HADOPI : les mouchards filtrants seront facultatifs

Paris, le 11 juin 2009. Communiqué de presse.

Saisi par des députés de l'opposition sur la loi Création et Internet1, le Conseil Constitutionnel a rendu mercredi 10 juin 2009 une décision2 particulièrement forte. Il s'oppose à la coupure de l'accès à Internet comme sanction administrative et ôte tout pouvoir de sanction à la HADOPI. Enfin, cette censure rend les mouchards filtrants facultatifs. L'April se réjouit de cette décision qui contribue à rééquilibrer les droits des auteurs et ceux des internautes.

Le Conseil Constitutionnel a donc censuré la coupure d'accès à Internet3, mesure phare de la riposte graduée et seul pouvoir effectif de sanction de la HADOPI4. Il a ainsi reconnu que l'accès à Internet est nécessaire à l'exercice de la liberté d'expression et de communication, cette liberté étant « d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés »5.

« Le Conseil Constitutionnel rend ici une décision fondatrice pour les droits des citoyens à l'ère du numérique. Dans la même veine que les parlementaires européens, il reconnaît le rôle essentiel de l'accès à Internet pour l'exercice des libertés fondamentales. L'exécutif et le Parlement français ne pourront plus nier cette évidence désormais constitutionnelle, » déclare Benoît Sibaud, président de l'April.

Mais pour l'April cette décision recèle une autre bonne nouvelle : les utilisateurs de logiciels libres ne seront pas victimes d'une insécurité juridique discriminatoire à cause des mouchards filtrants. Le Conseil Constitutionnel a en effet censuré toutes les dispositions de la loi qui les rendaient obligatoires6. Toutefois, en raison de cette censure, il a jugé que la procédure de labellisation de ces dispositifs pouvait être maintenue7.

« Il était essentiel, pour la sauvegarde de la liberté de communication et du droit à la vie privée de nos concitoyens, que les mouchards filtrants de la HADOPI ne soient pas obligatoires. C'était tout particulièrement crucial pour les utilisateurs de logiciels libres, dans la mesure où des mouchards filtrants obligatoires n'auraient pas pu être des logiciels libres, » explique Alix Cazenave, chargée des affaires publiques8.

« Le droit d'auteur à la française repose sur l'équilibre entre les droits des auteurs et des détenteurs de droits voisins, et les droits du public. L'April se réjouit que la décision du Conseil Constitutionnel contribue à le rétablir, » conclut Frédéric Couchet, délégué général. L'association de promotion et de défense du logiciel libre restera toutefois vigilante sur la labellisation des « moyens de sécurisation » et s'opposera à toute distorsion du marché que cette labellisation pourrait induire.

À propos de l'April

Pionnière du logiciel libre en France, l'April est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du logiciel libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone. Elle veille aussi, dans l'ère numérique, à sensibiliser l'opinion sur les dangers d'une appropriation exclusive de l'information et du savoir par des intérêts privés.

L'association est constituée de plus de 5 000 membres utilisateurs et producteurs de logiciels libres dont 238 sociétés ou réseaux de sociétés, 135 associations, 5 collectivités locales, trois départements universitaires et une université.

L'April est l'acteur majeur de la promotion et de la défense du logiciel libre en France.

Pour plus d'informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l'adresse suivante : http://www.april.org/, nous contacter par téléphone au +33 1 78 76 92 80 ou par courriel à l'adresse formulaire de contact.

Contacts presse :

