Causerie April du 23 mai 2007: Vente liée

Page d'accueil des causeries

Introduction

Les « Causeries April » sont des interviews ou des discussions organisées régulièrement (avec un objectif d'une par semaine ou quinzaine), d'une durée d'une ou deux heures, sur un sujet donné.

Le mercredi 23 mai 2007 de 21h à 23h10, Jérémy Monnet, membre du conseil d'administration de l'April, était invité pour répondre aux questions des membres de l'April sur le thème « Vente liée ».

Pour cette causerie, la modération et l'animation étaient réalisées par Benoît Sibaud.

Introduction du modérateur

Bonjour à toutes et à tous, nous avons le plaisir d'accueillir ce soir pour notre septième causerie April Jérémy Monnet, membre du conseil d'administration de l'April, pour répondre à toutes vos questions sur le thème « Vente liée ». Pour mémoire, les questions sont à envoyer à causerie@april.org ou en message privé IRC au modérateur.

Compte-rendu de la causerie

Les questions sont en gras.

Bonsoir.

Question : C'est quoi la vente liée ?

La vente liée en informatique c'est le fait de devoir payer des logiciels quand on veut acheter un ordinateur. Bien sûr il faut obligatoirement des logiciels pour profiter de son nouvel achat, mais pas forcément ceux qui sont vendus avec, soit parce qu'on possède déjà des licences, soit parce qu'on utilise d'autres logiciels. Aujourd'hui en France, et ailleurs aussi souvent, quand vous voulez acheter un ordinateur, vous ne pouvez pas choisir. On objecte souvent qu'il suffit d'aller voir un assembleur pour avoir ce choix, mais d'une ce n'est pas accessible à tout le monde (au moins techniquement) et de deux ce n'est vrai que pour les PC de bureau, et pas pour les portables.

Question : Vu le parc informatique, cette action est surtout contre la vente liée de Windows, et du coté d'Apple ?

Apple est « moins pire » que Microsoft : ils remboursent les licences, quand on en fait la demande après l'achat. Ceci dit, cela veut quand même dire que le consommateur a déboursé une centaine d'euros, qu'on lui remboursera plus tard. Ça reste une situation qui n'est pas acceptable.

Question : Si le logiciel est gratuit, ce n'est plus de la vente liée ?

Pour que ce ne soit plus de la vente liée, il faut respecter le code de la consommation. Il y a bien sûr la vente liée au sens strict (c'est-à-dire celui de l'article L122-1 du code de la consommation qui prohibe la vente forçée d'un service avec un bien), mais il y a aussi les conditions annexes, comme le respect du devoir d'information du vendeur ou l'information due au consommateur sur les conditions de l'achat réalisé. En résumé pour que la vente liée ne soit pas, il faut que le logiciel soit vraiment gratuit, et que le consommateur en soit informé. Vraiment informé, pas comme aujourd'hui où les vendeurs vous disent que les logiciels Microsoft sont gratuits :-).

Question : A-t-on une idée de ce que représente le prix des licences lors d'un achat d'ordinateur ?

On a des idées en fait. Microsoft a dit dans le magazine de l'UFC que les produits Microsoft représentaient 10% du prix du lot. On sait aussi que les licences OEM de Microsoft Windows sont vendues de l'ordre d'une centaine d'euros sur les sites en ligne et Dell pour le CNRS (marché professionnel) enlève 84 EUR HT du prix d'un portable sans Windows. Un ordinateur est vendu avec une offre logicielle qui va bien au delà du système d'exploitation : un lecteur de DVD, un logiciel de gravure, un peu de bureautique (Works ou Office), etc. On estime donc entre 15 et 30% du prix du lot le coût des logiciels seuls. Ce qui représente une somme astronomique !

Question : N'y a-t-il pas là une rente pour Microsoft et les autres entreprises qui font dans la vente liée, permettant la création de réserves financières confortables ? A-t-on une estimation financière des montants en jeu ?

