Et une loi de plus pour « réguler et sécuriser » Internet votée à l'Assemblée
Mise à jour : La loi a été promulguée le 21 mai 2024
Le 17 octobre 2023, après le Sénat, l'Assemblée nationale a adopté sa version du projet de loi visant à réguler et à sécuriser l'espace numérique1. Une énième loi nationale sur le sujet, alors que l'Union européenne a récemment adopté deux règlements transversaux en la matière2. Le projet de loi vise notamment à instaurer un filtre dit « anti-arnaques », à imposer la mise en œuvre de systèmes de vérification d'âge pour l'accès aux sites pornographiques, ou encore à réguler davantage les plateformes offrant des services à distance.
Une commission mixte paritaire devrait se réunir prochainement.
Pas de blocage des sites web, mais du filtrage, imposé aux navigateurs
La mise en œuvre d'un « filtre anti-arnaques » est l'une des dispositions phares du projet de loi dont l'objectif affiché est de protéger les internautes des escroqueries en ligne. Le projet de loi prévoit différents types d'obligation et de responsabilité en fonction des acteurs, dont les fournisseurs de navigateurs web. En amont des débats, Mozilla France avait alerté sur le fait que la rédaction initiale de l'article 6 du texte pouvait faire porter aux navigateurs web la responsabilité de bloquer des sites web et engendrer une véritable censure administrative de ces sites web. En commission, un amendement a été adopté pour clarifier qu'il ne doit s'agir que d'un filtrage avec informations aux utilisatrices et utilisateurs et non d'un blocage en tant que tel. Cette solution plus équilibrée, qui semble convenir à la Fondation Mozilla, n'a pas été remise en cause lors des travaux en séance publique. Il s'agira bien entendu d'être vigilants quant à la mise en œuvre de cette obligation.
Pas de transparence pour les systèmes de vérification d'âge, même si c'est souhaitable selon la rapporteure…
Comme cela avait été le cas en commission, le groupe Écologiste a déposé un amendement visant à imposer l'accessibilité des systèmes de vérification d'âge – rendus obligatoires par la loi – « sous un format ouvert et librement utilisable », rejoint en séance publique par le groupe LFI3. Comme en commission, les amendements ont été rejetés, même si c'est « possible et souhaitable », pour reprendre les termes de la rapporteure qui a malgré tout donné un avis défavorable, invoquant, comme de coutume, une liberté d'entreprendre l'emportant sur toute autre considération d'intérêt général. Le marché, dans sa sagesse infinie et reconnue, se saisira sans doute de la question de la transparence des sources. En tout cas, « on l'espère », a précisé le rapporteur général, Paul Midy, dans un élan de courage politique4.
Pas d'obligations d'interopérabilité pour les réseaux sociaux en ligne
Les groupes Écologiste, France Insoumise et Modem ont déposé des amendements5 pour défendre l'interopérabilité des réseaux sociaux en ligne, reprenant une proposition de La Quadrature du Net. Sujet, essentiel, par ailleurs absent du texte déposé par le gouvernement. L'interopérabilité doit, selon les parlementaires ayant défendu cette proposition, limiter les effets structurels de domination des plus gros acteurs et constituer une réponse opérante à une partie des enjeux soulevés par le projet de loi, particulièrement contre le harcèlement en ligne. Comme cela a notamment été rappelé, les réseaux sociaux sont devenus indissociables de l'exercice de la liberté d'expression. Lutter contre la captation des utilisatrices et utilisateurs au sein de silos technologiques fermés est donc un enjeu fondamental. « Idée très innovante, très intéressante » selon le rapporteur général qui renvoie ici aux législateurs européens, en évoquant que le sujet a été débattu dans le cadre du Règlement européen sur les marchés numériques sans aller aussi loin. Si la question de la compétence à légiférer peut sembler pertinente, il est dommage qu'elle soit à géométrie variable… et ne semble être invoquée que pour limiter les propositions les plus ambitieuses en faveur des libertés des internautes et bien plus rarement lorsqu'il s'agit de contrôler leurs usages en ligne. Les amendements ont été rejetés6.
Une commission mixte paritaire devrait se réunir d'ici la fin de l'année. Les positions du Sénat et de l'Assemblée semblent assez convergentes, il ne devrait donc pas y avoir de surprise quant à l'aboutissement de cette commission ; les changements plus importants pourraient venir d'ailleurs. Rappelons en effet que ce projet de loi intervient dans le contexte de deux règlements européens régulant les services et les marchés numériques. La Commission européenne ne semble pas apprécier cette initiative législative française et considère d'ores et déjà certaines dispositions comme contraires au droit européen… 7 À voir quel impact cela aura sur le texte de compromis et si, ici encore, le rapporteur général et le ministre sauront se montrer aussi soucieux du droit européen.
- 1. Voir le dossier législatif du projet de loi sur le site de l'Assemblée
- 2. Le Digital Services Act, règlement sur les services numériques, et le Digital Market Act, règlement sur les marchés numériques. Les règlements européens sont d'application directe et ne nécessitent donc pas d'acte législatif pour les transposer en droit national.
- 3. Amendements 74 et 379
- 4. À partir de la minute 00:41:19 des débats
- 5. Voir les amendements 140, 500, 582, 559 et 182 déposés après l'article 22
- 6. À partir de la minute 02:51:30 des débats
- 7. Ainsi que le rapporte Contexte le 26 octobre 2023 : La Commission tire son premier boulet contre le projet de loi sur l’espace numérique