Présidentielle 2017 : la « Connaissance Libre », un débat ignoré par la majorité des candidats

Soutenu par dix associations oeuvrant à la promotion des communs informationnels et à la libre diffusion du savoir, le collectif « Pour La Connaissance Libre » a adressé à chacun des candidats à l'élection présidentielle, début mars 2017, une série de douze questions. Les réponses devaient permettre d'offrir une grille de lecture aux électeurs sur la position des candidats sur le sujet de la libre diffusion de la connaissance. Seules deux équipes de campagne ont pris le temps de répondre.

Ces dix associations, de par leur objet social et l'importance de leur communauté, sont notoirement reconnues comme expertes de ces thématiques. Ainsi Wikimédia France, OpenStreetMap France, Creative Commons France, Framasoft, Mozilla, la Paillasse, Paléo-Energétique, Vecam et SavoirsCom1, avec l'April depuis le 22 mars, soutiennent le collectif. La légitimité de ce collectif est ainsi incontestable et ce questionnaire est à considérer comme une référence sur les problématiques actuelles des communs informationnels.

À ce jour, seules deux équipes de campagne ont pris le temps d'expliciter leur conception d'une « connaissance libre » dans une société informatisée ; celle de M. Benoit Hamon et celle de M. Jean-Luc Mélenchon. Nous notons particulièrement les réponses à la question concernant la priorité au logiciel libre dans les administrations publiques (reproduites ci-dessous). Cette absence de réponses par la grande majorité des candidats, et donc de prise en compte des enjeux soulevés par le collectif, est malheureusement assez révélatrice de l'absence d'un réel débat politique sur ces thématiques, et particulièrement au cours de cette campagne électorale.

En 2007, puis en 2012, l'April avaient réalisé un long questionnaire - 75 questions accompagnées d'argumentaires détaillés - via la plateforme Candidats.fr, à destination des candidats à la fonction présidentielle. Plutôt que de réitérer cette démarche très consommatrice d'énergie, et en l'absence de débat de fond, l'association a donc choisi de soutenir le collectif « Pour la Connaissance Libre ».

Certaines équipes de campagne ont toutefois pris le temps de répondre à notre invitation, nous faisant comprendre qu'il était difficile pour elles de traiter la masse de sollicitations qu'elles reçoivent, nous assurant que le questionnaire « Pour la Connaissance Libre » avait été « transmis en interne ». Si nous regrettons que les enjeux ne se voient pas accorder l'importance qu'ils méritent, cette limitation de moyens peut, bien entendu, se concevoir de la part de certains candidats.

Le constat est en revanche plus amer en ce qui concerne les candidats disposant de moyens importants, avec des équipes dédiées à une thématique « numérique », notamment M. Fillon et M. Macron si prompts à parler de « transition » ou de « révolution numérique ». Transition vers quoi ? Révolution pour qui ? Il est révélateur et inquiétant de constater à quel point les technologies de l'information ne restent perçues que comme facteur de nouvelles formes d'opportunité économique, d'observer comment l' « innovation » technologique n'est envisagée que dans ce qu'elle apporte en termes de compétitivité. Quand ces technologies ne sont pas caricaturées, devenant l'arme privilégiée des terroristes, pour justifier les atteintes toujours plus graves aux libertés fondamentales.

Le « numérique », terme "fourre-tout" auquel s'attachent toutes formes de représentations, doit être compris comme un fait social qui bouleverse en profondeur des pans entiers de la société. L'informatique ne pourra devenir le socle d'une société plus juste et plus solidaire, où le partage, la collaboration et l'émancipation individuelle sont les lignes de mire de politiques publiques soucieuses de l'intérêt général, si elle n'est pas structurellement libre et loyale, transparente et décentralisée. Les enjeux de la « société de l'information » doivent être pensés globalement, hors du seul prisme marchand. Faute de quoi la seule « révolution numérique » sera d'amplifier encore davantage les inégalités et de nous déposséder toujours plus de la faculté de penser collectivement nos usages. « Logiciel libre pour une société libre ».

Les candidats et candidates disposent encore de quelques heures avant la fin de la campagne officielle pour le premier tour de l'élection présidentielle pour répondre à ce questionnaire.

Pour vous faire une meilleure idée des programmes des différents candidats sur ces thématiques, nous vous recommandons l'excellent dossier réalisé par Next Inpact, cet article de Mashable ou celui-ci de Mediapart (réservé abonné). Vous trouverez également des liens vers les sites et programmes des candidats, et d'autres informations liées, sur ces deux "pad" (un pad.april et un framapad).

Réponses des candidats à la question de la priorité aux logiciels libres dans les administrations publiques :

3. Ouverture et transparence :

Comptez-vous accorder une priorité aux logiciels libres pour les équipements informatiques de l’État, des établissements publics et des prestataires assurant un service public ou d'accompagnement de la décision publique ?

Réponse de M. Jean-Luc Mélenchon :

« Pour en finir avec la mainmise du secteur privé sur les logiciels, il s’agit de soutenir l'émancipation vis-à-vis des logiciels propriétaires.Nous instaurerons une priorité au logiciel libre pour l'ensemble des administrations et des établissements publics. Nous mettrons fin aux partenariats publics avec Microsoft, notamment avec l’Éducation nationale et la Défense. Le soutien aux initiatives libres se fera également en dirigeant la commande publique vers ces solutions.Enfin, nous ferons respecter l'interdiction de la vente liée qui consiste à obligatoirement vendre un logiciel pré-installé pour tout achat de matériel. Le consommateur aura le choix de disposer d'un matériel sans système d'exploitation installé. Une alternative libre et ouverte doit être proposée, notamment via un service public du numérique. »

Réponse de M. Benoît Hamon :

« La loi pour une République Numérique a posé des jalons déterminants pour le logiciel libre. J’entends soutenir le logiciel libre dans l’institution publique et au-delà : parce qu’il permet notre souveraineté numérique, parce qu’il constitue un investissement durable et soutenable, parce qu’il promeut des valeurs de coopération, parce qu’il favorise les démarches éducatives, et peut faciliter l’inclusion sociale et numérique. Sur la question spécifique de la souveraineté numérique : la mise en œuvre d’une politique publique ou d’une disposition législative ne peut être tributaire de choix techniques ou dedécisions commerciales d’acteurs privés. De même les choix technologiques d’hier ou d’aujourd’hui ne doivent pas compromettre la capacité d’agir demain. Le modèle du logiciel libre répond à ce souci. La question de la portabilité des données également. »