L'April écrit à Hubert Legal, responsable du service juridique du Conseil européen, sur le brevet unitaire

Le 17 novembre 2011, l'April a envoyé un courrier à Hubert Legal, jurisconsulte (responsable du service juridique) du Conseil européen pour lui demander de clarifier certains points du règlement sur le brevet unitaire1.

Ce courrier est également disponible au format pdf.

Monsieur le jurisconsulte du Conseil,

L'April est une association française créée en 1996, comptant plus de 5 400 adhérents, et dont l'objet est la promotion et la défense des logiciels libres. L'April est un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du logiciel libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone. Nous suivons avec attention les débats sur la proposition de règlement sur le brevet unitaire et sommes inquiets de ses répercussions pour le logiciel libre, notamment pour ce qui est des autorités compétentes pour délimiter le champ de la brevetabilité. Nous avons donc élaboré, grâce à notre expert bénévole sur les questions de brevet, un site d'informations sur le sujet2 mais nous aurions également quelques questions à vous poser.

Sur la base juridique de la proposition

1. Après l'opposition de l'Italie et de l'Espagne, la proposition de règlement est mise en œuvre dans le cadre d'une coopération renforcée. Ce choix est-il tenable sachant que l'Espagne et l'Italie ont déjà saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), arguant que la création d'un brevet unitaire – puisque ne pouvant être réalisée qu'au niveau de l'Union – devait être considérée comme une compétence exclusive3 de l'Union européenne (UE) ?

2. Le règlement est qualifié d'« accord particulier au sens de l'article 142 de la Convention sur la délivrance de brevets européens (CBE) » (art. 1er). La CBE est un accord international. Un accord international, tel que défini dans l'article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, est « conclu par écrit entre États et régi par le droit international ». Un règlement de l'UE, tel que celui sur le brevet unitaire, peut-il dès lors constituer un « accord particulier » au sens de l'article 142 CBE, alors qu'un règlement de l'UE n'est pas un accord international ?

3. L'article 142 CBE permet un accord entre un groupe d'États contractants de la CBE. Le règlement étant un acte de l'UE et l'UE ne pouvant être considérée comme un groupe d'États contractants de la CBE, la proposition est-elle conforme à l'article 142 CBE ?

4. La base juridique du règlement est l'article 1184 , premier alinéa du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Cet article donne à l'UE la compétence pour créer un nouveau titre de brevet. Dès lors, peut-on considérer que la proposition de règlement respecte l'article 118.1 TFUE, sachant que le brevet unitaire n'est pas défini comme étant un nouveau titre de brevet de l'UE ?

5. La base juridique du règlement sur le brevet unitaire, l'article 118.1 TFUE, fait partie du domaine des compétences partagées entre l'UE et les États membres. Dans ce domaine de compétences partagées, l'Union européenne et les États membres peuvent tous adopter une législation et doivent coopérer. Lorsque l'UE a exercé sa compétence, les États membres ne sont plus autorisés à le faire. Dans le contexte du brevet unitaire, cela pourrait signifier qu'une fois que l'UE a adopté un règlement, basé sur l'article 118.1 TFUE, les États membres ne seraient plus autorisés à conclure de leur côté un accord international. Par conséquent, les États membres ont-ils la capacité à conclure librement un accord particulier, au sens de l'article 142 CBE, sans que l'UE ne soit également partie à cet accord international ?

Sur la délégation de pouvoirs à l' Office européen des brevets (OEB)

6. Est délégué à l'Office européen des brevets (OEB) – organisation extérieure à l'UE – le pouvoir de délivrer des brevets européens avec effet unitaire. Les dispositions de la CBE exécutant cette délégation de pouvoirs doivent-elle être considérées comme faisant partie du droit de l'Union afin qu'elles soient soumises aux mêmes règles qu'une délivrance par une agence de l'UE ?

7. Dans ce cadre, le règlement doit-il explicitement réaffirmer le caractère autonome du brevet unitaire, afin qu'il ne soit soumis qu'aux dispositions du règlement, aux principes généraux du droit de l'Union et aux dispositions de la convention sur le brevet européen, réputées constituer des dispositions dudit règlement ?

Sur l'intervention de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

8. D'après la proposition de règlement en cours de discussion, est-il possible pour un justiciable, dans un litige portant sur un brevet unitaire, de formuler, auprès d'une juridiction, une question préjudicielle portant sur le droit matériel des brevets à transmettre à la CJUE ? Si oui, quelle juridiction est compétente pour recevoir une telle question ?

9. La juridiction unifiée des brevets peut-elle être considérée comme une juridiction indépendante au regard de la jurisprudence CJUE, dès lors qu'elle est composée en partie de « juges » nommés sans garantie d’indépendance et qu'aucun recours devant une cour indépendante n'est prévu ?

Dans l'attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur, nos salutations distinguées.