L'intégralité du rapport est disponible.
L'immense majorité des logiciels vendus dans le commerce par les éditeurs, comme Microsoft, Lotus, Oracle ou SAP, sont distribués en version « exécutable », alors que les logiciels libres sont fournis avec leur « code source ».
Source, exécutable? Un petit détour par une analogie musicale permet d'éclairer ces termes. On peut considérer le code source d'un logiciel comme la partition de celui-ci, et le code exécutable comme sa version enregistrée. Une partition peut être jouée sur un piano, une flûte ou par l'orchestre philharmonique de Berlin. Mais si la même partition est pressée sur un disque après un concert de harpe, l'acheteur ne peut rien modifier et ne pourra pas jouer le morceau à la guimbarde ou moduler l'interprétation.
Le passage de l'une à l'autre version s'opère grâce à une « compilation », qui traduit le code source (des lignes écrites en usant de langages de programmation maîtrisés par les informaticiens) en code exécutable (uniquement compréhensible par l'ordinateur). Avant d'être vendue dans le commerce, une version en code source d'un logiciel est construite patiemment par les programmeurs d'une entreprise ou d'une communauté. Les logiciels libres sont livrés directement sous cette forme (à charge pour les utilisateurs de procéder eux-mêmes à la compilation, ou de le faire faire par des intermédiaires), tandis que les éditeurs de logiciels propriétaires vendent le seul code « exécutable », le reste étant considéré comme secret industriel et non divulgué.
Sont considérés comme libres les logiciels disponibles sous forme de code source, librement redistribuables et modifiables, selon des termes proches des licences dites GPL (General Public Licence), Berkeley Public Licence ou « licence artistique » et plus généralement des recommandations du groupe Open Source. La GPL, créée par la Free Software Foundation (FSF), stipule ainsi que les programmes libres sont la propriété de leurs auteurs et qu'ils doivent être distribués sous forme de code source. Avec cette licence, quiconque peut faire commerce d'un logiciel libre, même avec des modifications de son cru, mais il n'a jamais le droit de le "verrouiller" à son seul profit. La GPL garantit ainsi, par récurrence, que les programmes restent toujours librement disponibles, assurant la pérennité du système. Selon la définition de la Free Software Foundation, un logiciel libre répond à trois critères :
la liberté pour chacun d'étudier comment le programme fonctionne, et de l'adapter à ses propres besoins ;
la liberté de le copier et de le diffuser auprès d'amis ou de collègues, ce qui est strictement interdit avec des logiciels classiques du commerce ;
la liberté d'améliorer soi-même le logiciel pour en faire profiter la communauté.
Ces trois libertés emportent en premier lieu des conséquences pour les utilisateurs de logiciels libres dans l'utilisation qu'ils font des logiciels. Le droit de copier et de distribuer un logiciel permet notamment une diffusion extrêmement rapide des logiciels libres rencontrant le succès.
Mais ces libertés ont également, et surtout, des conséquences importantes pour les développeurs de logiciels, ceux qui en fabriquent le code source. En effet, la liberté de diffusion et la publicité du code source changent radicalement l'organisation même du développement logiciel. Là où le développement propriétaire est conduit par une entreprise -ou une alliance - sous le sceau du secret industriel et à l'abri des regards, le développement « libre » est infiniment plus foisonnant : n'importe qui peut y participer, s'il a les compétences nécessaires ; il suffit pour cela de télécharger le code source du logiciel auquel il entend apporter sa touche, de modifier ces sources pour implémenter la fonction qu'il veut ajouter, puis de diffuser ces sources modifier à qui veut utiliser la nouvelle variante du logiciel.
Ce modèle de développement réparti42est potentiellement extrêmement efficace, puisqu'il permet de multiplier ad libidum le nombre de participants, de testeurs, de documentalistes, etc. dès lors que le projet suscite l'intérêt d'une communauté compétente. Le risque de divergence entre multiples variantes plus ou moins compatibles des logiciels ainsi produits est évité grâce à des personnes responsables de projets qui compilent, à intervalles réguliers, des versions stables de l'ensemble des développements réalisés et diffusent ces versions stabilisées. C'est par exemple le rôle que joue Linus TORVALDS pour le système d'exploitation libre Linux.
