Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 15 octobre 2019

Bannière de l'émission

Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 15 octobre 2019 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s : Isabella Vanni - David Gayou - Benjamin Ooghe-Tabanou - Xavier Berne - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 15 octobre 2019
Durée : 1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco.
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose également d’une application, Cause Commune, pour téléphone mobile.
Merci d’être avec nous aujourd’hui.
La radio dispose d’un webchat, utilisez votre navigateur web préféré, rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous ainsi sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 15 octobre 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, délégué général de l’April.

Le site web de l’association c’est april.org et vous y trouvez d’ores et déjà, ainsi que sur le site web de la radio, une page consacrée à l’émission avec les liens et les références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission et également les moyens de nous contacter pour nous faire des retours, pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, vous pouvez : n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio, causecommune.fm, ou à nous appeler au 09 50 39 67 59.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Maintenant le programme de l’émission du jour.
Nous allons commencer dans quelques secondes par la chronique « Le libre fait sa com' » de ma collègue Isabella Vanni coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April sur les actions en cours du groupe de travail Sensibilisation de l’April.
D’ici dix/quinze minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le collectif Regards Citoyens, collectif qui propose un accès simplifié au fonctionnement de nos institutions démocratiques à partir des informations publiques.
En fin d’émission nous aurons la chronique de Xavier Berne, journaliste à Next INpact, sur les trois ans de la loi pour une République numérique.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Je crois qu’on ne t’a pas entendu !

Étienne Gonnu : C’est normal, je n’avais pas mis le truc [la tirette, NdT]. Salut Fred.

Frédéric Couchet : Salut Étienne. Étienne qui est aussi chargé de mission affaires publiques à l’April.

Pour commencer, on va vous proposer le petit quiz comme à chaque émission.
Première question : lors de l’émission du 8 octobre 2019 nous avons parlé d’un groupe de musique de stoner qui publie ses titres sous licence Art Libre ? Quel est le nom de ce groupe ?
Deuxième question : notre sujet principal portera sur le collectif Regards Citoyens qui est notamment à l’origine de deux sites web qui cherchent à mettre en valeur l’activité des parlementaires. Quels sont ces sites ?
Je vous donnerai évidemment les réponses au fur et à mesure de l’émission.
Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Le libre fait sa com' » de Isabella Vanni sur les « tâches de fond » utiles pour la sensibilisation

Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique de ma collègue Isabella Vanni qui est coordinatrice vie associative et responsable de projets à l’April. Bonjour Isabella.

Isabella Vanni : Bonjour à tout le monde.

Frédéric Couchet : La chronique est intitulée « Le libre fait sa com’ » et a notamment pour objectif d’informer sur les actions de type sensibilisation menées par l’April mais c’est aussi l’occasion d’annoncer des évènements libristes à venir.
Le thème du jour c’est justement les actions en cours du groupe Sensibilisation de l’April.

Isabella Vanni : Le thème du jour, aujourd’hui, c’est plutôt les tâches de fond qui sont utiles pour nos actions de sensibilisation et aussi pour nos actions de communication en général. Ce sont des tâches qui sont réalisées en dehors d’un projet spécifique, qui se font donc, d’une certaine façon, en arrière plan, mais qui ne sont pas pour autant moins importantes pour nos missions de promotion et de défense du logiciel libre.

La première tâche qui me vient à l’esprit, dont je voudrais parler, c’est proposer des images sous licence libre qui est une tâche très utile pour illustrer nos documents de sensibilisation mais pas que, nos articles aussi, nos communiqués de presse, nos gazous sur Twitter, nos pouets sur Mastodon et également pour réaliser nos présentations, nos diaporamas pour les conférences. On sait à quel point c’est utile d’avoir des images parlantes, c’est-à-dire des images qui arrivent à attirer l’attention, à faciliter la compréhension d’un texte ou d’une intervention, bref à communiquer, et il n’est pas toujours très simple de trouver la bonne image, d’autant plus qu’à l’April nous nous engageons à ne publier que des images sous licence libre. Pour rappel, une image sous licence libre est une image dont l’auteur a explicitement autorisé la copie, la modification et l’utilisation commerciale. En gros, publier une image sous licence libre c’est faire le choix de favoriser au maximum la diffusion de ses créations, de ses œuvres et donner aux autres la possibilité de s’en approprier et de les adapter à leurs besoins.
Je disais que nous avons souvent besoin d’images pour illustrer nos contenus. Ainsi, nous sollicitions régulièrement les personnes qui suivent les activités de l’April pour qu’elles nous aident à trouver des images.
Comment faire pour solliciter ces personnes ? Normalement nous faisons des appels à contribution sur les listes de discussion de l’April, notamment la liste Sensibilisation qui est la liste de discussion du groupe Sensibilisation et qui est, je le rappelle, ouverte à tout le monde, membre de l’April ou pas. Nous faisons aussi des appels à contribution sur notre salon de discussion sur IRC qui veut dire Internet Relay Chat, c’est une messagerie instantanée. Ces outils, les listes de discussion et le webchat, nous permettent de nous adresser à beaucoup de personnes, des dizaines de personnes d’un seul coup ; de cette façon, nous nous donnons encore plus de chances de trouver rapidement une image adaptée. Bien évidemment, l’idéal ce serait plutôt d’avoir un beau stock d’images prêtes à l’usage où pouvoir piocher à chaque fois qu’on en a besoin, mais cela n’est pas très évident à faire, parce que créer et gérer ce stock d’images, le mettre à jour, s’assurer qu’il y a la bonne licence, etc., à elle toute seule est déjà une tâche de fond. En ce moment, dans le groupe Sensibilisation, nous réfléchissons justement à la meilleure solution pour stocker et mettre à disposition ces images, car la solution actuelle, un dépôt sur le wiki, n’est pas très pratique à l’usage.

J’en profite pour parler du wiki de l’April. Le wiki est un outil de travail collaboratif, c’est une application qui permet, en gros, de créer des pages web assez structurées. C’est un outil qui est relativement simple à utiliser, mais il demande un minimum de compétences, car il se base sur une syntaxe spécifique, justement la syntaxe wiki. Il se trouve qu’ajouter une image dans le dépôt de notre wiki, puis ajouter les liens nécessaires dans la page dédiée, ce sont des opérations un peu fastidieuses, qui peuvent prendre un peu de temps, donc qui peuvent refroidir les personnes souhaitant contribuer mais qui n’ont pas forcément beaucoup de familiarité avec cet outil. Le but c’est de favoriser au maximum la collaboration ; c’est pour ça que nous réfléchissons à une autre solution plus simple plus intuitive.

Un autre exemple de tâche de fond très utile pour nos actions, c’est la relecture. La relecture de nos documents de sensibilisation, de nos textes de communication institutionnelle, des transcriptions et, en général, les pages de notre site april.org et des autres sites dédiés à des projets spécifiques et de nous signaler d’éventuelles erreurs, coquilles, mises à jour à faire, en sachant que quand le texte doit encore être publié nous faisons notamment recours aux personnes qui nous suivent, comme je disais tout à l’heure sur les listes de discussion ou sur la messagerie instantanée. Mais les erreurs, en fait, se cachent aussi et surtout dans les textes qui ont déjà été validés et publiés, donc il y a régulièrement des personnes qui nous écrivent par courriel ou sur la messagerie pour nous signaler une erreur et nous proposer une amélioration. S’il s’agit d’une erreur sur une page web, normalement nous pouvons être très réactifs et corriger dans la foulée ; s’il s’agit d’une coquille dans un flyer qu’on a déjà publié en 10 000 exemplaires c’est un peu plus compliqué de faire la correction, l’information est arrivée un peu tard, mais c’est très bien de nous alerter et de signaler ce genre d’erreur.

Une autre tâche de fond très utile c’est la traduction. Il y a notamment à l’April un groupe de travail Traductions, au pluriel, dont l’objectif est justement de traduire dans différentes langues le site web de l’April et nos textes, notamment les communiqués de presse. Il faut savoir que le site de l’April est aussi disponible en version anglaise, donc c’est génial d’avoir un groupe de bénévoles qui peuvent traduire les communiqués de presse par exemple en anglais et les mettre en disposition sur cette partie de notre site.
La traduction concerne bien évidemment aussi les outils de sensibilisation et je pense notamment à l’Expolibre dont nous avons déjà eu l’occasion de parler à plusieurs reprises dans cette émission, donc une exposition de huit panneaux qui expliquent la philosophie et les enjeux du logiciel libre au grand public. L’Expolibre, grâce à nos bénévoles, est aujourd’hui déjà disponible en quatre langues, la dernière, l’italien, doit encore être mise en ligne. Vous pouvez déjà trouver en ligne français bien évidemment, anglais et espagnol.
Il y a aussi un groupe de travail qui s’occupe de la traduction de la philosophie du projet GNU en français. Le projet GNU est un projet informatique qui a pour but de développer le système d’exploitation libre dit GNU et, à la base de ce projet informatique, il y a aussi une philosophie qui est, en même temps, à la base du mouvement du logiciel libre. Donc ce groupe de traductions très spécifique traduit les textes concernant la philosophie du projet GNU en français.

Il y a une autre tâche qui est très liée à cette émission. Tout à l’heure on parlait du fait qu’on a toujours besoin d’images sous licence libre pour illustrer nos textes, eh bien on a aussi besoin de musiques sous licence libre, parce que dans cette émission, les personnes qui nous écoutent régulièrement le savent sans doute, nous ne transmettons que des morceaux de musique libre, sous licence libre. Donc on a un pad, je vais vous expliquer ce que c’est, pour pouvoir proposer des morceaux. Un pad c’est un autre outil de travail collaboratif ; j’ai déjà parlé du wiki, le wiki demande normalement un accès par identifiant et après il y a la syntaxe comme je vous ai dit, donc ça demande un peu plus de compétences. Par contre, le pad est un outil de travail collaboratif extrêmement simple à utiliser parce qu’il suffit, en fait, de suivre le lien, d’atterrir sur la bonne page et on peut commencer à taper. Du coup, si vous avez des musiques sous licences libre que vous souhaitez signaler il n’y a rien de plus simple : dans les références de l’émission d’aujourd’hui vous trouverez aussi le lien vers le pad pour signaler des morceaux que vous voudriez entendre à la radio dans notre émission.

J’ai une autre tâche de fond dont j'aimerais parler vu qu’il y a encore un peu de temps. Une tâche de fond qui est réalisée par un bénévole très actif à l’April, j’en profite pour le saluer, pour saluer aussi tout le travail, toutes les actions qu’il fait pour nous, c’est Thierry Vedel, qui est le jardinier du wiki de l’April. Je vous ai expliqué tout à l’heure ce qu’est le wiki, c’est un outil merveilleux qui nous permet de gérer nos projets, mais en même temps, parfois il arrive qu’à accéder au wiki ce ne sont pas des personnes qui ont envie de collaborer, de nous aider sur nos projets, mais qui sont des personnes, voire des robots qui accèdent pour spammer, pour créer des pages inutiles, pour rajouter de la pub. Eh bien Thierry, en fait, est le jardinier du wiki. C’est une tâche de fond, dans ce cas, qui peut être exécutée seulement par une personne qui a un accès particulier, qui a des droits particuliers, des permissions particulières, mais qui est hyper-importante, donc merci Thierry.

