Développement du logiciel libre, d’abord une affaire de sciences humaines - JP Mengual

Jean-Philippe Mengual

Titre : Et si le développement du logiciel libre était d’abord une affaire de sciences humaines ?
Intervenant : Jean-Philippe Mengual
Lieu : Rencontres Mondiales du Logiciel Libre
Date : Juillet 2017
Durée : 34 min 45
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Licence de la transcription : Verbatim

Description

Les défenseurs du logiciel libre trouvent souvent leur adversaire dans ceux promouvant les licences privatrices, les formats fermés, les réglementations, etc. Ils admettent une difficulté à communiquer auprès du grand public mais l’effort qui est pratiqué s’essouffle souvent trop vite. La seule distribution qui a commencé à ouvrir le libre au public a été fondée par un entrepreneur.

Mais à bien regarder certains dossiers clés (accessibilité par le logiciel libre, quelques migrations), il est facile de découvrir que la difficulté du libre pour s’étendre est d’abord une affaire de sciences humaines. Incapacité à se définir comme facteur d’inclusion, à rassurer les néophytes, à leur offrir des solutions à leurs attentes consuméristes, comment le libre peut-il mieux prendre en compte ces réalités ? Quel rôle doit avoir le lobbying politique face à la recherche en psychologie, voire psychologie des organisations ? Comment aller chercher de nouvelles forces pour promouvoir et pas seulement montrer un savoir-faire (exemple de Véronique Bonnet) ?

Transcription

Bonjour à tous et merci d’être là. Effectivement le sujet du jour va être de s’interroger si le développement du logiciel libre, d’un point de vue plus large que ce qu’il n’est aujourd’hui, ne serait pas tout simplement une affaire de sciences humaines.

Il n’y a pas de slides effectivement là-dessus, de nouveau, parce que je le fais en mode un peu plus proposition de théories à analyser ensemble. J’ai quand même apporté cet ordi pour vous montrer un ou deux exemples d’interfaces qui, justement, sont vachement bien pour le grand public, vous allez voir pourquoi.

Pour commencer, je dirais que le logiciel libre, au départ, il ne faut pas oublier que c’est un projet d’abord éthique selon notre ami Richard Stallman ; liberté, égalité, fraternité, [Jean-Philippe prononce cette expression en imitant l’accent de Richard Stallman], c’est important quand même ces concepts. Pour autant, il n’a pas empêché d’attirer des techniciens, beaucoup de techniciens, les gens qui font du Unix, les gens qui font du développement, les gens qui font de l’administration système, c’est à eux que Linux parle aujourd’hui, GNU/Linux ou Linux parle aujourd’hui. Et c’est tellement vrai que ce sont les techniciens qui ont pris le relais là-dessus, qu’aujourd’hui on ne parle même plus vraiment de logiciel libre dans le monde professionnel mais d’open source. Vaste débat sur lequel on ne va pas revenir, mais l’open source c’est effectivement une prédominance technique plus, justement, qu’un problème éthique. Prière de ne pas faire la confusion, [Jean-Philippe prononce ces mots en imitant l’accent de Richard Stallman]. Donc ça c’est important pour Richard aussi ce problème-là.

Donc il a été créé par les techniciens, il vit par beaucoup de techniciens quand même aujourd’hui et le résultat c’est qu’on remarque une chose, un phénomène quand même assez extraordinaire, c’est que, maintenant, ce n’est plus tellement un problème du libre qui est en train de se poser, c’est un problème de cloud. C’est-à-dire qu’aujourd’hui tous les clouds sont du logiciel libre, enfin beaucoup en tout cas, de clouds sont du logiciel libre, à part les clouds de nos amis Microsoft et Apple, mais dans l’ensemble beaucoup de clouds sont en logiciel libre. Oui, mais enfin c’est du cloud ! Donc est-ce qu’on maîtrise mieux son informatique dans ces conditions ou pas ? À partir du moment où on n’a pas confiance dans ceux qui font le cloud derrière, c’est tout un sujet. Donc est-ce que le libre a vraiment gagné ? Je n’en sais rien.

Pareil, quand on regarde l’écosystème. Vous allez faire un tour, si ça vous intéresse, aux Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre1 ; ce dont on se rend compte, en fait, c’est qu’aujourd’hui le libre, quand on le soutient, quand on le promeut et quand on travaille dans le logiciel libre, essentiellement, la préoccupation qui est au centre, c’est l’infrastructure, le web, l’hébergement, l’infogérance, bref tous les aspects tout à fait… Debian est payé, par exemple, dans une logique de professionnels ; c’est-à-dire que les dons que récupère Debian ce sont des dons de HP, ce sont des dons d’entreprises, de grandes entreprises, notamment parce que ces entreprises sont attachées à des projets comme Debian pour des raisons infra-structurelles. Red Hat c’est presque la même chose.

Alors pourquoi, dans ce cas-là, est-ce que le grand public est exclu ? OK, on dit souvent que le grand public n’est pas attiré par le libre parce que ce n’est pas forcément très stable toujours, parce que ce n’est pas très beau. Bon ! C’est partiellement vrai, et surtout je pense, tout simplement, que ça n’explique pas tout.