Le mode de rémunération habituel de l'industrie du logiciel est de vendre les versions exécutables (on dit aussi, binaires) pour rémunérer le développement du code source. Cette rémunération n'est plus possible pour les logiciels libres, du fait du principe de libre diffusion. Pour autant, plusieurs modèles économiques sont envisageables - et utilisés par de nombreux acteurs :
les distributeurs de logiciels libres, comme MandrakeSoft, Red Hat, Suse ou Debian, assemblent des logiciels libres dont ils garantissent l'interopérabilité, facilitent le fonctionnement et la gestion, et assurent la diffusion des distributions ainsi réalisées. Ils peuvent se rémunérer sur la distribution ;
les prestataires de services informatiques font payer les services (installation, paramétrage, maintenance, développements supplémentaires) qu'ils élaborent. En utilisant des logiciels libres, ils espèrent capter une part plus importante des efforts financiers consentis par les entreprises qui n'ont plus à payer de licences propriétaires ;
les équipementiers informatiques vendent les machines et les réseaux utilisés pour faire fonctionner et communiquer les logiciels. Comme les prestataires de services, ils trouvent dans les logiciels libres un moyen d'abaisser le coût global d'équipement de leurs clients, en donc de vendre plus de leurs propres produits.
Mais au-delà de ces acteurs économiques, les logiciels libres sont également produits par des chercheurs, des étudiants, des professionnels ayant eu à développer un logiciel pour leur propre compte et trouvant ainsi moyen de le diffuser, et même des amateurs voulant participer à un projet participatif. Ce voisinage d'acteurs variés donne une tonalité très particulière au monde du logiciel libre et assure une continuité bénéfique entre recherche et industrialisation.43
Enfin, et cela est particulièrement important dans une utilisation gouvernementale, le caractère ouvert et public du code source des logiciels libres permet d'en améliorer la pérennité et la sécurité. Parce que personne ne les contrôle ni ne tire d'avantage financier direct à leur utilisation, ces logiciels respectent particulièrement bien les standards de l'internet tels que définis par l'IETF et le W3C44. Par ailleurs, le caractère coopératif du développement permet des tests très nombreux et assure ainsi de la robustesse des logiciels produits. De surcroît, tout le code étant public et ayant été revu et corrigé par de nombreuses personnes appartenant à des organisations différentes, il est particulièrement difficile pour quelqu'un d'y introduire une porte dérobée lui permettant, par exemple, de s'introduire dans la machine qui fait tourner ce logiciel.
Certaines associations, comme la Free Software Foundation, dirigée par Richard Stallman, ?uvrent pour le développement et la promotion du free software. Le projet GNU (dont le logo est, bien sûr, un gnou) de la FSF a joué un rôle déterminant dans la création de Linux (dont le logo est un pingouin).
Afin de permettre le développement des services publics en ligne tels qu'ils ont été décrits jusqu'ici, les systèmes d'information publics doivent être interopérables, pérennes et sûrs. A cette fin, le recours aux standards ouverts de l'internet a été rendu obligatoire par le PAGSI et ce rapport, dans le chapitre consacré à la description des données, s'efforce de compléter ces directives pour les adapter à la situation actuelle.
C'est dans ce contexte que se pose la question du recours aux logiciels libres. De plus, le recours à ces logiciels doit évidemment obéir aux règles de base de tout achat public de service ou de prestation informatique. En d'autres termes, c'est le coût global de possession du système et son adéquation aux besoins fonctionnels qui doivent guider l'achat, qui doit inclure :
le coût d'installation, de maintenance et, éventuellement, de développement de la solution ;
le coût de l'insertion au sein du système d'information en cas d'échanges entre systèmes ;
le coût du matériel et des équipements réseaux (achetés ou loués) ;
le coût éventuel de licences ;
le coût de sécurisation du système mis en place ;
le coût de formation des gestionnaires et des utilisateurs ;
le coût de l'assistance aux utilisateurs et gestionnaires ;
le coût d'archivage et de reprise des données ;
le coût additionnel d'évolution du système d'information pris dans son ensemble encouru du fait de l'insertion du module dont il est question ;
etc.
