Cambridge Analytica exploite toujours l'omniscience de Facebook - Décryptualité du 28 septembre 2020

The Eye

Titre : Décryptualité du 28 septembre 2020 - Cambridge Analytica exploite toujours l'omniscience de Facebook
Intervenants : Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 28 septembre 2020
Durée : 15 min
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Revue de presse pour la semaine 39 de l'année 2020
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : The Eye, King of the Hill - Licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Les réalisateurs britanniques partis sur les traces de Cambridge Analytica ont découvert que l'entreprise vend ses services aux églises de l'Alt-right aux États-Unis pour qu'elles recrutent au sein des populations vulnérables.
Signe qu'un GAFAM comme Facebook est un acteur politique avant toute chose.

Transcription

Luc : Décryptualité. Semaine 39. Salut Manu.

Manu : Salut Luc.

Luc : On est encore tous les deux.

Manu : Eh oui, suspicion de Covid chez Nicolas notamment.

Luc : Le sommaire de la revue de presse.
BlogNT, « Les codes sources de Windows XP et Office 2003 ont fait l'objet d'une fuite en ligne », un article de Yohann Poiron.

Manu : C’est bizarre de voir dans la revue de presse du logiciel libre quelque chose qui parle d’un logiciel privateur, pas des moindres, Windows, rien que ça, mais il se trouve que le gars qui a diffusé le code source se revendique, en tout cas revendique des liens avec le Libre. Notamment il indique qu’il pense que le logiciel de Windows devrait être libre parce que Microsoft se revendique amoureux du logiciel libre, eh bien il n’a que le montrer.

Luc : Ce sont des vielles versions !

Manu : Oui, ce sont de très vielles versions qui ne sont plus officiellement soutenues.

Luc : En tout cas il prend de gros risques juridiques pour un truc qui ne sert à pas à grand-chose. Mais bon !
La Croix, « Numérique : le guide pour échapper à la mainmise des GAFAM », un article de Stéphane Bataillon.

Manu : La Croix, c’est toujours rigolo de voir un journal religieux qui parle de logiciel libre et de vie privée dans ce cas-là. Il y a d’autres articles qui sont sur leur site.

Luc : Normalement il n’y a que Dieu qui est omniscient, la concurrence ce n’est pas bien.

Manu : Oui, c’est vrai effectivement ! On contrôle les âmes, on contrôle les comportements numériques. Il y a d’autres articles. Allez jeter un œil sur La Croix en général. Il y en a un sur le logiciel libre, pour le coup, qui permet de reprendre le contrôle et comment aborder et apprendre à utiliser ces outils. C’est assez intéressant.

Luc : Le Vent Se Lève, «« La surveillance est un mode du capitalisme », un entretien avec Christophe Masutti », un entretien mené par Maud Barret Bertelloni.

Manu : Ça parle d’un livre, de Christophe Masutti, qui parle de vie privée encore une fois, mais d’un autre point de vue, c’est d'un point de vue politique, économie politique exactement, le capitalisme est largement la bête qu’il faut tuer. C’est une orientation qui est toujours intéressante, même si on ne la partage pas forcément.

Luc : France Culture, « Pierre-Antoine Gourraud : l'intelligence artificielle face au Covid », un article de Maxime Tellier.

Manu : J’ai trouvé ça bizarre qu’il parle d’intelligence artificielle, parce que ce qui est surtout présenté dans l’article c’est la machine qu’ils ont inventée, MakAir, qui est un respirateur artificiel. Dans le cadre du Covid, il y a beaucoup d’initiatives qui se sont lancées pour essayer de mettre en place et de mettre au point des respirateurs artificiels. Eux ont réussi à terminer le projet. C’est un des rares qui est dans ce cas. Ils ont l’air d’avoir quelque chose assez d'abouti d’après les vidéos qu’ils mettent sur leur site.

Luc : Il faut voir ça parce que, effectivement, en voyant un peu des choses sur le sujet, les respirateurs artificiels qu’on a vus beaucoup dans les bricolages ce sont des sortes de respirateurs d’urgence. Les respirateurs artificiels qui sont utilisés dans les hôpitaux vont prendre en compte toute une série de signes chez le patient, notamment ne pas lui envoyer de l’air dans les bronches alors qu’il n’est pas en train d’essayer de respirer, notamment quand la personne est consciente, c’est invivable, insupportable. Ça va quand on est en urgence, mais faire quelque chose de plus avancé, c’est compliqué, donc s’ils sont allés jusqu’à ce niveau-là c’est impressionnant.
Le Figaro.fr, « Santé/Recherche : le Conseil d’État rejette un recours contre les transferts de données vers les USA », un article de la rédaction.