Ce qu’on peut dire dans un premier temps, c’est que le libre qui est donc d’inspiration humaniste, aujourd’hui, la situation est techno centrée. On va revenir là-dessus, sur ce côté très techno centré, qu’on va un peu développer et tenter de comprendre un petit peu les rouages de tout ça.

Pour dire ensuite que les initiatives d’inclusion et de médiation numériques, pour le coup, qui là incluent forcément le grand public et, en particulier, le public le premier concerné par l’importance du numérique que sont les personnes en situation de handicap, mais elles n’auront pas de succès et elles n’ont d’ailleurs pas un succès énorme, ça reste marginal, faute d’avoir des sciences humaines.

Ce sont un peu les deux grandes idées qu’on va essayer d’étudier ensemble et sur lesquelles je prendrai ensuite, évidemment avec grand plaisir, vos avis et commentaires, pour savoir un petit peu ce que vous en pensez.

Le libre, donc, est une idée éthique ; je crois que là-dessus il n’y a pas de sujet, c’est une éthique, évidemment d’inspiration américaine, quand même, donc très centrée sur la liberté, la fameuse liberté 0, notamment, que Richard ne veut absolument pas lier à l’accessibilité parce que ça serait dramatique et que l’accessibilité pour lui c’est… Voilà ! Donc il ne veut surtout pas lier ça à la liberté 0, mais la liberté c’est au centre de l’écosystème du libre, de toutes les licences libres produites par la Free Software Foundation et autres documents de ce genre. Avec ses limites, d’ailleurs, pour le coup là c’est l’approche un peu plus FSFE [Free Software Foundation Europe] et un peu plus celle dans laquelle, personnellement je tends à m’inscrire : c’est-à-dire que cette liberté, selon Richard Stallman, doit tout dépasser, même le progrès. Pourquoi pas ? Mais par exemple, on assume du coup sans problème des paradoxes du type « on peut être moins libre, concrètement, à partir du moment où théoriquement on est plus libre ». Parce que c’est ça, en fait, aujourd’hui, le débat sur la liberté 0 qui est mené entre nous et Richard Stallman. C’est-à-dire que lui considère que la liberté 0 est satisfaite dès lors que juridiquement et théoriquement elle est possible. Et nous on lui dit : « Eh bien non ! Si le logiciel est sous une bonne licence mais que derrière, alors qu’on est libéré parce qu’on a un iPhone et qu’on arrive à mieux se déplacer parce qu’il est plus accessible qu’un logiciel libre, est-ce que le logiciel libre est vraiment libérateur ? Ce n’est pas si certain ! » Donc c’est un débat. On voit tout de suite que même cette aspiration éthique est déjà sujette à beaucoup de débats, mais ça, pour le coup, c’est normal, ça fait partie de la vie éthique d’un projet.

Une fois qu’on a dit ça, OK, c’est un projet éthique. Malgré tout, on se rend compte que, et c’est presque bon signe j’ai envie de dire, la démonstration de force du logiciel libre reste d’abord technique. D’abord par les traductions. Il suffit de lire certains termes pour se rendre compte que les traductions sont parfois choisies à des fins complètement techniques. Je prendrai un seul exemple que je pourrais presque vous montrer à l’écran, mais qui n’a pas un intérêt énorme non plus. Ça c’est un outil pour lire l’écran vocalement, pour qu’un aveugle soit capable d’accéder à son écran. Et ici, il y a une boîte de dialogue dans laquelle on retrouve les préférences du logiciel pour personnaliser un peu ce que la synthèse vocale envoie ou n’envoie pas. Et là on lit une option qui s’appelle « Lire la position fille » [Sifflement de Jean-Philippe]. C’est très cohérent en anglais : Speak (???) the child position. Déjà child et « fille », ce n’est pas tout à fait le même concept, mais enfin bon ! Pourquoi pas. Mais alors de toutes façons, dans tous les cas, vous montrez ça à un aveugle normal j’ai envie de dire, qui n’est pas geek, ni power user, ni rien. Le gars, il est là et vous lui dites : « Voilà, tu peux régler la position fille. » Et en plus, quand vous allez comprendre à quoi ça correspond, ça va vous faire bizarre. C’est-à-dire qu’en fait, ça correspond à la capacité qu’a la synthèse vocale, quand on a un bureau par exemple où il y a, je ne sais pas, quatre icônes et que vous êtes sur la deuxième, eh bien la synthèse vocale va vous dire : « Là tu es sur la deuxième icône parmi les quatre existantes. » Eh bien ça, ça s’appelle « Lire la position fille ! » Si ça ce n’est pas purement technique, à un moment donné, je ne sais pas comment on peut dire !

Pareil, un autre concept dans le même outil, du coup j’en profite pour vous montrer un peu les rudiments du lecteur d’écran vocal : à un moment donné, quand on est en terminal - allez on va le faire en démo puisqu’on a un écran, on va en profiter - on est en terminal et là, en terminal, il se trouve que quand vous tapez « ls » par exemple, voilà, on va essayer de taper « ls », le fait qu’il n’y ait pas le son n’a aucun intérêt, de toutes façons c’est du vocal, ça ne va pas vous parler ; vous allez trouver que ça parle trop vite, tout ça.

