’ils voient bien justement ! Ce qui est intéressant c’est de voir comme un coup de théâtre si on veut.
Je me suis rendu compte qu’on n’a pas eu le temps de vraiment finir. On avait commencé à parler de cette lettre du secteur de l’audiovisuel qui dénonçait maintenant l’article 13, alors qu’au début c’était les premiers défenseurs de cet article, ils disaient que c’était ça qui allait permettre de régler ce qu’on appelle le value gap, ce fossé de valeur entre les grandes plateformes américaines, Google qui dégage trop d’argent du contenu culturel notamment européen, qui étaient les grands défenseurs de cette idée et là ils se rendent compte, à force de discussions, de tractations sur toutes les conditions de mise en œuvre de cet article, que finalement ce n’est pas si terrible que ça, c’est trop compliqué, c’est une usine à gaz. Il y a déjà des systèmes mis en place par le secteur audiovisuel pour reconnaître automatiquement les contenus en ligne, donc ils sont assez contents de ce qui est déjà en place, ils ne voudraient pas que tout soit chamboulé. Et ils se rendent compte très justement, ça on l’a toujours dit, que seules les grosses plateformes comme Google, qui ont déjà des systèmes Content ID de reconnaissance automatique de contenus peuvent se permettre d’appliquer cet article 13 qui oblige à mettre en œuvre des conditions drastiques et que seul Google peut mettre en œuvre.
Donc les acteurs du secteur audiovisuel avaient envoyé une lettre en décembre, dont la Motion Picture of America qui, par ailleurs, ne représente pas des intérêts vraiment européens – c’est intéressant de le voir : finalement ils préféreraient ne pas avoir d’article 13.
Donc les députés qui ont finalement voté pour cet article en septembre malgré toute la discussion qu’il y a eue, les campagnes médiatiques, les appels téléphoniques des citoyens qu’ils ont reçus, ils regrettent finalement d’avoir voté pour cet article 13. Effectivement, beaucoup d’entre eux !

Étienne Gonnu : C’est dommage que quand les citoyens appellent on parle de lobby de Google, mais je sais que ce n’est pas l’ensemble des parlementaires.

Anne-Catherine Lorrain : Oui, c'est très énervant d’entendre ça. Oui c’est un raccourci de dire que tous ceux qui contre la création sont pro-Google.

Étienne Gonnu : Ça finit par les rattraper. Un terme qui résume bien ce que tu dis, c'est cette situation un peu d’usine à gaz, et c’est vrai que du coup, quand on essaye de revenir un peu dans le fond et d’expliquer tout ça, ça peut paraître un peu confus mais le texte l’est par ailleurs. Je pense que ce qu’il faut garder en tête c’est qu’on a eu un sacré coup de pouce là, en notre faveur. Bien sûr le combat n’est pas fini mais si jamais un vote doit avoir lieu, on est vraiment dans de très bonnes dispositions pour se mobiliser et si on se mobilise on a vraiment toutes les chances d’être entendus. On a déjà été entendus une fois et ça converge ; là les situations convergent. Il semble bien que nos interlocuteurs, que les parlementaires quand il faudra les appeler, entendent bien que l’inquiétude est réelle et qu’elle vient de nombreuses voix. Je pense qu’on a toutes les chances de faire renverser cette directive et je pense que c’est surtout ça qu’il faut retenir.

Anne-Catherine Lorrain : Et l’alignement d’étoiles peut vraiment être parfait si on prend en compte les élections européennes qui arrivent.

Étienne Gonnu : Bien sûr.

Anne-Catherine Lorrain : Il y a quand même l’enjeu d’élections qui fait que l’intervention, la mobilisation citoyenne est regardée d’un œil plus attentif par les députés.

Étienne Gonnu : Le temps presse pour eux ; nous on a tout notre temps. Le temps presse pour eux, et plus le temps presse pour eux, plus c’est difficile pour eux, je pense, d’aboutir.
Je pense qu’on arrive au bout du sujet, mais vous avez peut-être un mot de fin, une dernière réflexion. Pierre-Yves ?

Pierre-Yves Beaudouin : Il ne faut pas perdre espoir. C’est un marathon qui a débuté il y a deux ans et demi et là il ne reste plus que quelques semaines : continuer à s’informer, continuer à présenter. Tous ceux qui sont opposés sont de plus en plus nombreux. On voit qu’il y a de nouveaux secteurs comme l’audiovisuel américain, le sport : il y a aussi le syndicat du foot anglais qui n’est pas un petit acteur du numérique et un petit lobby. Donc il faut mettre en avant tout ça. Si on remonte à deux ans il y avait déjà les chercheurs, les pionniers du Web ; il y a vraiment tout un tas de secteurs différents, les associations de consommateurs qui sont opposées à cet article. Donc continuez à diffuser leurs messages et on devrait gagner.