Manu : On en a déjà parlé c’est le Health Data Hub, c’est le fait que les données de santé des Français soient envoyées sur des serveurs américains, des serveurs de Microsoft. C’est embêtant, on n’aime pas ça. Et puis c’est embêtant notamment parce que d’un point de vue vie privée, on sait que les États-Unis surveillent leurs citoyens et les citoyens du monde entier. L’Europe a cassé certains accords qu’il y a avait, d’échange de ces données privées. Malgré tout ça va continuer parce qu’il y a eu un rejet des attaques qui ont été faites contre cet accord.

Luc : De quoi on parle ? L’idée c’était de revenir sur quelque chose qui n’est pas dans la revue de presse, un article sur lequel je suis tombé aujourd’hui sur Mastodon.

Manu : Mastodon1, un micro réseau social un peu comme Twitter. Donc tu t’informes ?

Luc : J’y suis oui, effectivement, je poste deux/trois bricoles de temps et temps et je publie chaque sortie de Décryptualité également sur Mastodon.

Manu : Et là tu es tombé sur ?

Luc : Je suis tombé sur un article que j’ai trouvé assez intéressant et qui permet de reparler de Cambridge Analytica, sujet qu’on a souvent évoqué, mais qui est pour moi très impressionnant, qui a changé un peu la face du monde, en tout cas a contribué à ça.

Manu : Assez fondamental en plus dans l’époque actuelle avec les élections qui sont en train d’arriver, on va encore plus en parler.

Luc : Effectivement. Rapide rappel parce qu’on ne va pas refaire toute l’histoire. Cambridge Analytica2 est une boîte de conseil-influence politique britannique, qui a utilisé les millions et millions de données personnelles que Facebook a balancées au monde entier de façon complètement irresponsable en envoyant des données à qui voulait, à peu près tout le monde et n’importe qui les a eues. Ils ont réussi à faire des liens entre ce que les gens « likent » sur Facebook et des profils psychologiques et des centres d’intérêt. Ils ont été mis à contribution pour l’élection de Trump et pour le Brexit notamment, dans les deux cas deux scrutins dont on pensait que jamais ça ne passerait. Ce qu’ils font c’est qu’ils sont capables d’avoir des données assez précises sur les gens. L’exemple que j’aime bien utiliser c’est, aux États-Unis, des fans de flingue. Quand on est fan de flingue, ils ont défini deux profils essentiels, selon eux, qui sont « je suis fan de flingue parce que j’ai peur de me faire agresser ou que le monde se mette à tourner au chaos, donc je veux être armé pour me défendre. »

Manu : Dès que la vague zombie arrive, moi j’ai des armes !

Luc : Voilà. Les délinquants…

Manu : Les Noirs, les Noirs, voyons !

Luc : Probablement, tout ça ! Donc plutôt dans une démarche d’autodéfense. Il y a un deuxième modèle, qui est le second amendement qui autorise, selon les interprétations, à posséder des armes à feu qui dit « c’est mon droit constitutionnel ».

Manu : Et je le fais pour me défendre notamment contre l’intrusion de l’État.

Luc : En disant « l’État fédéral ce sont des méchants – plus ou moins fort – en tout cas j’ai le droit d’en avoir donc j’en ai ». Du coup, ils ont été capables de savoir qui aimait les flingues, sachant qu’on y trouve beaucoup plus d’électeurs potentiels de Trump et ils ont été capables d’envoyer des messages orientés en fonction du profil des gens.

Manu : Pendant à cela, ils auraient été capables et ils auraient réussi à envoyer des publicités pour dégoûter les gens qui n’allaient pas voter pour eux.

Luc : Oui, et tous ceux qui étaient susceptibles de s’abstenir en leur envoyant non pas des infos pour essayer de les convaincre de voter pour Trump, mais en envoyant des infos pour essayer de les convaincre de ne pas voter pour Clinton.

Manu : Ça a été validé. Les services secrets de Grande-Bretagne et des États-Unis ont indiqué plus ou moins officiellement que oui, il y a bien eu ingérence. Les dossiers ont été enterrés ou expurgés. Je crois même qu’il y a eu des archives qui ont été faites pour que ce soit ouvert dans 50 ans, on s’en occupera plus tard ! Mais oui, on sait aujourd’hui qu’il y a eu manipulation extérieure. Est-ce que c’est choquant, est-ce que c’est grave ?

Luc : Oui. Ce n’est pas nouveau dans le sens où faire des manipulations politiques chez tes adversaires, tes concurrents, tes ennemis, ça se fait de tout temps.