Là, le fait est que pour un aveugle il y a un problème parce qu’il ne peut pas remonter l’écran avec ses flèches de direction parce que vous savez tous qu’en terminal, si vous utilisez vos flèches de direction, vous remontez le curseur et vous remontez l’historique. Donc il va utiliser un autre curseur qui va lui permettre, en fait, de parcourir l’écran, visuellement on va dire, d’une certaine façon vocalement mais visuellement, pour lui, savoir les informations où ne peut pas aller le curseur du PC. Voilà et là on accède au reste de l’information.

Ce curseur, en anglais, on l’a appelé la flat review. Bon ! Pourquoi pas ? Ce n’est pas si incohérent que ça ; en anglais ça a du sens. Flat review, bon ! Flat on ne sait pas trop pourquoi, mais enfin ! Mais review parce que oui, ça permet de lire une autre partie de l’écran, etc. OK ! On l’a traduit en français par « révision globale » ou « examen global ». J’aime autant vous dire que quand vous faites de la formation et que vous présentez ça à une personne, ça la laisse dubitative.

Donc ça pour vous dire que ces approches-là, et c’est rigolo d’en parler, moi ça m’amuse toujours de les décrire parce que, fondamentalement, elles montrent une chose, c’est que, concrètement, ce sont des trucs qui ont été développés, écrits et pensés d’un point de vue ergo par des techniciens. Et ils ne se sont pas posé la question que par-delà la cohérence technique qui est réelle, quand on dit child position eh oui, c’est cohérent, parce que dans l’arborescence oui, c’est la position fille dans l’arborescence des objets de l’accessibilité, d’un point de vue purement technique. Oui ! Maintenant, d’un point de vue usage, évidemment, ça n’a plus aucune cohérence.

Pareil quand on regarde les interfaces. Les interfaces on peut les commenter, évidemment. On peut dire oui, bon, elles sont ce qu’elles sont, etc., oui, OK. Après, il se trouve qu’elles manquent un peu d’harmonie, mais pourquoi pas. Mais alors il y a quelques interfaces que je trouve quand même particulièrement savoureuses. Si je vais, par exemple, dans l’interface de Gnome, alors c’est un Gnome Color Chooser, c’est un vieux truc, ce n’est plus tout à fait utilisé aujourd’hui. Alors c’est ultra puissant cet outil, parce qu’il permet de personnaliser précisément l’ensemble des couleurs du système. C’est ce qui fait que je l’aime beaucoup. C’est qu'un malvoyant, grâce à ça, qui serait phobique de certaines couleurs ou qui serait dans une situation comme ça, il peut programmer ses couleurs.

Mais alors, je vous garantis que pour l’avoir essayé, c’est quand même très compliqué ! Quand on regarde un peu les différents onglets et les différentes options, il y a des noms assez obscurs. Même pour un ergonome, on est là : ah ouais ! Si vous prenez l’interface de Compiz CCSM, ce n’est pas triste non plus ! Enfin c’est un truc ! Bon ! D’abord ce n’est pas super accessible au clavier, mais ça c’est autre chose, mais même visuellement, l’interface n’est pas énorme quoi !

Et puis on le voit aussi ce techno centrage ou ce techno « centrement », on appelle ça comme on veut, quand on regarde les évolutions, en général, qu’on peut avoir dans le libre. Par exemple une certaine fondation décide que la version 2 est pourrie et qu’on passe à la version 3. Bon ! Eh bien passons à la version 3, on ne maintient pas la 2, ce n’est pas grave ! Eh bien oui, mais je sais que la version 3 ne marche pas, mais mes utilisateurs vont bien supporter les bugs pendant deux/trois ans, ce n’est pas grave ! Et c’est comme ça que Gnome se retrouve, du coup, un peu critiqué de part et d’autre parce que, précisément, il a réussi à éloigner les utilisateurs pendant deux ou trois ans. Et c’est toujours vrai aujourd’hui. Aujourd’hui, on considère qu’on supprime dans le toolkit d’accessibilité graphique, on supprime des objets parce qu’ils sont obsolètes. Ouais ! Enfin ils sont surtout utilisés par d’autres bureaux, en fait ; ce serait peut-être bien de les garder. Mais bon ce n’est pas grave, on continue.

Donc une approche purement gestion de projet, purement technique : jamais usage et jamais centrée sur l’utilisateur final. Et pire. Et pire ! On cherche à s’aligner sur Windows. C’est une erreur majeure ! Regardez les évolutions et les atermoiements des interfaces entre Windows 7, Windows 8 et Windows 10 ; même eux ils ne savent pas où ils vont et ils essaient d’évoluer en fonction de ce qu’on leur propose. Quand on regarde que Gnome 3 et Unity, finalement, ils essaient de se rapprocher le plus possible des qualités de Mac et de Windows, pourquoi pas ? Mais pourquoi on ne réinventerait pas quelque chose qui soit plus conforme à l’utilisateur ?

Donc c’est une approche totalement techno centrée. Et le libre aujourd’hui, il faut quand même le reconnaître, c’est souvent ça : l’humain a peu de place et il est fait et il vit, parce que c’est comme ça : sociologiquement, la population est principalement constituée de gens qui sont techniciens et qui ont une approche dont la logique correspond à la technique et à la logique et à la cohérence, voire à l’esthétique technique d’un arbre de dépendance, d’un arbre d’objets et d’un arbre. Et après tout pourquoi pas ? C’est juste que ce n’est pas suffisant et la preuve en est que dans le grand public, on n’arrive toujours pas à s’imposer.