Bien sûr ! Pour la rente bien sûr, l'estimation est assez vague. En 2005, il y a eu 6 500 000 ordinateurs vendus en France (chiffres donnés par ZDNet). À 100 EUR par machine (puisqu'il est difficile d'aller au dessous dans les estimations, c'est le prix de l'OS seul), et sachant que d'après les comptes de Microsoft ils font 80% de marge, cela fait environ 500 000 000 EUR de marge pour Microsoft en France, dans le secteur des logiciels. Et il y a un système de marges arrières (improuvable, et ce que je dit est du coup à la limite de la diffamation) c'est-à-dire que Microsoft reverse aux fabricants une partie des bénéfices. Du coup, le fabricant est tenté d'imposer Windows pour au moins 2 raisons : cela lui rapporte directement de l'argent, et en plus en étant dans les bons papiers de Microsoft il bénéficie de tarifs préférentiels sur les achats groupés de licences. Ah ! et les bénéfices de Microsoft sont encaissés aux États-Unis, Microsoft France ayant un bénéfice quasi-nul, donc sur cet argent dépensé par les Français, presque rien ne rentre en impôts en France. Cela s'appelle de l'évasion fiscale, et en allant très vite, cela représente 20% des bénéfices qui chaque année quittent la France.

Question : Lors d'un achat d'un ordinateur portable, j'ai demandé un devis détaillé qui m'a été refusé. Puis-je forcer le revendeur (la FNAC pour le coup) à me produire ce document ?

Il s'agit manifestement d'une infraction au devoir d'information du consommateur sur les conditions et prix. Mais en fait en tant que particulier tu ne peux saisir un tribunal que pour un dommage subi, donc tu ne pourrais forcer la FNAC qui si tu avais acheté. Oui, je sais, c'est un peu bête ;-). Il y a les associations de consommateurs (d'ailleurs l'UFC a annoncé en décembre qu'elle attaquait Auchan, Darty et la FNAC) et la DGCCRF qui peuvent le faire. La DGCCRF a convoqué en novembre également les associations de consommateurs et les associations du libre (April, AFUL et Détaxe) pour en discuter. Donc la réponse est non, tu ne peux pas les forcer. Par contre, si tu leur demandes par recommandé avec accusé de réception, ce sera un argument de plus pour prouver ta bonne foi devant une juridiction de proximité.

Question : En pratique, ça change quoi alors la vente liée ? Que se passerait-il s'il n'y en avait plus ?

Le scénario idéale serait que des distributions GNU/Linux gratuites soient installées sur tous les ordinateurs en vente ;-). Mais le plus probable sera l'optionnalité des logiciels. Il s'agit de ne pas modifier les chaînes de fabrication actuelles pour les constructeurs : donc les magasins reçoivent les mêmes colis qu'aujourd'hui. Simplement, lors de l'achat, on demande à ne pas avoir les codes d'activation des logiciels. Pour cela, un vendeur ouvre le carton, et retire le pack de CD. Ou mieux, le pack de CD est dans un carton séparé, juste scotché au carton de l'ordinateur. Arrivé à la maison, il n'y a plus qu'à effacer les logiciels pré-installés, et installer ceux qu'on veut. Ainsi tout le monde est content : les gens qui veulent les logiciels pré-installés, parce qu'ils sont débutants ou convaincus de la supériorité de ces logiciels, les ont ; les autres n'ont pas à payer pour ce qu'ils ne veulent pas. Bien sûr, l'information doit être clairement affichée et disponible en magasin, et les vendeurs doivent jouer le jeu.

Question : Qui travaille sur le sujet vente liée à l'April ? Comment puis-je aider ?

À l'April, il y a moi, Jérémy Monnet. Pour aider, aujourd'hui 2 cas de figures : vous avez des compétences en droit, ou vous connaissez particulièrement bien les administrations fiscales alors on a du boulot pour vous ! Vous voulez acheter un ordinateur : viendez, un a un beau procès pour vous ! :-) Les derniers documents (procédures, assignations en justice) sont en train d'être rédigés. Avec un peu de chance cet été, vous n'aurez qu'à mettre votre nom en haut d'un document pour lancer la machine. Il y a aussi des membres de l'April déjà engagés dans des procédures. Sinon, le gros du travail de discussion se fait sur la liste de discussion du GdT Détaxe (les infos sont disponibles http://april.org/groupes/vente-liee/). Ah ! aussi bien sûr, il faut sensibiliser tout un chacun sur les enjeux de ce combat : d'une part la liberté pour les logiciels alternatifs d'émerger, d'autre part une saine concurrence sur le marché des logiciels. Et on sait que la libre concurrence fait baisser les prix donc cela avantage aussi ceux qui choisissent les logiciels pré-installés. On a besoin de monde sur les stands des manifestations (Paris capitale du libre, RMLL, etc). La détaxe se trouve soit sur le stand AFUL soit sur le stand April. C'est-à-dire sur le stand April :-).