Avant de finir, de conclure cette chronique, j’aimerais vous rappeler que toutes les tâches de fond dont je vous ai parlé, sauf le jardinage du wiki, sont des tâches qui peuvent être faites par toute personne, membre de l’April ou pas. Si vous souhaitez contribuer à l'une de ces tâches, vous trouverez dans les références de l’émission les liens pour vous inscrire aux différents groupes de travail que j’ai cités ou pour venir nous rendre visite sur le salon IRC de l’April, sur le salon de la messagerie instantanée.

Frédéric Couchet : Merci Isabella. C’est la chronique « Le libre fait sa com’ ». Évidemment sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm, vous retrouverez toutes les références qu’Isabella a citées. N’hésitez pas à nous rejoindre sur le groupe Sensibilisation pour d’autres actions de l’April, que ce soit la traduction ou la transcription, les relectures.
Je te souhaite de passer une belle journée Isabella.

Isabella Vanni : Merci. À vous aussi.

Frédéric Couchet : On va passer une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Synthwave Vibe par Meydän et on se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.

Pause musicale : Synthwave Vibe par Meydän.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Synthwave Vibe par Meydän qui est disponible sous licence Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous allons maintenant passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur le collectif Regards Citoyens. Nous ne sommes pas en direct, le sujet a été enregistré il y a quelques jours pour des questions de disponibilité des deux personnes qui interviennent. Donc on va diffuser le sujet et on se retrouve juste après.

Présentation de Regards Citoyens avec Benjamin Ooghe-Tabanou et David Gayou

Frédéric Couchet : Nous allons aborder notre sujet principal qui porte sur le collectif Regards Citoyens. Nos invités : Benjamin Ooghe-Tabanou. Bonjour Benjamin.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Bonjour.

Frédéric Couchet : Et David Gayou. Bonjour David.

David Gayou : Bonjour.

Frédéric Couchet : D’abord une petite question de présentation introductive personnelle, votre parcours en quelques mots. On va commencer par David Gayou.

David Gayou : Je suis rentré dans le monde libre un peu par La Quadrature et assez rapidement je suis venu vers Regards Citoyens, c’est un peu comme ça que je suis venu. Je suis entré il y a sept ans, quelque chose comme ça, je ne sais plus, je regarde Benjamin. Sinon je suis développeur à la base donc consultant, plus généralement je fais des missions à droite à gauche sur les questions de développement notamment liées aux données.

Frédéric Couchet : D’accord. Benjamin.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Je suis ingénieur de recherche, j’ai d’abord bossé dans des labos d’astrophysique où je me sentais un peu un imposteur parce que je n’ai jamais été passionné par les étoiles. Maintenant je bosse à Sciences Po, je bosse au médialab qui est un labo qui essaie d’équiper, d’instrumenter les chercheurs en sciences sociales pour pouvoir bosser avec des données qui viennent du Net. Donc je collecte des données de sites et de réseaux sociaux essentiellement et je fais des outils qui permettent de les explorer. Je suis l’un des cofondateurs de l’asso.

Frédéric Couchet : D’accord. De l’association Regards Citoyens. Justement, avant de rentrer évidemment dans le détail sur ce qu’est Regards Citoyens, quand des gens vous demandent de leur expliquer en une phrase ce qu’est Regards Citoyens, vous expliquez ça comment ? David.

David Gayou : En une phrase ! Il y en faut souvent un petit plus.

Frédéric Couchet : Deux phrases, allez !

David Gayou : D’une manière générale ce que je dis c’est plutôt l'envie qu’il y a derrière Regards Citoyens et pour nous c’est fabriquer des outils qui vont permettre d’améliorer la démocratie dans le sens où ne peut pas faire une démocratie sur la base du vote sans avoir des citoyens qui soient correctement informés. Pour les informer correctement, on va essayer de développer un certain nombre d’outils pour qu’ils puissent réellement savoir ce qui est fait par leurs représentants et, à partir de là, pouvoir faire une décision éclairée sur leurs choix.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Du coup, généralement j’essaie surtout de placer le mot « transparence ». On essaie un peu de promouvoir la transparence de la vie publique sous différents aspects, pas que par le plaidoyer mais aussi par la pratique en essayant justement de faire des outils qui permettent aux gens d’avoir accès à de l’information sur les élus, sur la société, sur tout ça.

Frédéric Couchet : D’accord. Benjamin tu as dit tout à l’heure que tu étais l’un des cofondateurs de Regards Citoyens, est-ce que tu peux nous raconter la naissance de Regards Citoyens, pourquoi ça s’est créé et quand ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Je vais essayer de faire court. Historiquement c’est avec un ancien président de l’April, Tangui Morlier. On avait notamment suivi un projet de loi, pas HADOPI mais la loi encore avant à HADOPI, pour ceux qui se rappellent, les DRM, les Digital Rights Management.

Frédéric Couchet : La loi sur le droit d’auteur qui précédait HADOPI dans les années 2005/2006.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est ça, 2005/2006. On s’était passionnés pour les débats parlementaires en essayant de militer sur ce texte, et puis c’est revenu sur HADOPI et à l’époque, avec Tangui, on a sorti un site un peu potache qui se moquait de députés dits godillots.

Frédéric Couchet : C’est quoi un député godillot ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est un député qui vient, qui ne participe pas aux travaux mais qui vote et qui vote en suivant le sens.

Frédéric Couchet : Comme la majorité de son groupe.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est ça. Ce qui fait que, du coup, ça fausse un peu les débats parce que notamment sur la loi DADVSI de l’époque.

Frédéric Couchet : DADVSI, ça veut dire droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Tout à fait. Comme pour HADOPI, on était sur des situations qui nous ont donné une vision idéalisée du Parlement où des députés de la majorité comme de l’opposition peuvent défendre une même ligne qui peut être opposée à celle du gouvernement et peuvent mettre en échec le gouvernement. C’est arrivé avec HADOPI avec le fameux coup du rideau où les députés sont sortis à la dernière minute pour voter et ont renversé le résultat du vote et à l’époque de la loi DADVSI.

Frédéric Couchet : Droit d’auteur.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Droit d’auteur, droits voisins. Christine Boutin s’était retrouvée à être d’accord avec Patrick Bloch, vous voyez, le rapporteur du Pacs [Pacte civil de solidarité] et, en face, l’égérie anti-Pacs ; ils s’étaient mis d’accord pour faire voter un truc qui faisait tomber tout le texte du gouvernement, je ne vais pas rentrer dans les détails. Mais voilà, on voyait beaucoup ça quand on assistait aux débats.

Frédéric Couchet : Vous assistiez aux débats directement depuis l’Assemblée et le Sénat ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Oui, tout à fait, on allait dans les tribunes de l’Assemblée, sur la loi HADOPI notamment c’était assez drôle, parce que certains soirs il y avait plus de monde dans les tribunes que dans l’hémicycle, tu sentais un peu que les députés se retournaient, regardaient, « waouh, qu’est-ce que se passe ? » Ouais, on était beaucoup à suivre les débats à l’époque et on est un certain nombre à s’être passionnés pour ça. Depuis que Regards Citoyens est né on a revu ça sur la loi sur le mariage pour tous où, en fait, il y a beaucoup de gens qui se sont opposés ou qui étaient d’accord, mais globalement ça a créé plein de gens qui se sont intéressés au Parlement. C’est d’ailleurs à ce moment-là que le hashtag #DirectAN sur Twitter qui veut dire « Direct Assemblée nationale », qui est, du coup, pour suivre pour les débats s’est vachement développé. Vraiment, du coup, le fait de suivre les débats permet de comprendre comment ça marche. Donc on a pris ce goût pour les débats parlementaires, on a fait ce site potache qui se moquait de députés godillots qui, à nos yeux, pourrissaient pas le mal le débat. Après on nous a dit : « Il faut faire un truc un peu plus sérieux, il faut faire un truc bien et tout » et, pour faire ça, on collectait des données sur les députés pour s’assurer qu’on ne pointait pas des députés qui étaient, en fait, des gros bosseurs. L’idée de NosDéputés.fr c’était d’essayer de décliner ça plus largement pour tout le monde, permettre d’avoir une idée : que font les députés concrètement ? Comment on peut les contacter et ce genre de choses. C’est comme ça que Regards Citoyens est né initialement, c’est en lançant le site NosDéputés.fr qui est sorti pour la rentrée parlementaire du 14 septembre 2009, donc il y a maintenant un peu plus de dix ans, non un peu moins.

Frédéric Couchet : Non, un peu plus de dix ans.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Un peu plus, ouais. Voilà, c’est comme ça que Regards Citoyens est né et petit à petit, par la force des choses, on s’est retrouvés à…
De toute façon, on s’est aperçus que pour créer NosDéputés.fr on passait 80 % du temps à créer des outils qui extrayaient les données des sites officiels de l’Assemblée et du Journal officiel, donc, en fait, ça nous paraissait naturel en venant un peu du monde libre non seulement de mettre à disposition le code mais de mettre également à disposition les données qu’on générait comme ça. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés à promouvoir petit à petit l’open data en France, on était parmi les premiers à défendre – le terme n’existait pas encore vraiment en France à l’époque – l’idée que les données du secteur public ont vocation à être publiques et à être remises à disposition des gens pour qu’on puisse les manipuler et les traiter. C’est comme ça qu’on s’est aussi mis à faire la promotion de l’open data ; c’est vraiment de proche en proche et après on a fait la promotion de la transparence de la vie politique.

Frédéric Couchet : On va effectivement détailler tout ça au cours de l’échange. Sur la naissance c’est effectivement en suivant, comme tu le dis, les débats parlementaires autour des premières lois, on va dire autour du droit d’auteur en France, que ce soit la loi du droit d’auteur en tant que telle en 2005/2006 et puis la loi HADOPI en 2009 et avec ce site NosDéputés.fr sur lequel on va revenir. Donc c’est à ce moment-là que vous avez créé une association. Vous étiez combien au début ? Deux ? Trois ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Quatre. Et on était une association de fait parce qu’on n’avait pas déclaré. On s’appelait le Collectif Regards Citoyens et on s’est transformé officiellement en association deux ans plus tard je crois, quelque chose comme ça.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc NosDéputés.fr c’est, on va dire, le site qui vous a sans doute fait connaître. On va peut-être passer en revue justement au cours de l’échange les différents projets, les différentes actions de Regards Citoyens. On va commencer par le suivi parlementaire, ce que tu as évoqué, notamment à travers les sites NosDéputés.fr, NosSénateurs, La Fabrique de la Loi. David, quel est l’objectif de ces sites et de ce suivi parlementaire ?