En l'état actuel du marché, il semble que le recours à des systèmes utilisant des logiciels libres ait les conséquences suivantes sur ces éléments de coûts par rapport à une solution propriétaire :
Dimension du coût |
Conséquence |
Commentaire |
Installation |
Plus onéreuse |
Les multiples variantes existant des logiciels libres et la multiplicité des solutions peut rendre les choix d'installation plus complexe. Les outils d'installation sont souvent plus complexes que pour les logiciels propriétaires. |
Insertion au sein du SI |
Moins onéreuse |
Sauf dans le cas où le SI en question est mono-source (ce qui pose des problèmes de relations fournisseurs et de sécurité), le respect des standards ouverts garanti par les logiciels libres assure un coût d'insertion au sein du SI moins important. |
Matériel |
Moins onéreuse |
Les logiciels libres semblent actuellement pouvoir se contenter de configurations matérielles plus limitées que leurs équivalents propriétaires - parfois au prix de fonctionnalités plus rustiques mais standardisées. |
Licences |
Moins onéreuse |
Par construction, le coût de licence est à peu près nul. |
Sécurisation |
Moins onéreuse |
Le mode de développement libre assure mieux de la sécurité des développements. |
Formation |
Moins onéreuse sauf coûts de transition |
Les logiciels libres sont bien implantés dans le domaine universitaire et de la recherche, ce qui en fait des systèmes de choix pour la formation initiale et continue. Cependant, les informaticiens formés à des systèmes propriétaires doivent souvent être entièrement reformés, ce qui renchérit d'autant le coût de transition. |
Assistance |
Plus onéreuse |
L'offre d'assistance en matière de logiciels libres est en cours de constitution, ce qui la rend aujourd'hui plus onéreuse que sa contrepartie propriétaire, soit directement, soit indirectement (à travers la recherche de prestataires). |
Evolution |
Moins onéreuse |
Le respect des standards facilite la séparation entre briques logicielles que l'on peut faire évoluer indépendamment. La coopération répartie favorise le développement de programmes largement autonomes et spécialisés qui peuvent ensuite évoluer indépendamment.45 |
Archivage |
Moins onéreuse |
Le respect des standards ouverts et la proximité avec la recherche assure du respect des formats d'archivage. |
En conclusion, le recours accru aux logiciels libres par les administrations apparaît souhaitable, les divers avantages cités ci-dessus l'emportant sur les inconvénients. En effet :
ces logiciels implémentent efficacement les standards ouverts de l'internet ;
ces logiciels sont intrinsèquement urbanisés, interopérables et sûrs du fait de la disponibilité et du développement réparti de leur code source.
Elle est très large et en croissance exponentielle. On peut citer :
Les systèmes d'exploitation Linux, NetBSD et FreeBSD. Ce sont des systèmes d'exploitation Unix46. Seul Linux fait l'objet d'un mode de développement coopératif international. NetBSD et FreeBSD sont développés par l'Université de Berkeley aux États-Unis.
L'ensemble des produits GNU développés par la Free Software Foundation dirigée par Richard Stallman. (En particulier le compilateur GNU C/C++).
Une multitude de langage de programmation (perl, python, ...) de très bon niveau.
Des serveurs Web (Apache, CERN, ...).
Des serveurs proxy-cache (squid, CERN, ...).
Des systèmes de gestion de bases de données relationnelles.
Des systèmes de développement pour le monde du Web (HTML, XML, ...).
Le logiciel SAMBA, qui permet d'émuler Windows NT et Windows 2000 pour la partie serveurs de fichiers.
En raison de sa relativement courte histoire, le logiciel libre est surtout lié à l'environnement Unix et au réseau internet. C'est pourquoi on les trouve principalement aujourd'hui dans les serveurs, les ordinateurs qui servent à stocker et diffuser les services et les données au sein des systèmes d'information des organisations et sur internet. Les logiciels libres pénètrent cependant progressivement les ordinateurs « clients », notamment du fait de l'apparition de suites bureautiques de qualité suffisante pour le travail professionnel.