Manu : Nous-mêmes on l’a fait dans plein de pays, nous l’Occident, on a manipulé en Iran, en Irak, des gouvernants.

Luc : Mais on sait à quel point c’est pourri, du coup tu as tout intérêt à ce que ça ne se passe pas chez toi parce que ce n’est pas bon, en fait, d’avoir des ingérences.
Donc là c’était une terrible illustration de ce qu’on peut faire de néfaste avec les réseaux sociaux et qui expliquait pourquoi on avait raison, nous libristes, de dire que les réseaux sociaux c’est caca, depuis toutes ces années.
Cet article reparle de Cambridge Analytica qui est toujours actif et qui, cette fois, s’est lancé dans un nouveau business.

Manu : Quel genre de travail ? Un truc avec de l’argent et des politiques ?

Luc : C’est toujours aux États-Unis et ils travaillent dans le domaine de la religion. Ils ont développé, pour le compte de mouvements religieux, mouvements de l’Alt-right, mouvements d’extrême droite américaine.

Manu : L’alternative de droite.

Luc : Des gens qui sont derrière Trump, une application qui leur permet de cibler les gens vulnérables, qui vont être par exemple des gens endettés, qui vont être dépendants aux opioïdes, on en parle assez peu, mais il y a une crise aux opioïdes aux États-Unis qui est complètement hallucinante.

Manu : Plus ou moins faite par les compagnies pharmaceutiques.

Luc : Oui, c’est un autre sujet, mais allez voir ça, c’est assez fabuleux.
Également les personnes qui ont des problèmes psychiatriques, les gens qui vont être bipolaires, etc. Donc moyen de les localiser près de chez soi pour aller les démarcher en leur disant « nous sommes une église, nous voulons vous aider », ce qui est très louable, mais qui est également un moyen pour eux de les faire rentrer dans leur église, de générer du revenu, parce qu’on leur demande des dons bien qu’ils soient en difficulté. Les gens qui font ce documentaire sont des Anglais qui sont partis justement du Brexit, qui ont voulu étudier ce que faisait Cambridge Analytica, disent que derrière, à priori, il y a également des visées politiques, électorales, qui visent à faire basculer une force dans les États où les rapports de force pour les élections sont limites, ce que les Américains appellent les swing state, c'est-à-dire qui peuvent passer d’un côté à l’autre.

Manu : Chez nous on aurait appelé ça le marais à une certaine époque, effectivement il y a des États dont on sait que ce sont eux qui ont permis à Trump de se faire élire. Donc là s’ils arrivent et s’ils arrivent à faire basculer des gens en difficulté, d’une manière générale, pour voter vraisemblablement vers cette alternative de droite et d’extrême droite américaine, on est encore dans une manipulation à fond, mais vraiment d’une autre manière, c’est-à-dire que là ça ne va pas être des articles sur Facebook, ça va être de gens qui vont aller démarcher avec de bonnes intentions, pour faire la charité, pour essayer de sortir du besoin des gens qui sont dans des gros problèmes et ensuite les utiliser.
Je te répondrais que c’est ce que font les religions depuis 2000 ans. Les chrétiens sont venus au pouvoir largement grâce à ça, grâce à de genre de démarche.

Luc : Oui. Sophistication du procédé de pouvoir les cibler avec des données générées par les réseaux sociaux et de savoir dire : « Ah, je sais où sont tous ces gens-là, je peux savoir quels sont leurs problèmes, je suis capable de dire qui est en dépression, qui va divorcer, qui a des problèmes de drogue, qui a des problèmes d’argent et donc d’avoir plein d’informations sur ces gens qui sont des cibles ». C’est toujours un petit peu choquant de se dire que des gens vulnérables sont l’objet d’une convoitise.

Manu : Dans l’article, c’est une journaliste et des équipes de reporters qui sont en train de se renseigner aux États-Unis et qui font un documentaire. On peut imaginer qu’il va en ressortir quelque chose à un moment donné, peut-être avant les élections présidentielles américaines.

Luc : Oui, effectivement. Eux disent que derrière il y a une sorte de mouvement républicain qui est à l’œuvre depuis les années 90 et qui essaye de changer la Constitution américaine. À voir à quel point c’est vrai, mais en même temps le système américain est arrivé à tel niveau de folie que tout est possible.
Du coup, pour moi c’était intéressant d’une part de voir que Cambridge Analytica est toujours en mesure de nuire et de faire des coups pourris.

Manu : Alors qu’on avait supposé qu’ils étaient plus ou moins morts et que c’était remonté à la maison-mère. Il y a une entreprise au-dessus d’eux qui était supposée avoir éteint un peu le feu.

Luc : En changeant le nom !