David Gayou : L’objectif de ces sites. On en a eu plusieurs et ils ont un petit peu évolué dans le temps. La première idée du site NosDéputés.fr c’était de pouvoir aller voir en quelques minutes, en cinq minutes, ce que son député à soi a pu faire à l’Assemblée nationale. Son député à soi c’est l’approche un peu naïve qu’on peut avoir au début quand on va regarder l’Assemblée nationale, parce que, comme on a voté pour un député dans sa circonscription, on a un certain sens d’appartenance à ce député-là. Il faut savoir que dans la vie politique plus générale ils sont représentants de la nation et assez souvent, d’un côté, c’est plus intéressant d’aller parler aux députés spécialistes du sujet sur lequel on veut influencer. En tout cas pouvoir aller voir et avoir un aperçu assez rapide sur ce qu’a été son travail au sein de l’Assemblée, sous quelle forme ça a été fait. Donc à la fois pouvoir savoir quels sont ses sujets de prédilection, parce qu’en fait chaque député va en général avoir un certain nombre de sujets de prédilection de par la commission permanente à laquelle il est assigné et par ses affinités personnelles, dans lesquels il va pouvoir avancer.
C’est notamment pour ça qu’assez régulièrement à l’Assemblée nationale on va pouvoir voir des projets de loi qui sont votés à 50, 70 députés, ce qui s’explique très bien. Du coup, dans ces moments-là, ce sont essentiellement des députés qui ont travaillé sur le sujet, qui ont essayé de proposer, qui sont vraiment rentrés dans le sujet, plus un certain nombre de députés qui vont être là pour assurer la majorité, mais ils vont tous avoir une certaine spécialité. Il y a un nuage de mots qui apparaît sur la page NosDéputés qui nous permet d’avoir cette information-là.
Il y a un certain nombre d’indicateurs qui sont en tout petit sur les pages des députés et qui font beaucoup de bruit sur Twitter, qui correspondent à combien d’amendements il a déposé, combien de fois il a pris la parole, en faisant du coup, pour nous, une différence entre les interventions longues et les interventions courtes. Les interventions courtes ce sont les moments où ils vont essentiellement faire des invectives. Ce sont les moments qu’on va le plus facilement voir dans quelques éléments de télévision satyrique, qui représentent une partie du travail, mais qu’on ne considère pas forcément comme une prise de parole appuyée, argumentée ; ça nous semblait important de faire la différence. Le nombre de questions écrites posées, le nombre de questions orales posées, tous les éléments un peu quantifiables qu’on pouvait avoir et un élément qui nous semblait important, qu’on n’arrivait pas forcément à bien prendre, qui est le nombre de semaines d’activité qu’on a été capables de détecter pour un député, ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas forcément travaillé, c’est juste qu’on ne l’a pas vu présent en commission – les présences en commission sont notées –, on ne l’a pas vu prendre la parole en hémicycle et du coup, pour nous, on n’a pas de preuves qu’il était effectivement présent dans les différents travaux, donc on n’a pas pu le prendre en compte. Ça c’était la première partie et notamment, à l’époque, on rentrait son code postal et on arrivait à trouver son député, ce qui était quelque chose qui n’existait pas à l’époque sur le site de l’Assemblée nationale.

Frédéric Couchet : Ils ont fait des progrès ?

David Gayou : Depuis ils ont essayé de le faire évoluer, ce qui est très bien. Si le site de l’Assemblée nationale peut permettre de mieux guider les citoyens vers le travail des parlementaires, c’est une bonne chose.
Suite à ça, ce qui se passe dans NosDéputés.fr ou dans NosSénateurs, les deux sont très proches, sont liés, c’est juste qu’il y en a un qui concerne les sénateurs, on va essayer de récupérer toutes les sources d’information qui existent, toutes les sources d’information publiques et qui vont être avec un certain sens d’objectivité. Si les députés nous donnent des informations, on ne peut pas les prendre en compte parce que ça fausserait un peu l’objectivité globale, mais comme on arrive à tout avoir, on a aussi un gros moteur de recherche. On a notamment un moteur de recherche qui va vous permettre de retrouver toutes les fois où un sujet précis a été traité. Par exemple, on va faire une recherche sur « logiciel libre » et trouver tous les moments où le logiciel libre a été évoqué dans l’Assemblée, dans les exposés des motifs des amendements ou dans les différents projets de loi. Donc ce moteur de recherche c’est un usage un peu plus avancé. Pour le coup, les personnes qui vont l’utiliser ça va être soit des différents lobbyistes d’associations, soit des journalistes qui veulent pouvoir faire un suivi assez précis sur ces choses-là et, comme on indexe vraiment tout, ils sont capables de le faire, on est capable de chercher précisément sur des amendements.

Frédéric Couchet : Et on peut être informé, en plus, via les alertes. Moi je suis inscrit via des alertes, donc par mail, si on met les mots clefs, dès le mot clef est utilisé dans un nouveau texte et que vous l’avez référencé, on reçoit un courriel qui nous prévient et ça c’est très utile, effectivement.

David Gayou : Oui, c’est assez utile pour tout le travail d’activiste, tout le travail de journaliste, des gens qui veulent pouvoir être au courant. Là on rentre dans le concept même de l’écriture de la loi au sein du Parlement : des fois sur un texte qui n’a pas l’air d’être sur un sujet qui nous touche, il peut y avoir des amendements qui vont passer et qui vont modifier des choses là-dessus et ça peut avoir un impact assez fort, au final, pour les questions qui vont nous intéresser, typiquement sur les questions de transparence pour nous ou des questions de logiciel libre pour l’April. Des fois, dans des amendements, il peut se passer des choses. Donc, dans le travail d’activiste, il faut réussir à être mis au courant quand un amendement est déposé, qu’il va parler de nos sujets, pour être capable de pouvoir intervenir avant qu’il soit voté et pouvoir aller voir nos différents parlementaires, alliés, en tout cas qu’on sait sensibilisés sur le sujet pour dire « attention à l’amendement numéro 77 ! Celui-là il ne faut pas le laisser passer, ça ne va pas du tout ! », par exemple. Je ne sais pas si tu as des choses à ajouter Benjamin.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est exactement ça. Pour moi, NosDéputés ou NosSénateurs qui est effectivement le petit frère, qui fait à peu près la même chose, c’est vraiment ces deux visions : c’est soit le citoyen qui veut juste savoir en deux minutes ce que fait son député, il va regarder ; soit, effectivement, l’usage avancé du journaliste qui veut suivre, de l’activiste qui veut suivre. Du coup, c’est le but du dernier projet sur la question, qui est La fabrique de la Loi, qui est d’aller regarder en détail le déroulement parlementaire autour d’un texte de loi.

Frédéric Couchet : Quelle est la différence justement avec NosDéputés et NosSénateurs ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Comme David le disait, à l’Assemblée il y a beaucoup de choses qui sont des invectives, etc., et ce qui le plus visible du grand public ce sont les questions au gouvernement, qui est le truc le moins représentatif, en fait, de l’activité, de travail de fond des députés. C’est le bordel, c’est l’école, ils se crient dessus, ils se lèvent, ils s’engueulent.

Frédéric Couchet : Des fois les élèves à l’école se tiennent mieux que les parlementaires.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est vrai.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est surtout celui qui a le moins d’impact réel pour les citoyens, pour la vie démocratique derrière.

Frédéric Couchet : Ça c’est important de le préciser. C’est ce qui apparaît le plus, quelque part, souvent dans les médias, alors que c’est ce qui a le moins d’impact dans le travail.

Benjamin Ooghe-Tabanou : En fait c’est la foire d’empoigne des politiques alors que le vrai travail du parlementaire c’est d’écrire la loi. Écrire la loi, concrètement, c'est le gouvernement ou des parlementaires qui proposent un texte et ce texte, ensuite, va passer par plein d’étapes. Il va y avoir une discussion en commission, une discussion dans l’hémicycle.

Frédéric Couchet : Il faut préciser. Quand tu parles de commissions à l’Assemblée et au Sénat, il y a des commissions spécialisées en fonction des domaines et tel texte est d’abord étudié dans une commission, souvent ce qu’on appelle saisie au fond, qui est spécialisée dans ce domaine-là avant, ensuite, d’être étudié par l’hémicycle. C’est toute une procédure.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est ça. Du coup ils vont discuter. Après, vraiment le rôle du parlementaire pour la discussion de la loi, c’est de voter sur des amendements qui sont des propositions, en fait, de modifications du texte initial. Pour chaque article – des fois il y a des textes à un article, des fois il y a des textes avec 200 articles, les pires – c’est du texte, en fait, et on va proposer aux députés de faire des amendements qui vont donc proposer de modifier un bout du texte. Ces amendements vont être votés par l’ensemble des députés soit de la commission soit de l’hémicycle et on va faire ça plusieurs fois. Généralement ça commence par l’Assemblée, mais ça peut aussi commencer aussi par le Sénat, et on va faire commission-hémicycle à l’Assemblée et au Sénat et le système parlementaire fait qu’il faut que les deux tombent d’accord. Il faut que l’Assemblée et le Sénat arrivent à un texte qui soit le même.
Il y a des cas limites dans lesquels, s’ils ne sont vraiment pas d’accord, au final c’est l’Assemblée qui a le dernier mot. Du coup il y a des allers-retours comme ça entre les deux chambres, à plusieurs reprises potentiellement, et c’est assez compliqué, en fait, à suivre et, pour les gens, arriver à comprendre à quel moment le texte c’est quoi. Souvent on lit dans la presse « les députés ont voté ça ». En fait ils ont voté en commission, on est en première lecture.

Frédéric Couchet : Ce n’est pas définitivement adopté.

Benjamin Ooghe-Tabanou : On n’a pas définitivement une loi qui est actée à ce moment-là.

Frédéric Couchet : David.

David Gayou : Typiquement en ce moment sur la PMA [procréation médicalement assistée]. Oui, en ce moment on a lu des articles qui disaient « ça y est, les députés ont voté la PMA ». On est encore très loin d’avoir effectivement la PMA applicable pour les citoyens dans la vie de tous les jours.