Et c’est la raison pour laquelle, quand on se lance dans des initiatives d’inclusion, dans les initiatives de médiation, où le libre aurait toute sa place, là, on pourrait faire beaucoup mieux avec le libre pourvu qu’on y mettre des sciences humaines.

Parce qu’il y a eu quand même dans le libre et heureusement il y en a, des initiatives qui ont permis de faire un peu atterrir le libre et même le numérique en général. Si je prends l’exemple de Framasoft2, ils font un travail considérable de vulgarisation, de mise à disposition, typiquement la campagne Dégooglisons Internet3 de Framasoft est remarquable. Moi je n’aurais jamais installé un moteur de recherche alternatif tout seul à la main. Maintenant j’ai trouvons.org4, j’ai accès à un moteur de recherche alternatif qui me permet de me protéger de Google. Pareil pour Framadrop5, pareil pour tous les outils qu’ils ont pu développer par ailleurs. Donc ça, c’est une initiative qui permet justement de faire atterrir, de mettre à la portée de tous la philosophie technique qu’il y a derrière tout ça. Je prends cet exemple parce que c’est le plus symbolique en France, mais il y en a plein d’autres ; la FSFE, déjà, est un peu dans cette philosophie : de faire atterrir un peu le libre en fonction des problématiques sociétales concrètes.

Au sein des établissements publics numériques, on a vu aussi émerger, alors ce n’est plus trop le libre pour le coup, mais une tentative aussi de sortir le logiciel, le numérique, de son enfermement technique. Bon ! L’ennui c’est qu’il est généralement assuré par des gens qui ont fait BTS en technique, donc finalement, à l’arrivée, c’est la même chose. Mais en tout cas, il y a un effort, quand même, qui tente un peu de faire sortir le numérique d’une vision purement technique.

Mais évidemment, comme il n’y a pas de sciences humaines, à chaque fois ça reste balbutiant, ça reste compliqué et ça crée beaucoup de choses, parce que les gens sont en difficulté. On sait très bien aujourd’hui que les développeurs, ce n’est pas un mystère, c’est un mystère pour personne, le grand public, souvent les développeurs ça les gonfle. Sur les forum, les « RTFM » [Read the fucking manual], c’est ça que ça veut dire, en fait, les questions basiques « ça ne marche pas ». Mais je comprends les développeurs parce que c’est irritant le grand public !

Vous êtes devant une application et le gars vous dit :
« Ça ne marche pas.
– Ça veut dire quoi ça ne marche pas ? Tu ne peux pas m’expliquer le processus ?
– Mais non, ça ne marche pas !
– Je te demande le processus.
– Mais ça ne marche pas parce que ça, regarde je fais ça, ça ne marche pas ! »

Et ça se termine généralement. À l’oral ça se termine par un « montre-moi », et à l’écrit ça se termine par un « RTFM », en général, parce qu’il n’y a pas le temps et parce que voilà !

Donc à un moment donné, l’idée c’est quoi ? Ce serait de dire et si, pour que tout ça se résolve, on ajoutait un peu, on incluait un peu dans cet écosystème du libre, parce que pour moi il n’y a que dans le libre que les sciences humaines ont leur place, parce que, ailleurs, on ne peut pas avoir sa place. À partir du moment où vous avez une logique rationaliste, économique pure, et une logique où vous essayez de faire un produit et de le mettre sur le marché, de le vendre, de vous faire de l’argent et de surtout intervenir humainement le moins possible parce que l’humain coûte toujours trop cher. Et du coup vous faites des centres d’appel au Maroc ou en Chine ou à Taïwan ou au hasard l’endroit le moins cher avec des gens qui parlent à peine français — mais ils lisent des scripts donc ce n’est pas trop problématique — donc à partir de là, vous ne pouvez pas faire du support et de l’humain de qualité.

Le libre a ce pouvoir infini qui consiste à pouvoir donner toute sa place aux sciences humaines et pouvoir donner toute sa place à ce qui est à côté.

Mais alors, évidemment, la science humaine elle se joue à quel niveau ? Elle se joue au niveau où, aujourd’hui, on ne la pratique peut-être pas toujours assez. Par exemple au moment de la conception. Au moment de la conception c’est difficile, notamment s’il n’y a pas de réseau structuré autour d’un projet, ce n’est pas facile de faire de la co conception et d’associer l’utilisateur et l’usager à la construction d’un logiciel libre. Ce n’est pas toujours facile. LibreOffice essaye. Mais c’est vrai que ce n’est pas simple parce qu’il n’y a pas toujours les retours nécessaires. Mozilla essaye, mais ce n’est pas facile non plus et eux, en plus, ils ont fait le choix, de toutes façons, de développer, de prioriser Firefox avec Windows ; donc à partir de là, ça pose aussi d’autres problèmes d’ergonomie.