Étienne Gonnu : Anne-Catherine.

Anne-Catherine Lorrain : On a l’habitude de critiquer le Conseil puisque bon, ils sont très protecteurs des intérêts nationaux ce qui ne fait pas forcément avancer les choses du bon côté, mais là, au moment présent, on voit le Conseil qui nous offre une fenêtre d’opportunité pour réveiller un petit peu cette mobilisation autour de l’article 13.

Étienne Gonnu : C’est vrai qu’on ne pensait pas que ça viendrait d’eux, mais voilà ! Comme quoi !

Anne-Catherine Lorrain : Voilà !

Étienne Gonnu : Eh bien merci beaucoup Pierre-Yves Beaudouin pour Wikimedia France et Anne-Catherine Lorrain conseillère politique pour le groupe des Verts à la commission JURI du Parlement européen. Je pense qu’on sera sûrement amenés à reparler de ce sujet passionnant.

Anne-Catherine Lorrain : Merci.

Pierre-Yves Beaudouin : Merci.

Frédéric Couchet : Merci Anne-Catherine Lorrain conseillère au Parlement européen et qui se souvient, comme bien d’autres, de la victoire contre ACTA il y a quelques années, le traité anti-contrefaçon et, plus loin encore, la directive brevet logiciel qui avait été rejetée. Donc quand on se mobilise, quand les citoyens et citoyennes se mobilisent, on peut agir et renverser des textes si on n’arrive pas à les corriger, comme c’est le cas actuellement. Donc on espère que ce projet de directive subira le même sort.
Je remercie aussi Pierre-Yves Beaudouin président de Wikimedia France.

Nous allons passer une petite pause musicale avant d’aborder notre dernier sujet. Nous allons écouter Les files d’attente par Law', je ne sais pas comment ça se prononce, et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Les files d’attente par Law'

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur causecommune.fm. Nous venons d’écouter Les files d’attente par Law', qui est diffusé sous une licence libre Creative Commons Partage à l’identique. Vous retrouvez évidemment la référence sur le site de l’April, april.org.

Traduction de la philosophie GNU

Nous allons désormais passer à un nouveau sujet avec Patrick Creusot qui est bénévole à l’April et qui fait partie d’un de nos groupes de travail dont le nom code est « trad-gnu ». Le but de ce groupe de travail est de présenter l’informatique libre et la philosophie de GNU en français. Bonjour Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour Frédéric et bonjour à tous ceux qui nous écoutent.

Frédéric Couchet : Première question c’est quoi GNU, G, N, U, je précise.

Patrick Creusot : G, N, U, donc GNU, qui se prononce « gnou ». C’est un système d’exploitation qui a une particularité : c’est un système d’exploitation libre qui a été créé par Richard Stallman en 1983, si je ne me trompe pas, qui est maintenu par une association qu’on appelle le projet GNU et qui soutenu par la Fondation du logiciel libre.

Frédéric Couchet : La Fondation pour le logiciel libre.

Patrick Creusot : La Fondation pour le logiciel libre, la Free Software Foundation.

Frédéric Couchet : Le projet GNU a été développé à partir de 1983, 84, en fait, et la Fondation pour le logiciel libre a été créée en 1985. C’est un projet qui est en cours de développement, qui vise donc à créer un système d’exploitation entièrement libre. Je renvoie les personnes qui nous écoutent à l’émission de la semaine dernière dans laquelle nous avons notamment discuté des distributions GNU/Linux qui, de nos jours, permettent d’avoir un système d’exploitation entièrement libre.

Patrick Creusot : Tout à fait. Il faut peut-être préciser la signification de GNU ?

Frédéric Couchet : Oui.

Patrick Creusot : GNU’s Not UNIX, GNU est un acronyme, évidemment, c’est un acronyme qui est un petit peu particulier puisqu’il est ce qu’on appelle…

Frédéric Couchet : C’est un acronyme récursif.

Patrick Creusot : C’est un acronyme récursif, effectivement, puisque dans la définition on a le terme GNU : GNU’s Not UNIX.

Frédéric Couchet : GNU n’est pas Unix.