Frédéric Couchet : Je précise d’un point de vue temporel que nous enregistrons l’émission début octobre, elle sera sans doute diffusée en octobre. Je le précise.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Donc La Fabrique de la Loi c’est de proposer un autre outil que NosDéputés et Nos sénateurs, mais qui permet d’aller regarder dans le détail pour un texte qu’est-ce qui s’est passé, quand, comment, à quel moment et qui est responsable. C’est un outil dans lequel on va trouver chacun des textes qui ont été discutés ces dix dernières années. Pour l’instant c’est encore expérimental et ça ne touche pas 100 % des textes mais, normalement, les textes arrivent en direct. Quand un texte est en cours de discussion il est intégré dans La Fabrique de la Loi et, pour ce texte, on va voir le cheminement de chaque étape et, pour chaque étape, on va avoir le texte de la loi et l’évolution. Donc on va avoir des visualisations qui vont permettre de voir, par exemple pour chaque article, comment il a été modifié : est-ce qu’il a grossi ? Est-ce qu’il a changé ? On va pouvoir visualiser ça et aller regarder le détail en cliquant et voir un peu. Comme pour les développeurs informatiques, on utilise souvent un truc qui s’appelle Git.

Frédéric Couchet : C’est quoi Git ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Git est un outil de gestion de versions qui va permettre de voir le programme qu’on écrit et, quand on le modifie, comment il change. Vous pouvez voir ça facilement sur Wikipédia où vous pouvez voir l’historique d'une page et on peut voir ce qu’on appelle le diff, donc les différences entre la version d’avant et la version d’après.
Eh bien, du coup, on propose ça sur les textes de loi pour permettre justement de voir ce qui s’est passé à tel moment. Une fois qu’on voit une différence on va pouvoir cliquer et aller voir quels étaient les amendements sur cet article. Ah ! C’est cet amendement-là qui a été adopté ; il avait été proposé par machin et, du coup, c’était quoi les discussions. On va aussi pouvoir retourner aux compte-rendus des débats et arriver, comme ça, à retracer ce qu’on appelle l’empreinte législative. On peu arriver à voir comment le Parlement a transformé le texte, pourquoi et comment. C’est un truc qui a aussi un peu d’utilité pour les juristes parce que, théoriquement, quand le Conseil constitutionnel ou quand un juge, dans un procès, tranche sur un bout de loi, il est censé tenir compte de l’intention du législateur, c’est-à-dire pourquoi est-ce que le législateur a voté ça. J’ai des exemples récents, c’est quoi ? C’est quelqu’un qui a été arrêté sur l’argument… Il y a une loi qui a été votée sous Sarkozy qui faisait qu’on n’avait pas le droit de filmer les gens qui se battent.

Frédéric Couchet : Ah oui, je me souviens !

Benjamin Ooghe-Tabanou : Avec les téléphones portables à l’école, il y avait des gens qui filmaient volontairement des gens en train de taper d’autres gens. Du coup il y a un journaliste ou un citoyen, je ne sais plus, enfin un manifestant qui, sous l’argument de ce texte, s’est retrouvé récemment condamné pour avoir filmé des policiers qui tapaient un manifestant, parce que du coup il a filmé une violence en réunion. Théoriquement, je pense que s’il fait appel, ils vont remonter au texte et ce n’est pas l’intention du législateur que ce texte permette de sanctionner ce genre de choses.

Frédéric Couchet : OK. Lors de l’appel, ils vont se baser sur les explications lors des échanges sur ce texte, pour comprendre quelle était cette fameuse intention du législateur.

Benjamin Ooghe-Tabanou : J’imagine que c’est la position qui va être prise par la défense.

Frédéric Couchet : David.

David Gayou : Ce qu’il faut savoir sur la loi, c’est qu’en fait dans la loi, c’est un peu la même chose dans le code, le détail est extrêmement important. On peut faire un grand texte de loi qui dit « tout le monde doit payer ses impôts », c’est marqué en gros dans la loi « tout le monde doit payer ses impôts ». Si un petit malin passe et vient rajouter un amendement qui fait « virgule si possible », le texte de loi devient « tout le monde doit payer ses impôts, si possible ». Ça veut dire qu’ensuite chacun peut trouver un argument qui peut le justifier pour le fait qu’il n’a pas pu payer ses impôts.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Par exemple des phobies administratives.

David Gayou : Par exemple des phobies administratives. Mais en fait, assez souvent les textes de loi ne vont pas débattre sur les grands thèmes ou sur la grande prise de parole pour savoir si tel ou tel sujet est important, mais ça va se battre dans les détails qu’il peut y avoir. Assez souvent des petits groupes de mots, voire des fois des virgules qui apparaissent, deviennent des sujets assez importants dans l’interprétation du texte et notamment, quand on veut avoir une approche activiste, bien comprendre comment cette phrase-là qui pouvait paraître anodine, devient, cinq ans après dans un jugement, quelque chose d’assez important, comment est-ce qu’elle est arrivée, quelle était l’intention, est-ce qu’il y avait une volonté assez malsaine d’un lobby caché qui voulait le faire ou est-ce que, finalement, c’était plus dans l’inattention ou dans des constructions syntaxiques étranges qui viennent de plusieurs amendements différents ?

Frédéric Couchet : On va juste préciser les adresses des sites : NosDéputés.fr au pluriel, NosSénateurs.fr.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Vous pouvez mettre les accents, ça marche.

Frédéric Couchet : Avec les accents ça marche aussi et lafabriquedelaloi.fr. Donc des outils utiles pour les citoyens et les citoyennes et pour les activistes, pour les journalistes. Je précise également que pour les alertes dont on parlait tout à l’heure, il suffit juste de mettre une adresse électronique et on reçoit directement, il n’y a pas besoin de se créer un compte contrairement à l’Assemblée nationale.
Donc ça c’est NosDéputés, NosSénateurs, La fabrique de la Loi. Ça fait maintenant une dizaine d’années qui vous faites ça, que vous suivez aussi, forcément, l’activité parlementaire, quelle est aujourd’hui votre vision du Parlement, de la démocratie ? Est-ce qu’elle a évolué par rapport à 2009 quand vous vous êtes lancés dans cette aventure ? Qui veut commencer ? David Gayou.

David Gayou : Je peux commencer. Assez paradoxalement, je pense que la plupart des parlementaires sont persuadés qu’on est des anti-parlementaires, qu’on fait tout pour participer à leurs critiques, alors qu’on fait partie des plus grands passionnés de comment fonctionne le Parlement et de la vision de ce que représente le Parlement ; je parle essentiellement pour moi, mais je pense que c’est le cas de la plupart des membres de Regards Citoyens. Le Parlement c’est, en fait, l’instance démocratique la plus légitime, c’est celle qui va représenter le plus les différentes opinions, c’est là où on peut avoir effectivement le débat public. Je pense que c’est assez sain qu’on soit capables de pouvoir discuter dans une instance représentative des différentes opinions qui peuvent notamment exister. Et c’est par l’expression de ce débat public, notamment des différentes oppositions qu’il peut y avoir, qu’on peut arriver par un travail à la fois à trouver des compromis qui sont beaucoup plus efficaces pour chacun et qui sont des solutions trouvées qui sont beaucoup plus intelligentes, finalement, que l’expression donnée initialement, mais également de donner une meilleure acceptation par des citoyens des différentes lois qui peuvent être faites, même quand elles ne sont pas dans le sens qu’on aurait voulu le faire. Au moins on a pu voir notre avis défendu et on a pu voir un débat dans lequel ça s'interprétait et, même si notre avis n’a pas été imposé ou majoritaire, au moins il a été pris en compte.
Actuellement, concernant le Parlement, et pas que sous cette majorité, je voudrais un Parlement plus ambitieux, je voudrais un Parlement qui aille plus souvent à la confrontation. Le nombre de fois où le Parlement s’est opposé au gouvernement sous la Ve République est complètement anecdotique.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Ça arrive généralement sur des détails. C’est-à-dire que dans un texte on va avoir soudainement une rébellion effectivement sur une virgule, j’exagère, mais ce changement va avoir un impact, parce que ça va vraiment créer une exception dans la loi qui, potentiellement, est importante, mais ça ne va pas changer fondamentalement la ligne politique du gouvernement.

David Gayou : Oui. Et ça n’apparaît pas comme une menace. Actuellement le Parlement, notamment puisqu’il y a toujours une majorité assez forte qui apparaît, est toujours là un peu sous forme de validation des textes du gouvernement. Il fait des modifications à la marge, mais on a assez rarement des rapports de force assez forts qu’on peut voir notamment dans d’autres démocraties.

Frédéric Couchet : Et au Parlement européen, par exemple on voit ça.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Au Parlement européen. En fait, c’est même plutôt exceptionnel d’avoir un Parlement qui soit aussi peu dans la lutte de pouvoir avec son gouvernement. Quand on regarde ce qui s’est passé ces dernières semaines au niveau du Brexit entre Boris Johnson et la Chambre des communes, on voit que ça a quand même été fortement à la confrontation. De la même façon, le Congrès aux États-Unis a beaucoup plus de frictions. En Allemagne, on est beaucoup plus dans la culture du compromis avec beaucoup plus de petits partis qui font des alliances pour construire ces choses-là. C’est un travail qui est assez peu fait, en tout cas, on l’aperçoit assez rarement au niveau du Parlement. Il y a, en plus, un certain nombre de stratégies pour que ce débat-là ne soit plus public. Typiquement les groupes parlementaires majoritaires vont souvent dire « on va discuter des sujets en réunion de groupe pour afficher un front commun », ce qui fait qu’au final tout le débat public n’est pas du tout public parce qu’il est fait par le groupe, dans une salle fermée. Les textes de loi qui arrivent devant le bureau de l’Assemblée nationale sont en général écrits assez rapidement par des membres de cabinets ministériels qui sont souvent des personnes qui vont avoir moins de 30 ans, qui subissent énormément de pression pour l’écrire, ne sont pas forcément les textes les plus parfaits à leur sortie. Alors que, quand on écoute assez régulièrement les prises de parole sur comment est-ce que le Parlement intervient sur la loi, assez souvent toute volonté de pouvoir effectivement améliorer le texte, la façon dont c’est dit c’est que ça va baisser la qualité de la loi, ça rajoute beaucoup de choses, ce qui, assez généralement, n’est pas tout à fait vrai ; ça va plutôt corriger un paquet d’oublis dans ce qui a pu être fait dans les textes du Parlement.

