La commissaire européenne Neelie Kroes réaffirme l'importance de l'interopérabilité et des standards ouverts

La Vice-présidente de la Commission européenne à la Stratégie Numérique Neelie Kroes a tenu jeudi 10 juin 2010 un discours sur les standards ouverts et l'interopérabilité dans le cadre de l'Open Forum Europe 2010 de Bruxelles. Elle y a souligné l'importance de ces deux notions, ce dont l'April se réjouit après les inquiétudes liées à l'absence des standards ouverts dans l'agenda numérique. La Commissaire a affirmé qu'elle était « une grande fan des standards ouverts » qu'elle définit sans équivoque comme les standards pour lesquels « il n'y a pas de restrictions pour les implémenteurs ».

Si la reconnaissance de l'importance des standards ouverts et de l'interopérabilité dans ce discours est un pas indéniablement positif, Neelie Kroes n'a pas pour autant donné de garanties sur leur reconnaissance légale au niveau européen. Au contraire, elle a ainsi repris le refrain de la Commission, présentant constamment l'ouverture comme un continuum, alors même que l'ouverture des standards implique l'absence de limitation : il n'y a pas de degrés d'ouverture, seulement des degrés de fermeture. L'April regrette donc que la Commissaire ne s'engage pas en faveur de standards véritablement ouverts1, seuls garants de l'interopérabilité. Cette position serait d'autant plus essentielle à l'heure des négociations sur le cadre européen d'interopérabilité, dans lesquels les standards ouverts sont menacés.

C'est d'autant plus dommage que la Commissaire présente par ailleurs une analyse très juste des dangers des formats propriétaires. Elle dénonce ainsi la manière dont « de nombreuses autorités se sont retrouvées enfermées inintentionnellement dans des technologiques propriétaires pendant des décennies. Passé un certain point, ce choix de départ est tellement intégré que toute alternative risque d'être systématiquement ignorée, quels que soient les bénéfices potentiels. C'est un gâchis d'argent public que nous ne pouvons plus nous permettre. ».

Son propos souligne ensuite les conséquences que cela peut avoir sur les citoyens : « c'est encore pire quand de telles décisions par les autorités forcent les citoyens à acheter des produits spécifiques (plutôt que n'importe quel produit conforme aux standards applicables) pour pouvoir utiliser un service public. Cela peut être l'école de vos enfants qui insiste sur l'utilisation d'un traitement de texte spécifique ou votre service des impôts dont les formulaires en ligne exigent un navigateur internet spécifique ». La Commissaire souligne donc l'importance du choix de l'interopérabilité et des standards ouverts pour les autorités publiques2. L'April se félicite de la prise en compte de ce danger, qu'elle avait évoqué dans sa lettre ouverte à la Commissaire européenne.

Ces dangers sont ainsi reconnus par Neelie Kroes, qui reprend enfin une argumentation essentielle sur l'importance d'avoir des standards ouverts, c'est-à-dire sans aucune restriction d'utilisation : « tous ceux qui se préoccupent de l'interopérabilité devraient se préoccuper des conditions financières pour l'utilisation des standards ainsi que des contraintes indirectes imposées aux tiers : moins il y a de restrictions imposées aux tiers, et mieux c'est ». Elle souligne par là les dangers des licences FRAND3 dont elle dit elle-même « qu'il faut l'admettre, établir des prix FRAND est une tâche difficile, dans laquelle des personnes raisonnables sont souvent en désaccord ». De telles licences sont par nature antinomiques avec la faculté de mettre l'information en commun, et donc contraires aux principes mêmes d'une saine concurrence. La solution proposée ici, la divulgation ex ante des licences, ne fait en revanche qu'esquiver le problème, car elle n'offre pas de réelle garantie quant à la mise en place de standards véritablement utilisables par tous.

L'April se réjouit donc du bilan dressé de la commissaire Neelie Kroes : la non-utilisation des standards ouverts représente de vrais dangers (verrouillage/enfermement propriétaire4, restrictions imposées aux tiers, frais d'acquisition par essence discriminatoires, ...) . Fort de cet état des lieux, la commission doit maintenant agir concrètement en faveur des standards ouverts et de l'interopérabilité. La bonne intégration des entreprises et des citoyens européens dans la société de l'information en dépend.

  • 1. http://www.april.org/fr/agenda-numerique-la-commission-europeenne-prefere-lobscurantisme-a-une-societe-de-linformation-ouverte
  • 2. Neelie Kroes cite comme exemple la politique néerlandaise decomply or explain (expliquez ou motivez), qui exige des pouvoirs publics qu'ils motivent publiquement et préalablement leur choix lors de l'utilisation d'un format fermé.
  • 3. FRAND : Fair, Reasonable and Non Discriminatory soit justes, raisonnables et non discriminatoires, clauses qui conditionnent leur utilisation au respect de clauses discrétionnaires
  • 4.

    Selon Wikipédia l'enfermement propriétaire est une situation où un client est tellement dépendant d'un fournisseur de produits ou de services qu'il ne peut pas passer à un autre vendeur sans s'exposer à d'importants coûts. On parle alors fréquemment de clientèle captive.