Patrick Creusot : GNU n’est pas Unix. Ça permet aussi de comprendre que c’est un système d’exploitation qui est inspiré d’Unix, mais avec cette différence fondamentale que c’est un système d’exploitation libre.

Frédéric Couchet : Unix, qui est ancien système d’exploitation multitâche, multi-utilisateurs, propriétaire. Le but du projet GNU était d’en écrire une version avec les mêmes concepts, mais en logiciels libres au niveau technique.

Patrick Creusot : Tout à fait. En dehors de ce côté purement technique d’un logiciel libre, on a beaucoup insisté aussi : il y a toute une philosophie qui est autour de GNU. GNU c´est libre, pas seulement pour des questions techniques. Il y a beaucoup de gens, beaucoup de développeurs, qui estiment que rendre un code logiciel libre, ça a un intérêt surtout sur le plan technique parce que, du coup, ça permet de le faire connaître par une multitude de codeurs et donc possibilité d’améliorations. Or l’idée autour de GNU, ce n’était pas ça l’essentiel. Effectivement il y a un côté technique, un côté efficacité technique est très important, mais l’essentiel ce n’était pas ça. C’est qu’à un moment où l’informatique, que ce soit le logiciel, le software, ou le matériel, le hardware, est partout dans la vie des citoyens, il était important qu’il y ait un symbole de liberté. La liberté était plus importante que l’efficacité vu l’importance que prenait l’informatique dans la vie sociale.

Frédéric Couchet : Ce que tu précises c’est que le projet de Richard Stallman, à travers le projet GNU et la Fondation pour le logiciel libre, c’est avant tout pour lui un objectif éthique, social, de partage de la connaissance. Et là où tu fais référence aux aspects techniques, c’est plus le mouvement qu’on va appeler open source ; on en a également parlé, je crois, lors de la précédente émission, nous aurons l’occasion d’y revenir. En tout cas le projet GNU est un projet fondateur dans le mouvement du logiciel libre. Donc l’April a un groupe de travail dont l’objectif est de présenter cette philosophie du projet GNU en français. Ce groupe existe depuis quand ?

Patrick Creusot : Tu es mieux placé que moi pour répondre ! Je crois que c’est le premier groupe de travail de l’April en fin de compte.

Frédéric Couchet : Je souris parce que j’ai été évidemment à l’origine.

Patrick Creusot : Et pas moi !

Frédéric Couchet : Étant à l’origine de l’April avec quatre camarades, j’ai des informations très précises. C’est le premier groupe de travail que nous avons créé au sein de l’April en 1996, pour une bonne raison c’est qu’à l’époque on crée l’April en 1996 avec pour objectif de faire connaître le logiciel libre et on s’est dit on va écrire des textes pour faire connaître, mais on s’est dit aussi il existe un site de référence qui est le site, on va le citer, gnu.org.

Patrick Creusot : gnu.org.

Frédéric Couchet : g, n, u point org, dont la quasi-totalité des textes était disponible exclusivement en anglais. On s’est dit à l’époque qu’une première action à mener c’est de traduire les textes de l’anglais vers le français et de les proposer au site de gnu.org pour qu’ils mettent en ligne la version française de leurs textes.
Et c’est un premier contact que nous avons eu avec le projet GNU et avec Richard Stallman car, pour la petite anecdote, à l’époque nous avons envoyé un courriel aux web-masters, donc webmasters@gnu.org, et nous avons eu l’incroyable plaisir de recevoir une réponse de Richard Stallman lui-même qui nous expliquait comment on allait pouvoir faire et qui était évidemment ravi.
Donc c’est un groupe qui existe depuis 1996, qui est toujours actif et qui permet à un public francophone qui visite le site de gnu.org d’avoir accès quasiment à toutes les pages en français.

Patrick Creusot : Oui, pratiquement. L’essentiel vraiment du contenu écrit dans gnu.org est maintenant disponible en français. Ça s’est fait au cours des années. À l’heure actuelle il y a des remises à jour, il y a des mises à jour, il y a des ajouts selon les évènements, selon l’actualité, et il y a peut-être un point qui constitue l’essentiel de l’activité de notre fameux groupe « trad-gnu » qui est, en fin de compte, la traduction en français d’une lettre électronique, en fait, de la FSF, qu’on appelle le Supporter, qui est un mensuel.

Frédéric Couchet : C’est le Free Software Supporter, donc c’est la lettre d’information de la Fondation pour le logiciel libre.