Frédéric Couchet : D’accord. On va faire une pause musicale. On va poursuivre peut-être avec l’évolution que vous souhaiteriez voir au niveau du travail parlementaire. On va faire une pause musicale. Nous allons écouter Hard Country par Townhouse Woods et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Hard Country par Townhouse Woods.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Hard Country par Townhouse Woods disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous allons poursuivre notre échange avec le collectif Regards Citoyens et on va notamment poursuivre sur l’évolution souhaitée du travail parlementaire. Benjamin Ooghe-Tabanou, tu souhaitais réagir là-dessus.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Oui. En fait, ce qu’a dit David est globalement ce qu’on défend et je veux juste rebondir sur ce que je disais tout à l’heure par rapport aux godillots et sur cette vision idéalisée qu’on a pu développer du Parlement. C’est vrai qu’en France, malheureusement, c’est triste à dire, mais le Parlement est quand même très aux ordres de l’exécutif. Il fait quand même rarement d’opposition au gouvernement. Le fait de voir ça se passer nous a vraiment fait nous dire « eh bien oui, c’est leur rôle, ce sont nos représentants et par moments, juste par le débat, par le dialogue on peut arriver à tomber d’accord sur des choses, trouver des consensus » et c’est ça la raison. C’est le débat qui amène un consensus sans que ce soit juste un politique au-dessus qui dit : « Il faut faire ça, c’est comme ça et ce ne sera pas autrement ! » Ce qu’on voit en Angleterre avec le Brexit, enfin plus que le Brexit surtout le fonctionnement en ce moment du Parlement : alors qu'il est sous la majorité de Boris Jonhson, mais il est en train de dire non à tout ce que fait Boris Jonhson et juste avant c’était pareil avec Theresa May. C’est juste oui, on est du même bord politique, mais là concrètement, ce que tu fais, non ! Et ça, c’est le rôle du Parlement. Malheureusement en France, c’est qu’en même extrêmement rare de voir ça, alors que, pourtant, il n’y a pas de grands changements à mener au sein du Parlement pour y arriver. Une citation que j’aime beaucoup du constitutionnaliste Guy Carcassonne qui est décédé il y a quelques années est : « Le Parlement ne manque de moyens, il manque de parlementaires pour les exercer ». C’est exactement ça. C’est-à-dire que, en soi, le problème c’est que les députés se sentent redevables, on est typiquement sur ça dans cette législature, tous les nouveaux députés de En Marche n’ont été élus, tous j’exagère, mais beaucoup n’ont été élus que parce que sur l’affiche il y avait Emmanuel Macron à côté d’eux.

Frédéric Couchet : Donc ils se sentent redevables de ce président, donc du Premier ministre et du gouvernement qu’il a nommé.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Donc ils font ce qu’on leur demande de faire et ils ne vont pas chercher à s’opposer. Je ne vais pas la citer, mais je parlais récemment avec une députée En Marche qui me disait : « Oui, je ne suis pas d’accord avec ce que j’ai voté ! » « OK ! Mais pourquoi tu le fais alors ? »

Frédéric Couchet : Malheureusement ce n’est pas nouveau et ce n’est pas que En Marche ; dans le passé, c’est tous les partis.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Tout à fait.

Frédéric Couchet : J’en profite pour préciser une chose importante c’est que le collectif Regards Citoyens est un collectif transpartisan, ça c’est vraiment important.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est dans nos statuts.

Frédéric Couchet : C’est dans vos statuts, exactement.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut juste dire qu’on n’est pas apolitiques, ça ne veut rien dire d’être apolitique aujourd’hui, tout ce qu’on fait est politique et c’est même particulièrement politique quand on bosse sur le Parlement. Par contre, oui j’ai des opinions politiques, je suis plutôt de gauche, il y en a d’autres vont être plutôt écolos, il y a en a d’autres qui vont être plutôt de droite. L’idée c’est plus que tout ça n’a pas besoin de se battre et qu’on peut peut-être défendre des lignes sur la transparence de la vie politique qui ne soient pas partisanes en fait.

Frédéric Couchet : Justement, tu cites le mot « transparence », donc je souhaiterais enchaîner avec le sujet suivant notamment sur la transparence de la vie politique et vos actions en faveur de cette transparence, donc à la fois avec les déclarations d’intérêt, le registre des représentants d’intérêt justement. Tu peux enchaîner sur ce sujet-là, la transparence.

Benjamin Ooghe-Tabanou : OK. Du coup deux choses. Au cours de nos quelques années d’existence on a beaucoup plaidé pour plus de transparence dans la vie politique. On a un comportement assez opportuniste dans le sens où on est aussi tous bénévoles et on n’a pas énormément de temps à consacrer à nos activités.

Frédéric Couchet : C’est un point important sur l’organisation, on y reviendra après : le collectif n’est composé que de bénévoles.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Ce qui fait, du coup, qu’on est opportunistes, ça peut paraître négatif dit comme ça.

Frédéric Couchet : Ce n'est pas un gros mot.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Ce n’est pas forcément négatif dans le sens où ça ne sert à rien de porter un plaidoyer sur la transparence du lobbying quand il n’y a absolument pas moyen de faire bouger les lignes là-dessus à ce moment-là. Ce qu’on va plutôt faire, c’est qu’on va essayer de porter un discours qui va mettre les sujets à l’agenda, mais ça ce n’est pas forcément le cas. Par contre, des fois il y a des choses qui se passent. Du coup, là tout d’un coup un sujet rentre sur le devant de la scène et c’est le moment d’essayer de pousser des trucs. Je pense à un exemple tout bête c’est l’affaire Cahuzac.

Frédéric Couchet : Jérôme Cahuzac, ancien ministre.

Benjamin Ooghe-Tabanou : L’affaire Cahuzac arrive, les détournements, plutôt la fraude fiscale.

Frédéric Couchet : Les comptes cachés, la fraude fiscale.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Dans la foulée on comprend tout de suite qu’il va y avoir une grande loi sur la transparence de la vie publique, dans la semaine on se réunit et on commence à discuter : ça y est, là c’est le moment, qu’est-ce qu’on défend et comment. C’est ça être opportunistes pour le plaidoyer, pour le lobbying. On revendique le fait de faire du lobbying, ce n’est pas un gros mot, c’est juste qu’il y a du lobbying citoyen et il y a du lobbying qui n’est pas citoyen, qui, en plus, met des gros sous et là ce n’est plustrès éthique.

Frédéric Couchet : Et il le fait sans transparence, tout est caché. David Gayou.

David Gayou : Tout à fait. Tous ceux qui veulent que « lobbying » soit un gros mot, ce sont des gens qui ne veulent pas que les citoyens s’intéressent à la loi. Ce sont, en général, les lobbyistes qui sont les méchants, pour être très manichéen, mais ce sont exactement les personnes qu’on n’a pas envie de laisser écrire la loi.

Frédéric Couchet : Jérôme Cahuzac, la loi qui s’annonce sur la transparence et de façon opportuniste qu’est-ce que vous faites ? Benjamin.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Là par exemple, ce qu’on a défendu, il y avait à l’époque cette idée « il y a trop d’argent caché, il faut qu’on sache ce que les élus et les ministres ont », il y avait ce débat. On a eu le débat en interne. On n’était pas forcément d’accord sur le fait qu’il faille rendre publics les avoirs d’absolument tout le monde : machin a 50 000 euros sur son compte en banque, il a une Twingo, il a un petit vélo, ce n’est pas forcément ça qui est intéressant et, en plus, ça pose quand même des questions de sécurité pour les élus parce que quand on sait que machin a une réserve de 600 diamants, eh bien potentiellement ça veut dire qu’il va falloir payer des gens pour surveiller sa résidence parce qu’un jour il va se faire braquer.

David Gayou : Sa résidence c’est marqué dans la déclaration.

Benjamin Ooghe-Tabanou : En plus ! Du coup, pour toutes ces raisons nou, sur les questions de déclaration de patrimoine, on n’était pas forcément très moteurs et ce qu’on défendait plutôt, d’ailleurs on n’a pas obtenu ça, c’était l’idée que plutôt que publier des déclarations de patrimoine il faudrait publier des déclarations d’évolution de patrimoine. C’est-à-dire que le député rentre en début de mandat, il sort en fin de mandat..

Frédéric Couchet : Quelle est la différence entre les deux.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Il y a une autorité qui va contrôler de combien ça a bougé. Et s’il a triplé son patrimoine en cinq ans de mandat c’est peut-être qu’il y a une anguille sous roche. On a essayé, mais on n’a pas obtenu ; ce qui est passé est totalement ubuesque : il y a des déclarations de patrimoine, elles sont consultables mais pas divulguables. C’est-à-dire que vous avez le droit d’aller à la préfecture et dire « bonjour, je voudrais consulter la déclaration de patrimoine de untel », vous pouvez la regarder, mais vous n’avez pas le droit de faire des photos, vous n’avez pas le droit d’écrire quoi que ce soit et même, si vous vous en rappelez et qu’ensuite, le soir, vous l’écrivez sur un bout de papier ou sur Internet, vous pouvez prendre je ne sais plus combien de peine de prison ou d’amende.

David Gayou : 45 000 euros, je crois.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Ouais. C’est sympa ! On s’est plutôt battus sur les déclarations d’intérêt qui sont, en fait, le vrai enjeu, justement, en termes de conflits d’intérêt, de lobbying. C’est d’ailleurs, dans l’affaire Cahuzac, un des gros enjeux c’est que tout cet argent qu’il avait accumulé il ne le tenait pas de nulle part, il le tenait du fait qu’en tant que membre du cabinet d’un ministre de la santé, je ne sais plus son nom, il avait bossé pour Servier [Groupe pharmaceutique français, NdT] et il avait fait passer en sous-main des trucs. C’est comme ça qu’il avait récupéré en partie l’argent en trop.
Tous ces sujets-là, sur les intérêts que les gens peuvent avoir, ça consiste en fait à savoir « j’ai des actions dans telle boîte, je suis au conseil d’administration de telle association », c’est ça qui peut potentiellement avoir un impact et il n’y a aucune raison, pour le coup, de ne pas rendre ça public. On s’est battus pour les déclarations d’intérêt public.

David Gayou : Sur les déclarations d’intérêt public, un exemple qui peut montrer les choses : la candidate, à l’heure actuelle encore, pour devenir commissaire européenne française c’est Sylvie Goulard et dans ses précédentes déclarations d’intérêt on a pu voir qu’elle avait été rémunérée à hauteur de 10 000 euros par mois pendant six mois par un think tank américain et, du coup, il y a des questions qui se posent sur, justement, sa loyauté vis-à-vis de l’Union européenne et des États membres alors qu’elle a été rémunérée avec des revenus qui étaient supérieurs à ses revenus de parlementaire européenne à cette époque-là.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Ces intérêts-là c’est quelque chose qui, au contraire, nous semble critique ; on s’est pas mal battus là-dessus et on a obtenu non seulement que ce soit rendu public mais surtout que ce soit réutilisable. Parce que c’est souvent le truc : quand on nous publie des données, il y a ensuite la CNIL qui dit : « Attention, ça ce sont des données nominatives, elles parlent de untel, ce sont des données personnelles, du coup non, vous n’avez pas le droit de les réutiliser. » Là-dessus, on a aussi obtenu que les déclarations d’intérêt sont réutilisables, ce qui nous amènera peut-être, par la suite, à un autre truc qui est comment est-ce qu’on réutilise ces données.
En conclusion, par rapport au point qui précédait, je voulais revenir sur l’idée qu’il n’y a pas besoin de gros changements. À nos yeux ce sont plus des petits changements qui permettent de faire avancer les choses et un truc qui manque et qui est, en plus aujourd’hui, complètement d’actualité parce qu’il y a eu pas mal de débats justement récemment dans un des textes sur la PMA là-dessus, c’est la transparence des votes. Ça paraît fou mais le Parlement français est très avancé dans plein de choses par rapport à plein de pays européens, il y a énormément de documents qui sont publiés sur ce que font les députés et ce que font les sénateurs, on a tous les amendements, on a tous les textes on a des compte-rendus détaillés.

