Le 5 juin dernier, Eben Moglen, professeur de droit de l'université de Columbia à New-York, nous a fait l'honneur de venir nous parler sur le thème Culture et Internet.
Eben Moglen est professeur de droit et d'histoire du droit à l'Université Columbia de New-York. Il est connu pour ses contributions à la licence de logiciel libre GNU GPL dont il a dirigé la récente révision et préside le Software Freedom Law Center. Mais c'est avant tout un analyste perçant des enjeux sociaux et culturels des techniques de l'information et de la communication. Il situera les débats sur des propositions législatives en France et en Europe (comme la loi Olivennes) dans une perspective plus générale : celle du développement culturel, démocratique et économique de nos sociétés. Pour en savoir plus, consulter la page que le Wikipedia anglophone consacre à Eben Moglen.
Les 10 premières minutes de son exposé sont en français, la suite et les questions/réponses en anglais. La conférence est introduite par Jean-Marc Manach pour la FING et Philippe Aigrain pour La Quadrature du Net.
Vous trouverez ci-dessous la vidéo de son intervention que nous sommes en train de sous-titrer.
Conférence d'Eben Moglen, 5 juin 2008, Culture et Internet
Jean-Marc Manach, FING
Bonjour, je suis Jean-Marc Manach je suis membre de la FING la Fondation Internet Nouvelle Génération
On est très content de vous accueillir ce soir ainsi qu'Eben Moglen
Il y a quelques temps de cela la FING avait lancé un groupe de travail qui s'appelait "musique et Internet" au moment
d'un projet de loi nommé DADVSI
Tout le monde était en train de s'écharper et la FING avait fait le pari d'essayer de voir dans quelle mesure des personnes aux positions irréconciliables pouvaient se retrouver pour discuter autour d'un thème qui était "Musique et Internet".
On avait réussi à ce que le débat essaye d'avancer que les gens essayent de trouver comment s'en tirer par le haut
et sortir des conflits, des guerres qu'il y avait en permanence
aujourd'hui, il y a un projet de loi qui s'appelle "Création et Internet" et c'est reparti on est reparti avec les mêmes problèmes qui avaient été posés par DADVSI, voire pire et on est trés content d'avoir Eben Moglen car son point de vue sur l'environnement "Création est Internet" évite les ornières et revient à des principes de base : la liberté
du citoyen dans ce qu'est Internet.
Je vais laisser Philippe Aigrain présenter le parcours et la personne.
Philippe Aigrain, La Quadrature du Net
Bonsoir, je suis Philippe Aigrain un des animateurs de la Quadrature du Net qui est un petit collectif citoyen
dont l'évènement déclencheur est le dépôt la préparation, les rumeurs d'un certain nombre de textes législatifs,
mais notre ambition est, vous allez le voir, plus profonde.
Il est vrai que nous étions très inquiets des dispositions prévues par les différents textes que nous considérons comme dangereuses pour les libertés pour le fonctionnement normal de la séparation des pouvoirs et même pour le développement d'un certain nombre d'activités
Nous avons aussi été indignés des modes de préparation de la législation depuis très longtemps, et de la très mauvaise gouvernance démocratique de ces préparations.
mais toutes ces réactions négatives ne sont rien à côté du sentiment d'une occasion perdue qui est celle de débattre plus au fond du futur que nous voulons pour nos sociétés et du rôle que tiennent les échanges informationnels dans ce futur, et des nouveaux paysages qui tracent pour la culture
Cela nous conduit à avoir des débats législatifs ou réglementaires où les options envisagées sont complètement tronquées, où seul un petit ensemble d'option est envisagé, et surtout où l'on perd de vue les perspectives.
Dans cet esprit, nous sommes particulièrement heureux de pouvoir donner la parole à Eben Moglen.
Eben Moglen et professeur de droit et d'histoire de droit à l'Université de Columbia.
Il est connu depuis longtemps pour avoir été le conseil de la fédération du logiciel libre, la FSF, puis pour avoir fondé et dirigé un organisme une fondation à but non lucratif, qui travaille à l'environnement juridique des logiciels libres et qui s'appelle le Software Freedom Law Center.
