Interview de Hervé Le Crosnier - Bonus de Philippe Borrel - Internet ou la révolution du partage

Hervé Le Crosnier

Titre : BONUS ITV Hervé Le Crosnier/Bonus N°1 du docu Internet ou la révolution du partage
Intervenant : Hervé Le Crosnier
Lieu : Arte - Documentaire de Philippe Borrel Internet ou la révolution du partage
Date : mai 2019
Durée : 4 min 30
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Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : copie d'écran de la vidéo
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

En fait les gens qui ont construit l’Internet l’ont fait de manière ouverte entre eux, donc on a une communauté des développeurs qui ont fait l’Internet et ils l’ont fait pour que cet Internet serve de support à des applications qui allaient être libres, ouvertes, que personne n’allait décider, mais qui allaient se mettre en place sur ce commun de l’Internet qu’ils avaient construit. C’était leur philosophie de travail. Ce qu’ils n’avaient pas prévu c’est qu’il y aurait beaucoup d’argent à gagner sur les applications, parce que c’est venu beaucoup plus tard, c’est venu à partir du milieu des années 90, à partir de la création de Amazon, par exemple, en 1994 et peut-être un symptôme de ça c’est : on va passer non plus d’un échange entre des individus sur un mode horizontal, mais bien sur une entreprise qui a un objectif visant de la population, visant des individus usagers, pour capter à son bénéfice au début leur commerce, puis leurs données, puis l’ensemble de leur activité, de leurs traces humaines dans la vie.

Un programme informatique aujourd’hui il enregistre. Toutes les connaissances, les savoirs du monde sont quelque part dans les systèmes informatiques. Or, on le voit bien avec les médias sociaux par exemple, nous agissons dessus, nous croyons voir, mais nous ne voyons que la surface. Toute l’utilisation des traces qui se réalise en dessous, toutes les interprétations qui sont faites par des algorithmes nous échappent, parce que le système n’est pas libre, parce que personne ne sait réellement ce que fait Facebook avec nos usages et nos pratiques.
L’intérêt du logiciel libre1 c’est justement d’être transparent sur ce qui va être fait et donc de garantir qu’il n’y a pas des chevaux de Troie installés à l’intérieur d’un logiciel, qu’il n’y a pas des choses qui vont être contraires à la liberté d’usage de l’utilisateur.

En fait, quand on prive les gens du savoir, quand on les prive du droit d’usage sur des produits qu’y compris ils ont achetés, les gens ne le supportent pas. Ils ont envie de hacker le système. Et ce qu’il y a de bien avec l’informatique, avec les logiciels libres au démarrage, c’est qu’ils peuvent le faire ; il suffit d’apprendre à faire de l’informatique pour hacker le système. Ce qui a fait que des milliers et des milliers de personnes ont créé des sites web au tout début des années 90 à partir de savoirs qui étaient transmis comme ça, qui n’avaient été prévus par personne.
C’est ce qui fait qu’aujourd’hui les paysans ont de plus en plus envie de savoir ce qu’ils plantent, de maîtriser leur chaîne de production et donc d’utiliser des semences fermières, de créer un réel commun de la semence qui ne soit pas dépendant de grandes entreprises où on ne sait plus trop quelle est la qualité, l’adaptation du produit.
C’est le succès des fab labs2 dont il faut tenir compte. Les gens ont envie d’apprendre à faire des choses et ils le font, c’est ça qui est intéressant. On voit des tas de communs se développer dans tous les domaines d’activité. On voit des gens qui créent des activités coopératives, des jardins partagés à l’intérieur des villes, qui créent des villes résilientes et ça, ça construit du commun. Et les gens le font de manière plus ou moins spontanée, souvent sans utiliser le mot. Le mot « commun » c’est nous universitaires qui le mettons quand on regarde des pratiques très diverses, mais les gens font leurs échanges de graines, ils font leurs fab labs, ils font leurs fabrications coopératives, ils font les jardins partagés, ils le font sans mettre un mot dessus.
C’est important d’avoir aussi des intellectuels qui regardent les choses et qui disent : « Là il y a des ressemblances, il y a tout un mouvement, toute une dynamique par en bas qui dit "nous voulons nous réapproprier le monde". » Et ça c’est la dynamique du commun. Et nous voulons le réapproprier de manière coopérative, collaborative, ensemble, pas tout seuls. Ça existe, ça promet une nouvelle société. Ouvrons les yeux et servons-nous-en pour nous coordonner.
S’il y a un retour des communs aujourd’hui c’est parce que le numérique nous a remis cette question du partage, cette question d’échange au goût du jour.