David Gayou : Les transcriptions des débats.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Oui, les transcriptions détaillées des débats en commission et en hémicycle, il y a même maintenant des vidéos de beaucoup de débats, par contre, contrairement à ce qu’est la base dans tous les autres parlements où ils ne publient pas tous les textes, ce sont les votes. Là-dessus, en France, 98 % des votes, je dis un chiffre à la louche mais c’est à peu près ça, se font à main levée. À main levée ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il y a le président de séance qui voit ; de toute façon il sait – c’est le truc le plus déprimant quand on assiste à des débats – c’est que, en gros, il sait d’avance que la majorité a la majorité, ce n’est pas forcément le président et pas forcément la majorité. Du coup, à moins qu’il y ait eu clairement des gens de la majorité qui se sont exprimés contre l’avis du gouvernement sur un vote, il va dire : « Qui est pour ? Qui est contre ? Il est rejeté. Je mets aux voix l’amendement machin avec avis favorable du gouvernement. Qui est pour ? Qui est contre ? Il est adopté. » Et c’est comme ça que ça se passe.

Frédéric Couchet : À la vitesse grand V en plus.

Benjamin Ooghe-Tabanou : En même temps c'est logique parce qu’effectivement, s’il n’y a pas d’opposition, eh bien oui, la majorité va voter avec la majorité ; ça semble logique. Du coup, pour tous ces votes-là, on ne sait pas ! Et on reçoit régulièrement des mails, au moins un par mois, de citoyens qui cherchent à savoir « sur tel vote j’aimerais savoir qui a voté quoi ». Désolé c’était à main levée, on ne peut pas savoir.

Frédéric Couchet : C’est une évolution qui serait vraiment nécessaire selon toi ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est ça.

Frédéric Couchet : David.

David Gayou : Après dans les points positifs sur cette question des votes, si on compare à ce qui se fait au Parlement européen, au moins au Parlement français, à l’Assemblée nationale, les votes sont faits au fur et à mesure des articles. Une fois qu’on a fait tous les amendements sur l'article, qu’on sait à peu près l’état du texte, les députés vont voter pour cet article-là. Au Parlement européen il y a une approche différente qui rend le suivi par des citoyens beaucoup plus compliqué, c’est-à-dire qu’ils vont voter d’abord tous les amendements et ensuite ils vont faire une avancée très rapide et voter tous les articles à la suite de façon très, très rapide sans aucune discussion, sans aucun contexte. Donc quand on vient, on voit juste des gens qui votent. Les eurodéputés, en général, ne savent pas du tout ce qu’ils votent, ils vont voter exactement comme leur dit la rapporteure. On a déjà vu plusieurs cas où il y a eu une erreur de traduction entre ce que dit la rapporteure et ce qui est donné dans les casques de traduction, du coup toute la majorité vote à l’opposé de ce que disait la rapporteure, ce qui fait des scènes assez ubuesques parce que la rapporteure se retrouve extrêmement surprise de ce qui a pu se passer en se retournant et du coup une obligation de voter à nouveau. En tant que citoyen, regarder cette partie-là, c’est incompréhensible et pas du tout intéressant. Alors qu’au moins il y a une certaine logique dans la façon dont ça se déroule dans le Parlement français.

Frédéric Couchet : D’accord. On va avancer parce que le temps file, c’est passionnant et vous êtes évidemment passionnés par vos sujets, mais le temps file. On va aborder un sujet suivant, la gouvernance, notamment la gouvernance ouverte. Vous avez déjà parlé de vos outils en logiciel libre. Benjamin, tout à l’heure tu as parlé d’open data, mais je voudrais que tu reviennes dessus et la transparence que vous demandez pour les autres est-ce que vous l’appliquez pour vous-même ? Qui veut réagir ? David Gayou.

David Gayou : Effectivement, tout ce qu’on produit c’est en logiciel libre, mais le logiciel libre sur ce qu’on fait ce n’est pas forcément suffisant. La grosse force que représentent NosDéputés.fr ou la Fabrique de la Loi c’est, en fait, la base de données qui est derrière. On a également publié notre base de données en open data. Il y a des dumps assez réguliers de la base de données qui sont proposés pour pouvoir la récupérer.
En plus de ça, comme on fait un certain nombre de méthodes de calcul, pour nous c’est très important que ces choses-là puissent être auditables par n’importe qui ou puissent être challengées, qu’il y ait d’autres applications qui les utilisent ou qu’il y ait une autre opinion, différente de la nôtre, qui puisse être donnée.
On essaye aussi d’appliquer les demandes de transparence chez nous, ce qui est d’ailleurs un exercice assez intéressant pour nous. C’est-à-dire que quand on demande les déclarations d’intérêt des parlementaires, on s’est forcés à faire cet exercice-là. Donc les déclarations d’intérêt de chacun des administrateurs de Regards Citoyens sont disponibles sur le site internet, on peut effectivement voir si telle ou telle personne pourrait défendre un intérêt qui serait autre que celui de l’association ou des valeurs qu’elle prétend défendre.

Benjamin Ooghe-Tabanou : On peut voir, par exemple, que l’un des administrateurs de cette association a un conflit d’intérêt quand il vient à cette émission parce qu’il était anciennement président de l’April. C’est dans la déclaration d’intérêt.

Frédéric Couchet : On parle effectivement de Tangui Morlier.

David Gayou : Faire cet exercice amène notamment à réfléchir, ça nous amène à réfléchir beaucoup : jusqu’à combien de temps on remonte dans la déclaration d’intérêt ? Est-ce que vraiment on a envie de dire qu’on a fait la manifestation… ?

Frédéric Couchet : Pour les plus jeunes, la manifestation Devaquet en 2009.

David Gayou : On remonte jusqu’à cinq ans.

Frédéric Couchet : Jusqu’à cinq ans.

David Gayou : En tout cas cette démarche est assez intéressante.

Frédéric Couchet : Vous appliquez cette démarche à vous-mêmes.

David Gayou : Tous nos comptes sont présents dans Git.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Pas nos comptes personnels, les comptes de l’association.

David Gayou : Les comptes de l’association, excusez-moi, sont présents dans Git. Du coup on fait également attention à la vie privée donc tous les dons personnels sont juste affichés sous forme d’initiales, mais le détail des comptes est mis dans un repository Git pour permettre de faire ça.
On a une autre particularité, c’est qu’on est une association collégiale : on n’a pas de président, on n’a pas de secrétaire, on a un collège d’administrateurs et tous les administrateurs, du coup, ont le même rôle, les mêmes droits et les mêmes charges, c’est-à-dire récupérer la centaine de mails hebdomadaires, les lire et essayer d’y répondre dans le pad qui est collaboratif, je ne me rappelle plus de l’adresse du pad depuis qu’on a changé.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Je ne sais plus…

Frédéric Couchet : Le pad c’est un bloc-notes, c’est-à-dire que c’est un site web sur lequel tout le monde peut écrire donc sur lequel vous corédigez les réponses aux courriels que vous recevez, les demandes, etc.

David Gayou : Tout à fait. Il n’y a pas un tweet envoyé par Regards Citoyens ou un mail en réponse à une demande qui soit adressée à Regards Citoyens qui n’a pas été au moins relu par deux autres personnes.

Frédéric Couchet : Ce qui explique des fois le temps mis à répondre.

David Gayou : Ce qui crée un certain délai.

Frédéric Couchet : Mais quand on le sait, on est au courant.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Il y a des gens viennent nous parler en chat parce que c’est vrai que nos principaux outils de fonctionnement c’est un chat IRC, donc un chat sur lequel on peut dialoguer,

Frédéric Couchet : Une messagerie instantanée mais à l’ancienne on va dire. Qui marche quoi !

Benjamin Ooghe-Tabanou : Suivant les protocoles des débuts de l’Internet et ce pad, donc cet outil de rédaction de textes collaboratifs où, du coup, dès qu’il y a un mail on va le lister dedans et si on est motivé on va tout de suite rédiger une réponse et d’autres vont réitérer, la modifier et éventuellement, à un moment, l’envoyer.

Frédéric Couchet : Dans le collectif actuellement il y a à peu près combien de personnes ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Le CA est en ce moment un peu réduit : au conseil d’administration on n’est plus que quatre ou cinq, je crois.

David Gayou : Cinq.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Cinq, oui. Par contre, on a un ensemble de membres qui contribuent de manière beaucoup plus ponctuelle, qui est de l’ordre de quelques dizaines, une quarantaine, quelque chose comme ça.

David Gayou : On a une notion de membre qui est assez large puisque dans nos statuts la définition de membre c’est de participer aux actions de Regards Citoyens.

Benjamin Ooghe-Tabanou : On n’a pas de cotisations, nos comptes sont publics, en gros on dépense et on reçoit environ entre 2000 et 4000 euros par an. Donc c‘est un fonctionnement vraiment entièrement, encore une fois, bénévole et du coup les membres ne cotisent pas, ils participent.

David Gayou : Tous les membres ont la capacité de pouvoir se connecter sur le pad. Tous les membres peuvent se connecter sur le pad, peuvent venir relire les différents e-mails. Ce pad et la façon dont on relit et dont on va se corriger les uns les autres c’est une très bonne façon pour nous de se créer une doctrine commune. On se pose très régulièrement la question : comment on répond à ce genre de demande ? Ce qui fait, du coup, qu’on arrive à ne pas afficher trop de contradictions quand on intervient ensemble dans les médias. Ça permet également aux nouveaux membres de pouvoir intervenir : juste de venir et de relire le mail, de faire un « + 1 ». On a un membre qui a tendance à faire pas mal de fautes orthographe mais qui a souvent de bonnes idées, du coup on prend ses bonnes idées, on corrige juste les fautes d’orthographe, c’est une bonne façon de participer.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Du coup cette souplesse sur la définition de membre de Regards Citoyens nous a permis pendant une brève période de pouvoir considérer qu’il y avait, je ne sais plus si c’est 2000 ou 3000 membres à Regards Citoyens, parce qu’on a lancé plusieurs fois des opérations de crowdsourcing.