Manu : Voilà, exactement. Mais les méthodes et les gens qui sont derrière sont probablement encore là, ils sont encore aux manettes et ils veulent être utiles à ce qu’ils pensent être peut-être le bien commun ou leur bien à eux. Il faut voir !

Luc : Ce que l’article cite c’est que démographiquement, en 2035, la figure des Blancs chrétiens sera en minorité aux États-Unis, donc le plan serait – je ne sais pas dans quelle mesure on n’arrive pas dans la théorie du complot – de changer la Constitution avant cette échéance pour ne pas perdre la position dominante qu’ils ont.

Manu : J’ai vu des trucs là-dessus, je sais que les Républicains travaillent sur ce jeu long. Ils savent effectivement qu’en termes de population, de démographie, ils sont mal, ils ciblent les institutions longues, là c’est la Cour suprême qui est en jeu en ce moment, il y a des nominations qui sont sorties.

Luc : Dans ce cas-là Facebook, par les données qu’il a rendues publiques et par les moyens de communication qu’il offre, est une sorte de média. C’est là où c’est intéressant et notable c’est de se dire que ces outils de médias, la télévision avant, etc., les médias de masse, ont été dès leur invention des outils pour orienter l’opinion, pour faire bouger les foules. Par exemple on peut citer au Rwanda la radio des Mille Collines3 qui a été utilisée pour appeler à la haine pendant des années et des années et qui ensuite a servi pour organiser et que les génocidaires se synchronisent entre eux. Évidemment, pendant la Seconde guerre mondiale et avant, la radio a été essentielle et aujourd’hui on a donc ces outils-là qui sont sous un contrôle de Zuckerberg, notamment pour Facebook. J’ai l’impression que Facebook est beaucoup plus sur le grill que les autres réseaux sociaux.

Manu : Ma théorie c’est que Zuckerberg est impliqué politiquement, il essaye de rentrer chez les Républicains et il a des visées à devenir président. Clairement il s’est fait mettre en place une équipe de communication, il a fait une tournée des États américains, soi-disant que c’était juste pour être en contact avec ses clients. On se sait pas qui sont ses clients.

Luc : Il y a déjà deux ans on disait qu’il visait peut-être la présentielle, etc.

Manu : Il est encore jeune, il a beaucoup d’années devant lui pour développer son discours et développer sa personnalité, mais en attendant il travaille pour Trump, d’une certaine manière, directement ou indirectement. Il a notamment refusé de censurer les propos de Trump sur son réseau. Il y a eu une vague de démissions internes et une petite rébellion chez les cadres et les techniciens de Facebook, mais ça continue, il continue à alimenter, à aider le Donald à sa communication en général. Alors que Twitter, par ailleurs, s’est un peu rebiffé ; il met maintenant des notices et il met des liens de vérification. Je crois que Facebook est arrivé à le faire, mais ça a pris un temps fou et ça a été très compliqué.

Luc : Et ils ont subi une grosse pression parce que leur premier mouvement, effectivement, était de dire « non on ne fera rien ». Zuckerberg a effectivement toujours des positions beaucoup plus tranchées par rapport aux critiques que les autres réseaux sociaux, les autres GAFAM, qui n’en pensent pas moins. Il faut faire attention. Ils demandent pardon, même s’ils s’en foutent, mais ils vont essayer d’arrondir les angles, alors que Zuckerberg est beaucoup plus tranché dans sa façon de faire.

Manu : On peut voir ça comme une manipulation politique. Je crois que Larry Ellison, le dirigeant d’Oracle, s’est aussi rapproché de Trump, il me semble que c’est lui et ça pourrait l’intéresser parce qu’il y a des marchés gigantesques pour le Département de la Défense avec des problématiques de nuage. Oracle est un petit peu sur les starting-blocks là-dessus.

Luc : Et du coup Amazon ?

Manu : Ce sont eux les rois du nuage, normalement.

Luc : C’est ça, mais le patron d’Amazon est l’ennemi intime de Trump, guéguerre, etc.
Je pense que c’est intéressant de bien avoir en tête que ces GAFAM, en tout cas certains d’entre eux, sont de plus en plus des objets politiques. Avant on pouvait vaguement avoir un doute en se disant « ils sont là pour faire du business ou ceci cela ». Très rapidement, quand on a du pouvoir, eh bien on en veut plus et ce pouvoir s’étend à tous les aspects de la vie.

Manu : Sur ce, à la semaine prochaine.

Luc : Oui. À la semaine prochaine

Manu : Et reposez-vous bien surtout si vous êtes suspecté de Covid.

Luc : Je ne vois pas de qui tu parles !