Patrick Creusot : Qui sort tous les mois, en général en début de mois. Évidemment, il sort à l’origine en langue anglaise. On reçoit ce Supporter donc ce texte anglais et le groupe « trad-gnu » s’efforce de le traduire dans les meilleures conditions possibles et de le rendre disponible rapidement à des gens qui ne comprennent pas la langue anglaise.

Frédéric Couchet : De mémoire il doit y avoir 120 000 ou 130 000 inscrits à cette lettre d’information [195 000 personnes, NdT]. Je ne connais pas la répartition sur le lectorat francophone.

Patrick Creusot : Je ne voudrais pas dire de mensonge.

Frédéric Couchet : Et de mémoire aussi, la seule autre langue qui est disponible c’est l’espagnol.

Patrick Creusot : L’espagnol, tout à fait.

Frédéric Couchet : Visiblement, encore aujourd’hui, le site de GNU et de la FSF, fsf.org pour Free Software Foundation, a quand même du mal à recruter des gens pour traduire dans d’autres langues, donc on peut saluer le remarquable travail qui est fait par « trad-gnu ». Alors « trad-gnu » simplement parce que c’est traduction GNU. On appelle ça trad tiret gnu, c’est un nom de code.
Comment le groupe fonctionne à la fois pour les traductions, pour les relectures, pour la mise en ligne sur le site de gnu.org ? Et, seconde question, est-ce que vous utilisez des outils spécifiques ?

Patrick Creusot : Le mode de fonctionnement. L’essentiel de notre activité, à l’heure actuelle, est, disons, divisé en deux grandes parties. Une activité qui est très régulière, chaque début de mois, c’est la traduction du Supporter.

Frédéric Couchet : Free Software Supporter.

Patrick Creusot : Du Free Software Supporter, tout à fait, qui arrive systématiquement en début de mois, dans les premiers jours du mois. Et puis, de façon très irrégulière, dans le courant du mois il peut y avoir soit des mises à jour d’anciens textes qui avaient déjà été traduits par « trad-gnu » mais qu’il faut légèrement modifier ou, parfois, des textes tout à fait nouveaux qui arrivent suite à une conférence, une activité de popularisation de quelque nature que ce soit de Richard Stallman, ou bien liés à l’actualité.

Frédéric Couchet : Ce sont souvent des textes écrits par Richard Stallman, très souvent.

Patrick Creusot : Très souvent. Très, très souvent !

Frédéric Couchet : Est-ce que tu sais combien il y en a par mois ?

Patrick Creusot : C’est très irrégulier. Il peut y avoir trois ou quatre un mois et puis, pendant plusieurs mois, ne pas en avoir. De même qu’on peut avoir parfois des textes complètement nouveaux et parfois de simples mises à jour. Parmi les textes nouveaux je sais qu’on a eu il n’y a pas très longtemps — oui c’était un texte nouveau, ce n’était pas une mise à jour — des règles. Ce sont des textes très divers. Il y en avait un c’était des règles de conduite de débats au sein du projet GNU, sur des idées un peu basiques mais qu’il est toujours bien de rappeler, à savoir qu'on discute d’idées et pas de personnes, on peut critiquer des idées, mais on ne critique pas les personnes. Voilà ! Une espèce de protocole de comportement correct au sein des discussions. Il y a eu un texte sur les problèmes de vie privée posés par les smartphones ; les smartphones disons non libres, puisqu’on se dirige quand même vers les smartphones libres même s’ils sont assez peu répandus. Donc ce sont des textes très variés.

Frédéric Couchet : D’accord. Je renvoie les personnes qui nous écoutent à une émission passée de Libre à vous ! qui a eu beaucoup de succès, qui était consacrée justement à la téléphonie mobile et aux libertés. Vous retrouvez ça sur le site de l’April, je ne me souviens à quelle date c’était.

Patrick Creusot : Et qui est disponible en podcast.

Frédéric Couchet : Et qui est disponible, évidemment, en podcast !

Étienne Gonnu : 6 novembre de mémoire.

Frédéric Couchet : 6 novembre de mémoire. On verra si Étienne a une bonne mémoire !

Patrick Creusot : Donc tous les mois on a ce fameux Supporter ; on a une responsable de « trad-gnu » qui le reçoit.

Frédéric Couchet : C’est Thérèse Godefroy.

Patrick Creusot : Thérèse Godefroy, tout à fait, qu’on salue, je ne sais pas si elle nous écoute.