Il s'agit en particulier de la suite StarOffice, de Sun Micro System. La société Sun, très connue pour son Unix propriétaire Solaris et pour ses machines à architecture RISC, créateur du langage Java, a racheté une société allemande qui s'était spécialisée dans une offre commerciale de suite bureautique tournant à la fois sur Linux et sur Windows : StarOffice. Sun Micro System a décidé d'apporter les programmes de cette suite bureautique au monde du logiciel libre.
StarOffice comprend plusieurs produits : traitement de texte (totalement compatible avec Word), tableur (totalement compatible avec excel), un outil de présentation (totalement compatible avec PowerPoint). L'équivalent chez Microsoft, le « pack office » est commercialisé à un prix public de plusieurs milliers de francs. Linux devient donc un système d'exploitation permettant d'exécuter des suites bureautiques compatibles avec le standard du marché (Word, Excel), d'aussi bonne qualité et gratuite. Il est clair que le but de Sun est de contrecarrer la suprématie de Windows sur le terrain de la bureautique individuelle ou de la bureautique d'entreprise.
Par ailleurs, la majorité des éditeurs de logiciels professionnels a récemment pris conscience de la montée en charge de ce nouveau modèle économique du logiciel libre. Poussés par de grandes sociétés qui avaient décidé de migrer vers Linux pour des raisons économiques ainsi que par le désir de contrecarrer la position dominante de Microsoft, certains ont décidé de porter leurs produits sous Linux, avec une tarification souvent très inférieure à la tarification pratiquée sur un système d'exploitation propriétaire.
C'est notamment le cas des systèmes de gestion de bases de données relationnelles Oracle et Informix, ainsi que du progiciel SAP, de l'environnement de développement Delphi d'Inprise, des outils bureautiques de Corel, etc.
C'est moins vrai pour l'informatique bureautique traditionnelle, mis à part l'offre de Corel -récemment racheté par Microsoft. Cependant, il faut souligner que les fabricants de jeux commencent à saisir l'importance d'être présent sur le secteur du logiciel libre et entreprennent de porter leurs produits sous Linux.
Il existe aussi une offre commerciale de très bonne qualité permettant d'émuler Windows sous Linux et ainsi d'exécuter des programmes écrits pour l'environnement Windows.
A ce sujet, la communauté défendant le logiciel libre se partage en deux clans :
Les tolérants trouvent tout à fait normal et souhaitable pour le développement même du logiciel libre la cohabitation d'un monde de gratuité et d'un monde commercial. Les informaticiens qui acceptent de travailler " gratuitement " (sur le plan monétaire, mais en fait extrêmement rémunérateur narcissiquement) ont une tendance légitime à développer des outils liés au monde de l'internet, et moins tendance à réaliser des systèmes de paie ou de gestion de stock qui sont moins intéressants intellectuellement.
Les intégristes considèrent que l'ensemble du logiciel doit être libre.
La part de marché du logiciel libre sur les serveurs est plus facile à évaluer que sur les postes de travail. Et la part de marché du système d'exploitation Linux, le logiciel libre le plus célèbre, est un bon estimateur de l'importance du phénomène :
OS - Part de marché |
1998/1999 |
1999/2000 |
Windows NT |
38 |
38 |
Linux |
16 |
25 |
Netware |
23 |
19 |
Unix |
19 |
15 |
Autres |
4 |
3 |
Source: IDC |
Cette évolution fait dire à l'analyste Dan Kuznetsky, de la société IDC, que « la part de marché de Linux croît beaucoup plus vite que nous ne l'avions prévu. Nous projetions qu'il serait numéro 2 en 2002 ou 2003. Et c'est arrivé en 1999 ». De fait, en 1998, la part de marché de Linux a augmenté de 212%, et en 1999 de 156%, tandis que le marché des systèmes d'exploitation des serveurs dans sa globalité ne croissait pour sa part que de 23%. Pour sa part, Steve Balmer, PDG de Microsoft, déclarait dans Wired le 1er février 2001 que « le phénomène Linux est vraiment une menace pour le marché de Windows. C'est aussi la menace principale pour Office. Pour moi, c'est sûr, Linux est la menace numéro un. »
Ce phénomène est mondial et le nombre d'entreprises ayant recours à Linux est très important. On peut citer US Postal47, Yellow Cab, la NASA, Ikea, Fujitec, Sony, Corel Computers, l'armée et la marine américaines, Digital Domain48, Mercedes-Benz, Cisco, Netscape, IBM, Microsoft, Apple, Digital Equipement, le magazine Byte, etc.