Pareil pour les tests d’utilisabilité. Alors ça c’est un truc, pour le coup, c’est beaucoup plus rigolo. Les tests d’utilisabilité, c’est ce qu’on a pratiqué à la dernière Debian Bug Squashing, c’est quoi déjà ? BSP, Bug Squashing Party. C’est un concept où on essaye de pratiquer — j’aurais dû sortir ça, c’est ça que j’ai oublié de sortir — un diagramme qui permet, pour un logiciel donné et un certain nombre de tâches données, d’observer la facilité avec laquelle l’utilisateur le fait. C’est Jim Hall qui a pratiqué ça, j, i, m, c’est le prénom et Hall, h, a, deux l, c’est là où j’aurais dû l’écrire, je peux l’écrire quelque part d’ailleurs.

Jim Hall6 a mis en place, effectivement, une méthode qui est une méthode tout à fait classique où on a en fait, de gauche à droite, un niveau ; et plus c’est vers l’orange et le vert plus c’est que ça a été facile à accomplir pour un utilisateur donné ; et plus ça va vers le rouge, plus c’est compliqué. Et ça c’est très puissant, parce qu’il l’a appliqué à des méthodes sur Gnome par exemple, Gnome pour chercher des fichiers, pour aller dans Firefox et pour utiliser Gedit par exemple, et on s’est rendu compte, effectivement, avec un utilisateur qui effectuait ces actions et un observateur qui regardait comment ça se passait, comment on pouvait réussir à, sur une interface donnée, plus ou moins être facile d’accès pour tous et être facile d’accès pour les personnes qui essayaient de l’utiliser. Donc ça c’était plutôt intéressant.

Et puis la dernière chose qui devrait être mise en place, pour le coup, et c’est là où le bât blesse aujourd'hui le plus peut-être, c’est accompagner tout ça. Parce que ce qu’on remarque aujourd’hui, c’est que qu’est-ce qui manque fondamentalement, quand on parle de grand public toujours, c’est la personne qui va essayer de comprendre les besoins de l’utilisateur, les usages de l’utilisateur, le contexte de l’utilisateur, sans forcément être dans la démarche, et ça c’est souvent ce qui se passe malgré tout dans les associations. On a tendance souvent à dire : « Ouais, mais essaie de comprendre ». Oui, il y a une phase, effectivement, où l’utilisateur doit essayer de comprendre. Mais il y a une phase aussi où on a envie de lui dire. Mais peut-être qu’il pourra comprendre, mais pas tout de suite ! Essayons de lui faire comprendre autrement. Et pour lui faire comprendre autrement, où il en est d’un point de vue cognitif aujourd’hui ? Et donc ça mobilise évidemment beaucoup de sciences humaines.

Et pour vous dire les déboires où ça peut conduire quand on n’a pas ce genre de prestation, il y a une entreprise qui a décidé de passer intégralement à GNU/Linux, ce qui est plutôt une bonne idée ; alors elle a embauché une comptable qui, malheureusement, avait une expertise sur Excel et elle lui fait utiliser Calc. Bon ! Et Calc, c’est un bon logiciel, mais chacun sait qu’il y a des bugs. Enfin c’est comme ça ; les macros ne sont pas toujours compatibles, enfin bon, il y a des bugs. Et les techniciens, au lieu de se préoccuper de ça — ils sont débordés, ils sont dans plein de choses, plein de développements du SI, enfin plein de problématiques — eh bien jamais ils ne se sont préoccupés de leur salariée. Après deux arrêts maladie et trois mois d’absence, elle a fini par partir. Eh bien ça, c’est parce que s’ils avaient pris la peine, peut-être, de se mettre avec elle, de comprendre les bugs, de les remonter et de faire remonter aux développeurs les différentes thématiques pour, à la limite pourquoi pas, mettre en place des solutions de contournement, ou des solutions de compensation, ou des solutions de compromis, eh bien non ! On a juste ignoré la situation. Et quand on ignore la situation, eh bien en général, on n’avance juste pas.

Autre exemple, l’Assemblée nationale c’est pareil. En 2010, pourquoi ça n’a pas marché à l’Assemblée nationale ? Tout simplement parce qu’il n’y a jamais eu de support efficace pour accompagner les gens et les parlementaires. Alors évidemment, les parlementaires avaient beau jeu de râler : « Ah ben oui ça ne marche pas ! Ce n’est pas compatible, ce n’est pas interopérable, ce n’est pas ci, ce n’est pas là ! » Mais, avec un meilleur accompagnement, on aurait pu au moins écouter leurs problèmes, écouter leurs besoins métier, écouter leurs usages et peut-être, ensuite, faire remonter aux développeurs, pour le coup dans leur langage, en leur faisant comprendre tel scénario de reproduction, telle situation, tel contexte, telle version. Peut-être qu’on aurait réussi à beaucoup mieux réussir et à créer la dynamique. Mais ce n’est pas ce qu’on fait.

Donc effectivement, le libre aujourd’hui, pour prendre toute sa place dans le grand public, a besoin que soient prises en compte les dimensions à la fois psychologiques, à la fois sociologiques et à la fois de sociologie des organisations, qui traversent le grand public. Et quand on dit que le grand public n’est pas intéressé par ça, ce n’est pas vrai ! C’est juste que le grand public a appris à faire sans. Aujourd’hui le grand public, quand vous lui dites : « Tu en penses quoi de Windows 10 ? », il y a des gens qui vont vous dire : « C’est génial ! » et d’autres qui vont vous dire : « Bof, on s’y fait ! » Et puis d’autres qui vont dire : « C’est nul à chier, mais ce n’est pas grave, on s’en sort quand même, on se débrouille. » On se débrouille ! Et personne n’est là pour dire à un moment donné, au grand public, mais si on faisait autre chose que se débrouiller ; si on essayait de vous faire juste plaisir quand on utilise l’ordinateur.