Frédéric Couchet : Elle ne souhaitait pas intervenir à la radio, c’est pour ça que c’est toi qui interviens, je te remercie.

Patrick Creusot : Elle est en liaison avec une responsable à la FSF, donc la Free Software Foundation, qui lui donne le sommaire ; en fait c’est un sommaire détaillé, le sommaire détaillé du Supporter. Tu me demandais les outils qu'on utilise ?

Frédéric Couchet : Est-ce que vous utilisez des outils en particulier ?

Patrick Creusot : Ce qui se passe c’est qu’elle le reçoit sous forme de fichier, je crois, genre HTML, et elle le met sur un pad. L’outil de travail qui va être vraiment essentiel pour le groupe, ça va être un pad.

Frédéric Couchet : C’est quoi un pad ?

Patrick Creusot : Un pad, comment est-ce qu’on peut définir ça ? C’est une sorte d’éditeur collaboratif, disons.

Frédéric Couchet : C’est une page sur un site web, sur laquelle n’importe qui peut contribuer en écrivant du texte, en corrigeant, en mettant un petit peu en forme, sans avoir besoin de se créer un compte. C’est d’une simplicité redoutable.

Patrick Creusot : Tout à fait, c’est très simple. Ça permet surtout le travail collaboratif ; on va être plusieurs à intervenir là-dessus.

Frédéric Couchet : En même temps.

Patrick Creusot : Quelqu’un qui n’a pas beaucoup de temps peut traduire, je ne sais pas, un dixième peut-être du texte, une plus grande partie s’il le peut, donc c’est très souple. Si jamais on se retrouve à plusieurs à travailler en même temps il y a, en plus, un petit module chat.

Frédéric Couchet : Pour discuter et échanger.

Patrick Creusot : Pour discuter, voire, éventuellement, si on a des avis différents sur une traduction, s’il y a un problème ; ça permet de discuter en direct.

Frédéric Couchet : D’accord. Ce point, avant la prochaine question, est important parce que ça permet de préciser qu’une personne qui souhaiterait contribuer au groupe de travail, en termes techniques, n’a pas besoin de compétences poussées. Juste simplement de pouvoir se connecter sur ce pad et contribuer. Le travail de mise en ligne sur le site de gnu.org, derrière, est effectué par la responsable du groupe de travail donc Thérèse Godefroy. Et pour le Free Software Supporter, donc la lettre d’information de la Fondation pour le logiciel libre, c’est une personne de la Fondation qui met en ligne sur le site de la Fondation.
Quelles compétences et quel temps faut-il pour participer à ce groupe ?

Patrick Creusot : Les compétences. Il s’agit de traduire quelque chose de l’anglais en français donc il faut quand même connaître un petit peu l’anglais. Ceci dit, ce n’est pas de l’anglais littéraire, il ne s’agit pas de traduire Shakespeare. Ce sont plutôt des petits articles soit d’actualité soit, éventuellement, techniques, donc ça ne demande pas une licence ou une agrégation d’anglais. Il faut un minimum de connaissances d’anglais, si possible avoir une connaissance du logiciel d’abord parce que je pense que si on ne s’intéresse pas du tout au logiciel et pas au logiciel libre en particulier, je ne vois pas très bien ce qu’on viendrait faire dans ce groupe. En plus, parfois, certains articles sont un peu techniques. Ça ne demande pas des connaissances très poussées, parce que, tout simplement, on peut faire appel à d’autre personnes ; ça m’est arrivé. Parfois, pour certains paragraphes particulièrement compliqués, eh bien on demande à quelqu’un de nous expliquer ; on dit « attendez, là on parle de telle chose. Je ne vois pas très bien de quoi il s’agit. Est-ce qu’on peut nous expliquer de façon à le rendre correctement en français ? »

Frédéric Couchet : Et une compétence possible c’est simplement la relecture en français une fois que c’est traduit de l’anglais.

Patrick Creusot : Donc il y a deux phases : il y a une phase de traduction proprement dite et une phase de relecture. Phase de traduction qui peut être faite par plusieurs personnes, on l’a dit, grâce à l’utilisation du pad. Quand tout est terminé, celui qui termine envoie en général un petit message sur la liste en disant « ça y est, la traduction est terminée. S’il y a des gens qui sont disponibles pour faire de la relecture allez-y, c’est le moment ».
Tu avais une question sur le temps, sur l’investissement en terme de temps ; c’est, du coup, extrêmement variable.

