Interview de Sébastien Broca - Bonus de Philippe Borrel - Internet ou la révolution du partage

Sébastien Broca

Titre : ITV Sébastien Broca/Bonus de Internet ou la révolution du partage
Intervenant : Sébastien Broca
Lieu : Arte - Documentaire de Philippe Borrel Internet ou la révolution du partage
Date : mai 2019
Durée : 6 min 30
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Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : capture d'écran de la vidéo
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Le pouvoir du code. Effectivement Lawrence Lessig l’a très bien dit d’une formule très frappante et qui est restée, il a dit Code Is Law. Code Is Law ça veut dire : maintenant l’informatique a pris une telle place dans nos vies et dans nos existences qu’il y a plein de choses qui ne sont plus régulées par la loi ou par des choses que l’on connaît bien, mais qui sont régulées, en fait, par le code, d’où cet enjeu qu’il y a à avoir une certaine transparence du code, une certaine transparence de l’informatique, une certaine transparence des algorithmes parce que, de plus en plus, ça a un impact très fort sur nos vies, donc c’est en ce sens-là, encore une fois, que Lessig dit du Code Is Law parce qu’il y a une régulation qui est faite par le code, qui est faite par l’informatique. Donc, en tant que citoyens, on devrait peut-être avoir notre mot à dire sur les critères qui sont ceux de cette régulation.

On est au cœur d’une bataille du Libre parce qu’il y a des formes de contrôle de plus en plus oligopolistiques de l’information, de la connaissance et du code. C’est à la fois ce qui peut se jouer dans le cadre de la publication scientifique avec la domination de trois-quatre éditeurs scientifiques au niveau mondial ; c’est ce qui peut jouer, évidemment, au niveau des fameux GAFA, cet oligopole d’Internet qui de plus en plus re-centralise Internet et dicte, en fait, ses conditions en fonction de leur business modèles aux internautes.

Pourquoi est-ce qu’il y a une bataille du Libre ? Je disais en fait parce qu’il y a, à mon avis, une nécessité actuelle de lutter contre l’accaparement de certaines ressources, notamment des ressources informationnelles ou des ressources du code par quelques acteurs. C’est ça qu’on voit très clairement dans le monde numérique et c’est en cela que le Libre est une alternative porteuse d’espoir, finalement, pour réussir à contrer cette concentration de savoirs et aussi de pouvoirs.

Pour Richard Stallman, dès le départ le logiciel libre est un mouvement social ; lui c’est comme ça qu’il le décrit, c’est vraiment la volonté de défendre certaines valeurs, les valeurs de partage, de collaboration entre informaticiens et puis de défendre les libertés des utilisateurs contre le pouvoir des grandes entreprises du logiciel propriétaire.
Stallman est à un moment, au début des années 80, qui est le moment où on commence à avoir ce grand mouvement qui va ensuite s’amplifier, se généraliser, de privatisation de l’information et de la connaissance. Un des premiers objets sur lequel ce mouvement se déploie ce sont les logiciels. Stallman comprend ça à travers sa pratique professionnelle. Ce qu’il comprend un peu avant les autres c’est qu’il y a ce mouvement de privation de l’information et de la connaissance qui s’enclenche. Lui est un des premiers à trouver que c’est dangereux, qu’il y a là des questions de principe qui sont importantes et qu’il faut défendre. Et aussi, vu qu’il est informaticien, c’est le moment où l’informatique se démocratise et il comprend que l’informatique va devenir une chose de plus en plus importante, qui va prendre un rôle de plus en plus central dans nos vies. Donc laisser ce pouvoir grandissant de l’informatique entre les mains de quelques entreprises, de quelques multinationales, eh bien il y a un danger potentiel.

Il y a une prise de conscience qui s’opère déjà dans les années 90 qui est de dire, en fait, on a plein d’objets qui étaient considérés comme séparés, n’ayant pas beaucoup de rapports entre eux, entre les semences, entre les médicaments, entre les logiciels, entre les publications scientifiques. En fait ces choses-là ont plus de rapports qu’on ne le croit pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que finalement, fondamentalement dans un monde numérique, ces choses-là on peut dire que c’est de l’information. La molécule d’un médicament, une semence, le code source d’un logiciel, tout ça, en fait, c’est de l’information, ce sont des 0 et des 1 ; une fois que c’est numérisé tout ça c’est de l’information. D'autre part tous ces objets sont en fait l’objet d’un même mouvement qui va être appelé par James Boyle « le deuxième mouvement des enclosures », c’est-à-dire ce grand mouvement de propriétarisation et de privatisation de l’information ou, plus largement, de la connaissance.
Disons que ce renforcement de la propriété intellectuelle correspond aussi à un moment de mutation du capitalisme. Finalement on sort du capitalisme industriel, pour le dire vite, on rentre dans autre chose, cette fameuse économie de la connaissance, le capitalisme cognitif, en tout cas l’information et la connaissance acquièrent une importance économique absolument fondamentale. C’est vrai qu’à ce moment-là on a des évolutions juridiques qui sont finalement concordantes dans la mesure où elles amènent toutes à cette même privatisation de l’information et de la connaissance. On a différentes choses : dans les années 80, on encourage les universités aux États-Unis à breveter, par exemple, leurs découvertes ; ensuite on commence à pouvoir breveter les micro-organismes. Et puis, dans le même temps, on va allonger la durée des droits d’auteur et du copyright, etc. Il y a, en fait, tous ces mouvements à la fois d’extension de la brevetabilité, d’allongement de la durée du droit d’auteur et du copyright et puis, ensuite, de criminalisation du partage en ligne avec toutes les lois qu’on connaît qui ont culminé en France avec HADOPI. C’est vrai qu’il y a des gens qui commencent à se dire, dans les années 2000, tout ça, en fait, ça fait système, ça fait sens ; c’est un grand mouvement, effectivement, où une élite ou en tout cas un certain nombre d’acteurs économiques vont s’accaparer de manière privative l’information et la connaissance, donc il faut résister.
Donc le Libre c’est vraiment mettre en valeur ces principes de partage, de collaboration, de résistance face à la privatisation de l’information et de la connaissance, plutôt que le logiciel libre en tant que tel, en tant que mouvement particulier et singulier.

Ce qui est très intéressant dans le Libre et dans cette bataille du Libre, c’est qu’effectivement on construit des alternatives. Donc le Libre comme les communs c’est une manière de proposer autre chose, de proposer des alternatives par rapport à celles qui nous sont fournies, notamment par les grands acteurs du Web et du numérique.