Question : Y a-t-il une différence concernant la vente liée suivant l'acheteur (grand public, entreprise ou secteur public) ?

Oui, et la principale est que le code de la consommation (celui qui définit entre autre le devoir d'information et la vente liée) ne s'applique qu'aux relations entre particuliers et professionnels. Entre 2 professionnels, c'est le code du commerce qui régit, et là ce sont de toutes autres lois.

Question : Quid des systèmes d'exploitation sur téléphone mobile, modem ADSL, console de jeux, baladeurs numériques, assistants numériques personnels (PDA), etc. ?

L'embarqué souffre des mêmes symptômes (l'absence de choix), toutefois la situation est difficilement comparable. En effet, la vente liée a été tolérée souvent parce qu'elle présentait un avantage pour le consommateur, et parce qu'un fabricant doit fournir un produit complet. Dans le cas d'un ordinateur, il y a une pléthore d'alternatives, qui sont faciles à installer, ainsi que des logiciels identifiés, qui possèdent leurs licences propres. Dans le cas des appareils mobiles, c'est souvent le constructeur de l'électronique qui fait le logiciel. Le logiciel n'est pas en vente séparément, et peut donc être considéré « gratuit ». De plus il est parfois nécessaire au fonctionnement de l'appareil. Par exemple on me parlait du logiciel accompagnant des appareils électroniques (micro-ondes, programmateur de machine à laver). À part le constructeur, personne ne fait de tels logiciels, le fabricant ne vend pas le logiciel, et il n'est pas possible pour le commun des mortels de programmer l'EEPROM de l'appareil. Bref, Dans le cas des appareils qui sont plus proches de l'ordinateur que du programmateur de machine à laver, la question se pose. Elle se pose aussi et surtout en terme d'alternatives logicielles et de faciliter d'installation. Pour les pocket PC, clairement, on est dans le même domaine que pour les PC « classiques » !

Question : Le respect de la loi implique-t-il qu'il faille indiquer un prix pour le logiciel et un prix pour le matériel ?

http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnArticleDeCode?commun=CCONSO&art=L113-3. Oui et 3 fois oui ! Il ne peut y avoir respect du devoir d'information et choix éclairé du consommateur, si le détail des prix n'est pas connus.

Question : Quelles sont les actions juridiques qui ont déjà eu lieu ? Celles en cours ?

On ne peut parler de celles en cours, à cause du secret de l'instruction d'une part (enfin je crois) mais surtout parce qu'on garde nos meilleurs arguments pour la fin, et qu'il ne faut pas que nos ennemis les connaissent trop en avance :-). Les actions qui ont eu lieu en 2006 : 2 procès en juridiction de proximité, un perdu et l'autre gagné. Les jugements sont disponibles en ligne http://jmonnet80.free.fr/detaxe/asus_fnac/ pour le victorieux et http://jmonnet80.free.fr/detaxe/jugement/ pour le perdant. Mais je vais résumer dans les grandes lignes ! Le procès perdu (avec des avocats payés par l'AFUL, merci à eux, avocats et AFUL) a été perdu sur la vente liée. Pour faire vite, le plaignant attaquait le fabricant sur la vente liée, or le seul contrat qu'on signe, on le signe avec le vendeur. À noter qu'en droit français, un contrat n'engage que les parties qui le signent (ça peut paraître évident, mais ça ne l'est pas, notamment à cause de certaines exceptions, mais c'est hors sujet). Le procès gagné l'a été sur le CLUF (Contrat de Licence Utilisateur Final) : c'est le contrat de licence de Windows. Il y a dedans une clause de remboursement qui dit de retourner le logiciel au fabricant. Le juge a estimé dans sa grande sagesse que le CLUF refusé par le plaignant (donc contrat non-signé) engageait le fabricant. Il a donc condamné la société Asus à rembourser 100 EUR pour Windows plus quelques dommages et intérêts.

Question : Quel est l'impact de la jurisprudence ?