Le logiciel Apache équipe pour sa part environ 60% des serveurs Web sur internet .
Plusieurs annonces ont ces derniers mois marqué les progrès des logiciels libres au sein des systèmes d'information des administrations :
Le ministère de la culture et de la communication a annoncé une migration de l'ensemble de ses serveurs Unix et Windows NT vers Linux (soit environ 400 machines impactées) à l'horizon fin 200349 ;
Dans l'éducation nationale, des universités, des académies des départements et des établissements scolaires, notamment les " gros " lycées mettent en ?uvre des solutions Linux50. Par exemple, dans l'académie de Grenoble, le projet SLIS vise à connecter à l'internet, à un faible coût, les établissements scolaires, en se basant au départ sur le réseau Numéris. Le c?ur de l'architecture est un serveur Linux sur lequel sont greffées des fonctions adaptées aux besoins des enseignants et des élèves. SLIS permet la décentralisation de la création des comptes de messagerie des élèves (un sous-domaine de ac-grenoble.fr par établissement), l'optimisation de la faible bande passante du canal Numéris, et offre un certain contrôle et une sécurité informatique pour l'établissement. Les serveurs SLIS permettent le développement des Intranets dans les établissements et automatisent les liens nécessaires avec l'internet (réplication du site web local, par exemple). Les serveurs SLIS se mettent à jour automatiquement par le réseau et se maintiennent à distance.51
Le ministère de la recherche utilise les logiciels libres depuis de nombreuses années, pour son informatique de gestion comme au sein de programmes de recherche.
Au ministère de l'économie des finances et de l'industrie, la Direction Générale des Impôts a opté officiellement pour Linux (950 serveurs).Ce contrat est une formidable publicité pour les solutions basées sur Linux, puisque la direction générale des impôts est l'une des administrations les plus exigeantes en matière de fiabilité et de sécurité.52
La MTIC utilise Linux, Apache, PHP et MySQL pour l'ensemble de ses réalisations intranet/extranet/internet. C'est également le cas de certains systèmes d'information territoriaux et de nombreux sites web publics.
Le système d'information territorial du Bas-Rhin, pour sa part, utilise le serveur d'application libre Zope.
Etc.53
Cependant, au total, les logiciels libres restent peu présents au sein des administrations et, quand ils sont présents, cette présence est souvent marginale dans le système, confiné à sa périphérie ou aux outils liés à Internet. Plusieurs arguments sont avancés :
Crainte du responsable du service informatique : c'est la fameuse formule d'il y à 30 ans - on n'a jamais reproché à quelqu'un d'avoir choisit la solution dominante du marché, même si elle ne donne pas entière satisfaction. Cette crainte est souvent habillée par des raisons peu crédibles liées à la sécurité (« le logiciel libre, parce que le code est ouvert, est moins sûr », alors que c'est précisément le contraire) ;
Crainte d'un manque de support logiciel. Ce support est en voie de constitution par les sociétés internationales les plus prestigieuses comme par des acteurs locaux ;
Peur de ne pas avoir de compétences internes. C'est une vraie difficulté, surtout dans les départements ministériels qui n'ont pas de culture Unix préalable. Une réflexion stratégique sur les compétences à acquérir dans les années qui viennent permet cependant de relativiser ce problème : quel que soit le niveau et la répartition actuelle des compétences d'une unité informatique, les compétences à acquérir dans les années qui viennent sont très nombreuses et variées, quelle que soit la stratégie produit suivie. Le coût d'acquisition des compétences doit primer sur le stock en place ;
Doute quant à la fiabilité et la pérennité des solutions basées sur les logiciels libres. Le respect des standards ouverts assure de la pérennité des données, mais pas nécessairement des investissements logiciels consentis. Il en est cependant de même pour les logiciels propriétaires. C'est la taille (économique et sociale) de l'offre de solution et de la communauté installée qui apporte une sécurité dans l'investissement fait. Les solutions libres apportent de surcroît une sécurité supplémentaire liée à la spécialisation des programmes, qui peuvent être maintenus en l'état au sein d'un système d'information en évolution. Exemple très parlant, le logiciel Sendmail, qui est l'un des outils de gestion de courrier électronique les plus utilisés sur Internet, existe depuis 1979 (c'est à dire avant que le courrier électronique sur Internet soit standardisé) et respecte depuis lors une compatibilité entre versions qui fait qu'un serveur installé dans les années 1980 peut toujours être opérationnel aujourd'hui. Rares sont les outils propriétaires à avoir ont connu une telle longévité?