Conclusion, je dirai que le développement est né de considérations très humaines. Malheureusement il s’est très vite auto-limité, parce que c’est resté encadré dans une sphère technique et qu’il s’est retrouvé dépassé précisément par ses propres défenseurs qui l’ont maintenu, malheureusement, dans une sphère technique et n’ont pas réussi à s’ouvrir assez pour que les sciences humaines prennent leur place. Et c’est une des raisons pour lesquelles on n’a jamais réussi à se démarquer de l’environnement propriétaire.

Le problème c’est on a souvent dit, pour séduire le grand public face à Windows, il faut faire l’ergonomie de Windows. Non. Non ! Il ne faut pas faire l’ergonomie de Windows ; il faut se détacher de Windows et proposer sa propre valeur, son propre modèle de valeur et qui est basé, justement, sur les sciences humaines.

Mais évidemment du coup, le déploiement par la gratuité ne suffit plus. Parce que dans le numérique, à un moment donné, si on est gratuit on ne peut pas développer quoi que ce soit autour. Alors évidemment, on va aider certains ; après il y a des réseaux qui permettent d’aider des associations, des GULLs, etc., qui font un travail certes remarquable, mais qui, à un moment donné, les fatigue, parce que c’est forcément fatigant. Il faut le professionnaliser ce travail à un moment donné.

Donc le libre est une vraie solution, j’en ai absolument la conviction, mais il faut pour ça y mettre des sciences humaines et c’est parce que ces sciences humaines n’ont pas encore été faites qu’on en est là. Et j’en suis convaincu. Si un jour on arrive, on arrive, à faire en sorte qu’on vende un produit qui soit accompagné de sciences humaines incluses dans le produit même, je pense que ça peut changer l’écosystème du libre et que le propriétaire aura bien du mal, pour le coup, à rattraper ça, parce que même les AppleCare, les Apple Store et les machins, sont incapables d’atteindre un niveau de qualité d’accompagnement comparable. Et je suis sûr que le libre peut tirer son épingle du jeu s’il se met un minimum à penser cette question, à réfléchir cette question et je pense qu’il y aura des surprises. Je suis à votre écoute.

[Applaudissements]

Vos avis, vos commentaires, vos questions m’intéresseraient beaucoup.

Public : C’est juste pour l’enregistrement [le micro]. La question que je me posais c’est que j’ai déjà installé des logiciels libres dans des associations qui avaient pour but, justement, de s’occuper de publics précarisés et qui donc auraient dû, normalement, faire ce travail de sciences humaines. Mais ce qu’on constate dans ce contexte-là, donc une association du Linux parce que c’est trop bien le logiciel libre, etc., on constate une résistance du personnel qui aurait dû, justement, créer la science humaine. Du coup, là qu’est-ce qu’on peut faire ? Parce que là le personnel se retrouve face à des techniciens qui disent : « Moi je sais vous installer ça, mais je n’ai pas trop de temps, s’il vous plaît. » Mais le personnel dit : « Eh bien non, je ne connais pas le Linux et donc si vous voulez, repassez à Windows », et ce sont eux qui ont gagné quoi !

Jean-Philippe : Il a raison. Il a raison ! Je veux dire vous arrivez dans un établissement, vous dites à des gens : « Demain tu vas utiliser Linux et tu vas supporter des gens et montrer à des gens Linux. » Le gars il vous dit : « Mais d’abord c’est pour les geeks », parce que c’est quand même la réputation de Linux aujourd’hui. « Et comment je fais pour faire ça ? Et comment je fais pour faire ça ? Et comment je fais pour ça ? » « Ah écoute, apprends, cherche ! » Non, non ! Le personnel, si on veut que ce genre de processus fonctionne il faut enclencher des dispositifs qui sont existants aujourd’hui et largement sous-utilisés, qui s’appellent la formation continue, qui permettent de former ce personnel et de le former pas simplement à l’usage — parce qu’il y a plusieurs types de démonstration, c’est toujours la même chose, lapsus révélateur, il y a plusieurs types de formations. Il y a la formation démonstration, il y a la formation initiation et il y a la formation apprentissage. Et souvent on fait des formations démonstration, c’est-à-dire qu’on prend le personnel et on lui dit globalement en groupe comme ça : « Voilà ! Donc Linux, par exemple, on peut faire tout ça ; alors ça, ça, ça. » Et allez, les mecs, pendant deux jours, ils se tapent toutes les fonctions de Linux. Et les gars, à l’arrivée, ils ne savent toujours rien faire, et ils savent qu’ils peuvent, mais eux ils vont se sentir psychologiquement déclassés et du coup ils vont dire : « Il est hors de question que je continue comme ça !»