Assez faible en fait. Vu que les dommages sont faibles (quelques centaines d'euros) le jugement se fait en juridiction de proximité, et là ce ne sont pas des magistrats qui siègent (enfin pas toujours). Pour les détails, je vous renvoie à Maître Eolas. Donc, il est toujours mieux d'avoir des jugements en notre faveur dans le passé, mais dans notre cas ce n'est pas forcément déterminant. Par contre, le jugement qui sera rendu pour l'UFC, le sera lui. En fait il scellera probablement le sort juridique de la vente liée. Après, dans le pire des cas, il restera à montrer aux entreprises qu'il est rentable pour elles d'investir dans le choix des logiciels... (Un peu à la manière de la boite à idées Dell).

Question : Existe-t-il des ordinateurs vendus sans système d'exploitation ? Où ? Chez des constructeurs ?

L'AFUL liste sur son wiki les « bons vendeurs » c'est-à-dire ceux qui ne pratiquent pas la vente liée, qui laissent le choix. Il y en a peut-être d'autres, si vous en connaissez, envoyez un petit mot à l'AFUL, ça leur fera plaisir :-). Sinon, il y a les assembleurs, mais encore une fois ce n'est pas valable pour les portables. Dell a annoncé qu'il allait vendre des ordinateurs avec Ubuntu : c'est une distribution GNU/Linux gratuite. Ceci dit, les offres ne devraient fleurir que demain, alors pour l'instant nous réservons notre jugement. HP avait vendu à une époque quelques machines bas de gamme avec GNU/Linux... Bref, les offres existent, mais elles sont sporadiques. Et surtout elles ne concernent qu'un public très averti.

Question : Quels sont les constructeurs ou les revendeurs qui remboursent le mieux? Y a-t-il des marques de portable sans système d'exploitation pré-installé ?

Keynux propose des portables avec GNU/Linux. Sur certains sites comme rue-du-commerce il y a des offres. Mon portable est un Xbook, acheté avec un GNU/Linux. Par contre, à part Apple, je n'ai pas connaissance de vendeurs ou revendeurs qui remboursent de bonne foi. En ce moment Asus (ayant perdu son procès cet été) a mis en place une procédure de remboursement : vous récupérez 25 EUR, mais vous devez renvoyer le portable chez Asus pour désinstallation. Le renvoi est à vos frais bien sûr ! :-) Finalement, c'est une procédure qui vous coûterait entre 5 et 10 EUR. Plus l'immobilisation de la machine. Mais leur procédure a été validée par la DGCCRF selon Michael Cluzel (un employé Asus). Ils nous l'ont écrit ! Et la DGCCRF nous a aussi écrit le contraire :-).

Question : Y a-t-il de la vente liée quand on fournit un système d'exploitation GNU/Linux ou BSD avec un ordinateur ?

Cela dépend des conditions de « vente » de la distribution en fait. D'une part il faut une information claire sur les conditions et les prix. D'autre part, il y a la loi sur les cadeaux et et ses décrets d'application. Un cadeau ne peut pas dépasser 60 EUR. On est souvent dans ce cas avec une distribution GNU/Linux ou un BSD. Donc si les logiciels fournis et font plus de 60 EUR, il s'agit forcément de vente liée. Si ils font moins de 60 EUR, ça peut-être un cadeau (au sens de la loi).

Question : Y a-t-il une collaboration avec des associations de consommateurs ?

L'UFC tient énormément à son indépendance. Il y a des membres du GdT qui font partie de l'association UFC locale à leur département. Toutefois l'UFC a décidé d'attaquer sur ce sujet juste après que la pétition racketiciels ait atteint les 10 000 signatures :-). Pourtant ils titraient déjà en 2003 sur le thème. À propos, l'assignation de l'UFC.

Question : Où en sont les discussions avec la Direction Générale à la Consommation, la Concurrence et la Répression des Fraudes (DGCCRF) ? La DGCCRF ne serait-elle pas trop passive devant des non-respects de la loi ?

Elle l'est indubitablement. La DGCCRF aurait déjà du sanctionner les divers abus. D'ailleurs, c'est cet organisme qui nous a permis de nous assurer qu'il s'agissait de vente liée ! C'est eux qui ont reconnu par écrit la différence de nature juridique entre logiciel et matériel. Et les réponses des candidats à la présidentielle au questionnaire de candidats.fr sont claires : que faut-il faire pour faire cesser la vente liée ? Il suffit que la DGCCRF fasse son travail.