Afin de favoriser l'essor des solutions libres au sein des administrations, une voie possible est le légiférer pour imposer l'usage des logiciels libres et/ou des standards ouverts au sein des administrations. Deux initiatives parlementaires ont été prises en ce sens ces derniers mois :
promotion des logiciels libres : proposition « Laffitte - Trégouët - Cabanel », groupe RDSE au Sénat ;
promotion des standards ouverts : proposition « Le Déaut - Paul - Cohen - Bloche », groupe socialiste à l'Assemblée Nationale.
Sans aller jusqu'à un texte contraignant en termes réglementaires ou législatifs, il est également possible de recourir à des voies moins « nobles » pour inciter l'administration à utiliser les standards ouverts et les logiciels libres. Le PAGSI, par exemple, n'a pas de statut juridique particulier, non plus que la plupart des relevés de décisions de réunions interministérielles ou ministérielles. Pour autant, la plupart de ces décisions sont suivies d'effets et, dans le domaine informatique, se sont avérées efficaces.
L'exposé des motifs de la proposition « Le Déaut - Paul - Cohen - Bloche » constate que :
« la majorité des éditeurs de logiciels est prête à adopter des standards de communication ouverts tels que ceux définis à Paris, Boston et Tokyo par le Word Wide Web Consortium. De nombreux éditeurs de logiciels propriétaires sont également prêts à fournir à l'administration française le code source de leurs produits. En outre, l'offre de logiciels libres autour du système d'exploitation Linux couvre désormais une grande partie des besoins courants d'une administration ou d'une collectivité. Mais les administrations et collectivités ne sont pas suffisamment informées de l'existence de standards ouverts ou des offres de logiciels publiés avec leur code source. »
et préconise :
" Pour faciliter une adoption rapide des standards ouverts, (?) de renforcer le rôle de la mission interministérielle de soutien technique pour le développement des technologies de l'information et de la communication dans l'administration (MTIC) et de lui confier la mission de recenser, puis d'informer l'administration et les collectivités sur l'offre en matière de standards ouverts et de logiciels publiés avec leur code source "
Ces arguments ne conduisent pas naturellement à un acte législatif. Ainsi, on peut constater que les préconisations techniques du PAGSI ont été suivies par l'administration : pour la mise en place ou le renouvellement des systèmes d'information existants, l'administration a eu recours à des solutions compatibles avec les standards d'internet. Cette obligation, inscrite dans le PAGSI, n'a pas nécessité son inscription dans la loi pour être respectée.
Il ne faut donc pas estimer a priori que l'administration ne respecterait pas des directives données par le Premier ministre. Il n'apparaît donc pas utile, et cela pourrait même être contre-productif, de légiférer à l'heure actuelle.
En revanche, la remise de ce rapport, et la mise en place du programme PUGNACE, doit être l'occasion d'affirmer au plus haut niveau de l'Etat l'obligation pour l'administration d'utiliser des standards de communication ouverts aussi bien au niveau de la description des données que de leur transport.