Frédéric Couchet : Le crowdsourcing c’est quoi ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est le truc qui permet de solliciter les gens pour faire des petites tâches qui, en masse, prendraient un temps fou à faire par une seule personne, mais quand on les distribue entre plein de gens on peut aller beaucoup plus vite. On avait fait ça notamment pour les déclarations d’intérêt des députés qui avaient été remplies à la main par les députés et scannées. On les avait divisées en plein de petits morceaux de texte scanné et soumis sur une plateforme où les gens pouvaient voir un bout de déclaration d’intérêt et devaient le recopier en déclaration numérique. Comme ça on a rendu en open data, on a transformé en données réutilisables les déclarations d’intérêt.
Pour faire ça, ça aurait été titanesque et d’ailleurs la Haute Autorité pour la transparence qui était censée contrôler ces informations n’aurait jamais réussi à faire le boulot.

David Gayou : Pour la petite histoire on les avait rencontrés avant. La disposition c'est que ça devait être réutilisable donc en open data telle qu’on l’entend, c’est nous qui avions fait l’amendement dedans et la Haute Autorité nous avait identifiés à ce titre-là. Quand ils ont fait leur formulaire, ils ont fait des formulaires sur lesquels les gens pouvaient rendre sous forme manuscrite, ce qui a fait que quand ils se sont dit « comment est-ce qu’on peut essayer de rendre réutilisable tout ça ? », ils avaient fait l’estimation qu’il faudrait deux personnes à temps plein pendant 18 mois. Ils nous avaient invités à une réunion pour nous dire « on ne va être capables de faire de l’open data et on pense que le contrôle c’est plus important que de retranscrire tout ce qui est fait. » Du coup on leur a dit : « Ne vous inquiétez pas, on va gérer pour vous » et dix jours après c’était fait !

Benjamin Ooghe-Tabanou : En même temps, du coup, ils ne pouvaient pas faire le contrôle sans avoir les données parce que eux-mêmes n’étaient pas forcément capables de lire, il y a des fois où il a fallu dix internautes pour arriver à bien relire ce qui avait été écrit par tel député. Du coup on a, en dix jours je crois, 2000 ou 8000 personnes, je ne sais plus, qui ont participé à ce crowdsourcing, du coup, de fait, ont participé aux activités de Regards Citoyens et sont venues grossir nos membres.

Frédéric Couchet : Ce qui explique qu'un collectif dans lequel on pourrait penser qu’il n’y a pas grand monde, en fait, pour faire des actions, mais finalement vous utilisez la foule pour mener des actions individuellement petites mais qui constituent un tout absolument efficace.

David Gayou : Tout à fait.

Benjamin Ooghe-Tabanou : On a fait ça trois fois : une fois sur le lobbying, cette fois sur la déclaration d’intérêt et la plus récente en date sur l’IRFM, les frais de mandat des députés, où on a demandé aux gens de participer au fait de demander à chaque député de nous communiquer les six derniers mois de leur compte en banque dédié aux frais de mandat.

Frédéric Couchet : Exactement. On va bientôt devoir conclure. J’ai envie de vous demander comment on peut aider ou participer à Regards citoyens, en quelques mots.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Le plus simple c’est de venir sur IRC ou de nous faire un mail et on leur pointe les outils. C’est peut-être la barrière à l’entrée qui est un peu compliquée, du coup il y a une barrière un peu technique à la participation et souvent on a des bonnes volontés qui, pour autant, se sentent un peu désemparées par nos outils.
C’est une des questions qu’on se pose un peu en ce moment c’est comment nous ouvrir encore plus, permettre à plus de gens de participer facilement. Personnellement je n’ai pas de solution à donner.

David Gayou : Oui. C’est une question qu’on s’est souvent posée, on n’a toujours trouvé de très bonne solution pour ça. Déjà juste prendre le temps d’aller voir l’activité de son parlementaire, de voir ces choses-là ; s’intéresser à l’écriture de la loi, voir effectivement ces choses-là et pouvoir utiliser les outils qui sont mis effectivement à disposition, je pense que c’est déjà une très bonne façon de nous aider. Quelquefois on peut avoir des parlementaires qui vont nous faire quelques reproches publics et pouvoir avoir du soutien dans ces moments-là, ce sont des choses qui, à la fois, sont assez rassurantes dans l’engagement bénévole et qui permettent également de donner un petit de poids dans les différents plaidoyers qu’on peut avoir dans ces moments-là.
Ce n’est pas forcément l’engagement bénévole. Mais sinon venir lire sur le pad, relire les mails, corriger les fautes d’orthographe, c’est déjà une bonne chose.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Pour tout ça le plus simple c’est de prendre un des points d’entrée qui sont notre mail, contact@regardscitoyens.org, regards au pluriel, citoyens au pluriel, tout attaché point org, ou de venir sur notre chat IRC qui est #Regards Citoyens sur Freenode pour les gens qui connaissent encore IRC.

Frédéric Couchet : Je suppose qu’il y a un lien sur votre site qui permet d’y accéder.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Oui.

Frédéric Couchet : Je vais rappeler justement les sites importants, comme tu viens de le dire regardscitoyens au pluriel point org, NosDéputés.fr, NosSénateurs.fr, lafabriquedelaloi.fr et je suppose qu’il y a encore d’autres sites.
En tout cas merci, parce que Regards Citoyens est un collectif d’utilité publique qui est effectivement souvent décrié et totalement à tort. J’ai été ravi de vous avoir et je pense qu’on refera sans doute une seconde émission parce que la liste des sujets qu’on pouvait aborder n’est pas terminée, mais comme vous êtes passionnés c’est normal.
Nos invités étaient donc Benjamin Ooghe-Tabanou et David Gayou. Je vous souhaite de passer une agréable fin de journée et à bientôt.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Merci.

David Gayou : Merci.

Frédéric Couchet : C’était un sujet avec Regards Citoyens enregistré il y a quelques jours.

Avant la pause musicale on va répondre aux questions du quiz. La deuxième question justement c’était : quels sont les deux sites du collectif Regards Citoyens qui cherchent à mettre en valeur l’activité des parlementaires. Comme l’ont expliqué David Gayou et Benjamin Ooghe-Tabanou ces sites sont NosDéputés.fr et NosSénateurs.fr.
L’autre question : lors de l’émission du 8 octobre 2009 nous avons parlé d’un groupe de musique de stoner qui publie ses titres sous licence libre. Je vous demandais quel était le nom de ce groupe. Le groupe c’est Stone From the Sky et leur site web c’est stonefromthesky.fr.

On va passer à une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter El Jefe par San Blas Posse. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.

Pause musicale : El Jefe par San Blas Posse.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter El Jefe par San Blas Posse disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique de Xavier Berne sur les trois ans de la loi pour une République numérique

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique de Xavier Berne, journaliste à Next INpact, qui va nous parler des trois ans de la loi pour une République numérique. Xavier est-ce que tu es avec nous au téléphone ?

Xavier Berne : Je suis là. Oui. Bonjour.

Frédéric Couchet : Bonjour Xavier. La loi pour une République numérique, également connue sous le nom de loi numérique ou loi Lemaire du nom de la secrétaire d’État qui a porté ce texte devant le Parlement, donc Axelle Lemaire, a fêté ses trois ans il y a quelques jours. Xavier, quel bilan peut-on tirer de cette loi trois ans après son entrée en vigueur ?

Xavier Berne : Trois ans plus tard j’ai envie de dire qu’on a l’impression d’être face à un texte qui a assez mal vieilli. Par exemple sur les données personnelles, la plupart des dispositions relatives à la protection des données personnelles ont été rendues, en quelque sorte, caduques suite à l’entrée en vigueur l’année dernière du RGPD, le fameux règlement européen relatif à la protection des données. Pour vous donner un exemple un peu plus concret, la fameuse loi numérique étendait le pouvoir de sanction de la CNIL, le gendarme des données personnelles, qui a ainsi été autorisée à infliger des amendes pouvant atteindre trois millions d’euros et, à l’époque, c’était vraiment un sacré changement étant donné que le plafond en vigueur était de 150 000 euros ; c'était vraiment rien du tout pour les gens du Net comme Google ou Facebook ! Sauf qu’on est passé de 150 000 à trois millions d’euros et, avec le RGPD, maintenant la CNIL peut aller jusqu’à 20 millions ou même, pour les entreprises, 4 % de leur chiffre d’affaires annuel mondial. On n’est plus du tout sur le même braquet.

Deuxième chose : en trois ans il y a eu aussi beaucoup de détricotage. En clair, c’est que le législateur est venu réécrire certains des dispositifs qui venaient d’être votés. On a vu ça par exemple au sujet de la mise en ligne en open data des décisions de justice, on a vu ça sur le droit à la récupération de ses données qui a sauté avant même d’entrer en vigueur ou bien aussi sur le sujet des règles d’accessibilité des sites publics aux personnes handicapées ; je pourrais aussi vous parler des dérogations à la transparence des algorithmes notamment de Parcousup. On a en déjà parlé dans le cadre d’une précédente chronique.

Pour résumer on a des mesures qui sont périmées, on a des mesures qui sont détricotées et puis on a aussi, troisième problème, des mesures qui restent inapplicables faute de décrets d’application. C’est-à-dire qu’en trois ans le gouvernement n’a toujours pas pris les textes relatifs par exemple à la mise en ligne des décisions de justice ; il manque aussi un décret pour les dispositions sur ce qu’on avait appelé à l’époque la mort numérique, c’est-à-dire, en fait, ce qu’il est prévu en cas de décès par rapport à nos données, notamment celles qu’on laisse sur les réseaux sociaux.
Je ne vais pas tout énumérer ici, mais, au total, on attend quand même encore entre cinq et dix décrets ou arrêtés.

Enfin, dernier problème, c’est que beaucoup de mesures ont beau être à la fois en vigueur, avoir leur décret d’application, elles ne produisent pas toujours les effets escomptés. On en a déjà parlé sur la question de la transparence des algorithmes publics, comme je disais tout à l’heure. Clairement, ce n’est pas parce que la loi introduit certaines obligations, notamment à destination des administrations, que celles-ci sont forcément respectueuses.
Je pourrais aussi vous donner un autre exemple qui est celui du droit au maintien de la connexion internet, qui avait été introduit sur le même modèle que ce qui est prévu pour l’eau et l’électricité afin d’aider les foyers en difficulté financière et, sur ce dossier, malheureusement, on voit bien qu’on en est resté au stade des expérimentations. On a le même problème sur une autre mesure qui était sur le « dites-le nous une fois », un programme qui devait éviter aux citoyens, en fait, de fournir à l’administration plusieurs fois les mêmes justificatifs. Là on a les dispositions législatives, mais la mise en œuvre sur le terrain prend beaucoup de temps.

Frédéric Couchet : D’accord. Avant de te poser une question pour savoir ce qui reste dans cette loi, ce qui est intéressant c’est que quand tu parles de décrets d’application tu expliques, peut-être que les gens qui écoutent ne le savent pas, ce n’est pas parce qu’une loi a été votée, en l’occurrence la loi numérique il y a trois ans, qu’elle est applicable immédiatement, que tous ses articles sont applicables, parce que certains articles demandent ce qu’on appelle des décrets d’application, qui peuvent être pris notamment par le gouvernement, pour entrer en pleine action. Comme tu l’expliques il manque un certain nombre de décrets pour que cette loi entre complètement en vigueur. C’est important de le savoir : ce n’est pas parce qu’une loi est votée que tout entre en vigueur immédiatement.