Question : Quelles étaient les positions des candidats à la présidentielle sur la vente liée ?

Mise à part celle de notre nouveau président, elles sont claires : 1) il s'agit de vente liée 2) la situation n'est pas normale, il faut que ça cesse 3) les moyens et outils existent déjà. Nicolas Sarkozy ne s'est pas prononcé sur ce thème précisément, mais il s'est déclaré favorable aux « class actions » (actions groupées) à l'américaine, sous certaines conditions. Ce serait certainement un angle à explorer si les actions groupées étaient autorisées en France !

Question : Le grand nombre de signataires de la pétition Racketiciels.info ajoute-t-il beaucoup de poids aux actions contre la vente liée ?

Le GdT Détaxe a été créé en 1998. La pétition racketiciels lancée en mai 2006 a dépassé les 10 000 signatures en octobre 2006. En novembre et décembre 2006, l'UFC se décide à attaquer, et les associations de consommateurs et associations du libre sont convoquées par la DGCCRF. Pure coïncidence certainement :-).

Question : Quel accueil les actions contre la vente liée reçoivent-elles auprès du grand public (non informaticien) ? plutôt favorable, incompris, ignoré, n'en voit pas l'utilité, ... ?

En général, c'est d'abord hostile : nous passons pour des geeks GNU/linuxiens barbus anti-Microsoft primaires qui voulons obliger tata Jeannine à utiliser un système libre. Mais à force d'explication, les gens finissent par comprendre que nous ne voulons pas imposer un choix, juste qu'on nous le laisse le choix. Et aussi que ce serait intéressant pour tout le monde, y compris pour eux, parce que ça relancerait l'innovation dans le secteur des logiciels. Internet Epxlorer 7 est sorti à cause de Firefox. L'interface Aero a été pompée sur Apple et Beryl. Bref, si cette situation cessait, même ceux qui choisiraient les logiciels éventuellement pré-installés verraient leur quotidien s'améliorer. Les prix baisseraient et la qualité augmenteraient probablement, comme ça a été le cas dans tous les secteurs d'activité auparavant.

Question : Comment réagissent les constructeurs et les éditeurs aux actions contre la vente liée ?

Nous n'avons pas de réactions des éditeurs de logiciels libres. On pourrait penser que Mandriva soutiendrait la cause, mais en fait nous n'avons jamais entendu parler d'eux. Les éditeurs qui sont dans la place sont évidemment contre : ils veulent garder leur monopole, leur petite chasse gardée bien rentable. Les autres éditeurs sont évidemment pour : ils aimeraient bien une place au soleil. Les constructeurs perdraient certainement un peu de leurs marges arrières, mais ça ne les rend pas forcément contre. On voit HP ménager la chèvre et le chou, en proposant peu de machines détaxées, mais en investissant dans le même temps dans le logiciel libre. Et peut-être que demain nous pourrons dire que Dell y est très favorable :-).

Question : Les accusations de violation de brevets de Microsoft envers GNU/Linux (même si elle ne sont pas justifiées) risquent-elles de freiner certains constructeurs envisageant de proposer une alternative ?

Je ne pense pas directement. Bien sûr ça pourrait freiner les acheteurs, faire baisser le marché (serait-ce ce que veut Microsoft ?) donc le rendre moins attirant pour les fabricants. Ceci dit, les premiers responsables seraient les développeurs eux-mêmes, et il y aurait peu à craindre juridiquement pour les constructeurs. Ni pour les utilisateurs.

Question : N'y aurait-il pas un lien évident entre la vente liée et les procès pour abus de position dominante et autres situations (quasi)monopolistiques, surtout dans le cas où l'interopérabilité n'est pas assurée ?

Évidemment, la vente liée assure la position de monopole. D'ailleurs, nous nous étonnons que l'Europe inflige des amendes records à Microsoft, mais ne fasse rien pour rééquilibrer le marché. Ensuite, quand une entreprise est en situation de monopole, il est normal de son point de vue qu'elle cherche à le garder. D'où les problèmes d'interopérabilité qui surgissent. Si vous supprimer la vente liée, il y aura forcément un essor des alternatives, ne serait-ce que parce que les clients demanderont pourquoi les prix des logiciels sont affichés ? La réponse devra être « parce qu'il y a des alternatives ». Même si les alternatives ne sont pas proposées sur ce lieu de vente précisément. Le monopole tombera de fait. Et une entreprise qui n'a pas le monopole doit forcément communiquer avec ses concurrents.