Alors que si on mettait en place une vraie formation, on leur dit : « Si ton utilisateur te demande ça, tu peux lui apporter cette réponse. Si ton utilisateur te demande tel besoin, tu peux lui apporter telle réponse. Si toi tu estimes qu’il est dans telle situation, tu peux lui apporter telle réponse. » Si on se place dans sa situation à lui, dans son usage métier, tout de suite ça va changer la donne.

Et puis il y a aussi une dimension qu’il faut sans doute apporter un peu de cette science humaine au professionnel, qu’il n’a pas nécessairement. Et c’est vrai parce que ça, souvent — c’est triste mais c’est comme ça — quand on embauche des gens dans les EPN [Espace public numérique], ça dépend des EPN, mais souvent il y a du service civique, il y a tout un ensemble de gens qui ne sont pas formés à affronter ces réalités-là. Du coup, comme ils ne sont pas formés à affronter ça, ils vont vers ce qu’ils connaissent. Normal ! Donc si on veut que ces personnels-là acceptent, il faut que la personne qui promeut le libre dans ce genre d’endroit lui fasse montrer tous les avantages qu’elle a par rapport…

Aujourd’hui, quand je vais dans un centre de réadaptation pour aveugles et que je leur présente notre système, Linux, ils me disent : « Mais attendez, mais moi j’ai Windows. J’ai déjà un logiciel gratuit sous Windows qui, en plus au passage, est libre, qu’est-ce que vous me faites chier avec votre truc ! » Je fais chier parce que premièrement, notre Linux évolue ergonomiquement beaucoup moins. Deuxièmement parce que notre Linux, malgré tout, on arrive si vous regardez bien la situation, à le configurer pour l’adapter au niveau des personnes sans acheter des logiciels supplémentaires. Troisièmement le Linux il peut inclure des technologies qui font que… Et on montre au professionnel qu’il va pouvoir couvrir plus de situations, mieux des situations, et s’exprimer dans son métier. Pas simplement se retrouver déclassé en disant : « Écoute ! Soit tu t’y fais soit tu es déclassé ! » Non, non ! Au contraire. C’est que demain tu ne feras plus de tec, tu feras de l’humain, et ça c’est ton cœur de métier.

Et tout d’un coup, on apporte un autre discours au professionnel. Évidemment il y aura toujours de la résistance au changement, parce que le changement fait toujours peur, c’est pour ça qu’il faut faire et de la formation et du support aussi au professionnel pour que lui aussi puisse s’appuyer sur quelqu’un si jamais il a des questions. Et ça, ça peut permettre effectivement, pour le coup, de rassurer le professionnel. Mais la conduite du changement c’est un vrai processus humain. Et si on l’oublie, évidemment, on passe toujours à côté. Forcément !

Public : Oui. Bonjour. C’est bien beau, mais cette dimension humaine n’est pas prise en compte dans le monde économique. Moi je connais les GULLs [Groupes d'utilisateurs Linux], je m’occupe d’ailleurs d’un groupe d’utilisateurs de Linux, on fait un petit peu ça de façon bénévole, à toute petite échelle. Il faudrait un système qui prenne ça. Voilà. Je fais un peu l’apologie des GULLs qui me semble, enfin ça dépend de l’ambiance, mais il y a moyen, dans un groupe d’utilisateurs de Linux, de penser à l’accompagnement technologique humain.

Jean-Philippe : Absolument, tout à fait. Le seul problème c’est que la culture des GULLs a souvent un peu cette culture du « apprends à te débrouiller », ce qui est souhaitable évidemment, mais déjà ça filtre : c’est-à-dire, déjà, vous n’allez pas pouvoir toucher tous les publics et du coup, c’est un peu le problème que ça pose. Après, moi je trouve que les GULLs ont un vrai rôle, pour le coup, de proximité. C’est-à-dire qu’une fois que la personne est sur les rails et qu’elle est rassurée, parce que c’est ça aussi qui se joue, c’est beaucoup ça qui se joue dans la culture numérique, rassurer, donner confiance, donner plaisir à la personne. Moi typiquement, une personne qui ne connaît pas le clavier, je ne la mettrai jamais sur un système en lui disant « première leçon, ton clavier ». Jamais ! Parce que là, ça va être une contrainte. Alors que si vous commencez à donner du plaisir à la personne dans un premier temps, elle va tout de suite aller plus facilement et, finalement, se mettre au clavier.

Une fois que la personne est un peu sur les rails, comme ça, qu’elle a récupéré un petit peu ses premières bases, l’envie et la confiance, là je pense que pour le coup les GULLs reprennent, à mon avis, tout leur rôle, parce qu’ils ont ce rôle de support de proximité.

Mais malheureusement, pour en avoir aussi fait quelques-uns de GULLs, souvent le côté SAV, les GULLs ça les gonfle un peu, en fait. Très vite les gens sont là, enfin je ne suis pas là pour faire du SAV ! Pourquoi pas ! Mais alors tu es là pour quoi ? Si tu es là pour faire du prosélytisme pourquoi pas ! Mais dans ce cas-là, il faut présenter d’autres avantages du libre ; mais il faut bien avoir conscience de ce pour quoi tu es là. Parce que si tu n’es pas là pour aider les gens et te mettre à leur place, c’est un peu compliqué quoi ! C’est difficile. Donc ça dépend beaucoup des GULLs. Mais d’expérience, les GULLs c’est souvent : l’objectif c’est débrouille-toi par toi-même, chose que tout le monde n’est pas capable de faire, et c’est souvent sur une base « moi je ne suis pas là pour faire du SAV », ce qui est légitime parce que ce sont des bénévoles, on ne peut pas non plus demander à des bénévoles de se… Voilà ! Mais cette culture-là, malheureusement, ce n’est pas elle qui permet d’inclure le plus grand nombre dans le numérique aujourd’hui.