Le succès des logiciels libres et des standards ouverts pourrait être remis en cause par les tentatives émanant de multinationales visant à s'approprier les standards de communication par une modification insidieuse du droit européen des brevets. Il convient donc d'être très vigilant sur les pratiques de l'Office Européen des Brevets (OEB).
En effet le brevet peut cesser d'être un instrument protecteur pour devenir un frein à l'innovation lorsqu'il est utilisé de manière offensive. Il devient alors une arme juridique tendant à freiner le développement de la concurrence or il est admis que c'est l'absence de brevets sur les standards de communication qui a permis le développement économique d'internet. Si les États-Unis et le Japon autorisent depuis plusieurs années le dépôt de brevet pour un logiciel, à tel point qu'il devient difficile de publier un logiciel sans risquer d'être attaqué en contrefaçon, l'Europe ne reconnaît que le droit d'auteur pour protéger le code source d'un programme. Mais, dans la pratique, l'Office Européen des Brevets accepte depuis 1986 de breveter des logiciels.
Une étude (Sequential Innovation, Patents, and Imitation54) de deux chercheurs du MIT55, James Bessen et Eric Maskin, basée sur l'expérience américaine introduit un modèle dynamique qui rend compte du processus d'innovation séquentielle tel qu'il existe dans des industries comme le logiciel ou la micro-électronique. Elle montre que des politiques de brevets forts et étendus ont tendance à réduire l'innovation. Une analyse statistique de l'innovation dans l'industrie du logiciel conforte les conclusions du modèle. Lorsqu'il a été possible dans les années 80 de déposer des brevets sur les logiciels, le nombre de brevets a fortement augmenté mais la part accordée à la recherche et au développement a diminuée.
Comme l'a déclaré Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, lors de la Conférence internationale sur la gestion et l'utilisation légitime de la propriété industrielle56 : « L'?uvre de l'esprit, une idée, une formule mathématique, des codes logiciels, une expression formelle nouvelle, ne sauraient faire l'objet d'une brevetabilité sans précaution pour éviter le risque de tarissement de la création. »
Et pour citer enfin le rapport rapport au conseil général des Mines sur ce sujet rédigé par Jean-Paul Smets :
« Si l'on souhaite éviter que l'Europe ne s'aligne définitivement sur le système américain il convient de fixer une limite au système des brevets. Cette limite nécessite de définir avec précision ce qu'est une invention et ce qu'est la technique afin que des procédés industriels qui reposent sur l'usage des logiciels puissent être brevetés, mais que des procédés logiques, mathématiques ou commerciaux ne le soient pas. Il reste à déterminer ensuite s'il convient de compléter ou non la protection des logiciels par le droit d'auteur, par une concession de monopoles sur les idées ou les notions informatiques fondamentales. Il est possible qu'une sorte de brevet court, associé à une procédure d'examen rapide, puisse avoir un effet positif sur l'innovation en protégeant les porteurs de projets d'entreprises innovantes. »
Chaque ministère devrait introduire une réflexion sur la place des logiciels libres dans son schéma ministériel informatique. L'on constate en effet que si l'installation d'un nouveau serveur Windows NT ou Unix propriétaire pose rarement question, il n'en va pas de même pour l'installation d'un serveur Linux . L'introduction d'une réflexion dans le cadre officiel d'un schéma ministériel informatique devrait offrir des opportunités nouvelles pour utiliser les logiciels libres.
Ne rendre éligible au fond interministériel de modernisation (FIM) durant une période de deux ou trois années que les projets basés sur des logiciels libres.
Mettre l'ensemble des développements réalisés par ou pour le compte des administrations sous licence open source57 ou analogue. Cela pourrait se faire de manière globale par un acte réglementaire.
Mettre à disposition de tous, sur un site web spécifique, l'ensemble des développements réalisés par ou pour le compte des administrations et ainsi placés sous licence open source. La MTIC pourrait être chargée de la gestion d'un tel site.