Mais en dehors de cet univers du logiciel libre, Eben est aussi un penseur de fond sur les enjeux ce que l'on a appelé
il y a quelques années "la société de l'information" maintenant dans certains cercles on n'en parle même plus... et il propose une combinaison qui est extrêmement rare qui est une pensée radicale, et en même temps une activité d'ingénieur de consensus et de compromis
Ceux qui ont suivi le processus de révision de la licence libre GPL ont pu témoigner que l'on avait une expérience de gouvernance à l'échelle planétaire d'un processus où les acteurs étaient extrêmement dissymétriques c'était à la fois Intel, IBM, et un développeur isolé en Croatie ou au Brésil et malgré cela on a pu avoir quelque chose qui, dans son propre champ, est un modèle
Eben est un penseur radical, et ce soir c'est à lui que nous allons donner la parole c'est à cette casquette. mais rappelez-vous que radical, cela veut dire ... comme Jean-Marc l'a dit, revenir à la racine des choses, et c'est ce que je crois.
Eben Moglen, Université de New-York Columbia
Mesdames et messieurs, Je me sens très honoré d'être ici ce soir je remercie les organisateurs, particulièrement Philippe Aigrain.
Plusieurs escarmouches ont eu lieu autour des industries culturelles depuis dix ans, mais une bataille plus décisive
s'est déclenchée ici et maintenant.
Les soi-disants propriétaires de la culture ont essayé plusieurs stratégies dans le passé pour empêcher la transformation des échanges culturels.
Ainsi, par exemple, 37000 personnes ont été poursuivies aux Etats-Unis pour partage de fichiers musicaux par les groupes d'intérêts représentant les majors musicales.
77 millions de dollars ont ainsi été gagnés par ces industriels, dont ils n'ont pas versé un centime aux musiciens.
Comme nous l'avions prévu, ces actions coercitives n'ont en rien empêché la reprise en main de la distribution culturelle par les jeunes du monde entier.
A côté des actions juridiques, les "propriétaires" ont aussi essayé de contrôler les technologies de traitement de l'information, en y installant des DRMs, abusivement appelés systèmes de gestion de droits numériques, alors qu'il ne s'agit que de systèmes de contrôle des actions des usagers.
Mais ces efforts ont aussi été sans effet.
A vrai dire, l'utilisation des DRM est peut-être plus dangereuse pour l'industrie musicale et technologique que les actions des enfants partageurs.
Comme les efforts de contrôler directement les comportements du public et les technologies de reproduction étaient aussi inefficaces les uns que les autres, comme les industries propriétaires ne pouvaient pas risquer d'être encore plus détestées par leurs clients, ils mettent maintenant en avant une nouvelle stratégie.
Elle consiste à forcer les opérateurs de réseau et l'état à agir à leur place.
Ils arrivent en Europe, équipés d'une métaphore de baseball, la three-strike approach, baptisée ici, je crois "riposte graduée", mais dont le sens au base-ball est, je vous le rappelle, 3 coups et je vous met dehors.
Cette métaphore, au-delà de son origine américaine, est fondée sur une hypothèse : l'idée qu'il existerait un "dehors".
Mais tous ceux qui voient plus loin que le besoin de soulager les souffrances d'un business particulier sont conscients des efforts et des investissements que nous avons consacrés à développer une infrastructure informationnelle qui ne laisse personne "dehors".
Mettons-nous donc d'accord sur le fait que de décider que quelqu'un sera placé "dehors", exclu de l'internet,
est en contradiction insoluble avec les objectifs des pouvoirs publics du 21ème siècle.
Au lieu de nous préparer à exclure une génération du net parce qu'elle croit au partage, notre intention doit être
d'encourager et construire les technologies et les comportements sociaux qui rendent le partage inévitable.
Je m'attends donc à entendre bientôt parler d'une riposte graduée sans conclusion : "3 strikes mais pas dehors".
Sous prétexte de l'absence de sanctions formelles, on prétendra qu'il est acceptable que des personnes soient accusées de violations ou d'être même des pirates, sans même avoir la possibilité de répondre.
Non seulement le processus de riposte graduée est inacceptable, mais son déroulement ne vaut pas mieux que ce soit pour le fournisseur d'accès ou pour la haute autorité dont la mise en place est prévue on est en pleine confusion des rôles.
L'alternative serait, nous dit-on d'affamer les artistes sans rémunération et de provoquer l'effondrement de nos civilisations.
Heureusement, ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent.
How do they actually work? So let me try to indicate how they actually work, now.
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