Question : Un logiciel peut être converti en puce (matériel) et réciproquement. La vente liée et les actions contre peuvent-elles changer la frontière matériel/logiciel ?

Non, mais la frontière matériel/logiciel peut changer la vente liée. La vente liée existe parce que juridiquement un logiciel est un service et le matériel est un bien. Si demain des puces remplacent les logiciels, alors ça ne rentrera plus dans le cadre de la vente liée telle qu'elle existe en droit français.

Question : Lorsque l'accès à des services est conditionné à l'utilisation d'un système d'exploitation donné (par exemple la télé chez Free à ses Freebox), est-on dans un cas de vente liée ?

Non, parce que dans ce cas Free offre un service, et « prête » du matériel pour accéder à ce service. Il n'y a pas d'action de vente obligatoire du produit conjointement au service. Le cas n'est pas clair, parce qu'il n'y a pas d'autre matériel compatible. Pour la télévision par satellite par exemple, il est illégal à un fournisseur de service de vous obliger à acheter un appareil précis. Vous pouvez choisir un appareil conseillé par le fabricant, ou un autre. Le cas des assurances automobiles est encore plus parlant : avoir une assurance est obligatoire pour rouler sur la chaussée publique (code de la route). Toutefois un concessionnaire n'a pas le droit de vous imposer une assurance précise. Tout au plus peut-il vous proposer une assurance, mais vous êtes libres de la refuser et d'en choisir une autre. D'ailleurs la loi sur la vente liée a été faite justement pour répondre à ce problème d'assurance. Dans le cas de Free, si la box était payante, alors Free ne pourrait pas l'imposer. Et en plus vous pouvez utiliser une box différente (si vous en trouvez une compatible...) pour profiter du service.

Question : La vente liée et la propriété intellectuelle permettent un contrôle commercial important. N'y a-t-il pas un risque d'avoir de plus en plus d'informatique déloyale (ie. du matériel n'acceptant que du logiciel labellisé par le fabricant) si la vente liée disparaît ?

Si, c'est un risque important. Quand on évoque l'avenir du GdT Détaxe, il y a 2 choses qui reviennent : se battre pour avoir des pilotes libres, et lutter contre l'informatique déloyale. On voit déjà aujourd'hui de plus en plus d'ordinateurs « tatoués » être vendus. Ceci dit, cela peut mettre fin à la problématique de la vente liée d'un coté (« vous avez le choix, mais il n'y a qu'un seul produit qui marche de toute façon ») mais cela renforce le devoir d'information : les vendeurs seront obligés de dire qu'une machine ne fonctionnera qu'avec certains logiciels. Et j'espère que les consommateurs feront à ce moment-là le choix de la liberté !

Question : Merci d'avoir répondu à toutes ces questions. Un dernier mot à ajouter ?

Merci à ceux qui ont lu et liront ces textes. Et merci aux membres du GdT, notamment Alain Coulais (par ailleurs membres April) qui chapeaute le GdT depuis pas mal d'années. A Michel, qui a établi la première liste de bons vendeurs. À l'AFUL d'héberger la liste de diffusion, à Framasoft d'héberger le forum. Et bien sûr à l'April, pour soutenir l'action du GdT et participer activement au combat. Enfin, il est important que tous les prochains achats d'ordinateurs par des gens souhaitant détaxer soient connus par le GdT, pour fournir des conseils, des adresses, mais aussi, pour comptabiliser les procès ! :-) À bientôt pour un peu d'actualité 2007 :-).

La causerie suivante sera consacrée à un sujet indéterminé pour l'heure, à une date qui sera précisée ultérieurement, avec un intervenant qu'il reste à trouver. D'ailleurs si vous avez des propositions de sujet et d'intervenant, elles sont les bienvenues (causerie@april.org).

Note : merci à Jordan Augé, matou, Bruno Michel et Aurélien Moreau pour les questions transmises avant et pendant la causerie.