Mettre à disposition des administrations, sur un site web public, l'ensemble des cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) utilisés par les administrations dans la réalisations informatiques par des prestataires externes, de manière à en faciliter la mutualisation et l'amélioration. La mise en ligne sur ce site, qui pourrait être celui du bulletin officiel des annonces de marchés publics, devrait être obligatoire. Un moteur de recherche sur l'ensemble des CCTP devrait y être disponible.
Renforcer les actions de sensibilisation. A l'image des journées de la MTIC, une journée logiciel libre devrait être organisée systématiquement deux fois par an.
confier à trois experts indépendants, par exemple un scientifique, un économiste et un juriste, le soin d'évaluer l'impact d'un changement réglementaire de la brevetabilité des logiciels sur l'innovation technologique.
Aborder systématiquement la question lors des pré-conférences informatique. Pour la pré-conférence 2002, une fiche de problématique sur les logiciels libres devrait être systématisée.
Avoir une distribution Linux "de base" pour l'administration, qui pourrait reprendre les enseignements des distributions réalisées par le ministère de l'Education nationale (SLIS) et par le ministère de la culture et de la communication.
Donner une traduction réglementaire au point suivant de la proposition de loi « Le Déaut - Paul - Cohen - Bloche » : « renforcer le rôle de la mission interministérielle de soutien technique pour le développement des technologies de l'information et de la communication dans l'administration (MTIC) et lui confier la mission de recenser, puis d'informer l'administration et les collectivités sur l'offre en matière de standards ouverts et de logiciels publiés avec leur code source. »
42 Depuis l'article fondateur d'Eric S. Raymond, La Cathédrale et le Bazar (http://www.linux-france.org/article/these/cathedrale-bazar/cathedrale-bazar_monoblock.html), on parle de développement en bazar pour ce type de projets.
43 Pour aller plus loin sur ce sujet, voir par exemple les actes du colloque Nouvelle économie du logiciel organisé par Alcôve, l'ENS de Cachan et l'ENST Bretagne en collaboration avec l'INRIA les 7 et 8 décembre 2000. http://parmentille.enst-bretagne.fr/~njullien/rntl/workshop1/programme.html
44 Pour plus de précisions sur les mécanismes économiques sous-tendant ce comportement, voir par exemple Economie de l'information, Hal Varian et Carl Shapiro. De larges extraits (en anglais) sont disponibles en ligne (http://www.inforules.com).
45 Ce dernier argument est spécifique aux logiciels libres et découle de leur mode de développement - et non simplement du respect des standards ouverts. C'est toute la différence entre un logiciel propriétaire complexe qui sait, entre autres choses, respecter les standards de l'internet pour ses fonctions de base, et un logiciel libre spécialisé dans une tâche unique qu'il effectue en conformité totale avec ces standards. Pour en prendre deux exemples : en messagerie électronique, le logiciel propriétaire Microsoft Exchange et le logiciel libre SendMail ; en serveurs web, le logiciel propriétaire Lotus Domino et le logiciel libre Apache.
46 L'usage, abusif, est d'inclure dans le vocable " système d'exploitation Unix ", une multitude de programmes autres que le noyau, comme sendmail ou qmail pour la messagerie, X11, Gnome, KDE pour l'environnement graphique, bind pour les serveurs de noms, etc. Ces logiciels sont également libres, et sont indispensables dans le monde des réseaux TCP/IP.
47 L'ensemble du tri postal aux Etats-Unis s'appuie sur Linux.
48 L'ensemble des effets spéciaux du film Titanic a été réalisé sur des plates-formes Linux.
49 http://www.linux-mandrake.com/fr/pr-avantgo.php3
50 Voir AC-TICE mai/juin 2000 et Medilaog n° 36 décembre 1999.
51 http://slis.ac-grenoble.fr
52 http://www.neteconomie.fr/news/infoIND.php3?id=773
53 Voir le « bouquet libre » de la MTIC pour une source tenue régulièrement à jour (http://www.mtic.pm.gouv.fr/bouquet-libre).
55 Massachusetts Institute of Technology
56 Strasbourg, 8 juillet 2000