Point sur HADOPI 2 avant le vote final à l'Assemblée nationale
Le projet de loi HADOPI 2 (ou « PPPLAI » comme « Projet de loi pour la Protection Pénale de la Propriété Littéraire et Artistique sur Internet » de son nom de code législatif) vient d'être adopté par le Sénat dans sa version issue de la Commission Mixte Paritaire. La CMP ayant validé le texte issu de l'Assemblée nationale, les députés devront se prononcer une nouvelle fois cet après-midi 22 septembre sur le texte qu'ils ont adopté par scrutin public la semaine dernière, mardi 15 septembre. Il y a donc peu de surprises à attendre de ce côté-là.
Il faudra vraisemblablement attendre la saisine du Conseil constitutionnel par au moins 60 députés (Patrick Bloche a déjà annoncé que le groupe SRC saisirait le Conseil constitutionnel), puis la décision des Sages, pour savoir ce qu'il restera in fine de ce texte dans notre droit.
D'ici là, l'April vous propose de faire le point sur les dispositions principales de HADOPI 2 et son articulation avec HADOPI 1.
Principe
Comme HADOPI 1, HADOPI 2 vise à réprimer le partage non autorisé d'œuvres sur Internet avec des moyens complémentaires aux 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende prévus pour le délit de contrefaçon. Le système de repérage des partageurs repose sur des agents assermentés privés travaillant pour le compte des ayants-droit qui relèvent des adresses IP. À partir de ces adresses IP, l'autorité administrative (la HADOPI) envoie des avertissements et des recommandations.
Dans HADOPI 2 toutefois, contrairement à HADOPI 1 et suite à la censure du Conseil constitutionnel, ce n'est pas l'autorité administrative qui prononce les sanctions. Son rôle est de recevoir les plaintes des ayants-droit et les éléments (relevés horodatés d'adresses IP) recueillis par leurs agents assermentés, afin :
- d'envoyer des avertissements aux abonnés « négligents » ou supposés téléchargeurs, en leur recommandant d'installer un « moyen de sécurisation » (voir plus bas la section sur la « négligence caractérisée ») ;
- de constituer les dossiers et de les transmettre au tribunal correctionnel pour procédure pénale et sanction.
Problème pour le Logiciel Libre : contravention pour « négligence caractérisée »
Le principe est hérité de HADOPI 1 : pour pouvoir condamner de manière automatique sans avoir besoin de preuves de téléchargement sur l'ordinateur de l'abonné ou d'un membre de son foyer, on fait peser sur l'abonné à Internet une responsabilité de surveillance de sa connexion. La loi HADOPI 1 a introduit les concepts de « moyen de sécurisation de la connexion » (en réalité des mouchards filtrants) et l'obligation de surveillance de sa connexion. Le Conseil constitutionnel a censuré tout ce qui rendait cette obligation effective, ainsi que la possibilité d'imposer les mouchards filtrants aux abonnés à Internet.
HADOPI 2 reprend le même principe, mais au lieu de fonder les poursuites sur le « défaut de sécurisation de sa connexion », elle les fonde sur la « négligence caractérisée ».1
Il est aisé de comprendre, au regard du rapport de Franck Riester et des débats parlementaires, qu'il s'agira là aussi d'imposer des mouchards filtrants aux abonnés. Or le texte ne dit toujours rien de ces mouchards filtrants, ni des moyens qui seront considérés comme suffisants pour échapper aux poursuites.
En particulier, il n'y a aucune exigence d'interopérabilité ou de disponibilité pour toutes plateformes. Aucun encadrement non plus pour la liberté des utilisateurs de paramétrer ces logiciels, ni sur les informations que ces logiciels pourraient traiter voire renvoyer à un serveur distant. Le texte ne nous permet pas non plus de nous assurer que des logiciels de sécurité libres puissent être labellisés par la HADOPI.
Toutefois les débats et les prises de position du ministère de la culture et des rapporteurs nous permettent de dire qu'il s'agit de mouchards filtrants. Ils viseraient à imposer un contrôle d'usage aux utilisateurs, les empêchant de faire certains actes, d'utiliser certains protocoles, d'échanger certains contenus et renverraient des informations à un serveur distant d'une société privée. À l'instar des dispositifs de contrôle d'usage DRM, ils seraient donc ontologiquement incompatibles avec le Logiciel Libre.
Voir l'argumentaire de l'April contre les mouchards filtrants.
Procédure : l'ordonnance pénale
D'après Wikipedia :Une ordonnance pénale est prévue par les articles 524 et suivants du Code de procédure pénale, c'est une procédure simplifiée de jugement. Elle est applicable à certains délits et contraventions : elle n'est pas applicable en matière de contravention prévue par le code du travail et si le prévenu était mineur au moment de l'infraction (article 524 du Code de Procédure Pénale).
Une ordonnance pénale est rendue sans débat préalable. Par conséquent, le principe du contradictoire n'est pas en vigueur dans cette procédure. L'ordonnance pénale peut porter soit relaxe, soit condamnation à une amende et condamnation à plusieurs peines complémentaires encourues (article 525 du Code de Procédure Pénale).
Le juge qui rend une ordonnance pénale n'est pas tenu de la motiver (article 526, dernier alinéa).
En l'absence de débats contradictoires, le jugement n’a pas autorité de la chose jugée au civil selon l'article 495-3 et 528-1 du Code de Procédure pénale.
Cette procédure est utilisée notamment dans le cadre d'infractions au code de la route. Dans le contexte Hadopi, elle pose de graves problèmes de droits de la défense notamment car les éléments sur la base desquels l'abonné est condamné (des relevés d'adresses IP horodatés) ne sont pas des éléments matériels, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel.
Sanctions
Le projet de loi HADOPI 2 prévoit :
- d'une part une contravention automatique de 1 500 € d'amende et une peine pouvant aller jusqu'à un mois de suspension de l'abonnement à Internet pour la négligence caractérisée. C'est cette voie qui sera privilégiée pour faire la répression de masse prévue initialement dans HADOPI 1, c'est d'ailleurs la transposition au pénal de la procédure administrative de HADOPI 1 ;
- d'autre part des peines pour délit de contrefaçon (3 ans de
prison, 300 000 € d'amende) avec en complément une peine de
suspension de la connexion à Internet (avec interdiction de souscrire
chez un autre fournisseur d'accès) pouvant aller jusqu'à un an pour ceux qui partagent
le plus. 2 Ces peines font l'objet d'une inscription au
casier judiciaire ;
- s'y ajoutent des risques de poursuites civiles dans le cadre de
l'ordonnance pénale et de condamnation à des dommages-intérêts.
3
- 1. Cette notion a été introduite en droit français dans la responsabilité pénale des personnes physiques : il s'agit de prévenir des dommages graves (atteinte physique aux personnes) prévisibles qu'on ne peut ignorer. La "négligence caractérisée" est donc ici détournée pour faire peser sur les titulaires d'un abonnement à Internet une responsabilité du fait d'autrui, avec une présomption de culpabilité, afin d'empêcher la diffusion de biens immatériels.
- 2. Le débat de la riposte graduée version DADVSI que le Conseil constitutionnel avait déjà censurée est ici rouvert : le même délit serait puni de manière différente selon le moyen par lequel il a été commis.
- 3. Cette disposition nouvelle est sujette à une sérieuse controverse sur sa constitutionnalité.