Et ce n’est pas parce que ce n’est pas cher qu’on va inclure. C’est parce que c’est porté humainement. Le cher ça ne suffira pas, le gratuit ça ne suffira pas pour inclure !

Public : Moi je veux faire une remarque plus que poser une question. Puisque tout à l’heure vous avez parlé des EPN et j’ai apprécié parce que je suis moi-même responsable d’EPN en médiathèque à Roanne, pour le coup. Juste sur le temps de midi, je discutais justement de l’importance de créer une GULL dans certaines communes et pourquoi pas via ces EPN et via les médiathèques. Je trouve que c’est justement, au niveau du service public, une initiative qui serait hyper importante parce que nous, pour le coup, de la science humaine on en fait de plus en plus. On a la notion de service public qui est dans notre ADN, normalement — on est payés pour ça d’ailleurs — donc il me semble que ça serait plus facile. Après, effectivement, reste à voir comment cette association GULL peut se greffer sur notre travail, ça serait en dehors, mais de quelle manière elle peut être apportée ? Parce que de fait, on en parle du libre, tout le temps ! En EPN, en médiathèque, en tout cas pour celui que je connais. Donc je pense que c’est une piste à développer au niveau des municipalités en tout cas.

Jean-Philippe : Je suis tout à fait d’accord. Mais vous savez c’est exactement comme le suivi des assistants de vie scolaire. Aujourd’hui, quand on est en assistant de vie scolaire, c’est un peu la même logique que quand on est médiateur numérique. On n’a pas vraiment de carrière prévue parce qu’il n’y a pas de cadre, on va dire, qui prévoit ce métier-là, proprement dit. Enfin ce n’est pas vraiment cadré aujourd’hui et, du coup, on recrute à peu près n’importe qui et n’importe quoi et on lui demande de se former sur le tas. Et la clef, et cette clef est encore plus vraie dans les EPN — mais je sais bien qu’il y a des enjeux budgétaires, enfin tout ça c’est très compliqué, j’en ai conscience — mais, à un moment donné, les EPN, leur rôle là-dedans, c’est de mettre à disposition dans le cadre du service public, précisément des personnes qui elles ont ce rôle d’être formées à ça. Et je pense qu’effectivement, médiateur ça doit être un métier de carrière. On doit être formé pour le faire ; ça peut être absolument passionnant comme métier. C’est un métier absolument passionnant, mais il faut sans doute un peu de bagage, un peu de formation, un peu d’encadrement aussi, pour être capable, à la fin de, précisément, transmettre au GULL, diffuser aussi cette culture. C’est une culture, au bout d’un moment. C’est une émulation, c’est une culture. Et je suis bien d’accord avec vous, elle partira du service public. En tout cas c’est souhaitable parce que c’est le premier rôle du service public.

Public : Je suis d’accord avec plein d’aspects de ce que tu as dit sauf, peut être, sur la fin, le côté essayer d’imposer cette culture aux GULLs ; je pense que ce n’est pas la bonne approche parce que les gens vont se fermer. Mais c’est vrai que les EPN, les médiathèques, tout ça, peuvent aider, justement, à développer le côté, enfin la compassion et le fait de consacrer du temps, en fait, à faire monter des gens en compétence.

Sur Bordeaux moi je le vois, en fait, avec des médiathèques qui organisent tout simplement des événements via une communauté particulière et ça tourne. Parce que tu ne peux pas, effectivement, toutes les semaines, demander à une communauté de consacrer du temps pour faire monter des gens en compétence. Par contre, tu peux organiser des séries d’événements qui tournent sur différentes communautés et donc répartir, en fait, la charge, comme ça, je pense. En fait, la réflexion c’est effectivement comment développer cette culture de « il faut prendre du temps, parce que si on ne prend pas le temps, eh bien on fait juste de la technique. »

Jean-Philippe : Je suis d’accord. Je mesure vraiment la difficulté. C’est sûr que pour des bénévoles on ne peut pas leur demander ce genre de truc. Pour eux, ma proposition théorique est plus un appel à se poser la question ; après, j’ai parfaitement conscience que quand on est bénévole on ne peut pas se lancer dans cette démarche, on n’est pas pro, par définition.

Et l’articulation EPN/GULL c’est sans doute, effectivement, celle-là qui permettrait que les uns assurent cette mission de service public parce que formés pour ça et les autres, du coup, interviendraient dans la mesure de leurs moyens aussi au contact des professionnels des EPN. Et je pense qu’effectivement, aujourd’hui la médiation numérique passe sans doute par l’articulation entre ces deux sphères. Je suis tout à fait d’accord.

Organisateur : Il nous reste du temps.

Jean-Philippe : Bien, s’il n’y a rien d’autre, merci et puis n’hésitez pas.

[Applaudissements]