Taxe sur le numérique : c'est Mozart qu'on assassine!

Paris, le 17 janvier 2001. Communiqué de presse, pour diffusion immédiate

À quelques jours de l'entrée en vigueur effective de la taxe sur les supports numériques de copie (CD enregistrables, DVD, etc.), madame Catherine Tasca, ministre de la Culture, s'est laissée aller dans les colonnes du supplément « Économie » du Figaro (15/01/2001) sur son intention d'étendre celle-ci à l'ensemble des supports numériques : magnétoscopes « améliorés », ordinateurs, disques durs, téléphones cellulaires, etc.

Ce projet étant, une fois de plus, motivé par la « nécessité » d'établir un « juste retour en rémunération des ayants droit. » Madame la ministre affirme ainsi : « Il me semble que l'émergence des nouvelles technologies a entraîné une véritable dérive par rapport au droit d'auteur. Les nouvelles technologies ont en effet fait naître la mythologie de l'accès gratuit aux deux bouts de la chaîne de production. »

Pour garantir la rémunération des « auteurs », il conviendrait donc de taxer tout support numérique « permettant d'enregistrer des oeuvres. » La simple utilisation d'outils numériques devient ainsi en soit un « manque à gagner » pour certaines professions, lorsqu'elle n'est pas soupçonnée d'emblée de favoriser la « copie illégale » et donc d'être du vol pur et simple... Et c'est, bien sûr, à l'utilisateur de payer !

À moins --une fois de plus-- de se méprendre sur la signification réelle du terme « droit d'auteur » (qui, ici, est singulièrement réduit à un « droit des éditeurs »), cette logique simplificatrice, pour ne pas dire simpliste, laisse de côté un certains nombre d'éléments essentiels que nous voudrions rappeler.

1) Contrairement à ce que laisserait penser l'argumentation de madame Tasca, les « outils numériques » ne sont pas de simples instruments à copier des « oeuvres culturelles » mais des outils de production et de création. En quoi donc un utilisateur qui crée un logiciel ou une image, par exemple, et sauvegarderait son travail sur un disque dur ou un CD enregistrable serait-il redevable de « droits d'auteur » prédéfinis sous forme de taxe ?

2) Le développement massif des supports numériques enregistrables, de type CD-R ou CD-RW, n'a en aucun cas limité l'expansion du marché des CD pré-enregistrés, qu'il s'agisse de musique, de produits de loisirs ou encore de logiciels. Les résultats économiques des entreprises du secteurs sont là pour en témoigner. Et ce malgré, effectivement, l'existence d'un phénomène de « copie illégale » qui sert régulièrement d'alibi pour imposer des formes de contrôle ou de taxation de tous les utilisateurs.

3) Ce type de mesure a, de tout temps, démontré son caractère largement inopérant : elle est en effet très certainement condamnée à terme, comme toutes les mesures protectionnistes, à être contournée par le développement d'un marché parallèle, des achats en ligne ou dans des pays voisins, voire des passe-droits pour certains secteurs économiques.

4) La réduction des « auteurs », de fait, aux seuls organismes culturels de type SACEM, semble bien montrer que ces taxes sont bien plus faites pour satisfaire des intérêts corporatistes de certains groupes de pression. La plupart des sommes récoltées ira en effet chez les compagnies de disques ou les éditeurs de musique, et aux seules superstars de la musique, ce qui n'est pas fait pour encourager la créativité musicale. Faut-il rappeler à madame la ministre de la Culture qu'une bonne partie de la création musicale actuelle se fait en dehors de ce type d'organismes, dont le rôle est d'ailleurs contesté par de nombreux auteurs.

5) Faut-il rappeler aussi, enfin, que le modèle de développement du logiciel libre a démontré que la viabilité économique et le respect du droit d'auteur, comme du droit des auteurs à vivre de leur travail, est largement compatible avec la liberté d'accès aux sources et ressources informatiques, avec le respect des utilisateurs, et avec la mise en pratique des principes de liberté et de communauté.

Avec la « Tascataxe », une fois de plus, ce sont les utilisateurs, --ceux qui utilisent les outils numériques dans un cadre professionnel ou créatif--, qui seront soumis à des réglementations et des redevances abusives. Sous prétexte de défendre les « auteurs » et la « création artistique », et sous couvert des rituelles déclarations de principe sur la « démocratisation de la culture », de « droit à la copie privée », etc., nous constatons que ce protectionnisme culturel sanctionne en fait les seuls utilisateurs, ainsi condamnés à payer pour satisfaire avant tout les intérêts de certains organismes et de certaines corporations.

Pour s'en convaincre il suffit de constater que dans les propos de madame la ministre, qui pinaille pour proclamer qu'il ne s'agit pas là d'une taxe, mais d'un « complément de rémunération pour les auteurs », aucune garantie ne nous est donnée sur l'équité de cette prétendue redistribution. Pire, rien ne justifie le choix des organismes qui auront le privilège de se partager la galette, si ce n'est la confiance que place en eux madame Tasca.

Après le projet européen de brevetage sur les logiciels, le prêt payant en bibliothèque (toujours en suspens), la taxe sur les CD et DVD, nous assistons à la multiplication des tentatives de mise en coupes sombres des formes de production et de création immatérielles.