Xavier Berne : Absolument. Il y a une autre chose qu’il est aussi important de préciser : ce n’est pas parce que la loi est promulguée que les mesures qui sont dedans entrent forcément en vigueur. La loi peut très bien dire « tel article entre en vigueur telle année ». Et c’était notamment le cas effectivement pour la loi numérique où il y a quand même pas de mal de mesures qui sont entrées en vigueur uniquement l’année dernière.

Frédéric Couchet : Tout à fait. J’invite les personnes qui écoutent l’émission à retrouver les podcasts notamment de ta chronique, sur april.org ou causecommeune.fm, parce que tu as déjà eu l’occasion d’aborder un certain nombre de ces points-là.
Là tu as expliqué un petit peu les détricotages, les mesures qui n’ont pas produit les effets escomptés, les décrets qui manquent à l’appel. Qu’est-ce qui reste, en fait, dans la loi numérique ?

Xavier Berne : J’avoue que je me suis quand même bien posé la question en préparant cette chronique. C’est difficile de voir des choses vraiment très impactantes d’une certaine manière et qui restent aujourd’hui dans le droit. Je pourrais quand même citer quelques exemples : il y a eu un toilettage, en fait, du code pénal — il y avait des lacunes dans le droit — pour lutter contre ce qu’on appelle le revenge porn afin de sanctionner plus facilement les agissements des internautes qui jettent en pâture sur Internet des images intimes de leurs ex-partenaires. Je pense que là-dessus ça a quand même produit des effets, ça a été assez intéressant.
Il y a des choses sur la reconnaissance des compétitions de sport électronique, le e-sport.
On peut dire que ce qui reste c’est quand même le volet sur l’open data, d’une manière générale, l’open data c’est l’ouverture des données publiques. Il y a énormément de dispositions, alors c’est assez varié, il a beaucoup de choses, mais globalement l’idée c’était d’obliger les administrations à mettre en ligne sur leur site internet différents documents qu’on dit administratifs et qui sont donc susceptibles d’intéresser les citoyens au sens large. Ça peut être des statistiques, des documents sur le fonctionnement budgétaire des collectivités territoriales, ça peut être vraiment plein de choses, des codes sources, des rapports, etc. Je pense que c’est ce qui risque de rester de cette loi numérique, de cette loi Lemaire, quand bien même, pour l’heure, les effets ne sont pas forcément au rendez-vous, puisque, comme on le disait un peu tout à l’heure, il y a des mesures qui ne sont entrées en vigueur que l’année dernière, deux ans après la promulgation du texte, aussi parce que ce sont des choses qui sont difficiles à mettre en œuvre pour les administrations, je pense, pour diverses raisons.

Frédéric Couchet : D’accord. J’en profite pour signaler que sur la partie open data j’invite les personnes qui nous écoutent à réécouter le podcast de l’émission du 2 octobre 2018 où tu intervenais avec Tangui Morlier de Regards Citoyens qui a été évoqué juste avant et Laurence Comparat de la ville de Grenoble.
Autre question : est-ce une fatalité, donc quelque chose qui arrive finalement à tous les textes de loi, ou est-ce que c’est quelque chose qui a été sciemment organisé pour ce projet de loi ?

Xavier Berne : En matière de numérique les choses évoluent très vite. Le législateur est presque toujours à la traîne, donc ce n’est pas vraiment une grosse surprise, en fait, on savait que le RGPD allait arriver, etc. Beaucoup de mesures, notamment celle que j’ai prise en illustration sur le pouvoir de sanction de la CNIL, étaient, en fait, des mesures transitoires.
On peut dire globalement que cette sorte de vieillissement accéléré, si on peut l’appeler comme ça, est surtout liée au foisonnement de textes en provenance de l’Union européenne parce qu’il y a eu aussi pas mal de directives, des règlements. J’ai parlé du RGPD, mais ce n’est pas le seul. Il y en a eu aussi sur le domaine des transports qui ont impacté d’autres mesures de la loi numérique, mais ça n’empêche pas que, sur certains sujets spécifiques, on peut quand même vraiment dire qu’il y a eu des reculs sous l’impulsion de la nouvelle majorité macroniste, l'exemple type c’était sur les dérogations à la transparence dans le cadre de Parcoursup.
La dernière chose qu’on peut dire aussi c’est que, comme dans quasiment chaque texte de loi, il y a toujours des mesures qui relèvent vraiment de l’affichage, du blabla législatif qui est là pour faire plaisir à certaines personnes ou certaines communautés. Voilà ! Ça dépend des textes. Je pense qu’ici, pour le projet de loi numérique, une bonne illustration c’était sur le fait que l’administration devait encourager l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts, qui avait suscité beaucoup de débats à l’époque. On était resté finalement un petit peu au milieu du gué, en prévoyant un simple encouragement et on voit aujourd’hui que c’est très dur de voir s’il y a vraiment eu un encouragement ou pas. De toute manière, qu’est-ce que ça veut dire concrètement, sur le plan législatif en tout cas, de devoir encourager l’utilisation de logiciels libres et de formats ouverts ?

Frédéric Couchet : C’est un excellent exemple parce que nous, à l’époque, on s’est mobilisés pour qu’il y ait une priorité au logiciel libre dans le service public, c’est beaucoup plus normatif, et effectivement, comme tu l’as dit, ce qui est resté c’est un encouragement qui n’est absolument pas normatif et qui visait plus à nous faire plaisir ou à faire plaisir aux communautés libristes. En fait, ce que les politiques n’ont pas compris, c’est qu’on ne cherche pas à avoir du plaisir, on cherche à avoir des choses qui sont efficaces, donc priorité au logiciel libre via les marchés publics avec un vrai sens normatif.
Dernière question, c’est la loi Lemaire de l’ancienne secrétaire Axelle Lemaire. Aujourd’hui on a nouveau secrétaire d’État au numérique, Cédric O, est-ce qu’on doit s’attendre à une nouvelle loi numérique ?

Xavier Berne : Clairement ce n’est pas au programme aujourd’hui, en tout cas dans la mesure où la fameuse loi Lemaire était très vaste, elle traitait de très nombreux sujets en lien avec le numérique. La nouvelle majorité avance dans le couffin d’air, d’une certaine manière, puisqu’elle légifère de manière sectorielle en traitant du numérique en fonction des sujets. Par exemple, on a eu la proposition de loi sur les contenus haineux sur Internet qui va bientôt être discutée au Sénat, il y a eu du numérique dans le récent projet de loi sur la santé, sur les mobilités ; là on en reparle avec le projet de loi sur l’économie circulaire, ou même, en ce moment, dans le cadre du projet de loi de finances. Mais il n’y aura pas, à mon avis, de grosse loi sur le numérique. En tout cas, pour l'instant, il n’y a rien qui a été annoncé, il n’y a rien qui se profile pour les prochains mois.
Il y a aussi un fait qui le prouve bien c’est que normalement, trois ans après la promulgation d’un texte de loi, l’Assemblée nationale doit installer une mission d’évaluation du texte qui vient de fêter ses trois ans. Or, d’après mes informations, à l’Assemblée il n’y a pas eu pour l’heure de député qui s’est manifesté pour procéder à une évaluation de la loi Lemaire. La semaine dernière j’ai essayé de contacter différents parlementaires pour parler du numérique et aucun ne m’a répondu, donc voilà ! Je pense que ça montre qu’il y a peu d’entrain pour se pencher sur ce texte qui, en plus, a été voté sous une autre majorité. Toujours d’après mes informations, Paula Forteza, députée La République en Marche, s’intéresserait malgré tout au dossier, mais j’ai vu hier qu’elle venait de se voir attribuer une autre mission sur l’identité numérique. Donc je pense qu’on n’est pas près de voir une mission d’évaluation de la loi Lemaire qui serait pourtant, à mon avis, bien utile au regard de ce petit bilan que je viens de vous dresser au pied levé.

Frédéric Couchet : D’accord. Écoute merci Xavier et on verra s’il y a une nouvelle loi qui arrive. Je te souhaite une bonne journée et on se retrouve le mois prochain pour ta prochaine chronique ?

Xavier Berne : Ça marche. Merci. Au revoir.

Frédéric Couchet : Au revoir.
Nous approchons de la fin de l´émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Annonces

Frédéric Couchet : Nous sommes le 15 octobre 2019, eh bien les collectivités, justement, qui souhaiteraient mettre en valeur leurs actions logiciel libre et données publiques peuvent candidater jusqu’à ce mardi soir à minuit pour le label Territoire Numérique Libre, organisé par l’ADULLACT, l’Association des développeurs et utilisateurs de logiciels libres dans l’administration et les collectivités territoriales. L’April est partenaire de ce label Territoire Numérique Libre, c’est territoire-numerique-libre.org, donc jusqu’à minuit ce 15 octobre.

L’appel à conférences pour l’Ubuntu Party qui a lieu les 16 et 17 novembre 2019 se poursuit. Vous allez sur ubuntu-paris.org et vous pouvez proposer une conférence.
C’est notamment l’occasion de saluer Olive et Charlotte qui coaniment l’émission Dissonances sur Cause Commune chaque lundi de 12 heures à 13 heures 30, émission qui parle de musique, d’histoire, de science, de l’actualité en Île-de-France et de politique.

Dans les autres annonces, il y a pas mal d’apéros cette semaine.
Il y a l’apéro parisien du Libre ce soir dans le 14e, c’est évidemment annoncé sur l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.
Il y a un apéro April le 17 octobre à Montpellier.
Il y a un apéro April le 18 octobre à Paris dans nos locaux.
Jeudi soir 17 octobre, il y a la soirée de contribution au libre à la FPH dans le 11e et il y a la réunion du groupe de travail Sensibilisation ; ma collègue Isabella Vanni vous a conté tout à l’heure un certain nombre de projets, vous a invités à participer, donc n’hésitez pas à venir à cette réunion.

Tous les autres évènements sont bien sûr annoncés sur l´Agenda du Libre, agendadulibre.org.
Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l´émission du jour : Isabella Vanni, David Gayou, Benjamin Ooghe-Tabanou, Xavier Berne. Aux manettes de la régie aujourd’hui Étienne Gonnu.

Vous retrouverez sur notre site web april.org et sur le site de la radio, causecommune.fm, toutes les références utiles. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues. Vous pouvez aussi nous envoyer un courriel à l’adresse libreavous@april.org.

Nous vous remercions d´avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous.
La prochaine émission aura lieu mardi 22 octobre 2019 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les espaces publics numériques libres.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 22 octobre 2019 et d´ici là portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.