  • Frédéric Couchet, délégué général, fcouchet@april.org +33 1 78 76 92 80 / +33 6 60 68 89 31
  • Alix Cazenave, responsable affaires publiques, acazenave@april.org +33 1 78 76 92 80 / +33 1 78 76 92 80
  • 1. Dossier législatif ; voir aussi le dossier HADOPI de l'April pour l'impact du projet de loi sur le logiciel libre et le dossier de La Quadrature du Net pour l'impact global
  • 2. Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009
  • 3. Le Conseil a également logiquement censuré la « liste noire des abonnés », fichier recensant les abonnés condamnés par la Hadopi et interdits de toute souscription auprès d'un fournisseur d'accès à Internet français.
  • 4. Au sein de la HADOPI, la Commission de Protection des Droits avait pour mission, avant la censure du Conseil Constitutionnel, d'envoyer des avertissements aux internautes coupables d'un manquement présumé à leur obligation de sécurisation, et de les sanctionner après deux avertissements. Cette censure ôte à la Commission de Protection des Droits, bras armé de la HADOPI, tout pouvoir de sanction pour ne lui laisser que celui d'envoyer des messages d'avertissement
  • 5. Voir la Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 :
    « 11. Considérant que, selon les requérants, en conférant à une autorité administrative, même indépendante, des pouvoirs de sanction consistant à suspendre l'accès à internet, le législateur aurait, d'une part, méconnu le caractère fondamental du droit à la liberté d'expression et de communication et, d'autre part, institué des sanctions manifestement disproportionnées ; qu'ils font valoir, en outre, que les conditions de cette répression institueraient une présomption de culpabilité et porteraient une atteinte caractérisée aux droits de la défense ;
    12. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi " ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ;
    (...)
    15. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques " ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l'objectif de lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet avec l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ; que, toutefois, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ; »
  • 6. Voir la Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 :
    « 18. Considérant, en l'espèce, qu'il résulte des dispositions déférées que la réalisation d'un acte de contrefaçon à partir de l'adresse internet de l'abonné constitue, selon les termes du deuxième alinéa de l'article L. 331-21, " la matérialité des manquements à l'obligation définie à l'article L. 336-3 " ; que seul le titulaire du contrat d'abonnement d'accès à internet peut faire l'objet des sanctions instituées par le dispositif déféré ; que, pour s'exonérer de ces sanctions, il lui incombe, en vertu de l'article L. 331-38, de produire les éléments de nature à établir que l'atteinte portée au droit d'auteur ou aux droits voisins procède de la fraude d'un tiers ; qu'ainsi, en opérant un renversement de la charge de la preuve, l'article L. 331-38 institue, en méconnaissance des exigences résultant de l'article 9 de la Déclaration de 1789, une présomption de culpabilité à l'encontre du titulaire de l'accès à internet, pouvant conduire à prononcer contre lui des sanctions privatives ou restrictives de droit ;
    19. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, que doivent être déclarés contraires à la Constitution, à l'article 11 de la loi déférée, les deuxième à cinquième alinéas de l'article L. 336-3 et, à son article 5, les articles L. 331-27 à L. 331-31, L. 331-33 et L. 331-34 ; qu'il en va de même, au deuxième alinéa de l'article L. 331-21, des mots : " et constatent la matérialité des manquements à l'obligation définie à l'article L. 336-3 ", du dernier alinéa de l'article L. 331-26, ainsi que des mots : " pour être considérés, à ses yeux, comme exonérant valablement de sa responsabilité le titulaire d'accès au titre de l'article L. 336-3 " figurant au premier alinéa de l'article L. 331-32 et des mots : " dont la mise en oeuvre exonère valablement le titulaire de l'accès de sa responsabilité au titre de l'article L. 336-3 " figurant au deuxième alinéa de ce même article ; »
  • 7. Voir la Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 :
    « 35. Considérant que, dans sa rédaction issue de la censure résultant des considérants 19 et 20, l'article L. 331-32 a pour seul objet de favoriser l'utilisation des moyens de sécurisation dont la mise en œuvre permet d'assurer la surveillance d'un accès à internet conformément aux prescriptions de l'article L. 336-3 ; qu'il revient au pouvoir réglementaire de définir les conditions dans lesquelles ce label sera délivré ; qu'il s'ensuit que les dispositions des articles 5 et 11 de la loi déférée, autres que celles déclarées contraires à la Constitution, ne sont pas entachées d'incompétence négative ; »
  • 8. L'April a alerté dès mars 2008 le gouvernement sur les risques liés aux mouchards filtrants prévus par le projet de loi. Elle a également informé les Parlementaires et a notamment produit un argumentaire à ce sujet, intitulé « Hadopi : sécurisation ou contrôle d'usage ? »