Est-ce un hasard ? Non, bien sûr. Ceci n'est que le dernier --mais pas l'ultime-- avatar des parangons de la « propriété intellectuelle » qui, profitant d'un certains nombre d'idées reçues et de fantasmes collectifs qui circulent sur les « nouvelles technologies », n'hésitent pas à détourner le droit d'auteur, pour le plus grand profit de ceux qui deviennent, justement, inutiles à la production numérique. Au nom d'une prétendue « propriété intellectuelle », c'est bien « Mozart qu'on assassine » au profit de quelques lobbies privés.

Pourtant, faut-il encore une fois rappeler que la « propriété intellectuelle » n'est pas un droit naturel. Le principe de base du droit d'auteur par exemple est d'attribuer, de façon temporaire, une exclusivité à un créateur à condition que l'oeuvre survive à son créateur, et dans le but de promouvoir l'avancée notamment de la science et des arts. L'avancement, en musique, signifie de nouvelles variétés de musique pour la plus grande joie du public : le copyright est supposé promouvoir un bien public, et non privé. En France, il s'agissait également de protéger, selon une idée chère à Beaumarchais, l'auteur contre les abus des éditeurs.

Permettez-nous de citer Thomas Jefferson :

«  Si la nature a fait une chose moins susceptible que toute autre d'être l'objet d'une appropriation exclusive, c'est bien (...) l'idée. Un individu peut l'avoir en sa possession exclusive aussi longtemps qu'il la garde pour lui ; mais dès le moment où elle est divulguée, elle se fraie un chemin pour être possédée par chacun, et ceux qui la reçoivent ne peuvent s'en dessaisir(...). De même, qui allume sa bougie à la mienne reçoit de la lumière sans me plonger dans l'obscurité.  »

Ceci ne signifie pas qu'il faille renoncer forcément aux droits d'auteurs, mais il faut garder à l'esprit qu'il ne s'agit pas de propriété, ni d'un droit naturel, mais que la société peut accorder des droits exclusifs de diffusion d'une oeuvre, mais que ceci est un privilège pour favoriser la production en question. Plutôt que de multiplier les redevances (parce que c'est bien de cela qu'il s'agit), madame la Ministre de la culture devrait plutôt ouvrir un espace de réflexion public sur le rôle réel des sociétés d'auteurs --avant de penser à remplir un peu plus encore leurs caisses-- et de réflexion sur les moyens effectifs à mettre en oeuvre effectivement pour faire avancer la création artistique et intellectuelle (voir par ex. le texte de Richard Stallman, « The Right Way to Tax DAT », publié en 1992, disponible sur http://www.gnu.org/philosophy/dat.html).

Le « projet » de madame Tasca a, semble-t-il, fait long feu, puisqu'elle a aujourd'hui même nié devant l'Assemblée nationale tout projet de taxation : « La commission a statué sur les supports numériques amovibles, CD et DVD vierges (...). La décision qui a été publiée au Journal Officiel ne concerne que ces supports et elle est légitime dans la logique de la loi de 1985 » (citée par l'AFP le 16/01/2000). Il n'en reste pas moins que la taxe sur les supports numériques amovibles entrera en vigueur dans les prochains jours.

APRIL demande donc purement et simplement le retrait des taxes sur les supports numériques, en particulier CD-R et CD-RW, et s'oppose à l'établissement de taxes plus générales telles que celles sur les disques durs ou les ordinateurs en général.

Ce faisant, APRIL s'associe aux diverses pétitions de protestation initiées (Vachealait et Association contre la taxe sur les CD) ainsi qu'à l'action du SIMAVELEC (Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques), et entend s'associer à toute initiative de protestation contre la taxation des supports numériques.

De plus, APRIL demande que la communauté du logiciel libre soit représentée lors de futures consultations, afin de défendre les intérêts des logiciels libres dont un des principaux moyens de diffusion est la copie en toute légalité sur le plus grand nombre de supports numériques possibles.

Références

  1. Vachalait - Site d'action contre la redevance sur les supports numérique : http://www.vachealait.com
  2. Pétition contre la taxe sur les CDR fin Janvier 2001 : http://atcd.dynu.com
  3. Tous contre la taxe Tasca - Lettre de protestation collective de Hardware.fr : http://www.hardware.fr/html/news/?date=15-01-2001#2777
  4. CD et DVD surtaxés : les fabricants contre-attaquent : http://www.zdnet.fr/cgi-bin/a_actu.pl?ID=17706&nl=zdnews

APRIL

L'APRIL, Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre, créée en 1996, est composée de professionnels de différentes sociétés ou administrations, de chercheurs et d'étudiants. Elle a pour objectif de sensibiliser les entreprises, les administrations et les particuliers sur les risques des solutions propriétaires et fermées, et de les informer des potentialités offertes par les logiciels libres et les solutions basées sur des standards ouverts.

Pour plus d'informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l'adresse suivante : http://www.april.org/, ou nous contacter par mail par notre formulaire de contact.

Contact Presse :

Frédéric Couchet, Président. E-mail : fcouchet@april.org.
Tél : 06.60.68.89.31

Olivier Berger, Secrétaire. E-mail : oberger@april.org.