Frédéric Couchet : La contribution peut nécessiter relativement peu de temps.

Patrick Creusot : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Pour finir sur cette partie-là, sur les termes qui pourraient poser question ou autres, il faut rappeler aussi l’avantage que Richard Stallman parle très bien français donc il peut être éventuellement sollicité pour préciser sa pensée.

Patrick Creusot : Absolument.

Frédéric Couchet : Dernière question : que t’apporte personnellement le fait de contribuer à ce groupe ?

Patrick Creusot : Je suis arrivé en 2015, je crois, à l’April. J’avais expliqué un petit peu d'où je venais, mon parcours professionnel : les quinze dernières années j’ai été prof d’anglais en lycée professionnel. Comme je voulais contribuer et apporter quelque chose à l’April, je vous ai demandé dans quel secteur vous auriez une demande qui correspondrait à ce que je peux faire. C’est là qu’on m’a parlé du groupe. Donc ça a été un grand plaisir, parce que ça me permet d’avoir un certain apport, même s’il est très limité, à la promotion du logiciel libre. En plus, comme je disais tout à l’heure, un des gros intérêts c’est le travail collaboratif ; ça c’est quand même très sympa !

Frédéric Couchet : Ce n’est pas limité comme contribution, c’est une contribution très importante car tout le monde ne lit pas l’anglais couramment, donc c’est important et, en plus, ça permet pour les personnes qui contribuent, finalement, d’enrichir leurs connaissances sur cette philosophie du projet GNU, parce que quand on traduit on doit effectivement comprendre ce que l’on traduit.

Patrick Creusot : Tout à fait. Ça permet de pousser certaines choses sur lesquelles j’avais des connaissances très limitées et puis ça me permet de travailler mon anglais, en plus !

Frédéric Couchet : C’est excellent. Je précise que ce groupe de travail est ouvert à toute personne qu’elle soit membre ou pas de l’April. Sur le site de l’April, april.org, dans la page consacrée à cette émission vous retrouvez les références vers le site de ce groupe de travail et surtout le lien le plus important, le lien pour s’inscrire à la liste de discussion ; c’est la façon la plus simple de commencer : vous pouvez vous inscrire et envoyer un petit courriel. Est-ce que tu as quelque chose à ajouter Patrick ?

Patrick Creusot : Non.

Frédéric Couchet : Non ! En tout cas je te remercie. Donc c’était Patrick Creusot, bénévole à l’April et notamment membre du groupe de travail de la traduction de la philosophie GNU.

Projet de loi pour une école de la confiance

Comme vous entendez la musique qui a commencé en mode tapis, il nous reste très peu de temps. Je vais juste parler d’un dernier sujet parce qu’on parlait tout à l’heure de la mobilisation des personnes sur la directive droit d’auteur, il y a aussi, en France, des projets qui arrivent, c’est le projet de loi pour une école de la confiance dont l’examen va commencer dès ce soir à 21 heures à l’Assemblée nationale. Il y a un certain nombre d’amendements qui ont été déposés, notamment par le groupe parlementaire La France insoumise avec notamment l’un qui propose un nouvel article que je vous lis : « Les logiciels mis à disposition des élèves dans le cadre du service public de l’enseignement sont des logiciels libres. » Nul besoin de vous expliquer qu’on est plutôt en faveur de cette chose-là qui se rapproche très fort de notre notion de priorité au logiciel libre. Dans l’après-midi ou assez rapidement nous allons mettre sur le site de l’April des éléments d’information concernant ce projet de loi que vous pouvez suivre. Vous pouvez contacter des parlementaires pour les encourager à soutenir cet amendement. Il y a d’autres amendements sur la neutralité commerciale, pour renforcer la neutralité commerciale et mettre un terme aux « accords de partenariat », entre guillemets, avec des sociétés comme Microsoft, Google et autres qui sont des portes d’entrée de ces mastodontes auprès de nos élèves et écoliers.

L’émission se termine. Je remercie l’ensemble des personnes qui sont intervenues aujourd’hui : Anne-Catherine Lorrain, Étienne Gonnu, Vincent Calame, Patrick Creusot, Pierre-Yves Beaudouin. À la régie Olivier Grieco.
Le podcast sera disponible assez rapidement.
Sur le site de l’April vous avez la page avec les références citées, qui va être mise à jour juste après.
On se retrouve le 5 février 2019 à 15 h 30. Nous nous quittons en musique avec Wesh Tone de Realaze. Bonne journée.